La Monarchie du ternaire en union, contre la monomachie du binaire en confusion.
Ce petit opuscule, édité pour la première fois en 1577, est l’oeuvre de l’alchimiste Gérard Dorn, ou Gérard Dorneus, ou Gerhard Dorn (c. 1530 – 1584). Disciple de Paracelse et de Trithème, Dorn est le premier auteur connu à développer l’idée d’une alchimie spirituelle.
Préface par Jean-Pierre Brach
Personne, et l’auteur de cette simple préface moins que tout autre, n’est disposé à estimer chose facile la tâche d’avoir à présenter un auteur que l’on peut dire totalement inconnu; qui se souvient, en France surtout, d’un alchimiste allemand du XVI° siècle, paracelsiste — ce qui était presque inévitable — dont la biographie est pour ainsi dire inexistante et dont les travaux ont été oubliés ?
Un auteur, du moins, s’en est souvenu, et vient il y a quelques mois d’exhumer pour le lecteur français ce qu’il était possible de faire ressurgir de la personnalité et d’une des principales œuvres de l’obscur chercheur. Ceci présente des avantages immédiatement évidents pour tous, mais un sérieux problème pour celui qui vient ensuite, s’il entend ne pas se contenter de compiler.
Il est inutile de celer plus longtemps le nom de B. Gorceix, qui, dans son dernier ouvrage publié, fait sur G. Dorn lui-même le point rapide que permet l’état de la documentation actuelle et, plus important, livre la traduction annotée d’un des traités originaux de notre alchimiste, L’aurore des philosophes. S’étendre sur l’érudition et la clairvoyance de ce travail savant, qui concerne d’ailleurs plusieurs auteurs et traités alchimiques du XVI’ siècle allemand, tout aussi peu connus, et parfois même à l’état de manuscrits anonymes, ce serait supposer chez nos lecteurs une méconnaissance totale des publications antérieures de B. Gorceix, et nous voulons croire qu’en ces matières, une telle lacune n’est de mise pour personne.
On peut d’ailleurs profiter de ce moment pour préciser qu’une des rares allusions à G. Dorn susceptibles d’être rencontrées dans un ouvrage antérieur figure précisément dans l’avant-propos de La bible des rose+croix, traduite et commentée par le même auteur.
À la suite de ce que nous venons de dire, on ne peut que se féliciter d’avoir à introduire un texte tout différent, qui est lui aussi une production originale de notre alchimiste: La Monarchie du Ternaire en union, contre la Monomachie du Binaire en confusion (s.l., 1577, in-12).
Ce titre, pour le moins peu banal, est fort évocateur à plusieurs égards; il convient avant tout de signaler qu’il s’agit là de la traduction du latin, par l’auteur lui-même, de sa Monarchia Triadis in unitate soli Deo sacra ; la dédicace en est à François de Valois, frère unique du Roy, dont Dorn était devenu le a client », aux titres de « Doctor phisicus » et d’interprète-traducteur allemand.
L’intitulé de cet opuscule, dont l’auteur indique dans son envoi qu’il s’agit d’une sorte de livraison préliminaire ayant pour objet de faire prendre patience à son auguste « patron », fait ressortir une apologie — d’ailleurs très classique — du Ternaire, assimilé bien évidemment à la Trinité légitimement omnipotente.
On peut, pensons-nous, dire que le premier membre de phrase représente symboliquement l’Unité divine régnant sans partage ni diversion, selon la nature même de l’ordre surnaturel, et considérée sous son aspect « ternaire » ou de « tri-unité » parce qu’elle n’est pas ici envisagée en et pour elle-même, mais au contraire dans la perspective de sa souveraineté unique; tandis que la seconde partie de la phrase évoque la dissension entêtée d’une paire oppositive dépourvue de principe directeur et unificateur (« Monarchique ») qui sème, sans recours immédiat, un désordre impie.
Si le thème en lui-même est, répétons-le, assez banal, la formulation particulière en est ici originale, explicite et «colorée». Il n’y a aucune difficulté à accorder ce qui précède aux préoccupations constantes des alchimistes chrétiens du XVIe siècle, que relève et éclaircit magistralement B. Gorceix en maints passages de sa « présentation »: le souci, on devrait dire l’appréhension, du mystère cosmogonique qui préexiste et ordonne définitivement la hiérarchie cosmologique, organiquement structurée, des mondes vivants, en une synthèse que l’on dénomme, depuis Platon, « harmonie »; et conséquemment, la relecture constante de l’analogie génésiaque (ce jusque chez d’Espagnet) et de certains vieux mythes (celui d’«harmonie» chez Maïer). En particulier, pour ce qui concerne strictement Dorn et son approche du Ternaire, l’extrait cité par B. Gorceix, op. cit., p. 32, qui préfigure de manière frappante certaines spéculations bœhmiennes.
Notre opuscule débute sur un « argument » rimé, en trois strophes de huit vers chacune; il s’agit d’un avertissement d’avoir à se maintenir dans les voies du Seigneur, et de ne pas s’en aller chercher en dehors du cercle de son autorité et de sa protection des «vérités» étranges qui ne seront que le piège fatal de l’Erreur.
La mise en garde concernant les «Payens, ennemis de Dieu», chez lesquels on chercherait vainement la sagesse qu’ils n’ont jamais possédée, est là encore assez courante au siècle de l’humanisme, qui ne dédaignait nullement ce type de controverse acerbe, tout en collectionnant les manuscrits orientaux, éditant le Zohar et le Coran avec commentaires souvent favorables et imprimatur, et ayant le spectacle de François Ire recherchant l’alliance avec les Turcs pour faire pièce aux ambitions de Charles Quint ! (Ce pourquoi, reconnaissons-le, il fut par certains violemment attaqué.)
Suit alors la dédicace que nous avons déjà citée, où il promet un long et difficile travail de traduction et, si besoin est, d’apologétique paracelsienne. N’oublions pas que L’aurore… est dédiée à Paracelse, et que G. Dorn était déjà, de son vivant, connu pour être un infatigable interprète et éditeur du médecin suisse; F. Secret et B. Gorceix signalent tous deux les rapports, parfois tendus, qu’il eut avec nombre d’éditeurs-libraires qui imprimaient Paracelse en Allemagne, et en Palatinat, ce qui est amplement confirmé, s’il était besoin, par une édition de quatre traités du célèbre thérapeute que signale Dorbon. Vient enfin le texte lui-même, fort bref, de ce minuscule ouvrage, dont la « méthode » ou, si l’on préfère, la présentation, ainsi que les nombreuses figures in-texte, rappellent invinciblement la fameuse Monade Hiéroglyphique de J. Dee, publiée à Anvers en 1564; ce texte, qui fit grand bruit, ne se distingue nettement de celui-ci que par une obscurité encore beaucoup plus considérable, et un objet sensiblement différent, qui lui confère jusqu’à une soixantaine de pages — dont la préface à Maximilien occupe, il est vrai, un bon tiers. Si donc les ambitions sont, semble-t-il, plus restreintes chez Dorn, il fait assez peu de doute que ce dernier ait été influencé par la « traduction » en symboles géométriques des axiomes ou propositions que l’on désire établir ou souligner à l’attention du lecteur, qui avait fait sensation chez John Dee ; le procédé sera à certains égards repris par la suite chez C. della Riviera, sous une forme à peine modifiée, et par A. Frankenberg, dans sa fameuse « addition» à son impression de la Clavis de Postels.
Il ne peut entrer dans le cadre d’une introduction de se livrer à une analyse détaillée des motifs, fussent-ils symboliques, du texte présenté; où serait, d’ailleurs, la part légitimement abandonnée à la sagacité et à la «faim» du chercheur ou du simple curieux, qui se découvrent en ces matières un si beau champ d’action ?
Nous nous contenterons de signaler, çà et là, quelques repères; le premier feuillet décrit en quatre vers et deux figures géométriques élémentaires l’« Unaire » et le « Binaire »; le premier est représenté par un cercle dont le centre est marqué d’un point et de la lettre « a », le tout placé sur un plan horizontal. Il est à peine besoin de noter le symbole solaire, qui convient évidemment, et la notation symbolique du Dénaire, dont B. Gorceix nous signale qu’il a toutes les faveurs de G. Dorn; la lettre « a » sert de point de repère pour se situer dans les « éclatements » successifs de l’Unité originelle que constituent les autres figures, à mesure qu’elles s’en éloignent. Ainsi la retrouve-t-on sur les deux demi-cercles entrelacés qui symbolisent le « Binaire »; ceux-ci font immanquablement penser aux figures, pp. 53-4, de la Monade, et rappellent ici une des représentations courantes de la mise en « proportion continue » simple, héritée des Grecs, et dont les multiples valences symboliques se retrouvent dans le vaste sujet des Médiétés platoniciennes
Après une figuration classique du Ternaire alchimique (fig. 2), on rencontre une illustration géométrique, en deux temps, et deux fois quatre vers, de la Tentation et du désordre engendré par l’absorption du fruit de l’Arbre de Science; dans la première figure se produit un décentrement et un mouvement contre nature de la « semblance de Dieu en l’homme », induits par le Serpent (lui-même symbole géométrique assez parlant), alors que cette analogie humaine du « Tabernacle » est décrite par tous les enseignements traditionnels comme un havre de paix inamovible pour ceux qui l’ont recouvré; l’expression de « paix du cœur » est ici appropriée; quant au second symbole, il est formé de trois demi-cercles juxtaposés, et donc non reliés par aucun type de lien harmonique, présentant de surcroît cinq pôles (auxquels correspondent cinq lettres); rappelons-nous certaines valeurs symboliques du nombre 5 chez d’Eckartshausen et Saint-Martin, chiffre que la phyllotaxie moderne a précisément mis en rapport avec la structure interne de la pomme. La chose était depuis longtemps un emblème connu, précisément en ce XVI° siècle affolé de rébus et d’énigmes. Suivent précisément deux figures géométriques plus complexes, intitulées « Enigmes » et accompagnées de lettres alphabétiques et des nombres mêmes dont B. Gorceix nous a déjà appris que Dorn faisait ses délices; suivent deux pages et demie de commentaires en vers pour la première, une et demie pour la seconde.
Cette dernière énigme est censée résumer « la fausseté des arts et sciences avec le fondement des erreurs », et la précédente « le but, secret et perfection de toute science »; les deux symboles se ressemblent fort, et tout en rappelant nettement la figure de la page 50 de la Monade, ils ne se différencient guère que par l’ajout ou le retrait de certaines lignes et lettres de l’un à l’autre; le second, qui représente l’erreur, ayant la même structure de base, plus quelques « esplanements » orthogonaux ou, si l’on préfère, quadratiques, qui paraissent bien renvoyer à une certaine priorité qu’accorde G. Dorn au Ternaire et au Septenaire sur le « quarré ».
Voilà un très bref résumé de ce que comporte notre texte en références symboliques immédiatement accessibles; nous pensons, pour notre part, qu’il mérite une étude plus approfondie, et qui gagnerait à la comparaison avec certains écrits similaires.
Si nous n’avons jusqu’à présent pas abordé la biographie de notre auteur, c’est que la note 19, p. 228, du travail de B. Gorceix, ne nous laisse à cet égard pas grand espoir; il convient d’ajouter que, germaniste et spécialisé dans les courants alchimiques et théosophiques allemands des XVI° et XVII° siècles, ce chercheur a beaucoup plus de chances que nous-mêmes, qui sommes infiniment moins bien placés à cet égard, de parvenir à « sortir », quelque jour, un écrit qui permettre de jeter plus de lumière sur la vie du disciple de Paracelse.
Ce n’est sans doute pas là vœu inutile, car il est, malgré tout, loisible de penser qu’un auteur-éditeur connu en son temps, qui a laissé de quoi former un fonds important à la Bibliothèque Nationale, et occupe à lui tout seul plus de 400 pages du tome Ier du Theatrum Chimicum, ait pu par ailleurs imprimer quelques traces, susceptibles de nous parvenir, dans la mémoire de ses contemporains.
À cet égard, on peut parcourir la table des matières des écrits de Dorn figurant au t. 1 du Théâtre Chimique, elle n’est pas sans quelques enseignements. A la suite de la réimpression de la fameuse Clef de toute la philosophie chimique, on trouve un Livre de la lumière physique (naturelle) de la Nature, tirée de la Genèse, dans lequel sont contenues: « Physique de la Genèse », « Physique d’Hermès Trismégiste », « Physique de Trithème », etc. .. Suivent divers autres textes de médecine et d’alchimie paracelsiennes.
La référence à la Genèse, comme celle à Hermès, ne sauraient nous surprendre; l’allusion à Trithème, à vrai dire, non plus, si l’on est doué d’un peu de la perspicacité qu’a encore une fois montrée F. Secret en rapprochant les deux noms.
Trithème passait pour alchimiste, même si, postérieurement, sa réputation s’est plutôt fondée sur d’autres préoccupations; et si la place autant que les limites de notre présente intervention nous interdisent de considérer en détail l’extrait, d’ailleurs assez bref, de la « Physique de Trithème », qu’il suffise de mentionner que nombre des préoccupations qui se font jour dans les trois principaux traités de l’abbé de Spannheim y reparaissent, ce qui prouve avec assez de certitude que ce n’est pas seulement un nom célèbre placé là en hommage par G. Dorn; il avait certainement eu accès aux idées et aux textes du Maître des Hermaistes de la Renaissance; cet homme étonnant, éminent érudit et bibliothécaire, élevé à de hautes charges ecclésiastiques malgré quelque bruit fait autour de certaines de ses études peu banales, fut la source d’inspiration commune à H.C Agrippa, Reuchlin, d’autres encore, parfois célèbres ou ayant laissé une œuvre à quelque égard importante. Il est plus que curieux (mais la chose est sans doute presque impossible à élucider définitivement) de constater les relations pan-européennes de ce personnage d’extraction fort modeste, ainsi que ses rapports avec certains cercles et personnalités (tel P. Rici) avec lesquels il fut, très tôt, en contact, presque toujours suivi.
Son rôle important, mal établi mais certain, dans la genèse, à la fin du XV° siècle, du mouvement hermétique et kabbaliste chrétien, est passablement fascinant. Il n’est que plus révélateur de rencontrer son influence réelle chez un Dorn, auquel on avait pu être tenté d’assigner la seule mouvance paracelsienne.
Cette subite floraison hermético-kabbalistique intervient au moment où plusieurs auteurs, et des plus sérieux, situent à peu de chose près le « retrait des rose+croix », bien que d’autres veuillent le placer plus tard, au début du XVII’ siècle.
Si l’on assimile cet événement « symbolique » à la quasi-disparition, ou, si l’on préfère, au « repliement » d’une certaine partie -l’Apex, bien sûr – des enseignements traditionnels, du moins en Occident, cette diffusion, aux allures de traînée de poudre, de la doctrine hermétique, peut s’interpréter sous un jour assez nouveau. Quant au but de cette soudaine « mise en disponibilité » de textes et de théories auxquels la Renaissance et ses nouvelles tendances firent un si bel accueil, il appartient à chacun, s’il est intéressé, d’en creuser les motivations.
On peut d’ailleurs également estimer qu’il y a corrélation entre ce qui précède, je veux dire cette « vague » hermétiste et kabbalisante, et une certaine déperdition, à laquelle tant B. Gorceix que F. Secret ont été sensibles, de la structure mythique qui étayait, pour l’essentiel, les œuvres d’alchimie chrétienne des quatre précédents siècles. Nous voulons naturellement parler d’un rapport qui soit autre que celui d’une simple synchronie, car dans ce cas, quelle signification, autre que la coïncidence, pourrait-il avoir ? L’abandon progressif – plus ou moins accusé selon les auteurs, remarque B. Gorceix – de ces éléments mythiques fondamentaux dont l’utilisation ne peut en aucun cas être ramenée à un « procédé » littéraire, ne doit pas correspondre seulement à un changement de perspective dans les études alchimiques, à un approfondissement de l’intellectualité répondant à une soudaine méfiance vis-à-vis de la « folle du logis »; qu’il y ait une part de tout ceci n’est pas contestable, surtout lorsque l’on connaît les grandes lignes des engouements intellectuels de la Renaissance, où abondaient des jeux d’esprit littéraires et allégoriques qui, répétons-le, sont sans rapport avec ce dont il s’agit; mais une assimilation entière de la question aux motifs précités doit être rejetée en dernière analyse.
La présence et le rôle si marqués d’un substrat appelant à une extraordinaire mobilisation de l’imaginaire, tout en conservant aux traités ainsi édifiés une sobriété et, la plupart du temps, une concision, exemplaires, pourraient bien ne pas relever de l’ordinaire niveau d’utilisation de notre appareil conceptuel, fut-il de surcroît servi par une plume talentueuse.
La fréquentation de certains textes spécialisés du Moyen Age induit immanquablement à penser que l’infrastructure mythique de leur écriture sous-entend et implique une « attitude d’esprit » qui soit une véritable rupture ontologique avec le plan habituel de l’« évocation poétique », au sens où nous avons pris l’habitude de l’entendre.
Il s’agirait alors, bien plutôt, d’une Poétique du type de celle qu’entendait définir R. Alleau, croyons-nous, dans Aspects de l’alchimie traditionnelle; c’est-à-dire de quelque chose qui sous-entende au préalable une révision complète des modalités d’utilisation de nos facultés intuitives, « imaginantes », et pensantes. La force, pas seulement évocatoire, la cohésion et la clarté – indéniables – résultant de ce mode « autre » de fonctionnement des instances mentales ne font pas que conférer aux textes qu’elles soutiennent une saveur aujourd’hui presque étrange. Il ne serait pas étonnant que cette dimension mythique, si parfaitement intégrée, soit la conséquence d’une tension ontologique chez l’alchimiste, qui consigne son expérience sur le papier, et « signe » ainsi sa production, au plan de l’écriture. Tension, il va sans dire, parfaitement « saine » et nécessaire, qui est selon bien des auteurs mystiques l’immanquable corrélation de l’ascèse et de l’élévation spirituelles.
On constate donc, ici encore, que l’alchimiste rejoint ( et peut-il seulement s’en éloigner si peu que ce soit, même si la voie diffère en termes de moyens? ) le théosophe ou le « spirituel » chrétiens, pour parler comme A. Koyré.
Sur un plan conçu, peut-être à tort, comme exclusivement « philosophique », au sens usuel du terme, certaines analyses aiguës de Nietzsche portant sur les « Physiciens » présocratiques ont précisément retenu pour l’essentiel, dans leurs doctrines, ce que Heidegger, qui lui doit beaucoup sur ce point, a appelé par la suite l’« éclairement de l’Être » chez Parménide. C’est précisément la reconnaissance d’une perspective et d’une problématique « ontologiques » chez les Milésiens et leurs disciples immédiats qui galvanisait le philosophe du « surhomme », et c’est à cet ordre de pensée qu’ils devaient d’être appréciés à leur juste mesure et place par l’auteur d’Homère et la philosophie classique.
Or la nature mythique des cosmologies présocratiques ne fait plus de doute pour personne, et il n’est pas peu significatif de constater que la plupart des fragments qui nous sont parvenus sont en forme de poèmes… Il ne s’agissait nullement de délire prélogique et préscientifique, comme l’ont voulu certains historiens; la rupture s’est consacrée avec cette pensée lors de l’accession des Grecs à des données authentiquement scientifiques; analogiquement, la même perte du sentiment mythique s’est effectuée vers la fin du Moyen Âge, ou ce qu’il est convenu d’appeler tel; elle fut tout aussi progressive, certes, mais il est indéniable que presque tout le XVI° siècle subit dans ses productions la disparition de ce dynamisme essentiel, de cette tension, qui ira en s’affadissant jusqu’à Hegel.
Jean-Pierre Brach
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