Seconde partie du Mutus Liber par Magophon 2 dans laquelle l’auteur analyse les planches du Mutu Liber.
La planche six est la continuation de la cinquième. On remarquera que les opérations y sont toujours effectuées par un homme et par une femme, symbolisant les deux natures. L’action extérieure de ces deux agents indique le travail intérieur des corps réagissant l’un sur l’autre. Dans la première figure, l’agent féminin joue un rôle passif, et l’agent masculin un rôle actif. Celui-ci est le soufre ; celle-là, la lune.
On désirera savoir, sans doute, quel est ce soufre mystérieux dont parlent toujours les philosophes, sans autrement le désigner. C’est le soufre des métaux. Le secret de l’art consiste à l’extraire des corps mâles pour l’unir aux corps femelles, ce qui suppose leur décomposition préalable. La science actuelle semble considérer ce fait comme une impossibilité absolue. De grands chimistes du XVIIIe siècle ont démontré, dans des communications adressées aux corps académiques, que l’opération est réalisable et qu’ils l’avaient réalisée. Nous avons en mains un magnifique soufre d’argent obtenu par un moyen analogue et qui se rapproche beaucoup de la teinture des Sages. Mais, pour arriver à ce résultat, il faut une certaine pratique et une connaissance approfondie du règne minéral.
Défiez-vous des auteurs qui parlent de broyages, de décantations, de séparations obtenus par ce qu’ils appellent des « tours de main ». L’action manuelle ne concourt aux résultats qu’à la façon d’une cuisinière préparant son pot-au-feu. Lorsque les ingrédients sont dans la marmite, l’eau cuit le compost, portée à la température requise par le feu extérieur. La coction achevée, il n’y a plus qu’à extraire les produits et à les employer suivant la formule. Mais toute intervention intempestive est préjudiciable et nuit à l’œuvre.
Nous devons signaler tout particulièrement la figure représentant la rose hermétique obtenue par les sublimations précédentes. Il y aurait ici beaucoup de choses à dire. Tous les traités d’alchimie ne sont que des « Romans de la Rose », au propre comme au figuré. Le premier soin de l’artiste consiste à y faire la part du vrai et du faux. Celui-ci domine et constitue la littérature hermétique.
Qu’est-ce que la Rose ? C’est la fleur de l’arbre philosophique qui présage le fruit. Or, l’arbre des philosophes est le mercure végétal ; la Rose est donc l’efflorescence de la sève métallique mise en mouvement par le feu extérieur, qui excite le feu interne des corps. Mais les Sages parlent de deux feux différents dévolus à cette fonction. Le disciple doit donc penser qu’il existe, en dehors du feu naturel, un autre agent ainsi dénommé, et ce feu secret est le ferment des métaux, qui joue dans le travail un rôle analogue à celui du levain dans la pâte du boulanger. Mais que l’adjonction de ce nouvel élément ne trouble pas la pensée du fils de science. De même que le levain est fait de farine et d’eau acidifiés, le ferment des métaux est un produit du soufre et du mercure, amenés par l’art à l’état convenable. Les proportions sont analogues à celles employées pour la panification.
Notre planche nous montre une seconde rose plus petite, et une troisième encore moindre. Y aurait-il plusieurs roses ? Oui et non. Il y a deux roses en principe, suivant qu’on opère pour l’or ou l’argent ; et, au fond, il n’y en a qu’une. Cependant, le Mutus Liber en présente trois, bien déterminées. C’est exact ; mais elles sont filles l’une de l’autre, c’est-à-dire à trois puissances différentes. Dans le régime de la coction, Philalèthe enseigne qu’on obtient d’abord la rose blanche, qu’il nomme la lune ; la rose jaune ou safran ; la rose rouge ou parfaite. Nous n’employons pas la terminologie exacte de cet auteur ; mais nous parlons assez clairement pour nous bien faire entendre.
L’obtention des roses est subordonnée à la putréfaction. La putréfaction donne lieu à une succession de couleurs. La première est la noire ; elle est la clef des autres. Pas de noir, point de putréfaction ; et sans putréfaction, nulle transformation. Si semblable accident venait à se produire, c’est que les matériaux mis en contact n’ont pas les qualités voulues ou sont mal préparés. Voir Philalèthe pour le reste et n’en prendre que le fin.
La septième planche est très importante, mais elle est difficile à comprendre. Nous retrouvons ici les quatre petits triangles qui indiquent les rapports déjà expliqués ; mais nous arrivons à une opération délicate, car c’est ici que Saturne dévore son enfant.
On connaît la fable de Saturne et de Jupiter. Qu’est-ce que Saturne et qu’est-ce que Jupiter ? La nomenclature chimique, qu’on trouve chez les auteurs, vous fera connaître à quels métaux conviennent ces deux noms. Mais nous ferons remarquer, en toute conscience, que le Saturne et le Jupiter des Sages ne sont pas les mêmes que ceux des chimistes profanes. Qu’on y prenne garde, et que l’on n’aille pas faire de la soudure de plombier ou de ferblantier. Nous ne travaillons pas sur des produits bruts, et encore qu’ils soient tous empruntés à la famille des métaux, ils ne sont propres à l’œuvre qu’après avoir subi une préparation qui les rend « philosophiques ».
Si l’on adopte la voie humide, on procédera selon l’art en mettant en contact nos deux éléments, de telle sorte que l’un absorbe l’autre, ce qui donnera un produit nouveau qui tiendra des deux, sans qu’il soit possible désormais d’en faire le départ, du moins de manière chimique. La voie sèche suppose, évidemment, une combinaison obtenue par un procédé adapté à la nature des corps. Mais qu’on ne mélange pas les deux voies : les liquides s’unissent aux liquides, et les solides, aux solides.
Dans cette opération, le feu joue un certain rôle. Une des figures représente Saturne croquant son fils au milieu d’un brasier. Il faut prêter ici la plus grande attention aux discours des philosophes. Celui-ci assure que le feu élémentaire est le destructeur des corps, et que leur fusion en volatilise l’âme ; celui-là déclare que les Sages brûlent avec l’eau, mais prohibent en même temps les liqueurs corrosives, telles que les acides. Le disciple se trouve donc enfermé dans un cercle vicieux, dont il lui est fort difficile de sortir à son avantage. Il faut prendre la moyenne des deux doctrines pour les accorder ensemble. Il est une eau qui renferme le feu du Ciel ; c’est la rosée, ou flos caeli, que nous avons vu épreindre dans une planche précédente. On sait que la rosée renferme un principe acide qui brûle à la lettre. Les objets soumis à son action ne tardent pas à tomber en poussière. Nous devons faire observer, cependant, que la rosée philosophale diffère, en réalité, de la rosée commune. Elle est, néanmoins, formée des véritables pleurs de l’Aurore unis à une substance terrestre, qui est le sujet de l’œuvre.
Lorsque Saturne a accompli son horrible festin, on doit, dit Philalèthe, faire passer sur lui toutes les eaux du déluge, non pas de manière à le noyer, mais à corriger les effets d’une digestion laborieuse en éliminant les toxines résultant de la fermentation. C’est ce qu’on appelle « blanchir le nègre ». L’opération est rude, mais efficace, si l’on y persévère, car il faut s’y reprendre à plusieurs fois. Ce lavage à grande eau dépouille le corps de ses impuretés, en corrige les humeurs et le rend dispos pour les opérations subséquentes. On le distille alors hermétiquement afin de n’en rien perdre ; on en précipite le sel qui se présente en petits cristaux très hygrométriques, et qu’on doit soustraire aussitôt aux influences de l’air. C’est pourquoi on l’enferme, comme le montre une autre figure, dans un flacon bouché à l’émeri et qu’on tiendra en réserve.
La huitième planche nous fait voir le mercure des philosophes réalisé, tandis que la planche deux n’en présentait que les éléments constitutifs. Il est le produit du Soleil et de la Lune qui sont à ses pieds. Les aigles volent autour de lui parce qu’on lui fait subir dans le matras les sublimations nécessaires, ce qui est indiqué au bas de la planche par l’athanor où l’on a mis l’œuf à incuber.
Le mercure des philosophes, animé et sublimé selon les règles, doit circuler longtemps dans le vase avant de produire les heureux effets qu’on attend de lui. Mais il y a plusieurs mercures dans l’œuvre, et Philalèthe en signale un second, tout particulièrement, sous le nom de lait de vierge. Celui-ci diffère du premier en quelque chose, bien qu’ils soient tous les deux de même essence. Philalèthe, Ripley et d’autres vont jusqu’à dire qu’il s’agit du mercure commun. Basile Valentin, au contraire, le bannit avec malédiction. Certains ont cru que le lait de vierge pouvait être obtenu par une combinaison des deux. Nous connaissons un artiste qui a réalisé ce tour de force pour le plaisir de vaincre la difficulté, sans prétendre en tirer d’autre conséquence. Nous sommes donc en mesure de certifier l’opération comme réalisable, ce qui n’implique pas que nous adhérions à son emploi dans la pratique. Il faut accueillir avec la plus grande réserve tous les noms bizarres imposés par les philosophes à certains ingrédients. Ces différentes épithètes ne servent qu’à déguiser la suite des opérations. De telle sorte que le même produit, suivant qu’il est ou n’est pas exalté, porte tel nom ou tel autre. Et il est vrai, après tout, que l’alcool, bien qu’extrait du vin, en diffère et par le nom, et par l’aspect, et par la puissance, et par les effets, de même que le vin diffère du raisin, d’où il est tiré…
La neuvième planche nous ramène au flos caeli. Pourquoi ce retour, et à quoi bon y recourir de nouveau, puisque nous nous en étions approvisionnés ? Ce n’est pas que l’auteur du Mutus Liber veuille nous renvoyer à la campagne pour en avoir d’autre ; mais il était bien obligé d’en répéter le symbole, du moment que cet agent céleste doit entrer dans une nouvelle combinaison.
Nous voyons, dans une des figures de cette planche, Mercure en train d’acheter un pot de cette eau divine à une paysanne. C’est donc qu’il en a besoin pour quelque usage. Philalèthe prescrit, effectivement, de laver le mercure à plusieurs reprises, de façon à lui faire perdre une partie de sa nature huileuse. Il décrit soigneusement cette opération, qui s’accomplit avec l’eau céleste portée à une certaine température, modérée néanmoins, car il faut un rien de trop de chaleur pour que la partie ignée du flos Caeli reprenne le chemin des astres. Philalèthe est un grand maître, sa parole fait autorité et il présente le travail avec une ingénuité si convaincante qu’aucun soupçon de fraude ne saurait vous effleurer. Mais nous devons éventer ici une ruse : Cet auteur a confondu à dessein, dans son ouvrage, la voie sèche et la voie humide. Ce serait donc un tort d’appliquer à une technique ce qui convient à l’autre. Mais, cette remarque faite, nous reconnaissons que l’esprit astral joue un rôle permanent dans les opérations.
Et puisque nous employons la locution de Cyliani, arrêtons-nous aux interprétations invraisemblables auxquelles ce terme assez récent a donné lieu. Des écrivains d’hier ont vu dans cet esprit astral une émanation magnétique de l’opérateur. D’après eux, il faudrait, pendant une période déterminée, subir un entraînement physique et moral, pour pratiquer avec succès cette sorte de fakirisme ou de yoga. La force du produit doit être proportionnelle à la puissance du fluide, de telle sorte que la poudre de projection obtenue multiplie à 100, 1000 ou 10 000, etc., suivant le potentiel de l’artiste. Ces fantaisistes prétendent ainsi imprégner la matière d’esprit astral comme on charge un accumulateur d’électricité. Voilà où mène l’analogie mal entendue et appliquée à tort et à travers. Nous ne nommerons pas ces théoriciens singuliers dont la sincérité est respectable ; mais nous devions signaler le fait pour mettre en garde le disciple studieux, et trop confiant, contre les lectures hasardeuses d’auteurs sans mandat et sans consécration, qui n’ont jamais produit que des livres, mais passent dès lors pour des Maîtres.
La dixième planche représente la conjonction. La première figure expose, dans les plateaux d’une balance, d’un côté, le sel indiqué par l’étoile, de l’autre le soufre désigné par une fleur qui, avec le cœur, forme sept pétales. Ce sont les proportions du rapport. Un homme verse sur cette fleur un liquide enfermé dans un flacon. C’est le mercure. Il tient, de l’autre main, un autre récipient plein d’esprit astral pour l’utiliser selon le cas. La femme place tous ces produits dans un matras à long col ; mais qu’on se rappelle ici ce que nous avons dit du rôle de la femme dans l’œuvre : les deux agents personnifiés de la sorte sont les matières elles-mêmes, et les divers accessoires qui les accompagnent déclarent leur état d’exaltation.
A la seconde rangée, l’artiste scelle le matras au sceau d’Hermès. Il en présente le col à la flamme d’une lampe, de manière à ramener le verre à un état pâteux et ductile. Il doit l’étirer ensuite avec précaution de manière à l’amenuiser au point voulu, tout en s’assurant qu’il ne se produit aucune capillarité par où pourrait s’échapper l’esprit du compost. Les choses en étant là, après avoir sectionné le verre, il en renverse sur elle-même la partie adhérente au matras pour en former un épais bourrelet. Aujourd’hui, cette opération s’exécute très facilement au gaz, à l’aide du chalumeau. Quelques praticiens, d’une habileté consommée, emploient un procédé automatique d’une plus grande perfection. Enfin, quel que soit le moyen adopté, l’on place ensuite l’œuf dans l’athanor et la coction commence.
Nous ne dirons rien de l’athanor. Le Mutus Liber en présente la forme et les dispositions intérieures. Philalèthe le décrit soigneusement. Nous n’ajouterons aux dits de cet auteur qu’une remarque importante : la construction du fourneau est en partie, allégorique, et il y a beaucoup à y apprendre au point de vue de la conduite du feu et du régime de l’œuvre. Pour ce dernier, l’Ouvrage secret de la Philosophie d’Hermès, attribué à d’Espagnet et cité avantageusement, sera utile à suivre, car on y trouve le Zodiaque des Philosophes 3.
La dernière figure de cette planche démontre que la conjonction est opérée : le Soleil et la Lune sont unis. Le travail a donné les couleurs requises. Elles sont ici synthétisées dans un cercle d’abord noir, puis blanc et enfin jaune et rouge. Le produit obtenu multiplie à dix, comme l’énoncent les chiffres.
La planche onze proclame que l’opérateur est entré dans le régime du Soleil, c’est-à-dire qu’il a obtenu l’or des philosophes, qui n’est pas l’or vulgaire. Nous avons déjà parlé de cet or mystérieux. Bien que Jupiter joue un rôle nominal dans le processus opératoire, il ne s’agit point du bisulfure d’étain, mais du véritable « or mussif » ou secret. Nous confesserons cependant, en toute vérité, que ce n’est pas un produit de la nature, mais de l’art. Des chimistes contemporains — pris indûment pour des compétences — ont cru le rencontrer dans le vitriol commun, qu’ils se flattaient de rendre philosophique. Ils ont mal entendu Basile Valentin. Le stroma de la dissolution de ce sel, considéré par eux comme un « or naissant », n’est qu’un mirage fugace et ne laisse, à l’analyse, que déception.
Un auteur, célèbre à d’autres titres et qui a joui, dans certains milieux, de quelque prestige — il nous faut nommer Strindberg pour prévenir contre ses égarements — s’est échoué dans une technique puérile et ridicule. Son Livre d’Or est une aberration qui appelait un charitable silence. Philalèthe et d’autres conseillent, à qui ignore l’or artificiel, de le chercher dans l’or vulgaire, en signalant toutefois ce travail comme long et ardu. Il faut, dans ce cas, lui faire subir des manipulations difficiles et dangereuses, car on peut transformer ce métal en fulminate, et les Mémoires du XVIIIe siècle rapportent plusieurs accidents mortels consécutifs à cette préparation. Mais si le disciple est instruit à la bonne école, il évitera cette embûche sophistique et opérera hermétiquement ; il écartera ainsi ce péril redoutable. Les maîtres savent atteindre le but en suivant d’autres voies, qu’ils se gardent bien d’indiquer, mais qui ne sont pas introuvables, si l’on raisonne avec sa raison plutôt qu’avec les livres erroneurs des Sages. « Il faut de l’or pour faire de l’or », dit l’axiome classique ; c’est juste, encore qu’il y ait deux ors différents pour mener l’ oeuvre à bonne fin. Cette planche fait voir qu’on recommence ici toutes les opérations précédentes. Il faut élever le mercure à un plus haut degré de sublimation au moyen des aigles, le redistiller pour lui donner une animation plus grande.
La planche douze nous enseigne comment on peut porter ce mercure à une échelle supérieure. Il faut, à cette fin, recommencer les imbibitions de flos cæli jusqu’à ce que le mercure, qui en est avide, en soit imprégné à saturation.
La treizième planche est une répétition de la dixième, car dans l’ oeuvre, toutes les opérations se suivent et se ressemblent ; mais cette nouvelle conjonction, qui s’opère avec des matières sublimées à l’extrême, n’est autre que le commencement des multiplications. Le travail est le même que celui de la planche dix et, dans la coction, on verra reparaître les couleurs. La durée de celle-ci décroît à mesure que la puissance multiplicative augmente, de telle manière qu’il ne faut, à la fin, qu’un jour pour obtenir le résultat qui, au début, demandait des mois. Les chiffres de cette planche donnent les puissances de transmutations obtenues par les coctions subséquentes.
La quatorzième planche est principalement consacrée à l’instrumentation. On y voit le matras scellé hermétiquement avec son bourrelet, tel que nous l’avons décrit ; le mortier et le pilon pour les broyages ; la cuillère à écrémer ; les balances pour déterminer les justes poids ; le fourneau des premières opérations avant l’emploi de l’athanor.
Nous rappelons qu’il faut entendre les broyages, la décantation, l’écrémage et tout le reste d’une manière philosophique, encore qu’une trituration, un décantage et écrémage soient positivement nécessaires pour rendre les matériaux propres au travail ; mais, par la suite, ces opérations se font d’elles-mêmes et, pour ainsi dire, automatiquement par la réaction des corps les uns sur les autres. Le disciple devra méditer profondément sur la femme à la quenouille, et la suivre avec sagacité dans ses manipulations ; elles ne sont pas indifférentes et tout y parle au vrai fils de science. Nous ne pouvons ici transgresser les volontés de l’auteur, qui témoigne de son dessein bien arrêté de laisser le symbole exprimer seul toute sa pensée. Si ces lignes tombent sous les yeux d’un Adepte, il approuvera notre réserve, qui frise pourtant l’indiscrétion. Mais, pour le surplus, qui potest capere capiat
La quinzième et dernière planche représente l’apothéose de Saturne, victorieux de son fils Jupiter qui l’avait détrôné, et gît, inerte, sur le sol. C’est la solarisation du plus vil des métaux, sa résurrection et sa glorification dans la lumière. Les deux branches d’églantier du frontispice sont chargées de baies rouges et de baies blanches remplies de semences actives dont chacune a le pouvoir de muer en or ou en argent tous les métaux impurs. De soi-disant mystiques — qui nient la possibilité de l’œuvre métallique et n’ont trouvé dans les allégories des philosophes qu’un traité d’ascèse dont ils seraient fort embarrassés d’expliquer chaque symbole — ces pseudo-mystiques voient dans cette planche une image de la résurrection de l’homme et de son retour dans la patrie céleste, et ils s’extasient béatement sur cette découverte qu’ils ne sont pas loin de considérer comme géniale.
Mais si nous redevenons pur esprit, c’est donc que notre corps en renfermait l’essence sous sa forme grossière et, dans ces conditions, on ne saurait refuser aux métaux les mêmes propriétés. L’esprit ou le feu est partout et dans tout : il gît dans le silex si froid en apparence, dans les métaux qu’on transforme en fulminates inflammables et détonnants au moindre choc. Or, la transmutation est un phénomène qui fait passer l’espèce, du plan inférieur au plan supérieur, au moyen d’un agent spirituel, véritable semence nommée poudre de projection. Ce produit merveilleux s’obtient par la mort et la putréfaction réelles d’une substance métallique, laquelle, transfigurée, a la propriété de modifier à son tour les êtres de sa nature. Ceux-ci, sous son action, subissent de même une mort et une résurrection promptes, qui les élèvent à leur plus haut degré de dignité. Les Hermétistes comparent cette transformation à celle du blé. Le grain se corrompt dans la terre, s’assimile les éléments grossiers du sol et, par le travail d’une longue digestion, les mue en pur froment dans le rapport de cent pour un. Cette digestion est plus ou moins activée par l’ambiance. Dans certains climats, la moisson a lieu trois mois après les semailles, et sous le tropique, la végétation a quelque chose de presque instantané. Il est donc tout à fait rationnel qu’un ferment doué d’une grande puissance et projeté dans des corps soumis à une température élevée, puisse les faire évoluer avec une rapidité qui tient du prodige.
L’évolution est la loi de la vie : le minéral devient végétal et le végétal animal, par voie d’intussusception ; mais ce transit est subordonné à la médiation d’un agent extérieur, plante ou bétail. Si donc les métaux sont admis de la sorte à passer d’un règne dans l’autre, avec l’aide d’un élément approprié, il est plus logique encore qu’un certain or parfait et quintessencié, ramené à son état radical et spermatique, ait la vertu d’exalter et de convertir en lui-même ses homogènes. N’est-ce pas ainsi que le germe humain, en gestation, assume et transforme la substance des êtres d’une origine moins noble ? La nutrition est une métamorphose continue. De même que, dans les trois règnes, tout converge vers l’homme, dans les minéraux, tous aboutissent à l’or. Mais il n’en faut point déduire que la nature, à la longue, fasse de l’or avec du plomb. Elle a besoin, pour cet effet, du secours de l’art, c’est-à-dire du ferment magique qui en opère la transmutation.
L’or est appelé le soleil, car, en grec, aur est la lumière ; il est le ciel des métaux, la spiritualisation de l’espèce. Les métaux deviennent donc or comme, à certains égards, notre corps devient esprit par le travail de la fermentation posthume. La putréfaction, nauséabonde et hideuse, est pourtant la prestigieuse fée qui opère tous les miracles du monde. C’est une grossière erreur de croire que, chez l’homme, l’âme abandonne le corps avec le dernier souffle. Elle est elle-même entièrement chair, car la matière est une modalité de l’esprit à différents états sous la dépendance d’une étincelle majeure et plus subtile, qui est le Dieu de chaque organisme et si la Science nie la réalité de l’esprit parce qu’elle n’en a jamais trouvé trace, elle déshonore son nom. Un cadavre, rigide et glacé, n’est nullement mort au sens absolu. Une vie intense, mais inconsciente heureusement et sans réflexes sensibles, continue dans la tombe, et c’est de cet horrible et plus ou moins long combat — qui est le Purgatoire des Religions — que la matière, distillée, sublimée, transmuée et vaporisée par l’action du Soleil, s’élance dans le plan amorphe, qui a ses degrés depuis l’air jusqu’à la lumière élémentaire et de celle-ci au feu principe où tout finit par se résoudre et d’où tout émane à nouveau.
Nous croyons avoir accompli notre tâche avec toute la probité requise, et fait luire quelques clartés nouvelles dans un domaine obscur. Au disciple, maintenant, de parachever l’oeuvre. Quant à ceux qui prétendent acquérir la Sagesse sans mérite et seulement de quelque obole vile, et méprisable, nous leur disons, comme le saint Jérôme de la légende au riche et désœuvré Cratus : « La Philosophie ne vous est pas idoine ».
Pour vous, fils de Science, souvenez-vous du signe éloquent que vous adressent les figures terminales de la quatorzième planche, et de la glose qui clôt le Mutus Liber : Si vous avez compris, travaillez dans le silence et fermez quelque temps encore la bouche sur le Mystère.
Plus sur le sujet :
Le Mutus Liber par Magophon 2 (seconde partie).
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