Les seize axiomes kabbalistiques dâHenry More par Serge Hutin.
Henry More (1614-1687) se voulut, lui aussi, explicitement kabbaliste chrĂ©tien. Ne fut-il pas dâailleurs lâun des correspondants du baron Christian Knorr von Rosenroth, cet Ă©rudit ami de Leibnitz ? Il sâĂ©tait inlassablement plongĂ© dans la forĂȘt des traitĂ©s des kabbalistes pour espĂ©rer y dĂ©couvrir le moyen de convertir les juifs au christianisme, en leur prouvant que leur propre tradition, si lâon sait lâinterprĂ©ter en profondeur, finirait par leur prouver la vĂ©ritĂ© du christianisme. Ă lâinverse de Fludd qui, sâil connaissait le latin et le grec, ne pouvait lire lâhĂ©breu, Henry More avait une connaissance trĂšs poussĂ©e des Ćuvres des plus fameux rabbins kabbalistes. On peut noter chez lui lâinfluence toute spĂ©ciale dâIsaac Luria (1534-1572). Câest Ă ce dernier que More empruntera le contenu des seize axiomes kabbalistiques, en lesquels se trouveraient Ă©noncĂ©s les principes fondamentaux de la Kabbale, tant juive que chrĂ©tienne.
Nous allons en donner la traduction française :
1. Rien ne peut ĂȘtre crĂ©Ă© Ă partir de rien.
2. Et comme la matiĂšre ne peut ĂȘtre crĂ©Ă©e.
3. Ni exister par soi en raison de la bassesse de sa nature. OĂč lâon tire la dĂ©duction qui est plutĂŽt un fondement que nulle chose vile ne peut exister par soi.
4. Il nâexiste donc aucune matiĂšre dans la nature des choses.
5. Tout ce qui est vraiment est Esprit.
6. Mais cet esprit est incrĂ©Ă© et Ă©ternel, intelligent, sensible, vital, se mouvant par soi, infini dans lâĂ©tendue et existant nĂ©cessairement par soi.
7. Et par consĂ©quent, cet esprit est lâessence divine.
8. Et aucune essence autre que divine ne peut exister par soi.
9. Comme, Ă la vĂ©ritĂ©, il nâexiste aucune essence en dehors de celle-ci dans lâunivers en vertu des axiomes 1, 2, 3, 8 et quâil est clair quâune chose (provient) de cette essence unique, par une action de division â il est Ă©vident que lâessence divine peut se diviser.
10. Puisque lâessence divine existe vraiment, il existe dâinnombrables particules individuelles, et qui peuvent sâĂ©tendre et sâĂ©taler en des cercles de puissance et dâĂ©tendue infinies.
11. Et puisque les grains de sable particuliers, les petits grains des pavĂ©s et les particules de lâair, de lâĂ©ther, etc., sont des parties de cette essence divine, il est tout aussi Ă©vident que ces derniĂšres peuvent se rĂ©unir et se resserrer en particules extrĂȘmement tĂ©nues.
12. De lâassemblage de ces particules est formĂ© le monde quâon appelle matĂ©riel bien quâil soit en rĂ©alitĂ© spirituel, formĂ© assurĂ©ment dâesprits en particules divisĂ©es de lâessence divine, contractĂ©es et ramassĂ©es en monades ou points physiques.
13. Cette contraction est lâĂ©tat de sommeil ou dâengourdissement pour ces particules divines â leur expansion, lâĂ©tat de rĂ©veil.
14. Il y a diffĂ©rents degrĂ©s de rĂ©veil, Ă savoir : dans la vie vĂ©gĂ©tative, sensitive, rationnelle… ; bien plus enfin se font le rĂ©veil et lâexpansion, dans un cercle dâamplitude et de puissance infinies, jusquâĂ ce que cette parcelle divine en cet esprit particulier puisse se construire un Monde formĂ© de terre, dâeau, dâair, de ciel et des autres parties.
15. Et, par consĂ©quent, cet Esprit particulier peut â Ă partir de lâexemple de la fine poussiĂšre de marbre â devenir la plante, Ă partir de la plante lâanimal, de lâanimal lâhomme, de lâhomme lâange, enfin le Dieu crĂ©ateur dâune nouvelle Terre et dâun nouveau Ciel.
16. Et on peut dire de mĂȘme Ă propos des particules individuelles de lâessence divine, quâil est nĂ©cessaire quâelles soient ou bien toutes sĂ©parables sans doute, ou encore quâelles puissent ĂȘtre des Dieux crĂ©ateurs des terres et des cieux, ce qui est cela mĂȘme quâun enfant, par une nuit blanche dans les Ă©coles, interrogĂ© par moi sur le point de savoir sâil croyait Ă un Dieu unique, me rĂ©pondit en souriant quâil croyait Ă lâexistence dâun grand nombre de Dieux, distincts les uns des autres.
On voit la maniĂšre dont Henry More, rĂ©sumant ainsi les principes essentiels de la Kabbale dâIsaac Luria, aboutit Ă une mĂ©taphysique immatĂ©rialiste et monadiste. Le plus curieux de ces axiomes kabbalistiques est assurĂ©ment le dernier qui, par la diffĂ©rence instaurĂ©e entre lâAbsolu et les CrĂ©ateurs de chacun des innombrables systĂšmes planĂ©taires, sâĂ©carte singuliĂšrement de lâorthodoxie chrĂ©tienne. Henry More met par prudence â on lâaura remarquĂ© â dans la bouche dâun de ses Ă©tudiants Ă Cambridge lâexposĂ© de cette thĂ©orie qui pourrait bien friser lâhĂ©rĂ©sie…
Plus sur le sujet :
Les seize axiomes kabbalistiques dâHenry More. Serge Hutin – extrait de lâarticle « Note sur la crĂ©ation chez trois kabbalistes chrĂ©tiens » publiĂ© dans Kabbalistes chrĂ©tiens, cahiers de lâhermĂ©tisme, Ă©ditions Albin Michel, Paris, 1979.
Pour en savoir plus sur la Kabbale, visitez Kabbale en Ligne.