Les figures bafométiques : seconde partie

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Seconde partie des figures bafométiques par François Raynouard. La première partie peut être consultée ici.

Les figures bafométiques : seconde partie

J’examine à présent et je discute les preuves que fournissent, selon M. Hammer, les sculptures, les monuments qu’on voit encore aujourd’hui dans des églises qui ont appartenu à l’ordre du Temple. On me permettra quelques réflexions préliminaires.

Dans les églises du moyen âge, on trouve des sculptures, des monuments qu’il nous est difficile d’expliquer, soit à cause des idées morales ou religieuses que les artistes de l’époque exprimaient sous des formes peu convenables, soit à cause des allégories pieuses dont la tradition n’est pas venue jusqu’à nous. Les reliefs des chapiteaux de Saint-Germain des-Prés ont embarrassé les antiquaires; et si M. Hammer les avait trouvés dans les églises des Templiers, il n’aurait pas manqué de les citer à l’appui de son système. Je crois devoir rapporter les expressions d’un écrivain qui a eu à parler des reliefs de ces chapiteaux:

« D’après le sentiment de dom Ruinart, il paraît certain que les reliefs de ces chapiteaux, sur lesquels on remarque beaucoup de figures monstrueuses, représentent la vie de S. Rémi, qui a converti les Français et les a tirés de la puissance du démon; aussi voit-on souvent répété sur ces monuments l’évêque Rémi aux prises avec les monstres qu’il combat: c’est le démon qu’on a peint sous la figure de ces animaux extraordinaires; c’est l’Arimane des Perses, le Typhon des Egyptiens, le grand dragon céleste qui se déploie à la saison des pommes; enfin c’est le Satan des chrétiens. »

Les Templiers possédaient dans les diverses parties de la chrétienté plusieurs mille églises, et c’est seulement dans les sculptures de sept églises que se trouve consigné leur système irréligieux !

D’ailleurs, pour expliquer un système mystique, pour prononcer qu’il s’agit d’allégories coupables, de symboles irréligieux, suffit-il qu’on nous présente quelques figures détachées ! C’est l’ensemble du tableau qui peut révéler le sens caché.

Et quand même on mettrait cet ensemble sous nos yeux, il ne suffirait pas d’y faire remarquer des figures, des détails dont on peut donner des explications désavantageuses; il faudrait comparer ces figures avec celles qui sont en si grand nombre dans les églises du moyen âge, pour juger exactement en quoi elles se rapprochent ou elles s’éloignent des formes et du goût de l’époque.

M. Hammer cite sept églises où se trouvent des monuments gnostiques, ophitiques.

1°) Schoengrabern. II avance que les Templiers ont possédé jadis cette église, et il y trouve plusieurs symboles gnostiques, &c.

J’avais préparé des explications qui sans doute n’auraient pas été rejetées par les personnes impartiales; et je fondais mes raisonnements sur l’analogie de ces monuments trouvés dans cette prétendue église des Templiers, avec les monuments qu’on voit encore dans les autres églises du moyen âge: mais je me suis aperçu que M. Hammer n’a fourni aucune preuve du fait que l’église de Schoengrabern ait appartenu aux Templiers.

L’église de Schoengrabern, dit-il, est sur la route qui conduit de Vienne dans la Moravie occidentale, non loin de Dietrichsdorf et de Litzendorf, où l’histoire atteste qu’étaient les principales habitations des Templiers.

Les figures bafométiques : seconde partie
Abel et Cain, église de Schoengrabern

Voilà donc le raisonnement de M. Hammer ! Schoengrabern n’est pas loin de deux principales habitations des Templiers; donc l’église de Schoengrabern appartenait aux Templiers.

Pour fonder cette conjecture, il a suffi à M. Hammer de trouver dans l’ouvrage de M. Munter, relatif aux statuts des Templiers, qu’ils avoient une maison à Dietrichsdorf et une à Litzendorf. M. Munter n’en a pas tiré la conséquence que l’église de Schoengrabern leur appartenait; mais M. Hammer a cru pouvoir prendre sur lui de l’assurer.

Cependant il était facile de faire à ce sujet les vérifications convenables. M. Munter cite l’auteur de l’Histoire apologétique des Templiers. M. Hammer, en ouvrant cette collection, publiée par Philibert Hueber, Lipsiœ, 1722, fol., aurait trouvé que cet auteur, qui indique Dietrichsdorf et Litzendorf comme SEDES Templariorum, parle ensuite de Schoengrabern sans l’indiquer comme SEDES Templariorvm; et il est à remarquer que, la seconde fois qu’il parle d’une maison des Templiers, il dit : Hic QUOQUE sedem Templariorum &c.

Ce n’est donc que sur une simple conjecture, et sur une conjecture évidemment fausse, que M. Hammer avance que l’église de Schoengrabern a appartenu aux Templiers, tandis qu’elle ne leur a jamais appartenu.

Cette église a offert à M. Hammer le plus grand nombre des monuments gnostiques, ophitiques, &c. S’il fournit lui-même la preuve que ces sortes de monuments existent dans des églises autres que celles des Templiers, n’est-il pas évident, par cette seule circonstance, que ce ne sont pas des figures gnostiques ni ophitiques, ou que M. Hammer doit imputer au culte du moyen âge les crimes d’irréligion dont il accuse les Templiers!

Et, pour ne parler que des figures du n° 1 (planche 111), qui représentent la chute du premier homme, et qu’on trouve, avec la différence seule des accessoires, dans un très-grand nombre d’églises, M. Hammer rapporte lui-même la preuve qu’elles existent à Milan dans un sarcophage du 4e siècle qui est dans la cathédrale de Milan, laquelle assurément n’a pas appartenu aux Templiers. M. Hammer a eu soin de faire graver ces figures sous le n° 4 de la même planche, et cependant il les appelle gnostiques, quoique placées dans l’église cathédrale de Milan.

Les figures bafométiques : seconde partie
église de Schoengrabern

2°) Eglise de WULTENDORF. M. Hammer prétend encore que cette église appartenait jadis aux Templiers. Quelles sont ses preuves ! Quel historien, quelle chronique l’assure ! M. Hammer n’en cite point; mais il soutient que l’église a appartenu à l’Ordre, parce que, d’une part, on y trouve des figures gnostiques, et que, d’autre part, en 1792, on y déterra, dans un souterrain ignoré, des idoles qui avoient double tête. Les ouvriers crurent que ces idoles étaient des ouvrages de l’enfer; par la description de ces idoles, ajoute M. Hammer, il est évident qu’elles n’étaient autre chose que le Bafomet. Quant aux figures qu’on voit dans l’église, il en cite, trois. J’en ai déjà expliqué une, n° 15 (planche 111). Le n° 16 offre un homme assis sur la peau d’un lion immolé et tirant sa queue renversée. Le 14e représente un chien. Je ne m’arrête que sur un seul point de l’explication de M. Hammer: le chien lui paraît un symbole ophitique ; mais comme, dans la dénonciation portée contre les Templiers, on les avait accusés d’avoir adoré un chat, et non d’avoir adoré un chien, M. Hammer n’hésite pas à avancer que, dans l’endroit de la procédure où il est question d’un CHAT, il faut l’entendre d’un CHIEN.

Voici les propres paroles de M. Hammer :

« Oui, dit-il, par ce chat dont il est fait mention dans le procès des Templiers, je pense qu’il faut entendre un chien, attendu que, dans les figures que je cite, on ne voit nulle part un chat, mais partout un chien. » Sub CATO de quo in Templariorum processu mentio fit, CANEM ideo intelligendum esse credimus, quia nullibi catus sed ubique canis conspicitur.

Cependant il propose un moyen pour concilier les différentes opinions: « Si quelqu’un pense que cet animal, que nos monuments présentent partout comme un chien, est cependant un chat, je ne m’oppose point à cette idée. »

Telles sont les formes de raisonnement de M. Hammer : « Une » église offre de prétendues figures gnostiques, bafométiques, ophitiques : donc elle a appartenu aux Templiers. Ou bien : « Une église » a appartenu aux Templiers : donc ces figures sont des symboles bafométiques, gnostiques, &c.

3°) Je ne parlerai pas de l’église de BERCHTOLSDORF ou PETÉSDORF; rien ne prouve qu’elle ait appartenu aux Templiers : M. Hammer la leur attribue, à cause de deux pierres placées en forme de Tau, dont j’ai parlé dans le premier extrait, mars, page 156.

4°) Eglise d’ALTEMBURG. Sur la porte de cette église en voit un vieillard portant barbe et couvert d’un manteau; il impose les mains sur un enfant: l’ange est de l’autre côté, tenant un voile suspendu. M. Hammer trouve dans ces figures un symbole gnostique et ce symbole lui permet d’assurer que l’église a appartenu aux Templiers.

5°) Eglise de Saint-Martin, dans le district de Murau. M. Hammer déclare qu’il n’a pu faire graver les figures.

6°) Eglise de Prague. Selon M. Hammer, les historiens attestent que le roi Venceslas Ier fit bâtir cette église avec un monastère dans le milieu du xive siècle, sous l’invocation de S. Venceslas. En 1311 , après l’abolition de l’ordre des Templiers, dit-il, le roi Jean donna l’église et le monastère aux hospitaliers; ensuite elle fut achetée par les Dominicains, et vendue en 1782, après la suppression des moines.

Si c’est le roi Venceslas qui a fait construire la maison de Prague, comment s’y trouverait-il des symboles irréligieux ! Qui aurait donné l’ordre de les y placer !

M. Hammer a fait graver des figures qui étaient peintes sur des vitraux. Ces figures offrent des ressemblances avec quelques-unes des nombreuses médailles ou monnaies qu’il attribue aux Templiers. On voit une croix tronquée par la superposition de la main : j’ai précédemment réfuté M. Hammer sur ce point, qu’il croyait très-important; il est plusieurs figures qui d’une main tiennent une épée et de l’autre une croix. On en trouve de pareilles sur les monnaies publiées, soit par Seelânder, soit dans les recueils qui contiennent les médailles du moyen âge. Toutes ces diverses peintures sont loin de présenter des formes particulières, et encore moins des emblèmes irréligieux, des symboles gnostiques : aussi je m’abstiens d’entrer à cet égard dans aucun détail.

Enfin, depuis que le dernier propriétaire a fait l’acquisition du monastère, on y a trouvé, dit M. Hammer, vingt-quatre symboles de Franc-maçonnerie: ces symboles, peints sur le mur, étaient cachés par un enduit de chaux qui aujourd’hui est tombé, ou a été raclé, de sorte qu’ils sont entièrement visibles. Qui avait fait placer ces symboles ! Est-ce le roi Venceslas ou les Templiers, si jamais ils ont possédé ce couvent, ou les Hospitaliers, qui en 1311 en ont été possesseurs, ou les Dominicains, ou enfin le dernier acquéreur !

M. Hammer, qui, dans le cours de son ouvrage, a souvent attaqué les francs-maçons, saisit cette occasion de les comparer aux Templiers. II nous apprend que, sans être initié dans les mystères maçonniques, il en est très-instruit ; dans le temps de l’expédition d’Egypte, il logea dans une maison que des Français avaient habitée; il y trouva des papiers qui lui révélèrent le secret: mais il pense que les francs-maçons et leur doctrine ont précédé les Templiers. Je me borne sur ce point à indiquer l’opinion de M. Hammer.

7°) Eglise d’EGRA. M. Hammer affirme que l’église d’Égra appartenait jadis aux Templiers, qu’ensuite elle a servi à l’exercice simultané du culte catholique et du culte protestant. II prétend que les ornements de quelques chapiteaux des colonnes qui se trouvent dans une église souterraine, présentent des symboles gnostiques et ophitiques : mais ces symboles sont aussi insignifiants que tous ceux dont j’ai eu à parler, puisqu’on en trouve de pareils dans d’autres églises de l’époque. Quoi! parce qu’un chapiteau offrira des figures bizarres, les corps d’un homme et d’une femme en état de nudité, ce sera là un symbole gnostique! Parce qu’on y voit deux têtes rapprochées ce sera un symbole Bafométique ! &c. &c.

Telles sont les preuves que M. Hammer a rassemblées dans sept églises, pour fonder un système d’accusation contre les Templiers; et cependant il ne prouve pas qu’ils les aient possédées, et surtout que ce soient eux qui les aient fait construire.

M. Hammer cite ensuite les églises d’Erfurt: il avoue que celle des Templiers n’offre aucun monument; mais il prétend que plusieurs églises de cette ville offrent des monuments de franc-maçonnerie ; et quoique, dit-il, ces monuments ne puissent servir de témoignage contre les Templiers, ils doivent servir comme monuments maçonniques qui concordent avec des figures de l’église de Schoengrabern.

Je crois avoir prouvé que l’église de cette ville n’a point appartenu aux Templiers ; mais, si elle leur avait appartenu, fa circonstance que les mêmes figures se trouvent dans les églises d’Erfurt qui ne leur ont pas appartenu, ne démontrerait-elle pas que ces figures n’avaient rien de contraire à la religion, puisqu’on les retrouve dans les églises de l’époque! Comment le désir de faire des rapprochements a-t-il pu égarer M. Hammer au point de fournir lui-même de pareils arguments contre son système!

C’est ainsi que, sans avoir vu l’octogone de Montmorillon, sans avoir vérifié si l’église où ce monument se trouve, a été bâtie par les Templiers, il n’hésite pas à déclarer gnostiques, ophitiques, deux des figures qui ornent ce monument. De toutes les personnes qui l’ont vu, ou qui ont voulu l’expliquer, il n’en est aucune qui n’ait déclaré que ces figures sont d’une époque très-antérieure à l’existence de l’ordre du Temple, et il n’en est aucune qui ait dit qu’elle avait été possédée par les Templiers.

Sans parler de Dom Martin et de Montfaucon, qui ont jugé que ces figures étaient des monuments des Druides, c’est-à-dire, d’une époque très reculée, M. Millin a dit : « L’octogone de Montmorillon a tous les caractères des anciennes églises du 11e siècle : je crois que c’est vers ce temps qu’il a été bâti »

L’abbé Lebeuf, en parlant de ces figures, s’exprime en ces termes : « En les examinant avec attention, on n’a pas de peine de s’apercevoir qu’elles sont beaucoup plus anciennes que l’église, qui est de la fin du 11e siècle, ou du commencement du 12e »

Un auteur qui a consacré une dissertation à l’explication de ce monument, déclare que la sculpture ne paraissait pas très ancienne, et qu’on ne pouvait la faire remonter au-delà du 9e ou 10e siècle.

Enfin, un écrivain qui a parlé de cet octogone, après le précédent, a encore assuré que « les figures de Montmorillon sont encore beaucoup plus anciennes que l’église où on les voit maintenant. »

Voilà donc les Templiers justifiés, quand même ils auraient possédé l’église de Montmorillon; mais l’ont-ils possédée ! M. l’abbé Lebeuf dit expressément que « il n’a pas eu de peine à reconnaître dans ce prétendu temple un ancien hôpital destiné pour les pèlerins qui allaient dans la Palestine, ou qui en revenaient. Cet hôpital fut donné dans la suite aux Augustins réformés. »

Pour faire juger de l’extrême facilité avec laquelle M. Hammer adopte toutes les conjectures qui peuvent flatter son système, je rapporterai un passage de l’épilogue de sa dissertation.

En 1702, dit-il, on avait déterré à Wultendorf des idoles à double tète, &c., on les brisa; deux figures en bois, que les ouvriers prirent pour des figures de saints, ne furent pas détruites : je les ai vues; elles sont très grossières : l’une représente un chevalier armé, couvert d’un manteau ; l’autre représente une femme : le chevalier est un Templier, la femme est le METE ; et il ne donne pas cette assertion pour une simple conjecture, mais il assure qu’il en a la certitude: Non Dubito.

Je me borne à ces observations; elles font suffisamment connaître l’ouvrage de M. Hammer, qui sentira peut-être qu’il n’aurait pas dû céder aussi facilement au désir d’étaler un nouveau système de dénonciation contre l’ordre et les chevaliers du Temple. Leur terrible et célèbre catastrophe impose l’obligation d’être très circonspect et très sévère dans le choix des moyens qu’on se permet pour leur enlever la juste pitié que la postérité n’a pas refusée à leur sort.

M, Hammer a senti qu’il était étrange de former, après cinq siècles , contre les Templiers, une accusation toute différente de celle qui servit de prétexte aux poursuites des oppresseurs contemporains : aussi a-t-il avancé que le pape, par h genre de sentence qui fut prononcée contre les Templiers, avait voulu dérober la connaissance de leurs véritables crimes, mais que quand les archives de Rome paraîtront, comme tout parait un jour, on y trouvera les preuves de ces crimes qu’il dénonce aujourd’hui; et cela, pour M. Hammer, ce n’est pas conjecture, mais certitude; il dit encore : NON Dubito.

Eh bien! les archives de Rome ont paru; c’est sur les pièces qu’elles ont fournies que j’ai composé mes Monuments historiques relatifs à la condamnation des chevaliers du Temple. J’ai donné, à la fin de cet ouvrage, l’indication et la notice des pièces inédites qui y sont citées. Parmi ces pièces, il y en a vingt-neuf qui sont dans les archives du Vatican, et dont j’ai pris moi-même copie. Les unes sont tirées des Archives SECRÈTES ; ce sont les lettres consignées dans des registres, ou des pièces réunies dans le dépôt appelé Instrumenta miscellanea ; et les autres sont des pièces détachées qui portent leurs numéros : je déclare donc à M. Hammer qu’il n’a rien à espérer des archives du Vatican.

M. Hammer a commencé sa dissertation par ces mots : « Je ne me dissimule pas quelle haine, quels périls le titre de mon accusation doit attirer sur moi, surtout dans ces temps où des hommes très savants et très éloquents ont pris la défense de l’ordre; mais ces considérations ne m’empêcheront pas de révéler le mystère du BAFOMET. »

J’ose croire que M. Hammer n’a d’autre péril à redouter que le malheur d’avoir compromis gratuitement sa réputation littéraire, en dénonçant, sur de simples et de vaines conjectures, un ordre respectable et malheureux. Quant à la haine qu’il redoute de la part des hommes savants et éloquents, je suis loin de me ranger parmi eux; mais, en mon particulier, je remercie sincèrement M. Hammer de ce qu’il m’a fourni une nouvelle occasion de venger la mémoire des chevaliers du Temple.

Retour à la première partie.

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Les figures bafométiques : seconde partie, François Raynouard.

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