Première partie de l’article Ibn Wahshiyya et la magie (1) par Spartakus FreeMann.
« Tu te joues de notre magie ; or, la poésie est une véritable magie », Aboulala.
Nous entamons ici une série de trois articles sur une figure peu connue dans l’histoire de la magie, Ibn Wahshiyya, traducteur de l’Agriculture nabatéenne, d’ouvrages de toxicologie, d’alchimie et d’un recueil d’alphabets magiques. Comme nous le verrons par la suite, il fut, sans doute, l’un des premiers à décrypter les hiéroglyphes égyptiens…
Sa vie, son œuvre.
Ibn Wahshiyya (en arabe أبو بكر أحمد بن وحشية Abu Bakr Ahmed ibn ‘Ali ibn Qays al-Wahshiyah al-Kasdani al-Qusayni al-Nabati al-Soufi) était un écrivain, alchimiste, agronome, « égyptologue » et historien né à Qusayn près de Koufa en Irak. Son nom nous indique qu’il était Chaldéen (al-Kasdani) et Nabatéen (al-Nabati), et il semble qu’il soit la seconde génération d’une famille assyrienne convertie à l’Islam. Il était connu dans l’Europe moderne sous le nom d’Ahmad Bin Abubekr Wahishih. Nous ne disposons que de très peu d’informations à son sujet, mais les dictionnaires biographiques étant principalement islamiques, il n’est pas étonnant qu’un auteur d’œuvres jugées païennes en soit absent.
Quoiqu’il en soit, il semble avéré qu’il a vécu entre le 9ème et le 10ème siècle, à Bagdad alors centre de la civilisation islamique florissante. Sa famille, comme nous l’avons dit, remontant à des origines assyriennes et babyloniennes, était fraîchement convertie à l’Islam. Il vivait à une époque où son peuple parlait encore le nabatéen et pratiquait toujours, fut-ce en secret, les anciens rites, empreints de magie, aux divinités locales. Les ouvrages d’Ibn Wahshiyya laissent apparaître une fierté de l’héritage babylonien ce qui explique sans doute son œuvre de traduction – et de transmission – du savoir de son peuple (cfr. The Christian remembrancer, Volume 39, page 419-420).
Ibn al-Nadim (dans son Kitab al-Fihrist) liste un grand nombre de livres sur la magie, les statues, les offrandes, l’agriculture, l’alchimie, la physique et la médecine, qui ont été soit écrits, soit traduits de livres anciens, par Ibn Wahshiyya.
Ses travaux sur l’alchimie ont été coécrits avec un alchimiste nommé Abou Talib al-Zalyat, leurs œuvres ont été utilisées par Shams al-Din al-Dimashki. Sa principale œuvre alchimique est le Soleil des soleils et Lune des lunes qui est citée, dans son Ancient Alphabets, comme étant l’essence des enseignements concernant le Bahumed (voir illustration ci-dessous) que Hammer a voulu associer au fameux Baphomet de l’affaire des Templiers, mais ceci est une histoire dont nous reparlerons plus tard.
Il a traduit un livre intitulé Agriculture nabatéenne (Kitab al-falaha al-Nabatieh) (vers 904), traité majeur, qui prétend se fonder sur des sources de l’antique Babylone. Écrit entre le troisième et neuvième siècle, provenant du pays des chaldéens et de Babylone, l’ouvrage traite non seulement d’agriculture mais aussi des sciences ésotériques, en particulier de la magie et de la sorcellerie. Le livre défend la civilisation babylonienne-araméenne-syrienne contre celle de la conquête des Arabes. Il contient de précieuses informations sur l’agriculture et les superstitions et croyances, et discourt notamment sur la race des Sabéens préexistante à Adam. Il raconte qu’Adam avait des parents et qu’il était originaire de l’Inde. Ces idées ont été débattues par les philosophes juifs Juda Halevi et Maïmonide qui, dans son Guides des Égarés, écrit : « Les livres des Sabiens, et notamment le grand ouvrage intitulé l’Agriculture nabatéenne, renferment beaucoup de fables, de superstitions et de pratiques absurdes et impies, qui remontent à une haute antiquité, et que Moïse voulait empêcher de s’introduire parmi les Hébreux ».
L’historien arabe Ibn Kaldoun, dans ses Prolégomènes, écrit que :
« Parmi les livres des Grecs, on traduisit le traité d’agriculture nabatéenne, attribué aux plus savants d’entre les Nabatéens, et contenant sur l’article de la magie des détails qui annonçaient des connaissances profondes ; mais des hommes religieux ayant examiné ce livre, et regardant comme illicite tout ce qui concernait le chapitre des enchantements, se bornèrent à transcrire ce qui avait trait aux végétaux, à leur plantation, à leur culture, et supprimèrent le reste. Ce fut en suivant cette méthode qu’Ebn-Awam publia un extrait de l’Agriculture nabatéenne. La partie qui traitait des sciences occultes resta complètement négligée, jusqu’à ce que Moslemah, dans ses ouvrages sur la magie, en transcrivit les questions les plus importantes. »
« Les sciences magiques étaient en grande vogue chez les Syriens habitants de Babylonie, et avaient été l’objet de plusieurs traités spéciaux ; mais de tous ces ouvrages un petit nombre seulement a passé dans la langue arabe : telle est l’Agriculture nabatéenne, traduite par Ebn-Wahschiiah, et qui contient les pratiques en usage chez les Babyloniens ».
L’ouvrage sera cité pour la première fois par Thomas d’Aquin avant de retomber dans l’oubli et ne réapparaître qu’au 19ème siècle. L’orientaliste Quatremère en fera une étude dans son Mémoire sur les Nabatéens publié en 1835. Renan nous dit quant à lui :
« Vers l’an 900 de notre ère, un descendant des anciennes familles babyloniennes réfugiées dans les marécages de Wasith et de Bassorah, oit elles vivent encore aujourd’hui, se prit d’admiration pour les ouvrages de ses ancêtres, dont il comprenait et probablement parlait la langue. Ibn Wahschiyyah al Kasdani ou le Chaldéen (c’était le nom de ce personnage) était musulman, mais l’islamisme dans la famille ne datait que de son bisaïeul ; il haïssait les Arabes et éprouvait contre eux ce sentiment de jalousie qui animait aussi les Persans contre leurs vainqueurs. Une bonne fortune ayant fait tomber entre ses mains une grande collection d’écrits nabatéens que l’on avait pu soustraire an fanatisme musulman, le zélé Chaldéen consacra sa vie à les traduire et créa ainsi une bibliothèque nabatéo-arabe, dont trois ouvrages complets, sans parler des fragments d’un quatrième, sont venus jusqu’à nous. Les trois ouvrages complets sont : 1° le Livre de l’Agriculture nabatéenne ; 2° le Livre des poisons ; 3° le Livre de Tenkéluscha le Babylonien ; l’ouvrage incomplet est le Livre des secrets du soleil et de la terre » (Renan, Mémoire sur l’âge du livre intitulé « Agriculture nabatéenne », dans les Mémoires de l’Acad. des Insc. et Belles-lettres, t. XXIV, 1861, p. 139-142).
Au 19ème siècle, Madame Blavatsky mentionnera l’Agriculture nabatéenne dans sa Doctrine Secrète en ajoutant que cet ouvrage est d’une importance capitale puisqu’il représente « une initiation complète aux mystères des nations pré-adamites sur base de l’autorité indéniable de documents authentiques ». Elle le considérait également comme une « doctrine chaldéenne secrète dissimulée sous une forme exotérique ».
Ibn Wahshiyyah a également traduit le Livre de Tenkeluscha le Babylonien, qui est un livre de généthliaque, et le Livre des poisons qui est composé de trois ouvrages. Les auteurs de ces trois ouvrages sont : Suhab-Saih, Iarbuqa et Rewahtha. Suhab-Saih est plus ancien que larbuqa, et Iarbuqa est cité dans l’Agriculture nabatéenne. La science du Livre des poisons est empreinte de sorcellerie et de superstitions.
Le dernier ouvrage nabatéen qui nous soit connu, est intitulé Le Livre des secrets du soleil et de la lune. Il nous représente les vues des sages babyloniens Adami, Aukebuta et Askolebita sur la production artificielle des êtres vivants. On y raconte notamment comment Ankebuta a réussi à former un homme et à le conserver vivant pendant une année.
Comme nous allons le voir, Ibn Wahshiyya a été l’un des premiers à être en mesure de décrypter, au moins partiellement, les anciens hiéroglyphes égyptiens, en les rapportant à la musique contemporaine, à langue copte utilisées par les prêtres coptes de son temps.
Lire la seconde partie.
Plus sur le sujet :
Ibn Wahshiyya et la magie (1), Spartakus FreeMann, août-octobre 2010 e.v.