De L’Antiquité de la Sorcellerie

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De L’Antiquité de la Sorcellerie un article de Dave Evans.

Le rôle de Margaret Murray dans l’agitation des eaux boueuses de l’histoire de sorcellerie

Dans cet article, nous allons tenter de cerner la place et le rôle controversés de Margaret Murray dans l’appréhension du courant historique de la sorcellerie. En bref, l’approche de Murray a été, disons, « folklorique » ; elle a utilisé toutes les preuves disponibles livrées par l’Histoire, les anecdotes, la Mythologie, et les coutumes populaires pour asseoir son postulat quant à l’existence d’une chaîne ininterrompue dans les croyances et pratiques sorcières basées sur un culte de la fertilité pré-chrétien dédié à la Déesse Diane et qui aurait perduré jusqu’à nos jours.

Les conclusions de Murray ont été dernièrement sujettes à de sévères critiques, à la fois au niveau factuel et au niveau méthodologique, et il a été affirmé que ces critiques retiraient toute valeur académique à ses travaux.

Cependant, durant les cinq ou six décennies s’étant écoulées entre la publication de ses œuvres et le dénouement professionnel qui découlât de cette affaire pour Murray, force est de constater que ses livres furent considérés comme articles de foi par les sorcières et qu’ils ont sans aucun doute permis l’émergence de ce qui est aujourd’hui la sorcellerie moderne. Il a également été dit que le travail de Murray n’était pas vraiment original et qu’elle empruntait nombre de ses idées à des auteurs antérieurs.

Antiquité de la Sorcellerie
Margaret Murray. Image extraite du site Luna Wicca.

En 1915, Murray était une femme entre deux âges, très respectée par les égyptologues suite à la publication de plusieurs travaux académiques sous son propre nom (ce qui était très inhabituel à cette époque dans ces disciplines). En raison de la fermeture partielle des frontières, pendant et après la Première Guerre Mondiale, elle fut contrainte de poursuivre ses travaux sans pouvoir désormais se rendre en Égypte et finit par se résoudre à chercher de nouveaux terrains de recherches moins éloignés ; elle choisit donc le folklore et la mythologie européenne.

Au moment de la rédaction de son premier livre consacré à la sorcellerie, The Witch Cult in Western Europe (Le Culte Sorcier en Europe Occidentale), des facteurs secondaires attiraient déjà la société cultivée anglaise dans cette direction. Parmi ces facteurs un renouveau de l’intérêt pour tout ce qui touchait à l’occulte émergea avec la création de nombreuses loges magiques, de séances de spiritisme et de gourous orientaux. Aleister Crowley et ses aventures/scandales faisaient souvent la une et plusieurs histoires mytho-magiques naquirent lors de la guerre en France, notamment l’histoire (fictive) de Machen sur les « Archers Mystiques de Mons ».

La psychologie jungienne naissante, avec sa notion d’inconscient collectif sous-jacent à toute l’humanité, pourrait également avoir participé à la volonté de Murray de démontrer l’existence d’un courant commun et antique. En 1923 fut découverte la tombe de Toutankhamon qui est sans conteste l’une des découvertes historiques les plus importantes. Cela dut être très frustrant pour l’égyptologue professionnelle qu’était Murray, d’être coincée en Angleterre, alors qu’Edward Carter retirait toute la gloire, ce qui la stimula peut-être à faire ses propres découvertes, quelles qu’elles pussent être.

Murray avait également connaissance des travaux anthropologiques de Sir James Frazer, qu’elle connaissait personnellement. Le tout premier chapitre du Rameau d’Or traite de la place de Diane dans les mythes et la magie.

Montague Summers, parfois décrit comme « un fanatique du XVIe siècle dans le corps d’un fondamentaliste du XXe », défendait l’idée moyenâgeuse de cercles de sorcières sataniques ayant de tout temps existé. Et s’il critiqua Murray, ce fut moins pour sa théorie de la survivance d’un culte sorcier, mais plutôt parce qu’elle voyait ce culte comme une « religion joyeuse ». Auparavant, dans les années 1860, l’historien français Michelet avait soutenu l’hypothèse d’une réalité du Sabbat, qu’il voyait davantage comme une occasion de distraction pour des paysans désœuvrés que comme démoniaque per se.

Le monde littéraire contemporain de Murray était plein des écrits des anciennes civilisations, de magie et de mystères – tout comme celui de Bulwer-Lytton et Blavatsky. Les vers hautement mystiques de Yeats se situaient eux-mêmes dans la continuité d’une longue tradition poétique d’écrits sur l’univers magique, et le nouveau médium qu’était le cinéma traitait d’histoires fantastiques et d’horreur ; on y voyait les premiers films de vampires, et des productions sur le Vaudou et les Zombies d’Haïti.

Tout ceci nous montre que les idées de Murray ne sont pas apparues ex nihilo – la magie était certainement « dans l’air » à l’époque. Fait important, Aradia de Leland, publié en 1899, exprimait déjà le besoin pressant d’une étude historique et académique du sujet : « Il n’y a jamais eu le moindre intérêt pour l’étrange univers des sorcières, ni aucune preuve qu’il ait embrassé une quantité incroyable de mythes antiques et de légendes mineures du monde romain ».

Et, comme précurseur direct de Murray : « la sorcellerie est connue de ses sectateurs comme la vecchia religione, ou l’ancienne religion, dont Diane est la Déesse ».

Si Murray a eu connaissance du livre de Leland elle n’en fit jamais mention dans ses bibliographies ; cependant, le travail de Leland est précurseur des théories de Murray bien que lui-même ne mentionne pas Frazer.

L’idée d’un antique lignage occulte n’était donc pas nouvelle, mais les temps étaient mûrs pour une étude académique du sujet.

Les travaux de Murray manifestaient une ambition encyclopédique, formant un modèle universel et éternel, malheureusement très dogmatique, pour la sorcellerie. Malgré tout, des années 20 jusqu’aux années 50, Murray fut célébrée en tant que personnalité académique d’importance et ses livres furent des best-sellers ce qui était très inhabituel pour des travaux universitaires à cette époque.

En 1936, Gérald Gardner entrait en scène. Ayant travaillé durant un temps en Extrême-Orient, il rentra en Angleterre avec une expérience de la Franc-Maçonnerie, du Bouddhisme et du Chamanisme tribal. Il fut bientôt initié par une sorcière héréditaire « réputée » et s’impliqua fortement dans la « Société du Folklore », travaillant directement avec Murray comme coauteur de revues.

En 1954, Murray rédigea la préface de son livre sur la sorcellerie pratique, bien qu’elle fut alors très âgée et qu’il soit probable qu’elle n’ait même pas lu ce que Gardner écrivait sur les sorcières modernes. Ses collègues la voyaient plutôt comme une chrétienne sceptique, mais elle ne dédaignait pas jeter ses propres sorts, y compris un sort maléfique sur un collègue déplaisant.

Son article sur la sorcellerie dans l’Encyclopedia Britannica restera un texte de référence de 1929 jusqu’à 1969.

Le point de vue de Crowley sur le sujet demeure ambivalent – comme beaucoup de ses écrits à propos de tout et de rien. Il considérait la sorcellerie comme « illusoire », tout en écrivant des rituels poétiques pour Gardner, initié mineur de l’O.T.O. de Crowley. Quant à Murray, elle considérait erronément que Crowley n’était qu’un simple démonologue, à la façon de Montague Summers. À la lecture des journaux intimes méticuleux de Crowley, il semble peu probable que lui et Murray se soient jamais rencontrés et j’ai été incapable de trouver le moindre commentaire dans ses écrits à propos de Murray.

Plusieurs historiens contemporains ont réexaminé les recherches de Murray et les ont trouvées peu fiables. Les sources en auraient été compilées de manière très sélective, de façon à en altérer la signification afin de servir les buts de l’auteur. Elle aurait ainsi omis plusieurs termes essentiels dans une citation, transformant une charmante histoire populaire sur les fées, afin de la faire coller à sa théorie du sabbat des sorcières ; de la même façon, l’idée de sorcières œuvrant dans des covens de 13 membres vient d’une source unique et très controversée appartenant aux comptes-rendus d’un procès en Écosse. Plus tard, Murray cherchera toutes les références au « treize » afin d’étayer cette notion, manipulant souvent les occurrences de ce nombre pour qu’elles collent à sa théorie.

L’universitaire américain Kittredge se montrera particulièrement acerbe, démolissant l’idée d’une universalité du sabbat en montrant, par exemple, qu’il ne s’y trouve aucune référence dans les procès en Angleterre.

Murray invoquait la similarité des témoignages de sorcières dans les comptes-rendus de procès comme étant la marque d’un système de croyances cohérent et durable ; alors qu’aujourd’hui ces ressemblances sont plutôt perçues comme une preuve de la cohérence du système utilisé par les inquisiteurs pour conduire la question, qui était dans la lignée des questions fermées modernes : « pensez-vous que les meurtriers devraient être pendus ou fusillés »… ce qui présuppose énormément de la réponse et interdit toute prise de position dans le débat sur la peine capitale ou concernant la définition du terme « meurtrier ».

De la même manière dans les interrogatoires de sorcières on leur demandait sans cesse, à propos de tout et de rien, quand elles avaient eu leur dernière relation charnelle avec le démon, sans leur demander au préalable si elles en avaient jamais eu, ce qui ôtait toute possibilité de dénégation des faits reprochés…

Le travail de Rose, tout particulièrement, permit de démonter les thèses de Murray et son statut d’autorité dans le domaine. Il expose un certain nombre d’erreurs historiques élémentaires utilisées afin de conforter la théorie de la déesse Diane.

Plus tard, Cohn acheva de faire chuter Murray de sa position universitaire en exposant de façon détaillée la manière dont les citations étaient sélectionnées et déformées dans son œuvre, puis en proposant une lecture plus crédible et plus objective de la figure de la sorcière comme bouc émissaire de la société.

Après que la réputation universitaire de Murray ait été ouvertement discréditée, il y eut quelques nouveaux remous dans cette histoire. Le premier, et le plus académique, advint lorsque Ginzburg découvrit des documents concernant les traditions d’un groupe héréditaire d’occultistes appelés les benandanti dans l’Italie moderne, ayant apparemment des points communs avec les pratiques chamaniques des sorcières dans le monde eurasiatique. Ce postulat d’une source eurasienne pourrait avoir été coloré par les origines juives de Ginzburg, de la même façon que Murray désirait y voir une origine européenne, voire britannique.

Les benandanti se considéraient comme les ennemis magiques d’un groupe de sorcières maléfiques, ce qui ne les empêcha pas d’être jugés et exécutés pour sorcellerie.

Ginzburg reste équivoque quant au soutien que ses découvertes pourraient offrir à la thèse générale de Murray, mais, ces éléments vont dans le sens d’une part de vérité possible dans les travaux de Murray, ne serait-ce que par ses conclusions selon lesquelles une forme de culte héréditaire, dont les membres prétendaient descendre d’un groupe occulte beaucoup plus ancien, était présente dans l’ancienne Italie.

Pour Ginzburg, le « tripatouillage » systématique des données par Murray demeure un vice fatal et, de là, il ne semble en accepter que les informations concernant les mythes païens. Il souligne également le vide de plusieurs siècles durant lesquels on ne décèle aucune expression du stéréotype sorcier. Ce qui est assez surprenant si l’on accepte l’idée d’un culte conforme aux idées de Murray. Cet argument sera repris par Hole qui émettra des réserves concernant la persistance d’un culte ayant survécu sans aucune ressource ou structure connue, à presque douze siècles d’une opposition chrétienne puissante et structurée.

Le second remous vint de l’auteur soufi Idries Shah. Il est possible que le Soufisme soit antérieur à de nombreux courants religieux et occultes dans la région eurasienne. Or, Shah soutient que la sorcellerie dérive de pratiques qui se sont développées, il y a plus de 1200 ans, dans les régions qui sont aujourd’hui l’Afghanistan et l’Iran, et que nombres des pratiques modernes (elles-mêmes venues de, ou via, Gardner, Leland et Murray) sont très similaires aux opérations rituelles soufies. Il est difficile de savoir si Shah lui-même est une source fiable ; il semble, par ailleurs qu’il ait été également le « nègre » de plusieurs auteurs occultistes.

Ce qui est indéniable c’est que nos sciences modernes proviennent de « l’Arabie », certaines importées dès le Xe siècle et utilisées par des pionniers scientifiques tels que Roger Bacon. Il n’est alors peut-être pas trop tiré par les cheveux de postuler un cheminement similaire où la magie serait entrée dans la conscience européenne en même temps que la connaissance scientifique. D’autant qu’à cette époque, il se peut que l’écart fût moindre que de nos jours entre les hautes mathématiques et la Haute Magie ; toutes deux pouvaient sembler tout aussi miraculeuses aux yeux des Européens de la pré-Renaissance.

E. O. Wilson a également affirmé que des formes de chamanismes devenaient avoir survécu à la Préhistoire en tant qu’artefacts de l’évolution ; cependant pas nécessairement au sein d’un système cohérent et distinct.

Un exemple fournissant une forme de soutien aux thèses de Murray est l’existence d’un groupe héréditaire en Anjou (France). En 1615, on découvrit qu’un certain nombre de familles étaient impliquées dans des guérisons magiques, dont la pratique héréditaire remontait bien au-delà de la mémoire humaine. Durant des études effectuées en 1960, on découvrit dans la même région plus d’une centaine de guérisseurs, dont beaucoup portaient les mêmes noms de famille, comme dans le document datant de 1615, et qui utilisaient comme source de leurs pratiques de très anciens livres magiques leur ayant été légués par leurs ancêtres.

Il serait sans doute trop naïf d’en conclure l’existence d’un lignage direct, mais comme Robin Briggs le fait remarquer, « dans beaucoup de régions, ces pratiques se sont révélées plus durables que le christianisme ». Une autre Briggs, une Katherine cette fois, rapporte des histoires similaires à Madagascar. L’existence de ce type de matériel étaye l’idée de Ginzburg quant à un système étendu de pratiques sorcières similaires.

Gardner et Sanders, comme beaucoup de pratiquants du XXe siècle, se réclament d’un antique lignage héréditaire sorcier. Dans les années 80, la sorcière Starhawk a reconnu le rôle central de l’imagination dans la « reconstruction » de l’histoire de la sorcellerie. D’autres insistent davantage sur un lignage prouvé et ininterrompu, une continuité de la technique et de la foi au cours des âges, en citant habituellement Murray comme preuve académique (ce qui est un argument plutôt tautologique), et bien que portant toujours le nom de « sorcellerie », la version moderne est très différente des croyances et pratiques qui peuvent avoir été communes au début de l’ère moderne en Europe. Comme Wilson et Hill le rapportent, avec le regain d’intérêt (et donc d’argent à récolter grâce à la vente de livres et d’éphémérides), on assiste aujourd’hui régulièrement à des litiges aux USA pour savoir qui détient la « véritable » filiation héréditaire.

L’approche folklorique de Murray a mis en évidence l’abondance et la diversité du matériel disponible pour les universitaires, cependant, ses conclusions ont également démontré le danger d’édicter une théorie avant de pouvoir la justifier par le traitement des données disponibles, ou de n’en faire qu’un compte rendu partial. S’il y a jamais eu un « culte des sorcières » pré-chrétien qui a pu perdurer jusqu’à l’ère moderne (et il en existe quelques signes assez ténus) alors celui-ci était probablement tout à fait différent du modèle proposé par Murray.

Son discrédit universitaire, dû aux nombreuses critiques par ailleurs tout à fait justifiées de son œuvre, n’enlève rien à la qualité inspirée de son travail et au rôle qu’elle a joué dans la création de la sorcellerie moderne. Enfin, son apport s’est avéré utile, ne serait-ce qu’en donnant un mauvais exemple qui a finalement incité d’autres chercheurs, dont Ginzburg, à améliorer le modus operandi et à étudier plus avant l’histoire de la sorcellerie par le biais de recherches sérieuses, mieux fondées et moins dogmatiques. Ceci est heureusement un processus toujours en cours.

Plus sur le sujet :

De L’Antiquité de la Sorcellerie © Dave Evans. Traduction française, Spartakus FreeMann, Libertalia, avril 2002.

Image par Enrique Meseguer de Pixabay

Bibliographie choisie

  • Hutton, R., The triumph of the Moon : a history of modern pagan witchcraft. Oxford : Oxford University Press, 1999.
  • Leland, C.G., Aradia : or the Gospel of the Witches. Aradia, 1899.
  • Murray, M. A., The God of the witches. Londres : Faber, 1934, et The witch cult in Western Europe. Londres : Oxford University Press, 1921.
  • Cohn, N., Europe’s inner demons. Londres : Penguin, 1975.
  • Gardner, G.B., Witchcraft today. Londres : Rider, 1954.
  • Ginzburg, C., The night battles : witchcraft and agrarian cults in the sixteenth and seventeenth centuries. Baltimore : John Hopkins University Press, 1983.
  • Sharpe, J. Instruments of darkness : Witchcraft in England 1550-1750. Londres : Hamish Hamilton, 1996.
  • Starhawk (Samos, M). The spiral dance : a rebirth of the ancient religion of the great Goddess. San Francisco : Harper Collins, 1999.

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