La Charte Larmenius

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La Charte Larmenius, une petite histoire par Spartakus FreeMann.

« À lire les statuts du nouvel Ordre du Temple on a l’impression d’une Ă©norme bouffonnerie, d’une charge d’atelier comme en inventent des rapins en liesse »

Le Forestier

Introduction.

Cet article fait suite et complĂšte celui que nous avions commis sur la vertigineuse figure du templarisme moderne : Bernard-Raymond FabrĂ©-Palaprat. Nous avions brossĂ© rapidement la poussiĂšre revĂȘtant la Charte Larmenius, et il apparaĂźt que ce sujet mĂ©rite quelques prĂ©cisions supplĂ©mentaires.

Selon la lĂ©gende, cette Charta Transmissionis, ou Tabula Aurea Larmenii, proviendrait de Jacques de Molay, dernier grand-maĂźtre de l’Ordre du Temple, brĂ»lĂ© sur l’üle aux Juifs Ă  Paris le 18 mars 1314. Celui-ci voyant sa fin proche aurait transmis sa charge – et les secrets qui en dĂ©coulent – Ă  Johannes Marcus Larmenius (Jean-Marc LarmĂ©nius [1]), un illustre inconnu pour les historiens, mais commandeur de JĂ©rusalem pour la bonne cause (pour rappel, Ă  cette date, JĂ©rusalem Ă©tait depuis longtemps aux mains des Mamelouks). Celui-ci, Ă  son tour, aurait transmis la grande maĂźtrise Ă  François-Thomas-ThĂ©obald d’Alexandrie, le 13 fĂ©vrier 1324, en lui remettant Ă©galement la fumeuse charte qui se transmettra ainsi de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, pour arriver, aprĂšs ĂȘtre passĂ©e par les mains de Ledru, entre celles de Bernard Raymond en 1804.

Il y aurait ainsi eu 22 successeurs de Jacques de Molay, pas roturiers pour un sou : Bertrand du Guesclin (1357), trois comtes d’Armagnac (1381, 1392, 1419), Henry de Montmorency (1674), Louis-Auguste de Bourbon, fils lĂ©gitimĂ© de Louis XIV (1724), et de Louis-Henri de Bourbon, prince de CondĂ© (1737)


Ego Johannes-Marcus Larmenius dedi, die decima tertia februarii, 1324.

Ego Franciscus-Thomas-Theobaldus Alexandrinus, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1324.

Ego Arnulphus De Braque, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1340.

Ego Joannes Claromontanus, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1349.

Ego Bertrandus Dugnesclin, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1357.

Ego Johannes Arminiacus, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1381.

Ego Bernardus Arminiacus, Deo juvante, Snpremum Magisterium acccptum habui, 1392.

Ego Johannes Arminiacus, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1419.

Ego Johannes Croyns, Deo juvantc, Supremum Magisterium acceptum habui, 1451.

Ego Robertus Lenoncurtius, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1478.

Ego Galeatius de Salazar, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1497.

Ego Philippus Chabotius, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1516.

Ego Gaspardas De Salciaco, Tavannensis, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1544.

Ego Henricus De Monte Morenciaco, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1574.

Ego Carolus Valesuis, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1615.

Ego Jacobus Rusellius de Granceio, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1651.

Ego Jacobus-Henricus De Duro forti, dux de Duras, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1681.

Ego Philippus, dux Aurelianensis, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1705.

Ego Ludovicus Augustius Borbonius dux du Maine, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1724.

EgoLudovicus-Henricus Borbonius Condteus, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1737.

Ego Ludovicus-Franciscus Borbonius-Conty, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1741.

Ego Ludovicus-Henricus-Timoleo de Cosse-Brissac, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, 1776.

Ego Claudius-Mathueus Radix de Chevillon, Templi senior Vicarius Magister, . . . adstantibus Fratribus Prospero-Maria-Petro-Michaele Charpentier de Saintot, Bernardo-Raymundo Fabre, Templi Vicariis Magistris, et Johanne-Baptista-Augusto de Courchant, Supremo Praeceptore, hasce litteras decretales a Lndovico-Hercule-Timoleone de Cosse-Brissac, Supremo Magistro, in temporibus infaustis mihi depositas, Fratri Jacobo-Fliilippo Ledru, Templi seniori Vicario Magistro . die decima junii, 1804.

Ego Bernardus-Raymundus Fabre, Deo juvante, Supremum Magisterium acceptum habui, die quarta novembris, 1804.

La Charte Larmenius

La Charte Larmenius

Larmenius

Toujours selon la lĂ©gende, en 1705, le Grand-MaĂźtre Philippe, duc d’OrlĂ©ans, aurait convoquĂ© Ă  Versailles un convent gĂ©nĂ©ral, au cours duquel auraient Ă©tĂ© dĂ©voilĂ©s les statuts gĂ©nĂ©raux de l’Ordre inspirĂ©s par la rĂšgle de Saint-Bernard de 1128.

Notons que dans ce mĂȘme document, LarmĂ©nius frappe d’anathĂšmes les templiers Ă©cossais comme dĂ©serteurs de l’Ordre et les frĂšres de l’ordre de Saint-Jean de JĂ©rusalem comme spoliateurs.

Francs-maçons et chevaliers de Malte fuyez, LarmĂ©nius ne vous aime pas beaucoup. Mais cela permet de prĂ©senter le Temple comme seul et unique dĂ©positaire du dĂ©funt Ordre suspendu par ClĂ©ment V en 1312 : « © Ordre du Templeℹ » Ă©tait né !

Mais bien entendu, les francs-maçons peuvent dormir sur leurs deux oreilles, car cette charte est un faux [2] : tout d’abord, le latin utilisĂ© n’est pas celui de l’époque ; ensuite, en aucun cas, un grand-maĂźtre du Temple n’avait le pouvoir de dĂ©signer seul un successeur, fĂ»t-il en danger de mort (on me rĂ©torquera que je n’ai pas connaissance des rĂšgles secrĂštes rĂ©digĂ©es en sumĂ©rien, soit !) ; le mode d’élection collĂ©gial du grand maĂźtre assurait la survie de l’Ordre dans tous les cas, la grande maĂźtrise n’étant qu’une fonction et non un sacre royal, comme cela le deviendra avec notre bon Bernard Raymond
 et chez certains templiers modernes.

Ainsi que l’écrit Joseph Findel :

« Ce document est un faux, et ceci pour les raisons suivantes : 1 – le latin n’est pas celui du 14e siĂšcle ; 2 – les anciens statuts templiers sont ignorĂ©s puisqu’aucun Grand-MaĂźtre n’a jamais eu le pouvoir de dĂ©signer seul son successeur ; 3 – cet acte est inutile pour la prĂ©servation de la grande maĂźtrise, car si une convention avait existĂ©, son Ă©lection se faisait sans charte, et si aucune convention n’avait existĂ©, alors la charte devenait inutile ; 4 – l’installation de quatre vicaires gĂ©nĂ©raux Ă©tait absolument inutile, car Ă  la pĂ©riode oĂč l’Ordre Ă©tait Ă  son sommet, il n’en avait pas besoin, le Grand-MaĂźtre n’ayant jamais demandĂ© qu’à avoir deux assistants ; 5 – si les templiers Ă©cossais dont parle la Charte signifient les francs-maçons
 et suite au Convent de Wiesbaden de 1782 ayant exclus les templiers des loges maçonniques, alors l’anathĂšme de la Charte ne peut avoir Ă©tĂ© Ă©dictĂ© qu’aprĂšs cette date ; 6 – la signature de Chevillon amĂšne Ă  la mĂȘme conclusion, car si ce document a Ă©tĂ© prĂ©parĂ© sous la direction de son prĂ©dĂ©cesseur, CossĂ© de Brissac, il n’a pu l’ĂȘtre que dans la pĂ©riode trouble et agitĂ©e de la RĂ©volution, une Ă©poque oĂč tout ce qui relevait de l’aristocratie et du templarisme ne pouvait que subit la persĂ©cution la plus violente. » [3]

Si ce document Ă©tait « vrai », il soulĂšverait donc de sĂ©rieuses questions quant Ă  sa lĂ©galitĂ©, la Charte Ă©tant alors, ipso facto, contraire Ă  la rĂšgle de l’Ordre. La grande maĂźtrise Ă©tait dĂ©volue suite Ă  une Ă©lection ainsi que la RĂšgle nous l’explique trĂšs clairement : « Le grant commandeur doit faire venir le commandeur de leslection et son compaignon devant lui et devant tout le chapistre, et lui doit commander, en vertu d’obĂ©dience, cestui office En pĂ©ril de lor Ăąmes et en guarde de Paradis, que toute estuid el toute entente avoir d’eslire lor compaignons, que en cestui office sauront aveuc ons. Et si l’on doit encore commander que _, ne por grĂąces, ne por hayne, ne por amor, mais soulement diau (deux) voians devant lor cĂ©ans, eslisent tels compaignons por lor sens, lesquels embulant Ă  la pais de la maison, ci cornes dessus est dit de aus et ils doivent issir de chapistre. Et ces II frĂšres doivent eslire autres II frĂšres et seront IIII, et ces IIII doivent eslire autres II frĂšres et seront VI, et ces VI frĂšres doivent eslire autres II frĂšres et seront VIII, et ces VIII frĂšres doivent eslire autres II frĂšres et seront X, el ces X frĂšres doivent eslire autres II frĂšres et seront XII en l’ennor des XII apostres : el les XII frĂšres doivent eslire ensemble le frĂšre chapelain, pour tenir le leu de Jhesu Christ…. » et ensuite, « le commandeor de leslection doit dire por soi et por tous ses compaignons communaument a trĂšs tous les frĂšres : Biaux seignors, rendez grĂąces el merci Ă  nostre seignor Jhesu Christ et Ă  madame Sainte-Marie, et Ă  tous saints et Ă  toutes saintes que nous nous somes acordĂ© tous communaument et si avons de par Dieu esleu par vos comandemens le maistre dou Temple ».

Selon les statuts souverains de l’Ordre, Molay n’avait pas le droit et, emprisonnĂ©, on peut penser qu’il n’ait eu ni le courage ni l’occasion, de dĂ©signer son successeur. Nos templiers modernes, afin de prouver la transmission de la dignitĂ© magistrale de Molay Ă  Larmenius, et donc d’asseoir leur haute qualitĂ©, valideraient donc le viol de la constitution essentielle de l’Ordre. Ainsi que l’écrit Findel, « si l’ordre s’était maintenu, le grand conseil seul aurait en le droit d’élire un grand maĂźtre : on aurait d’autant moins validĂ© le choix de Molay, que le parti du grand prieur de France, linge Peyraud Ă©tait trĂšs puissant, et que c’est apparemment Ă  l’échec qu’il subit qu’il faut attribuer en grande partie la catastrophe qui atteignit l’ordre en France ».

De Molay Ă©tait, en outre si rigoureusement surveillĂ© dans sa prison que mĂȘme les envoyĂ©s du Pape Ă©chouĂšrent Ă  le rencontrer. Et l’on cherche Ă  nous faire croire qu’un templier, sans aucun doute recherchĂ© par les sergents du Roi de France, l’aurait pu
 ?

Ajoutons que l’histoire, pas plus que les actes de l’enquĂȘte dans lesquels figurent plus de 800 noms, ne fait mention de celui de Larmenius. Le surnom de Hierosolymitanus donnĂ© Ă  Larmenius est encore plus douteux, puisqu’aucun templier n’avait posĂ© les pieds en Palestine depuis 1291 et que, depuis un demi-siĂšcle au moins, aucun chrĂ©tien n’avait pĂ©nĂ©trĂ© Ă  JĂ©rusalem.

Ajoutons Ă  cela des erreurs de dates ou de faits : Evrard de Bar devient ainsi grand-maĂźtre en 1152 au lieu de 1149 ; Philippe de Naplouse en 1169 au lieu de 1116 ; Terriens, qui dirigea l’Ordre de 1198 Ă  1201, est dĂ©signĂ© en 1185 ; Robert de SablĂ© a dirigĂ© l’Ordre jusqu’en 1192 et pas 1196. Herman de PĂ©rigord, qui fut Grand-MaĂźtre de 1230 Ă  1244 devient deux personnes diffĂ©rentes : Armand de Patragussa jusqu’en 1237 et Hermann Patragonius jusqu’en 1244 ; on fait de Guillaume de Rochefort un grand-maĂźtre ce qu’il n’était pas
 Findel nous rĂ©vĂšle, dans son Histoire de la franc-maçonnerie, que : « cette liste fourmillant d‘erreurs est celle de l’Histoire critique et apologĂ©tique des chevaliers du Temple, par B. P. J. (PĂšre Jeune), 2 vol. Paris, 1789. »  Autrement dit, c’est un mauvais copiĂ©-collĂ© qui semble aujourd’hui encore subjuguer nos templiers modernes


Les noms qui suivent celui de Jacques de Molay sont assez obscurs. Bertrand du Guesclin n’a certainement pas pu signer de son nom puisqu’il ne savait ni lire ni Ă©crire. À partir de 1705 (date de la fondation de la sociĂ©tĂ© de l’Aloyau) les noms sont tous ceux de personnages historiques.

Cependant, comme le souligne Albert Lantoine : « Le document Larmenius, au-delĂ  d’un simple faux, doit ĂȘtre perçu comme une rĂ©elle tentative de rĂ©alisation constructive pour atteindre un objectif spirituel. N’oublions pas que de nombreux courants maçonniques revendiquent, mĂȘme symboliquement, une origine templiĂšre. De nombreux hauts grades maçonniques font d’ailleurs explicitement rĂ©fĂ©rence Ă  l’Ordre du Temple, notamment dans le Rite Écossais Ancien & AcceptĂ© et dans le Rite Écossais Rectifié ». Un peu de mythe ne fait jamais grand tort, Ă  condition d’ĂȘtre objectivement perçu comme tel.

La SociĂ©tĂ© de l’Aloyau 

Dans son Histoire amoureuse des Gaules, de Bussy-Rabutin rapporte que des seigneurs de la cour de Louis XIV formĂšrent en 1682 une sociĂ©tĂ© d’hommes aimant se donner l’un l’autre le fameux baiser templier
 Ce qui explique que ce groupe reçut le surnom de Petite rĂ©surrection des templiers. DĂ©couverts, les membres seront bannis et la sociĂ©tĂ© se transformera vite en salon philosophico-politique [4], rĂ©cupĂ©rĂ© par Philippe d’OrlĂ©ans en 1705 ; le prĂȘtre jĂ©suite Buonnanni en rĂ©digea les statuts qui deviendront la Charte Larmenius de l’Ordre du Temple. Cet Ordre cherchera un temps Ă  se faire reconnaĂźtre par les templiers de Tomar, et mĂȘme par Rome. Puis, il entra en semi-clandestinitĂ© sous le nom de la « sociĂ©tĂ© de l’Aloyau » dont l’un des membres fut le duc de CossĂ©-Brissac


Au dĂ©but de la RĂ©volution française, le dernier grand-maĂźtre en titre, le duc TimolĂ©on de CossĂ©-Brissac [5] prĂ©voyant les dangers pour la survie de l’Ordre aurait dĂ©cidĂ© de remettre les archives et les « reliques » Ă  Radix de Chevillon et de le nommer rĂ©gent dans l’attente de jours meilleurs.

Larmenius Ă  Paris

Le 10 juin 1804, Ledru, avec son ami et frĂšre Radix de Chevillon, convoque ses amis de la loge des « Chevaliers de la Croix » [6] et leur dĂ©voile le « legs » qui lui fut fait et leur confĂšre aussitĂŽt la dignitĂ© de « Princes de l’Ordre » : Ledru devient le « Lieutenant gĂ©nĂ©ral d’Afrique », Saintlot celui d’Asie et Courchamps se voit Ă©levĂ© Ă  la dignitĂ© de « Grand PrĂ©cepteur ». Chevillon se contente lui du titre de RĂ©gent [7].

Le 4 novembre 1804, les chevaliers rĂ©unis au sein de la loge des « Chevaliers de la Croix » se constituent en Convent gĂ©nĂ©ral et dĂ©cident de l’élection Ă  la charge de grand-maĂźtre de Bernard Raymond FabrĂ©-Palaprat de SpolĂšte. La loge des « Chevaliers de la Croix » deviendra le vivier et l’Ordre ExtĂ©rieur et recevra ses patentes du Grand Orient le 23 dĂ©cembre 1805. L’Ordre intĂ©rieur se dĂ©veloppera sur la souche templiĂšre.

Une autre version veut que Jacques Philippe Ledru[8], fils du mĂ©decin personnel de CossĂ©-Brissac, aurait rĂ©cupĂ©rĂ© un meuble dans les tourments de la RĂ©volution et y aurait dĂ©couvert en 1804 les statuts de l’Ordre de 1705 qui y Ă©taient dissimulĂ©s. Il aurait partagĂ© sa dĂ©couverte avec ses amis de la loge des « Chevaliers de la Croix » et, ayant flairĂ© lĂ  une opportunitĂ© pour dĂ©velopper leur propre Ordre templier paramaçonnique, ceux-ci dĂ©cidĂšrent de fonder une rĂ©surgence dans la veine de la Stricte Observance TempliĂšre de von Hund.

Le Chevalier de FrĂ©minville, dans ses AntiquitĂ©s de Bretagne et dans son Histoire de Bertrand du Guesclin, connĂ©table de France et de Castille, fait un enthousiaste panĂ©gyrique de l’Ordre du Temple, et publie la Charte LarmĂ©nius de transmission de la Grande MaĂźtrise des Templiers depuis 1324, jusqu’à l’annĂ©e 1804. Il avait dĂ©nichĂ© cette charte, d’ailleurs incomplĂšte, chez un relieur qui possĂ©dait les archives de l’évĂȘchĂ© de Quimper. Selon lui, Ledru aurait subtilisĂ© la charte et y aurait apposĂ© son nom sans en avoir le droit ; il s’ensuit qu’il ne pouvait transmettre quoi que ce soit


Quoi qu’il en soit, l’Ordre est complĂštement organisĂ© en 1806. Ses statuts sont rĂ©digĂ©s en latin, et il se dote d’une structure en trois classes : une Maison d’Initiation, une Maison de Postulance et des Convents [9]. La Maison d’initiation, connue sous le nom d’Ordre d’Orient, regroupe en gros les membres revĂȘtus des quatre premiers grades de la maçonnerie Ă©cossaise. La Maison de Postulance regroupe les membres ressentis comme pouvant ensuite postuler Ă  la dignitĂ© templiĂšre. Les Convents regroupent les Écuyers et les Chevaliers ou LĂ©vites, c’est l’Ordre IntĂ©rieur.

Le 18 mai 1810, l’Ordre du Temple publie dans son Manuel des chevaliers de l’Ordre du Temple, un procùs-verbal concernant l’inventaire des chartes, statuts, insignes, etc. :

« Le quatorziĂšme jour de la Lune de Tab, l’an de l’Ordre six cent quatre-vingt-douze ; du MagistĂšre le sixiĂšme ; dix-huit mai de l’an mil huit cent dix de Notre Seigneur JĂ©sus-Christ :

En exĂ©cution de la loi rendue par le convent-gĂ©nĂ©ral, dans sa sĂ©ance du vingt-neuf VĂ©dar six cent quatre-vingt-onze, dont suit l’extrait


Le cĂ©notaphe ; le suaire ; les os des martyrs ; l’épĂ©e du Martyr Jacques ; le casque du martyr Guy ; l’éperon de
 ; la paix de Saint-Jean ; le sceau du Grand-Maitre Jean ; le sceau du Chevalier croise ; le sceau de Saint-Jean ; la patĂšne ; la crosse et les mitres primatiales ; le baucĂ©ant ; le drapeau de guerre ; 
 LA CHARTE DE TRANSMISSION  »

Cependant, Maillard de Chambure, Ă©crit : « La charte de transmission n’est pas l’acte mĂȘme par lequel J. de Molay, prĂ©sageant le sort qui lui Ă©tait rĂ©servĂ© (il ne pouvait le prĂ©voir avant son arrestation, et une fois emprisonnĂ©, il fut mis au secret le plus absolu), transmit Ă  Marc Larmenius les fonctions magistrales. Celui-lĂ  est perdu ! … » [10] Ah !

Une Charte sous verre

En 1838, le convent dĂ©cide de transmettre la Grande-MaĂźtrise Ă  William Sydney-Smith, amiral anglais. La Charte passe alors en Angleterre et elle est aujourd’hui conservĂ©e sous verre au Marks Mason Hall de Londres.

On peut s’étonner que nos successeurs « lĂ©gitimes » contemporains aient pu laisser ce prĂ©cieux document de si grande importance se retrouver chez ces francs-maçons, justement stigmatisĂ©s par la Charte Larmenius comme « Templiers Ă©cossais, dĂ©serteurs de l’Ordre ».

Mais, mĂȘme sans ce document d’importance – enfin si l’on croit aux fables –, nos templiers modernes s’évertuent Ă  se bombarder 47e ou 48e grand-maĂźtre
 S’excommuniant les uns les autres en s’accusant mutuellement de ne pas possĂ©der le nom qui va bien dans leurs lignĂ©es respectives
 Mais mĂȘme avec un Bricaud ou un Ambelain comme ancĂȘtres, ils sont bien puĂ©rils Ă  se repaĂźtre d’un cadavre refroidi depuis plus de 7 siĂšcles.

Concluons ici par quelques mots de Clavel : « AprĂšs tout, on arrive Ă  cette conclusion, que l’institution de l’ordre actuel des Templiers ne remonte pas au-delĂ  de l‘annĂ©e 1804, qu’il n’a aucun droit Ă  se prĂ©tendre la lĂ©gitime continuation de la sociĂ©tĂ© connue sous le nom de la Petite RĂ©surrection des Templiers, et que celle-ci elle-mĂȘme ne se rattache point Ă  l’ancien ordre des Templiers. Cependant, afin de donner Ă  cette comĂ©die les apparences de la rĂ©alitĂ©, et de pouvoir la jouer d’une maniĂšre digne de son dĂ©but, Ă  l’aide de certains documents, de certaines reliques, la sociĂ©tĂ© des Nouveaux Templiers a imaginĂ© encore de diviser le monde en provinces, en prieurĂ©s, en commanderies, dont elle assigne Ă  ses membres le gouvernement. Elle exigeait de ses aspirants la production de titres de noblesse, et lorsqu’ils ne pouvaient pas remplir cette condition, elle tranchait la difficultĂ© en les anoblissant elle-mĂȘme. »

La Charte Larmenius, Spartakus FreeMann, septembre 2015 e.v.

 

Le texte de la charte Larmenius.

Moi, Fr. Jean-Marc Larmenius, de JĂ©rusalem, placĂ© comme souverain et suprĂȘme Grand-Maitre Ă  la tĂȘte de l’Ordre universel du Temple, par la grĂące de Dieu, la trĂšs secrĂšte volontĂ© du vĂ©nĂ©rable et trĂšs saint martyr le grand-maĂźtre du Temple (Ă  qui honneur et gloire !), et la confirmation de l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Chevaliers, — Ă  tous ceux qui ces prĂ©sentes verront,

Salut ! Salut ! Salut !

Sachent tous, prĂ©sents et Ă  venir, que, vu l’affaiblissement de mes forces, consĂ©quence d’une extrĂȘme vieillesse, et considĂ©rant, en outre, la gravitĂ© des circonstances jointe Ă  la difficultĂ© du gouvernement, j’ai, moi susnommĂ©, Grand-Maitre de la milice du Temple, rĂ©solu, pour la plus grande gloire de Dieu, ainsi que pour la protection et le salut de l’Ordre, des frĂšres et des statuts, de remettre la Souveraine MaĂźtrise dans des mains plus vigoureuses.

C’est pourquoi, avec l’aide de Dieu, et l’approbation unanime du suprĂȘme couvent des chevaliers, j’ai confĂ©rĂ© la suprĂȘme maĂźtrise de l’Ordre du Temple, ainsi que l’autoritĂ© et les privilĂšges y attachĂ©s, Ă  l’illustre commandeur et trĂšs cher frĂšre François-Thomas-ThĂ©obald d’Alexandrie, et par le prĂ©sent dĂ©cret les lui confĂšre pour toute sa vie, avec pouvoir de transmettre, en tenant compte des temps et des circonstances, la souveraine et suprĂȘme maĂźtrise de l’Ordre du Temple et la souveraine autoritĂ© Ă  un antre frĂšre, qu’il devra choisir parmi les plus distinguĂ©s par la noblesse de l’éducation et du caractĂšre autant que par l’humanitĂ© des mƓurs. Et cela, pour que la suite des Successeurs Ă  la maĂźtrise se perpĂ©tue d’une maniĂšre non interrompue, et pour que l’intĂ©gritĂ© des statuts soit protĂ©gĂ©e.

J’ordonne, nĂ©anmoins, que la maĂźtrise ne puisse ĂȘtre transmise sans l’assentiment du convent gĂ©nĂ©ral des chevaliers du Temple, chaque fois que ce suprĂȘme convent pourra ĂȘtre rĂ©uni ; et que, dans ce cas, le successeur soit dĂ©signĂ© d’aprĂšs la volontĂ© des chevaliers.

Et, pour que les affaires de cette charge souveraine ne languissent pas, il devra y avoir, dĂšs Ă  prĂ©sent et Ă  toujours, quatre suprĂȘmes lieutenants du magistĂšre partageant, pour toute leur vie avec le grand-maĂźtre, la suprĂȘme dignitĂ© et l’autoritĂ© sur l’Ordre entier. Ces lieutenants seront choisis parmi les plus anciens suivant la date de leur profession. Nous avons statuĂ© ainsi d’aprĂšs le vƓu des frĂšres et les ordres que nous avons reçus du trĂšs saint et bienheureux susdit vĂ©nĂ©rable grand-maĂźtre martyr, Ă  qui soient honneur et gloire. Amen !

Enfin, en vertu d’un dĂ©cret du suprĂȘme convent de nos frĂšres et en vertu de l’autoritĂ© suprĂȘme qui m’est confiĂ©e, je veux, je dis et j’ordonne que les Templiers Ă©cossais, dĂ©serteurs de l’Ordre, soient frappĂ©s d’anathĂšme, ainsi que les spoliateurs (auxquels Dieu fasse misĂ©ricorde) des biens de notre milice. Je veux, dis et ordonne qu’ils soient excommuniĂ©s du giron du Temple, maintenant, et Ă  toujours.

C’est pourquoi j’ai Ă©tabli des signes qu’il m’a dĂ©jĂ  plu naguĂšre de rĂ©vĂ©ler dans le convent suprĂȘme, signes qui devront rester inconnus aux faux frĂšres et seront communiquĂ©s verbalement aux chevaliers. Nous voulons que ces signes ne leur soient dĂ©voilĂ©s qu’aprĂšs leur noviciat et aprĂšs leur rĂ©ception comme chevaliers, conformĂ©ment aux statuts, rites et usages des chevaliers du Temple, transmis par moi au susdit Ă©minent commandeur, de mĂȘme que je les ai reçus du vĂ©nĂ©rable et trĂšs saint grand-maĂźtre martyr (Ă  qui honneur et gloire).

Qu’il soit fait comme j’ai dit.

Qu’il soit fait ! Amen !

Donné par moi, Jean-Marc Larménius, le 18e jour de février 1314.

Le code templier.

Alphabet templier Code templier de la charte larmenius Code templier  

Bibliographie.

  • LĂ©vitikon ou ExposĂ© des principes fondamentaux de la doctrine des chrĂ©tiens-catholiques-primitifs, suivi de leurs Ă©vangiles, d’un extrait de la Table d’or… et prĂ©cĂ©dĂ© du statut sur le gouvernement de l’Église et la hiĂ©rarchie lĂ©vitique, Paris, Librairie des ChrĂ©tiens-primitifs J. Machault, 1831 ;
  • The « Charta Transmissionis of Larmenius », par Fred. J. W. Crowe in Ars Quatuor Coronati Lodge ;
  • Peter Partner, The Murdered Magicians: The Templars and Their Myth, Barnes & Noble books, 1993 ;
  • Peter Partner, Templiers, Francs-maçons et SociĂ©tĂ©s SecrĂštes, Pygmalion, 1992 ;
  • Findel, Die BauhĂŒtte et History of Freemasonry ;
  • Traduction littĂ©rale en français du texte latin des statuts de l’Ordre du Temple, Guyot, 1833 ;
  • Statuts gĂ©nĂ©raux de l’Ordre du Temple, Paris, 1839 ;
  • Maillard de Chambure, RĂšgle et statuts secrets des Templiers, 1825 ;
  • Manuel des Chevaliers de l’Ordre du Temple, Paris, 1817 ;
  • Louis-ThĂ©odore Juge, Histoire curieuse de la dĂ©mission d’un grand-chancelier de l’Ordre du Temple, 1837 ;
  • Louis-ThĂ©odore Juge, Lettre aux soi-disans membres du conseil gĂ©nĂ©ral d’administration de l’Ordre du Temple, 1837 ;
  • Philippe Bourdillon, Recherches historiques sur l’ordre des chevaliers du Temple, GenĂšve, 1834 ;
  • RĂ©flexions d’un ancien Templier, Paris, 1836 ;
  • Germain Sarrut, Biographie des hommes du jour, Paris, 1835 ;
  • Goemaere, Revue belge de numismatique et de sigillographie, Volume 65, Bruxelles, 1909 ;
  • RenĂ© Le Forestier, La Franc-Maçonnerie TempliĂšre et Occultiste (1929). 3e Ă©d. Milan, ArchĂš, 2003 ;
  • H. Probst Biraben, Les MystĂšres des Templiers, Omnium littĂ©raire, 1947.

Notes.

[1] Ou « l’ArmĂ©nien », sans doute en rĂ©fĂ©rence Ă  la Petite ArmĂ©nie, rĂ©gion de Cilicie (actuellement Ă  cheval entre la Turquie et la Syrie) oĂč fut Ă©tabli un royaume CroisĂ©.

[2] Peter Partner, The Murdered Magicians: The Templars and Their Myth, page 135 (Barnes & Noble books, 1993)

[3] Histoire de la Franc-maçonnerie (page 717 et suivantes).

[4] « Ce sont les ConfrĂšres de JĂ©rusalem, qu’une plaisanterie nomme communĂ©ment les FrĂšres de l’aloyau, depuis un certain souper oĂč tout Ă©tait rosbif. Ces honnĂȘtes gens font des actes publics, qui prouvent la puretĂ© de leur Institut, les rĂ©sultats en font heureux pour l’humanité ; Ă  certains jours solennels, ils dĂ©livrent un nombre de prisonniers, ils acquittent leurs dettes  » (L’étoile flamboyante, ou la sociĂ©tĂ© des francs-maçons, considĂ©rĂ©e sous tous les aspects).

[5] NĂ© en 1734, il sera le commandant en chef de la Garde constitutionnelle du Roi de Louis XVI en 1791. Le 29 mai 1792 l’AssemblĂ©e dissout ce corps et CossĂ©-Brissac est alors emprisonnĂ© Ă  OrlĂ©ans. Lors de son Ă  Versailles il est sĂ©parĂ© avec d’autres prisonniers de l’escorte, et ils sont livrĂ©s le 9 septembre Ă  la vindicte d’une foule d’égorgeurs. Il est inhumĂ© le 9 septembre 1792 au cimetiĂšre Saint-Louis Ă  Versailles.

[6] Selon BĂ©suchet, la loge ne serait fondĂ©e que le 14 octobre 1805, et reçu du Grand Orient de France ses constitutions le 23 dĂ©cembre 1805, donc aprĂšs la dĂ©couverte de la Charte. Quoi qu’il en soit, la loge connut un succĂšs certain jusqu’en 1815, avant de tomber en sommeil dĂšs 1830 jusqu’en 1839 et d’ĂȘtre exclue du Grand Orient en 1841. Parmi ses membres on a comptĂ© Antoine Guillaume ChĂ©reau, l’auteur de l’Explication de la pierre cubique.

Ainsi que le fait remarquer J.-C. BĂ©suchet : « on ne devient pas toujours chevalier du Temple en devenant membre de la Loge Chapitrale des Chevaliers de la Croix ; mais du moment que l’on est chevalier du Temple on est membre de la loge et du chapitre… » (PrĂ©cis historique de l’ordre de la Franc-Maçonnerie, Paris, Rapilly, 1829)

[7] Les 8 membres fondateurs de l’Ordre sont : les frĂšres Radix de Chevillon, Ledru, de Courchamp, de Saintot, FabrĂ© Palaprat, Arnal, Bechot de la Varenne et Leblon.

[8] Jacques-Philippe Ledru, nĂ© en 1754, Ă©tait mĂ©decin, membre de l’AcadĂ©mie nationale de mĂ©decine, vĂ©nĂ©rable de la loge des Chevaliers de la Croix. Il dĂ©cĂšde le 10 novembre 1832.

[9] 1ùre Classe : Maison d’initiation : 1. Initiati ; 2. Intimi Initiati ; 3. Adepti ; 4. Orientales Adepti.

2e Classe : Maison de Postulance : 5. Magni Aquilae Nigrae Sancti Johannis Aposto Adepti ; 6. Perfecti Pelicani Adepti ou Postulant.

3e Classe : Convent : 7. Novice Écuyer ; 8. Chevalier ou LĂ©vite de la Garde IntĂ©rieure.

[10] Maillard de Chambure, RĂšgle et statuts secrets des Templiers.

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