Occultisme et Clergés

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Occultisme et Clergés par Samuel Ezra.

Si la vérité est une et universellement répandue, ses aspects sont divers et particuliers. Dans chaque climat et de chaque race est sorti un annonciateur, messager partiel du vrai et du bien, venu de la mer inconnue de l’omniscience vers telle côte humaine obscurée et encore incertaine. Et ces annonciateurs dont une parcelle merveilleuse de Dieu, plus élevée que celle dont notre spiritualisme se trouve formé, brillait parmi les planètes humaines, simples miroirs en puissance comme une étoile de première grandeur. Ils ont dispersé aux peuples dont ils furent les prophètes des enseignements différents selon le degré d’intelligence et de réceptivité de leurs individus.

Aux uns, élus et futurs adeptes, ils dirent les mystères du petit et du grand monde, du microcosme et du macrocosme, de la création de la vie, de l’absolu divin, aux autres, primitifs, indécis comme des enfants, ils narrèrent les mêmes vérités voilées sous la légende afin qu’ils s’y complaisent et les transmettent sans connaître leur prix, ils dictèrent enfin à leurs puérils entendements des règles pratiques d’existence dont la menace d’un Dieu vengeur fût la sanction nécessaire.

Longtemps les prêtres, leurs successeurs initiés, poursuivirent leur double tâche. Mais il est arrivé un temps où les derniers docteurs de la science secrète n’ont plus trouvé parmi les gens du temple de successeurs dignes de recevoir le dépôt de la vérité, ils ont caché les doctrines sous les symboles et les ont transmises à de rares laïques. Et les maîtres et les disciples ont disparu en silence. Dès lors les prêtres ont enseigné les légendes et réglementé la vie des sociétés, mais ils n’ont point eu la science en partage et leur orgueil les a aveuglés, ils ont cru être les seuls dépositaires du Vrai, quand le Vrai dormait sous les symboles et qu’il ne leur était point donné de le réveiller. Puis des hommes intelligents et doués d’intuition sont nés longtemps après la mort des sages anciens, et les symboles oubliés ont hanté leurs méditations, ils n’ont point cru que les prophètes à la vie lumineuse aient pensé les choses insensées que le peuple apprend, ils ont enfin retrouvé le sens des paroles voilées et l’occultisme proprement dit est né.

Ce fut le moyen âge, époque féconde en penseurs, en savants, en philosophes, et les prêtres ignorants comprirent la supériorité évidente de ces nouveaux docteurs et l’Église les brûla comme sorciers, par haine du savoir.

Ouvrons maintenant à propos de cet esprit d’intolérance une parenthèse et mentionnons les atteintes portées par Rome à la liberté d’instruction et de pensée. Au mépris de tout raisonnement logique et de tout enseignement révélé, ses prêtres non-initiés ont voulu convertir de force à leur exotérisme mi-aryen, mi-sémite, et quand ils ont échoué dans leurs tentatives ils n’ont pas reculé devant l’effusion du sang innocent ou les persécutions. Ne les voyons-nous pas aujourd’hui, et qui voudrait le nier, exciter les Français contre d’autres Français, les malheureux israélites, exalter les basses passions et les sentiments cruels, régressions trop fréquentes vers les degrés humains parcourus contre des hommes coupables du crime peu prouvé et bien ancien de la crucifixion. La marque même de ces inclinations dangereuses et fanatiques fut dans ces dernières années les odieuses machinations et calomnies de l’anti-palladisme contre la franc-maçonnerie. Nous ne défendrons pas l’ignorance de cet ordre que nous connaissons mieux que personne, mais il est pénible de voir la Société de Jésus qui se targue de toutes les vertus se faire le rempart de l’ignoble Léo Taxil. Où s’arrêterait ce clergé romain si nous n’étions là, nous pour lesquels les religions ne sont que les voiles de la vérité, adaptés aux mœurs et aux climats des diverses contrées du monde. Notre devoir dans les circonstances analogues est de prêcher la charité et l’amour de nos semblables : bouddhistes, mahométans, juifs ou chrétiens. Nous sommes occultistes.

Revenons à la collectivité dont nous nous étions un instant écartés. Les enseignements exotériques ne sont pas d’accord avec le clergé, et la preuve en est facile à donner. Envisageons les livres révélés des religions sémitiques, celles qui nous touchent de plus près et que nous devrions le mieux connaître. Moïse législateur d’Israël dit au sepher Bamidbar (Deutéronome, ch. Xxv, v. I 7) : « Tu ne pervertiras point le droit de l’étranger. » — Jonas (ch. iii) dit que Dieu eut pitié des Ninivites parce qu’ils crurent en lui. — Les juifs vivaient en bonne intelligence sans chercher à les convertir de force avec les incirconcis, sectateurs du vrai Dieu, fidèles selon l’ordre de Melchissedech ou fils de Noé, Noachide comme on les appelait (Selden, droit naturel, Hérotode, Philon le juif, Flavius Josèphe).

Saint Paul, vrai créateur de la religion chrétienne, dit (Romains. 11, 27) : « Si celui qui est incirconcis de naissance accomplit la loi, il te condamnera toi qui, avec la lettre de la loi et la circoncision, es transgresseur de la loi. » Enfin Mahomet, complémentaire des prophètes et prédicateurs juifs et chrétiens, dit (les Prophètes, XX1, sourate 93) : « Les juifs et les chrétiens sont divisés dans leurs croyances, ils viendront à vous d’eux-mêmes ». Au pèlerinage, xxii, sourate 66, on lit : « Dieu a prescrit à chaque peuple ses rites sacrés, qu’il les observe et ne dispute point sur la religion. » Dans l’Araignée, xxix, sourate 45, « ne disputez avec les juifs et les chrétiens qu’en termes modérés, dites : “Nous croyons au livre qui nous a été envoyé et à vos écritures.” » Et cependant les musulmans détestent les juifs et les chrétiens pour d’autres motifs que leur âpreté au gain et leurs exactions en Orient, et les catholiques romains ont voué une haine implacable à ceux qu’ils se plaisent à proclamer des hérétiques.

Nous ne voulons point dire que les clergés soient inutiles dans la société et que leur rôle soit d’un parasitisme onéreux. Nous comprenons et admirons même l’abnégation et le dévouement d’hommes renonçant volontairement aux biens matériels dans un but généreux et grand : l’amour du prochain. Mais encore faut-il que ces bienfaiteurs par définition de l’humanité pécheresse et souffrante prennent leur œuvre à cœur et ne la délaissent point pour l’obtention de vaines joies, ne se prétendent pas au mépris de toute raison les seuls intermédiaires entre la divinité et les mortels, ne menacent pas à la légère de mort spirituelle et de damnation ceux de leurs frères humains dont les opinions politiques ou scientifiques, anodines contre la morale ou la religion, sont en opposition avec les idées personnelles de leurs directeurs religieux. Moïse (malgré l’institution d’un sacerdoce dans le temple), mais surtout Bouddha, Jésus et Mahomet n’ont jamais donné à des hommes spéciaux le monopole d’interpréter les textes, et je crois que les traces de semblable aberration seraient difficiles à trouver dans leurs livres sacrés.

Les communautés protestantes, juives ou même musulmanes (en Asie tout au moins) sont dirigées par des prêtres dont la seule autorité est celle de conseillers, de gardiens du rituel et surtout de dispensateurs intègres des aumônes. La bienfaisance est une de leurs occupations les plus difficiles et des plus importantes.

Ils n’ordonnent point, mais formulent de simples avis. Ils ont compris que la douceur, le calme (nous ne parlons pas des mahdistes, sectes derviches, etc.), la mansuétude, la charité et l’éducation morale sont les seules raisons d’être des clergés actuels. On voit dès lors facilement que si les prêtres s’attaquent à la science, proclament avec fanatisme la guerre aux opinions adversaires, se croient en possession de toute la Vérité et refusent aux autres communautés la lumière partielle émanée de tous les prophètes, de tous les annonciateurs nés pour des raisons d’adaptation au milieu chez les peuples les plus divers, ils sont un obstacle à la Vérité et de ce fait en opposition avec leurs livres sacrés. Que l’on s’en réfère à la loi juive, à l’Évangile, au Coran, la douceur et la tolérance sont toujours si ce n’est ordonnées du moins conseillées. Jésus a dit : « Moïse vous a ordonné la loi du talion à cause de la dureté de vos cœurs », ainsi s’expliqueraient certains passages cruels peu nombreux d’ailleurs.

Donc les occultistes sont les continuateurs des savants pionniers du moyen âge et des adeptes anciens, leur but est l’étude de la science voilée sous les symboles, ou oralement transmise quand les prêtres ont pour fonction de consoler dans les épreuves et de secourir les souffrances. Si quelquefois ils oublient pour quoi ils sont, souvenons-nous que nous sommes des martinistes et qu’il est dit dans les cahiers du premier degré : Comme la lueur émanée de plusieurs flambeaux ne forme qu’une seule lumière, les exotérismes et les ésotérismes particuliers sont des aspects divers et adaptés aux milieux de la même vérité une et universelle.

Plus sur le sujet :

Occultisme et Clergés par Samuel Ezra.

L’Initiation n° 4 janvier 1899, pages 43 à 49.
Image par Thomas Wolter from Pixabay

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