Dieu selon la Gnose.
Notes sommaires sur le gnosticisme par Mercuranus.
Je n’ai pas la prétention, dans ces notes, de tenter de fusionner tous les systèmes gnostiques en un seul, encore moins d’exposer celui dont ils sont tous dérivés. Je désire simplement faire part de mes réflexions personnelles (donc sujettes à l’erreur), suggérées par la lecture de l’ouvrage d’Amelineau : Essai sur le Gnosticisme égyptien (qui est certainement l’ouvrage français le mieux fait sur ce sujet).
Je chercherai principalement à faire ressortir quelques points communs au Gnosticisme et aux autres formes de la Tradition, points identiques au fond bien que différents par la forme. En un mot, je tenterai d’indiquer au point de vue ésotérique ce que des érudits ont montré aux points de vue historique et philosophique : le Gnosticisme n’est pas du tout un bloc erratique, une maladie, « une sorte de croup de l’humanité », comme a dit Renan, qui n’y a jamais rien compris.
C’est, au même titre que la Kabbale, par exemple, une adaptation de la Tradition à certains peuples et à une époque déterminée.
Avant l’origine des choses, il n’y a que l’Unité, qui n’est aucune des choses, bien que les contenant toutes en puissance. C’est pourquoi Basilide appelle l’Absolu : le Un qui n’est rien ; c’est la Transcendance absolue : ό οὺϰ ὦν Θεός. Dieu était, dit Basilide, lorsque le Rien était, mais ce n’était pas quelqu’une des choses qui existent maintenant, et pour parler ouvertement, « simplement et sans subtilité, seul le Rien existait. Or, quand je dis qu’il existait, je ne veux pas dire qu’il a réellement existé, je veux simplement montrer ma pensée ».
En effet, l’Absolu n’est pas le néant, le Zéro, puisqu’il est l’Unité. II n’est ni le Non-Être, ni l’Être, bien que Basilide, pour « montrer sa pensée », l’appelle le Rien et dise qu’il existait. « L’Absolu est par-delà les limites de ce qui n’a pas de limites, dit un livre mystérieux, là où le Non-Être est et où l’Être n’est pas. »
Mais il est des choses que nous ne pouvons pas sentir telles qu’elles sont, et que surtout nous ne pouvons pas exprimer telles que nous les sentons, ou plutôt que nous les assentons. L’Absolu ne peut pas être défini, ne peut pas être nommé. Quel que soit le nom que nous lui donnions, ce nom ne rendra que très imparfaitement notre pensée, qui elle-même n’est qu’un reflet bien terne de la vérité. On ne peut, a-t-on dit, exprimer l’Absolu que de cette façon — non, non, « L’Ineffable s’appelle l’Ineffable, dit Basilide ; ce Dieu ne s’appelle même pas l’Ineffable. » On ne peut l’adorer que par le « Silence », dit Valentin, qui le nomme Σιγή.
Lorsque l’Absolu voulut se manifester, dit la Kabbale, il se concentra en un point infiniment lumineux, laissant les ténèbres autour de lui. Ce sont l’Être et le Non-Être, entre lesquels se place le Devenir, le centre et la circonférence unis par le rayon.
Cette distinction de l’Absolu en Être et Non-Être n’est d’ailleurs qu’un moyen employé par l’homme pour essayer d’imaginer ce qui est en dehors de son entendement actuel. Toute dualité n’existe que pour nous et relativement à nous, et tous nos efforts doivent tendre la ramener à l’Unité. Cette « division des deux parties par des observateurs analytiques produit la fatale erreur du Bien et du Mal » (Matgioi). L’Unité ne cesse pas d’être l’Unité quand elle se manifeste par un binaire, ce qui fait trois. De plus, les deux termes de ce binaire n’existent que momentanément, s’équilibrant aussitôt par un terme intermédiaire commun. « Trois fait un par l’effet d’un deux fugitif et latent. » (Matgioi).
La Gnose, d’ailleurs, ne fait pas cette distinction de l’Absolu en Être et Non-Être. Ce n’est, je le répète, qu’un moyen que nous avons imaginé pour comprendre la Création. J’essayerai d’exposer plus loin la doctrine gnostique à ce sujet.
De l’Être, tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il est, et qu’il est l’Être : אֶהְיֶה אֲשֶׁר אֶהְיֶה, dit Moïse, à qui Il se manifeste comme un Buisson ardent. Le Feu est son symbole : Dieu est un Feu consumant, dit Simon le Mage. « C’est là, dit-il, le Grand Trésor du Visible et de l’lnvisible, de tout ce qui est à découvert et de tout ce qui est caché ; c’est ce grand arbre que Nabuchodonosor a vu en songe, — dont toute chair se nourrit. »
Ce Feu est le Feu de l’Amour indéfini ; c’est le Dieu des chrétiens, la Trinité chrétienne. « L’amour du Père pour lui-même engendre le Fils, l’amour du Père pour le Fils engendre le Saint-Esprit. » C’est ce que la Gnose voile sous cette formule : Dieu est Amour.
On symbolise aussi l’Être par un lod (י) ou par un cercle, dont le nombre est d’ailleurs le même : 10. On l’appelle : l’Abîme, Bythos ; le Soleil caché, Ammon-Râ ; le Cercle de la région vide, Ceugant ; l’Illimité, Parabrahm ; le Grand-Extrême, Taï-Ki ; le Sans-bornes, Aïn-Soph.
La circonférence de ce cercle se manifeste comme un diadème de lumière : c’est la Couronne.
Puis l’Être, Bythos, manifeste son Intelligence, Noûs, et sa Sagesse, Sophia (ou la Vérité, Alêthéa). La Sagesse et l’Intelligence forment la Vierge de Lumière.
Ce Ternaire est indiqué dans la plupart des Traditions : Couronne, Sagesse et Intelligence de la Kabbale ; Être, Savoir et Force chez les Druides ; Être, Conscience et Béatitude chez les Brahmes.
Simon le Mage le désigne : Stabilité, Intelligence, Raison.
Ces trois termes, par réaction réciproque, donnent un Sénaire : Esprit et Pensée, — Voix et Nom, — Raisonnement et Réflexion.
Ces manifestations se font par émanation, et sont appelées Éons par la Gnose. Les Éons sont identiques aux Idées de Platon et aux Nombres de Pythagore. Ils émanent par couples de nombres inverses (ou complémentaires) ou syzygies, mâle et femelle.
« Le principe de la Gnose est celui-ci : l’Absolu émane des forces divines qui sont ses hypostases. Les émanations sont projetées par couples (syzygies) de séries décroissantes : ce sont les Éons » (Jules Doinel).
Plus sur le sujet :
Dieu selon la Gnose in Notes sommaires sur le gnosticisme par Mercuranus.
La Gnose, volume 1, n° 3, janvier 1910.
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