Littérature ufologique et dérives conspirationnistes 2

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Littérature ufologique et dérives conspirationnistes par Emmanuel Kreis et Stéphane François.

Le texte qui suit est extrait d’une conférence intitulée « L’ufologie radicale : entre subculture politique, occultisme et théosophie », prononcée le 27 avril 2008 dans le cadre des soirées Politica Hermetica. Nous publions cet article en deux parties sur EzoOccult avec l’aimable autorisation des deux auteurs dont l’ouvrage Le complot cosmique est désormais disponible à la vente. Ce texte est d’abord paru, en octobre 2009, sur le site Conspiracy Watch.

dérives conspirationnistes
09.05.1945, Alex Andreyev, 2008. Visiter son site.

L’ufologie et les courants « ésotériques »

Si nous avons déjà souligné les liens existants entre l’ufologie et le conspirationnisme et les droites radicales, nous devons également préciser la place d’un discours « ésotérique » dans cette rencontre.

Dès son émergence, l’ufologie entretient des relations avec les courant ésotériques. Si nous considérons le cas George Adamski – le premier homme contacté par un extraterrestre qui se plaisait à souligner son intérêt pour les sciences et se faisait appeler « Professeur » -, son passé cache pourtant des affiliations bien différentes. Entre 1913 et 1919, il se consacra à l’occultisme et fonda dans les années 30 une lamaserie à Laguna Beach en Californie, avec une école ésotérique du nom de « l’Ordre Royal du Tibet » où il enseignait la « Loi Universelle ». Dès le début, l’enseignement d’Adamski comportait une forte influence théosophique à laquelle il se contenta en 1947 d’ajouter une composante ufologique.

Selon Adamski les récentes apparitions dans le ciel seraient le signe du retour des « Seigneurs de la Flamme » qui descendirent pour la première fois sur Terre, il y a dix-huit million d’années, pour transformer les antiques races terrestres inintelligentes en êtres pensants. Leur souvenir dans l’inconscient est à l’origine des différentes religions et leur retour est dû à la perte par les hommes du contrôle de leur destin du fait de la prolifération des armes atomiques.

Comme nous pouvons le constater, nous sommes en présence, dès les années 1950, d’une interrelation entre des doctrines ésotériques et les ovnis.

Il serait trop long de faire ici une généalogie exhaustive du thème que nous abordons et nous nous contenterons donc simplement de donner quelques jalons. Au début années 1960 l’ufologue Robert Charroux contribua lui aussi à populariser l’amalgame entre extraterrestres, nazisme et ésotérisme. Si Charroux qui se revendiquait Rose-Croix, émettait des réserves face aux théories de H. P. Blavatsky, il n’en demeure pas moins que sa pensé, comme l’a montré Wiktor Stoczkowski, est largement tributaire des écrits de la fondatrice de la Société Théosophique. Nous pouvons également signaler quelques années plus tard le cas de Erich von Däniken (1968 pour Däniken, 1974 pour le pic de vente de livres sur les anciens astronautes) dont les théories ne sont pas sans lien avec la Société de Théosophie.

Wiktor Stoczkowski a mis en évidence les relation étroite qui unissent la pensé théosophique est les élaborations de Dänken. Cela ne veut pas dire que rien de ce qui se trouve dans le dänkensime ne manque dans la Théosophie du siècle précédent ni que tout ce qui forme la Théosophie réapparaît nécessairement plus tard dans le dänikenisme. Wiktor Stoczkowski illustre ces relations au travers de six volets essentiels de la théosophie et du dänikenisme : la théologie, la cosmogonie, l’origine de l’homme, l’histoire des civilisations, la préhistoire et l’analyse des mythes.

Contentons nous simplement de quelques exemples :

Aussi bien dans le dänikenisme que dans la théosophie nous retrouvons l’épopée des âmes qui quittent leur place au sein de la divinité, pour y retourner après avoir goûté à la conscience humaine et acquis ainsi la connaissance du bien et du mal.

Nous pouvons également souligner le parallèle qui existe entre les Gouverneurs angéliques de Blavatsky et les extraterrestres de Däniken. La Doctrine secrète de la fondatrice de la Société Théosophique détaille la fécondation du Chaos humide par une étincelle de la Pensée divine, l’apparition du Logos et de la Sophia-Sagesse, l’émanation des Sept Gouverneurs primordiaux et, à leur suite, de toute une hiérarchie d’êtres célestes dont font partie les Démiurges inférieurs, créatrice de notre système planétaire. Les Gouverneurs angéliques sont appelés à exercer un contrôle sur notre monde en guidant l’évolution de la nature. Ces Recteurs du monde invisible furent responsable de la création de l’homme actuel et de l’émergence de la civilisation. Il sont, selon Blavatsky, ce que les ignorants nomment dieux, les profanes instruits Dieu et les seul initiés savent que ces Intelligences supérieurs sont les messagers de Celui dont elles ignorent la nature, tout comme les mortels. Les extraterrestres du dänikenisme assument la même fonction en se substituant au Démiurge. Selon Däniken, le genre humain serait né d’une manipulation génétique d’extraterrestres sur des hominidés. Tous les textes sacrés relatent des contacts avec des extraterrestres et nos religions ne seraient que des souvenirs lacunaires de leurs passages sur Terre. Cette venue dans notre monde visible à travers certains mythes et certains sites archéologiques. Ce type de théorie permet d’expliquer ce qui semble mystérieux dans l’état actuel de nos connaissances : les terrasses cyclopéennes de Baalbek au Liban, la construction des pyramides égyptiennes, les lignes ou géoglyphes de Nazca au Pérou, etc. Le même intérêt pour les traces mystérieuses du passé se retrouve dans la théosophie (Trace des successions des civilisations).

Toujours selon Däniken, les récits religieux et les combats entre dieux ne seraient que des retranscriptions écrites de ce dont les Hommes de l’Antiquité auraient été témoins. Il appelle d’ailleurs ces extraterrestres les « Anciens astronautes », qui seront ensuite connus sous le nom des « Anciens ». Pour cela, il s’appuie sur la Bible qui évoque, dans la Genèse, 6, les « enfants de Dieu » qui ne seraient que des extraterrestres ainsi que leur métissage avec certaines femmes humaines. Il fait même des fondateurs de religions soit des extraterrestres, soit des « contactés ».

Selon Wiktor Stoczkowski, les conceptions de la Société Théosophique entretiennent d’étroites relations avec la théorie des Anciens astronautes (idée que l’origine de l’humanité est le résultat d’une manipulation opéré par des êtres de l’espace) : « En se nourrissant du passé, le présent ne manque jamais de le transformer, et si la Théosophie peut être envisagée comme la “cause matérielle” de la théorie des Anciens Astronautes, c’est parce que les auteurs de cette dernière, s’ils avaient pris la Théosophie pour prototype, auraient pu en tirer leur propre conception au moyen de modifications bien limitées, en conservant à la fois les composantes du modèle théosophique et la structure gnostique de celui-ci. »

Occultisme, théosophie, conspirationisme, radicalisme de droite et ufologie

Comme nous pouvons le constater, dès les années 1960 se met en place les différents éléments qui constitueront la base des écrits postérieurs (Charroux est déjà très proche des synthèses future). Les deux décennies suivantes, jusque à la fin des années 1980, voient se constituer les premières synthèses qui sont alors confidentielles. Le roman de Wilhelm Landing ou les créations groupusculaires d’un Jean-Claude Monet en témoignent.

En 1971 parait chez l’éditeur Hans Pfeiffer, Götzen gegen Thulé de Wilhelm Landing qui présente de troublantes similitudes avec le livre de van Helsing. L’ouvrage dont le sous-titre est : « un roman plein de réalités », raconte l’histoire de deux aviateurs allemands dont l’avion s’est écrasé en Arctique. Là, ils sont secourus par un officier SS Gutmann qui devient leur guide. Après avoir été initié aux secrets de Thulé et pris conscience du combat occulte contre Israël, les deux aviateurs vont parcourir le monde dans le but d’unifier différents groupes dont les idéaux sont en accord avec ceux des thuléens. Comme le souligne Joscelyn Godwin, Götzen gegen Thulé est « un énorme travail de révisionnisme » ainsi qu’une « reprise de la philosophie de la Rivolta d’Evola (Rivolta contro il mondo moderno, de Julius Evola – NDLR), en l’adaptant en roman, afin d’enseigner à un certain public les mythes et la politique de la Thulé arctique, auxquels on adjoint d’autres mythes modernes, comme les ovnis (construits ou non par l’homme), le Royaume souterrain, les Cathares et les Albigeois, le Saint-Graal, la survivance nazie, les maîtres himalayens et le complot international à la fois politique et occulte ».

Jean-Claude Monnet, petit neveu du peintre Monnet a fondé, depuis les années 1960, diverses structures aux noms improbables, influencées par un occultisme nazifiant. Il créa notamment un groupe pseudo-druidique, qui se transforma ensuite en OSS-Religion des druides. En 1963, cette structure devint l’Organisation des Vikings de France avant de se transformer en un éphémère Parti Prolétarien National-Socialiste qui fut remplacé en 1969, par une Grande Loge Du Vril dont le nom est une référence directe aux thèses sur le soubassement occultes du nazisme. Toutes ces structures se caractérisaient par un télescopage de références diverses : ésotérisme nazi, le christianisme, la kabbale, le celtisme, le tao, le Ku Klux Klan, la Golden Dawn, la théosophie, les auteurs de science-fiction (notamment Bullwer-Lytton, Lovecraft et Jimmy Guieu).

Parallèlement à cette activité, Jean-Claude Monnet semble avoir milité dans divers groupuscules d’extrême droite et ses activités attirèrent l’attention de revues de ce milieu : en 1969, Le Charivari signalait l’appartenance de certains membres de son groupe néo-druidique aux groupuscules néo-fascistes Nouvel Ordre Européen et Phalange française. De fait, les membres de la Grande Loge Du Vril portaient, lors de leurs cérémonies, des brassards arborant des runes et rappelant le brassard nazi, et levaient le bras droit. En 1984, il fonde son groupe ufologique, la Golden Dawn OSS, qui deviendra l’année suivante le U-Xul-Klub ou club des surhommes. Il s’agit d’un groupe d’une petite dizaine de personnes, dont les idées restaient influencées par l’extrême droite : pour sauver l’humanité, il faut combattre selon ce groupuscule « l’égalitarisme, le pacifisme, l’athéisme, le monothéisme, l’homosexualité, la démocratie parlementaire et le féminisme».

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Hitler et extra terrestre. Source de l’image inconnue.

A partir des années 1990 alors que l’ufologie commence à décliner nous assistons une popularisation d’une littérature mêlant ufologie, théorie du complot, éléments empruntés à l’occultisme et/ou à la théosophie et des discours politiques radicaux, hors des groupuscules d’extrêmes droites. Deux éléments peuvent être mis en avant pour expliquer se phénomène : la montée en puissance parmi les ufologues des thèmes conspirationnistes et la diffusion des discours qui nous occupent au sein du network New Age.

Le conspirationnisme a été vulgarisé dans les milieux ufologiques aux États-Unis vers la fin des années 1980 par deux auteurs : John Lear et William Cooper (1943-2001), ce dernier ayant été assassiné en 2001 dans des circonstances douteuses (il fut tué lors d’un échange de tir avec des policiers venus l’arrêter). John Lear aurait été un ancien pilote de la CIA tandis que Cooper aurait été un ancien militaire. Ce dernier était surtout un milicien chrétien aux thèses conspirationniste et millénariste. C’était aussi un animateur-radio dont l’émission était appréciée par les milices patriotiques et surveillée par la Maison Blanche. Son œuvre connut un réel succès et fut traduit en plusieurs langues. Nous y retrouvons un ensemble de thématiques qui nous sont déjà familières : critique de l’Etat vu comme une entité adepte du complot désirant asservir les citoyens américains, science nazi « révolutionnaire » puisque selon lui des hommes de science nazis, récupérés par la CIA, travailleraient même pour les extraterrestres et seraient à l’origine du sida, intégration à son œuvre des Protocoles des Sages de Sion, republié intégralement dans son livre Behold a Pale Horse (« Voici le cheval pâle »), etc. Si les emprunts fait à l’occultisme et à la théosophie restent discret nous devons pourtant souligner que selon Cooper toutes les sociétés « secrètes » de l’histoire de l’humanité : occultistes, franc-maçonniques, politiques, ainsi que les fameux « Illuminati », auraient été créées par les extraterrestres pour nous asservir. « Tout au long de l’Histoire, les aliénigènes [néologisme pour extraterrestres] n’ont cessé de manipuler et de régenter l’humanité par le biais de diverses sociétés secrètes, de l’occultisme, de la magie, de la sorcellerie et de la religion ». Selon Cooper, les dirigeants du MJ12 auraient été membres de sociétés occultes dont des sociétés universitaires comme « Skull ans Bones » (Harvard) et « Scroll and Key » (Yale). Pour lutter contre ces organisations, une contre-société secrète aurait été mise en place en 1952 à Genève, les Bilderburgers, qui auraient rapidement échappé à tout contrôle devenant une sorte de gouvernement mondial occulte.

Malgré son succès l’œuvre de Copper reste pourtant cantonnée aux milieux ufologiques. Elle contribue certes à populariser les discours que nous étudions ici, mais n’est qu’une étape de cette diffusion. En effet, la « massification » de ce type de discours ne peut être rendue réellement efficiente que grâce à une diffusion hors des champs trop étroits de l’ufologie déclinante et/ou des radicalismes de droites. Ce sont visiblement les réseaux du New Age qui offrirent aux élaborations qui nous occupent la possibilité de gagner de nouveaux adeptes.

Le New Age peut en effet être vu comme un phénomène de société remontant aux « cultures » des années 1950 qui s’intéressait aux Ovnis et aux extraterrestres et rejetaient le matérialisme contemporain. Leurs croyances reposaient sur un syncrétisme occultiste dans lequel la théosophie chrétienne et l’anthroposophie se trouvaient liées à la conviction que les ovnis étaient des astronefs peuplés par des habitants d’un autre monde. Ces extraterrestres devaient sauver les hommes. Les personnes arrivées à une compréhension véritable des lois spirituelles de l’univers seraient appelées à devenir les pionniers d’une aire nouvelle : « le New Age ».

Le New Age au sens plus large est un phénomène plus diffus et plus récent. Il est lié au développement dans les années 1960 et 1970 de recherches « alternatives » dans divers terrains : médecine, économie, écologie, politique, religions, etc. Mais ce n’est que dans la seconde moitié des années 1970 que les différents représentants de ces « alternatifs » se considérèrent comme les membres d’un réseau. C’est finalement dans les années 1980 que le mot de New Age fut emprunté au courant millénariste.

Nous avons dit au début de cet exposé que van Helsing a emprunté une partie de son discours au New Age, cela mérite quelques précisions. En effet, il semble que la crise que traversa le New Age à la fin des années 1980 et au début des années 1990 conduisit à certaines évolutions propulsant au premier plan un courant jusque là minoritaire que nous qualifierons de Next Age. Massimo Introvigne dans sa préface à l’édition française de son livre Le New Age des origines à nos jours, définit le Next Age par deux modifications fondamentales du discours par rapport au New Age ; en premier lieu par le passage d’un « millénarisme progressiste » (c’est-à-dire porteur d’améliorations collectives cosmiques et sociales) à un « millénarisme catastrophiste » (c’est-à-dire porteur d’un future des plus sombre), et en second lieu par le passage d’un but de transformation collective à une transformation de type individualiste. Or si l’on se penche sur les dires de van Helsing avec en tête cette distinction, l’on est en droit de se demander s’ils ne relèvent pas plus du Next Age que du New Age. En effet, le monde à venir que laisse entrevoir le Livre Jaune est des plus inquiétant, surtout, si on considère comme l’auteur que la prise de pouvoir par les Illuminatis ne connaît pas de réelle limite et que l’on a conscience de leurs crimes passés. Notre société est comparée par l’auteur au Titanic et à son naufrage : « Symboliquement, cette catastrophe représente bien notre société, perturbée, qui court à sa propre perte ». Ce « millénarisme catastrophiste » se voit doublé d’un message individualiste n’appelant pas à la réalisation collective d’un nouvel age, mais plus simplement à une évolution individuelle puisque « seuls ceux qui sont partant pour se transformer feront des expériences merveilleuses. Ils vivront ce qui a été prédit comme l’Age d’or, tout simplement parce qu’ils obéiront à cet élan qui les poussera à progresser intérieurement ». Pour les autres, « ceux qui ne veulent pas se débarrasser des vieux schémas, [ils] devront rester sur le carreau ».

La distinction que nous venons d’opérer entre New Age et Next Age est à notre avis loin d’être anecdotique pour expliquer comment une œuvre telle que le Livre Jaune a pu voir le jour et connaître un tel succès. Le passage d’un « millénarisme progressiste » à un « millénarisme catastrophiste » permet indubitablement d’intégrer à un discours New Age des théories conspirationnistes venues des droites radicales marquées elles aussi par une vision pessimiste du futur. De plus, les accents individualistes du Next Age ne sont pas sans rappeler l’élitisme révolutionnaire présent dans les droites radicales ; la transformation sociale ne venant pas des masses mais d’élites les guidant.

Si, comme nous le pensons, les deux traits qui caractérisent le Next Age permettent l’élaboration de discours comme celui de van Helsing, nous devons également constater qu’ils en facilitent leur diffusion au sein des réseaux des New agers. C’est par hasard en nous renseignant auprès d’un ami scientifique sur les théories de van Helsing au sujet de l’énergie que nous avons été amenés à nous pencher sur la revue Nexus. En effet, quelle ne fut pas notre surprise de constater que notre ami connaissait les théories sur « l’énergie libre ». Interrogé sur l’origine de son savoir, il nous expliqua qu’une amie de sa mère évoluant dans les milieux New Age avait laissé chez elle des exemplaires de la dite revue.

La revue Nexus France est une adaptation de la revue australienne du même nom. Le premier numéro porte la date de Mars-Avril 1999 et est éditée par les éditions Moan S.A.R.L. à Les Cheyroux, c’est-à-dire dans le même lieu que les éditions Amrita, qui éditent les ouvrages de Daniel et Anne Meurois-Givaudan. Cette dernière est d’ailleurs mentionnée dans l’ours comme éditrice. Le ton New age de la revue mélange des articles sur la santé (para-médecine), la para-science, l’écologie, la spiritualité, le conspirationnisme, la crypto-histoire et l’ufologie. Dans ce premier numéro, nous retrouvons au milieu d’articles sur la pollution médicamenteuse de l’eau, la consommation de graisse aux Etats-Unis, ou encore l’ostéoporose, un texte intitulé « Nouvelle science » traitant d’un accumulateur électrique pouvant capter l’énergie de la Terre identique aux machines à « énergie libre » décrites par van Helsing, et plusieurs écrits au ton conspirationniste traitant, entre autre, de rencontres entre des militaires Américains et des Aliens au Cambodge ou encore des Banques centrales où il est précisé que « qui a le contrôle sur les fonds monétaires, contrôle aussi les gouvernement et les peuples ». La rubrique « livres » de la revue mentionne entre autre « La Guerre des Virus » des éditions Félix.

La suite de l’article sur les Banques centrales qui parait dans le deuxième numéro de la revue en mai-juin 1999, reprend certains éléments du Livre Jaune, notamment lorsqu’il est question des Rothschild. Dans ce même numéro se trouve également un article intitulé « Le Nouvel Ordre Mondial et l’esclavage par le contrôle de la pensée ». L’auteur mentionne l’existence d’un esclavage mental ou « contrôle mental programmé de l’esprit » mis au point par les savants Nazis dans le cadre de l’opération paperclip pour le compte des Illuminati ainsi que le développement de ces nouvelles technologies et leurs applications par le « Nouvel Ordre Mondial ». Il s’étend aussi longuement sur des rites sataniques et pédophiles. En voici la conclusion : « Les abus sexuels d’enfants et l’horrible technologie du contrôle de l’esprit peuvent être le dogme de foi des pratiquants du satanisme aussi bien que celui des programmateurs. Ils peuvent aussi être symptomatique d’un combat plus vaste à l’échelle cosmique. En fait, il se pourrait que cette guerre spirituelle, et la destruction des valeurs absolues, soit la vraie raison de la mise en lumière des abus rituels, et du contrôle de la pensée. Pendant ce temps-là, l’impérialisme satanique continue sa route, invaincu, et la bataille pour la planète Terre passe à l’étape suivante ». Parmi les sources citées pour ces articles un certain nombre se retrouve chez van Helsing.

Ces références implicites au Livre Jaune ne doivent pas nous surprendre. En effet, Anne Givaudan mentionné dans l’ours comme éditrice de la revue, s’est elle aussi lancé dans des écrits conspirationnistes. Après avoir écrit depuis 1980 de nombreux livres New Age – nous pouvons citer entre autre Récit d’un voyageur de l’astral (1980), La Terre d’Emeraude : témoignage d’outre-corps (1983), De mémoire d’Essénien (1984), Les Robes de Lumière (1987), etc. – elle publie, en 1995, Celui qui vient et Les Dossiers sur le Gouvernement Mondial en 1996. Ces deux ouvrages abordent des thèmes proche de ceux de van Helsing qui est d’ailleurs une des références majeures de l’auteur. Elle n’hésite pas à qualifier Les Sociétés Secrètes au XXe siècle – titre original du Livre Jaune – « d’excellent ouvrage », et en reprend des passages entiers sans toutefois utiliser les éléments explicitement antisémites ou faisant référence aux Protocoles des Sages de Sion. Et si, comme pour van Helsing, nous retrouvons un discours New Age, puisque ici l’écriture serait suggérée par des « Etre de Lumière », nous voyons aussi se dessiner un « millénarisme catastrophiste », marqué par l’individualisme :

« Même si nous savons comment faire, nous nous contentons bien souvent de rêver à ce futur en espérant que d’autres, nos enfants, ou des personnes plus courageuses le concrétiseront. Seulement voilà, il n’est plus temps d’attendre le voisin ou l’enfant ou l’être courageux qui “fera” à notre place. Le choix est imminent ! Le gouvernement de l’Ombre a fait son choix depuis longtemps et met en application ce en quoi il croit. Aucune perturbation ne peut le détourner de son but. »

Il est impossible d’affirmer comme pour van Helsing qu’il s’agit dans le cas de Anne Givaudan d’une volonté délibérée de faire passer sous le bais d’un discours ésotérique des idées radicales. En effet, elle est une figure bien connue des milieux New Age français et ne semble pas engagée dans un réel combat politique. Ses oeuvres semblent plus être l’illustration d’une contamination entre sous-cultures.

Au travers du cas de van Helsing nous avons pu voir comment s’est élaboré et popularisé un discours qui précède d’au moins 25 ans le Livre jaune, et qui est demeuré pour le moins confidentiel jusqu’aux années 1990. Ce succès peut en parti être expliqué par une diffusion qui vise de nouvelles cibles. Car si le Livre Jaune est inconnu des milieux de droite radicale, il fut un best seller dans les réseaux du Nouvel Age. Ce repositionnement fut indubitablement facilité par la présence de liens antérieurs entre ésotérisme et conspirationnisme ufologique mais fut également rendu possible, selon nous, par la désillusion du New Age, qui fit passer au premier plan un courant resté jusque là minoritaire : le Next Age. En recentrant le discours sur un « millénarisme catastrophique » et une évolution individuelle, le passage au Next Age a permis d’intégrer facilement des thèmes conspirationnistes et politiques venus des droites radicales.

Lire la première partie de cet article

Plus sur le sujet :

Littérature ufologique et dérives conspirationnistes. Stéphane François est historien des idées, politologue et directeur de la collection « Chemins de traverse(s) » aux éditions de la Dame en Noir. Emmanuel Kreis est doctorant à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il a établi, annoté et introduit une anthologie intitulée Les puissances de l’ombre : Juifs, jésuites, francs-maçons, réactionnaires… la théorie du complot dans les textes (CNRS, 2009). Ils ont publié en janvier un ouvrage commun : Le complot cosmique. Théorie du complot, ovnis, théosophie et extrémistes politiques, Milan, Archè (préface de Jean-Bruno Renard, postface de Jean-Pierre Laurant).

Illustration : PIERRE ANDRE LECLERCQ [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons

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