Robert Fludd, son oeuvre et sa pensée par Spartakus FreeMann.
Nous nous proposons au sein de cet article de présenter un des personnages les plus brillants de son temps dans les matières scientifiques, mais qui était aussi, selon le climat intellectuel de l’époque un hermétiste, un kabbaliste et un alchimiste à la recherche des mystères de l’Univers et de Dieu. Théosophe par ses écrits, on le rattache volontiers, et même parfois abusivement, au courant rosicrucien naissant. Ses écrits influenceront nombre d’occultistes du XIXe siècle et on le cite souvent comme source au sein de certaines sociétés initiatiques.
Tentons donc de dresser une image aussi fidèle que faire se peut de ce personnage et de ses idées…
Sa Vie
Robert Fludd est né à Milgate House, en Angleterre, au cours de l’été 1574. Son père était un grand personnage lié à la cour d’Élisabeth. Il est élevé dans la religion de ses parents, l’anglicanisme. En 1591, il entre, à l’âge de 17 ans, au sein du Saint John’s College d’Oxford. Il y est un étudiant zélé et travailleur dans les domaines de la théologie, de la philosophie, des mathématiques, de la littérature classique et orientale et des sciences physiques.
Entré en contact avec des hermétistes fréquentant le collège, il se met bientôt à dévorer tous les ouvrages de tendances hermétiques, kabbalistiques et alchimiques qu’il peut trouver.
Fludd étudie finalement la médecine et à la fin de ses études, il entreprend un voyage de six ans sur le continent qui le mène en France, en Espagne, en Italie, en Allemagne… Ce voyage lui permet d’entrer en contact avec nombre d’esprits éclairés de son temps. À Rome, il rencontre l’humaniste et ingénieur Greuter, au contact duquel, Fludd connut la « poudre de sympathie » dont il fera un si grand usage dans sa pratique médicale.
De retour en Angleterre, il entre au Christ Church College et en 1605, il obtient le grade de Docteur en Médecine tout en continuant à lire les ouvrages des alchimistes, kabbalistes et hermétistes. Il entretient des correspondances avec les plus grands hermétistes de son temps et cherchera à la fin de sa vie à entrer en contact avec les Rose-Croix, mais sans succès semble-t-il.
Fludd rencontre Michael Maïer en 1614 lors d’un voyage de celui-ci en Angleterre. On pense qu’il rencontra aussi l’alchimiste rosicrucien Morsius venu en Angleterre après le synode de Dordrecht de 1619.
De 1617 jusqu’à la fin de sa vie, Fludd ne va pas arrêter de publier des ouvrages dans les matières scientifiques ou hermétistes : traités d’astrologie, de médecine, d’alchimie, des écrits à la portée théosophique dans la veine de Jacob Böhm… Il puise son inspiration et la matière de base de ses oeuvres dans les divers livres de la Bible, chez les penseurs antiques et médiévaux : Roger Bacon, Arnauld de Villeneuve, Paracelse, Agrippa de Nettesheim, Reuchlin, Trithème… Il s’inspire également des ouvrages de la Kabbale, de Pic de la Mirandole, et des écrits attribués à Zoroastre. Pendant ses études, il a lu toutes les oeuvres de Platon, surtout le Timée qui l’influencera profondément, mais aussi Pythagore, Empédocle et Héraclite.
La Philosophie de Robert Fludd
Pour Fludd, deux principes se disputent la possession de l’univers : Dieu et le Diable. Il y a ainsi deux royaumes qui sont en lutte perpétuelle. Si l’existence de Dieu ne fait aucun doute pour Fludd, il s’interroge toutefois quant à sa nature : Dieu est-il palpable, présent dans notre sphère physique ou bien est-il en dehors du monde ? Le Dieu que propose Fludd est un dieu qui s’exprime par le fini et le créé mais gardant toute sa transcendance, caché aux hommes et infiniment bon. La position de Fludd est que Dieu et sa création ne font qu’un, le monde étant un reflet de la divinité. Ainsi, même si dieu et le monde sont deux aspects d’une même réalité, on peut les distinguer comme « incréé » et « créé », la « natura naturans » (principe) et la « natura naturata » (chose principiée).
Selon Fludd, la connaissance hermétique est une connaissance qui ne s’obtient que par l’illumination divine transcendant la raison. Cette science est, avant tout, science de Dieu, « Théosophia » et ainsi l’hermétiste qui est en communication avec Dieu, puise à la source même de toutes Vérités et de toutes Sagesses.
La vraie Sagesse est d’origine céleste et si nous nous plaçons d’un point de vue chrétien, le Christ en est donc l’incarnation. Avant la chute, le premier homme avait une connaissance intuitive parfaite de Dieu et de l’Univers. Cette connaissance préserva en Adam une étincelle de lumière en lui qui lui donnait la connaissance du secret des choses terrestres et divines. Cette sagesse sera transmise de génération en génération et, c’est ainsi qu’une suite ininterrompue d’Illuminés, dévoués aux Mystères, aboutit jusqu’à nous. Nous retrouvons cet enseignement de Fludd dans les écrits de Martines de Pasquallis et jusqu’aux martinistes modernes, dans la théorie de la réintégration divine. Car cette Sagesse doit permettre à l’homme de désir de pouvoir retourner à la Source Première du Tout…
« Il y a, caché en l’homme, un trésor tellement remarquable et merveilleux que les sages ont estimé que la parfaite sagesse consiste pour lui à se connaître, c’est-à-dire à découvrir le mystère secret qui se cache réellement au-dedans de lui. L’homme est le centrum et miraculum mundi, le centre et le miracle du monde, qui contient en lui-même les propriétés de toutes les créatures, aussi bien célestes que terrestres. Vraiment, Dieu n’aurait pu choisir meilleure demeure qu’en lui. Par conséquent, dans notre réflexion et dans nos recherches concernant un si grand Mystère, il nous faut procéder avec le plus grand jugement, en partant du visible pour aller vers l’invisible, ou en partant de l’homme extérieur pour pénétrer dans son être intérieur, secret et mystique. »
Fludd nous dit que les Hébreux, seuls au départ, étaient les dépositaires de cette Tradition Secrète, mais celle-ci fut transmise aux Sages de l’Inde, de la Perse, de la Chaldée et de l’Éthiopie : Zoroastre, Bouddha, Hermes Trismégiste et Orphée en furent des Grands adeptes apparents. Quant aux philosophes de la Grèce antique, ils ont participé à cette Tradition en suivant les enseignements des Sages de l’Orient via l’Égypte.
Le plus grand de tous ces Sages fut, sans conteste, Moïse qui, après avoir été initié en Égypte, bénéficia de la révélation divine directe sur le Mont Sinaï et la transmit à son tour à son peuple.
Dieu, par le sacrifice de son fils, consacra définitivement cette Sagesse et ainsi, la Croix symbolise la sagesse divine mystique. Par les Évangiles, Jésus a établi un nouveau Collège initiatique et les Rose-Croix sont les dépositaires de cette sagesse divine.
Il y a aussi deux Églises : l’Église interne dont la Loi est le Christ et l’Église externe qui n’en est que le reflet. C’est sur cette dernière que se sont fondées les diverses branches de la religion chrétienne, mais aussi toutes les religions du monde entier qui ne diffèrent que par leurs cérémonies et leurs rituels.
Le Christ a dit : « Je bâtirai mon Église sur cette Pierre ». Fludd nous explique qu’il ne s’agit pas d’une pierre matérielle ni d’une personne, mais du Christ lui-même et de l’humanité transmutée par la communication de la Sagesse d’en-haut. Cette régénération est annoncée par l’alchimie rosicrucienne : le métal impur sera transmuté en or et l’homme recouvrera son état primitif.
Quelques remarques s’imposent ici quant aux Rose-Croix. La Rose-Croix, en tant que mouvement apparent, naît au début du XVIIe siècle avec la publication des Manifestes entre 1614 et 1615 : L’Allgemeine und General Reformation, la Fama Fraternitatis et les Confessio Fraternitatis. Rapidement, les hommes d’esprit de ce siècle tentent d’entrer en contact avec ces fameux Rose-Croix, Descartes ira les chercher jusqu’en Allemagne, en vain semble-t-il, et bien vite, des scientifiques tels Newton ou Elias Ashmole se verront étiqueter comme Rose-Croix. Fludd n’échappe pas à ce que l’on appellerait aujourd’hui un phénomène de mode et se met à écrire ouvrage sur ouvrage afin d’entrer en contact avec eux. Serge Hutin soutient d’ailleurs la thèse que Fludd est devenu Rose-Croix lors d’un voyage en Allemagne vers l’année 1600 (Robert Fludd, alchimiste et philosophe rosicrucien, éditions Savoir pour Etre – voir l’article sur ce site).
Selon les traditions rosicruciennes, les Rose-Croix s’appellent entre eux « Frères » car ils se considèrent tous comme des enfants de Dieu. Le symbole de la Rose-Croix symbolise le bois du calvaire vivifié par le sang du Christ. Les lettres FRC signifient Foi, Religion et Charité. Les Frères R+C doivent mourir au monde pour ressusciter ensuite pour remplir leur mission au sein des hommes. Le Palais Spirituel des R+C est le centre invisible de toutes choses construit sur un roc qui n’est autre que le Christ. L’ensemble des R+C constitue une Église cachée, celle des Élus et la Fraternité des R+C regroupe tous ceux qui, sans encore posséder la révélation hermétique, aspirent à y parvenir.
Si l’on regarde le symbole de la Rose-Croix (Rose rouge au centre d’une Croix d’or), il représente, selon Fludd, Jésus-Christ et la Fraternité R+C. La rose est de couleur rouge, car elle a été éclaboussée par le sang mystique et divin du Christ. Et cette rose est placée au centre de la croix pour indiquer l’accomplissement du Grand-Oeuvre alchimique.
Nous allons maintenant étudier, très brièvement, la création et la chute dans le système de Fludd. On y découvrira bien vite que la philosophie R+C et la Kabbale en ont inspiré une grande part. Il est tout aussi visible que cette théosophie de Fludd se retrouvera dans l’ouvre de Martines de Pasquallis et surtout dans les enseignements des Elus-Cohen.
Au principe des choses, c’est à dire au commencement, il y a une Unité pure, infinie, totale, inconnaissable, c’est le Néant primordial. Cette Monade unique et simple, par essence, n’est rien, mais peut devenir tout en potentialité. Dieu, inconnu, s’est révélé à lui-même à partir du Néant avant d’opérer la Création des temps et du monde. Pour s’exprimer, la Monade, le Père, s’est retirée d’une partie d’elle-même. De cette opération, furent créées la Ténèbre (c’est la matière première des alchimistes qui comprend toutes les possibilités, aussi bien celle du mal que du bien) qui est appelée la Mère.
Ainsi, il y a deux principes, l’un masculin, le Père, lumière non exprimée et la Mère, principe féminin, la Ténèbre. Nous sommes alors en présence d’un Dieu androgyne contenant le germe des mondes futurs.
La Création provient de la séparation de la Lumière et de la Ténèbre, du Père et de la Mère. La Lumière s’est alors manifestée sous la forme du Fils, qui est l’Alpha et l’Oméga. C’est la divinité revêtue des Sephiroth. Et la création s’opère alors à partir de la matière première qui est la Ténèbre. Lors de la Création, le Verbe avait créé les Anges et parmi ces derniers Lucifer. Celui-ci voulu devenir l’égal de Dieu et dans son orgueil défia la divinité avant d’être précipité des Cieux.
Le Créateur donna alors naissance à Adam, doté d’une existence double. Le corps adamique, androgyne, fut formé à partir de la terre rouge (d’où le nom d’Adam, rouge en hébreu) puis Dieu sépara Eve d’Adam et la donna pour femme au premier homme. Eve fut tentée par le Serpent tentateur et tenta à son tour Adam de goûter aux fruits de l’Arbre de la Connaissance du bien et du mal. Pour avoir fauté, ils seront chassés de l’Éden, mais Dieu, toutefois, conserva à Adam une étincelle de Lumière divine afin qu’il puisse se « réintégrer ».
La Nature fut ainsi également corrompue par le péché originel et la création charnelle humaine n’est qu’une imitation de la Création divine. Pour Robert Fludd, la condition nécessaire à l’acquisition de la Sagesse serait la virginité sexuelle complète. Mais la Rédemption, alchimique en essence, sera accomplie par le Christ, second Adam, qui par son sacrifice montre la Voie menant à la Vie Eternelle.
Comme nous l’avons vu précédemment, il existe deux principes en Dieu, le principe positif et centrifuge, la Voluntas et un principe négatif, centripète, la Noluntas. Ces deux principes peuvent être rapprochés à la Lumière et à la Ténèbre alchimiques. Il en découle donc que l’univers est également composé de l’union de ces deux principes. On peut réduire l’univers à trois mondes : le monde archétype (la divinité), le macrocosme (le monde) et le microcosme (l’homme).
Ainsi, l’homme, à l’image de l’univers, est aussi composé de trois parties : une âme, un esprit et un corps (sel, mercure et soufre des alchimistes).
Pour Fludd, l’échelle des corps est une échelle des âmes. L’âme est faite à des degrés variables d’intensité de la Lumière divine. Tout être, tout objet a une âme, même la pierre qui semble inerte. D’où la perfectibilité alchimique des êtres et des choses. On voit clairement ici l’influence des écrits alchimiques et de la philosophie qui s’y rattache sur Robert Fludd et sa vision du monde et de la création. Cette vision est presque gnostique si on la compare aux doctrines des sectes pré-chrétiennes ou gnostisantes.
Dieu est partout et en toutes choses, l’univers n’étant qu’un reflet de la divinité et ainsi, c’est Dieu seul qui a la puissance de vie ou de mort. De même que l’homme a une âme, l’univers en possède également une, Fludd se pose donc ici en défenseur du concept d’Anima Mundi, d’Ame du Monde, si cher aux alchimistes et aux gnostiques. D’ailleurs, cette vision est à rapprocher, aussi, des doctrines panthéistes. On remarque donc bien le caractère hétéroclite et par là vraiment hermétiste de la philosophie de Robert Fludd.
L’homme est une image, en modèle réduit, du Grand Monde et donc de Dieu. Les dix Sephiroth ont leur correspondance au sein même de l’homme. La Kabbale, encore une fois, se pose ici en inspiratrice de Fludd.
Conclusions
Pour conclure, nous pouvons grâce à ce bref aperçu de la pensée de Robert Fludd nous faire une idée de l’influence des doctrines secrètes sur son oeuvre. Son génie lui permet de mêler les idées de la Kabbale, de l’Alchimie et de la « gnose chrétienne » en un système cohérent et symptomatique des idées de son temps. N’oublions pas que c’est l’époque du réveil des sciences, mais un réveil basé sur des cogitations ésotériques. Newton étudie, en parallèle de ses études scientifiques, les écrits alchimiques, s’essaye à la Kabbale et y trouve, grâce aux procédés chers aux kabbalistes, les bases de la permutation… Elias Ashmole, fondateur de la Royal Society, scientifique, joue à l’apprenti alchimiste et se fait initier dans des confréries maçonniques opératives. Descartes, le rationaliste, court chercher les Rose-Croix jusqu’en Allemagne… Bref, l’esprit scientifique de cette époque est pour le moins ouvert sur l’univers d’Hermes. Robert Fludd n’y échappe donc pas et n’est pas un penseur « illuminé » sauf selon nos critères modernes. Mais peut-être avons-nous fermé certaines portes trop rapidement à la Connaissance ?
Les oeuvres fondamentales de Robert Fludd
- Apologia compendiaria, Fraternitatem de Rosea-Cruce suspicionis et infamiae maculis aspersam, veritatis quasi fluctibus abluens et abstergens, Lyde,1616.
- Tractatus apologeticus integritatem societatis de Rosea Cruce defendens, Lyon, 1617.
- Utriusque Cosmi, majoris scilicet et minoris, metaphysica, physica at que technica historia, Oppenheim et Francfort, 1616-1624. Oeuvre en deux tomes.
- Medicina catholica, Francfort, 1629-1631.
- Summum Bonum…, Francfort, 1629.
- Philosophia Moysaica…, Gouda, 1639.
Plus sur le Sujet :
Robert Fludd, son oeuvre et sa pensée par Spartakus FreeMann, 2001.