Le Mutus Liber – Planche 7 par Serge Hutin.
Ce qui en rend l’interprétation difficile est que nous y voyons tour à tour : le couple alchimique qui accomplit (en vêtements ordinaires) des opérations de laboratoire ; des scènes mythologiques (Saturne croquant son fils au milieu d’un brasier) ; un épisode rituel.
Du point de vue des opérations de laboratoire, les quatre premières figures ne présentent – on le constatera – aucune difficulté : il s’agit de manipulations diverses accomplies par l’alchimiste et sa compagne lors des opérations qui mènent à la réalisation du Grand Œuvre.
Ce sont les trois dernières figures, celles de la partie inférieure, qui sont, elles, délicates à interpréter. La partie de gauche représente le dieu Saturne s’apprêtant, au milieu d’un brasier, à dévorer son fils. D’une part, il s’agit d’une étape capitale dans les opérations de laboratoire (celles du procédé de la « voie humide »).
MAGOPHON écrit : « Il est une eau qui renferme le feu du Ciel ; c’est la rosée, ou flos coeli, que nous avons vu épreindre dans une planche précédente. On sait que la rosée renferme un principe acide qui brûle à la lettre. Les objets soumis à son action ne tardent pas à tomber en poussière. Nous devons faire observer, cependant, que la rosée philosophale diffère, en réalité de la rosée commune. Elle est, néanmoins, formée des véritables pleurs de l’Aurore unis à une substance terrestre qui est le sujet de l’Œuvre. »
Les deux dernières figures continuent ce symbolisme opératif spécial : lorsque Saturne – continue MAGOPHON – a accompli son horrible festin, on doit, dit Philalèthe, faire passer sur lui toutes les eaux du déluge, non pas de manière à le noyer, mais à corriger les effets d’une digestion laborieuse en éliminant les toxines résultant de la fermentation. Ce lavage à grande eau dépouille le corps de ses impuretés, en corrige les humeurs et le rend dispos pour les opérations subséquentes. On le distille alors hermétiquement afin de n’en rien perdre ; en précipiter le sel qui se présente en petits cristaux très hygrométriques, et qu’on doit soustraire aussitôt aux influences de l’air. C’est pourquoi on l’enferme dans un flacon bouché à l’émeri et qu’on tiendra en réserve.
D’autre part, on peut retrouver dans cette figuration – en nous souvenant que c’est l’homme lui-même qui est en fait le sujet principal de l’œuvre – le symbolisme tantrique du « pot mis à cuire », c’est-à-dire de notre nature matérielle qui doit être totalement purifiée, sublimée.
La toute dernière figure est, elle aussi, mais uniquement en partie, symbolique : l’alchimiste ne sacrifie pas un enfant de chair ! mais l’homme qui s’engage sur la voie d’une union tantrique doit le plus souvent « sacrifier son fils » c’est-à-dire renoncer à avoir une postérité charnelle : de par sa nature même une telle union ne peut procréer [1].
Mais la scène n’est pas seulement symbolique : elle semble nous décrire une autre phase du rituel privé accompli par le couple d’initiés. Les deux époux sont – à cette phase – dépourvus de vêtements, la femme ne portant alors que son diadème lunaire par-dessus son écharpe rituelle. L’homme brandit le sabre de la main droite, tandis que son épouse lui présente de la même main, une fiole constellée d’étoiles.
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Plus sur le sujet :
Serge Hutin, Le Mutus Liber – Planche 7, extrait de Commentaires sur le Mutus Liber, éditions Le Lien, 1966.