La Gnose de Markos – études sur la Gnose, par Jules Doinel.
Markos affirmait qu’il avait reçu une « force », c’est-à-dire une puissance magique, des Lieux ineffables et invisibles : « Ἀπὸ τῶν ἀοράτων καὶ ἀκατονομὰστων τόπων ». Et, de fait, il prenait un calice, comme pour le consacrer, et priait longuement. Au bout d’un certain temps, le calice vide s’emplissait d’une liqueur de pourpre. Markos versait alors cette liqueur dans un second calice et le tendait à une femme initiée, en disant : « Que cette grâce qui dépasse toute pensée et toute parole remplisse ton homme intérieur et développe en toi le grain de semence de l’Idée ».
Ce rite, qui parut au fougueux Irénée un tour de passe-passe, est l’expression d’un symbolisme grandiose. Le calice vide de l’âme s’emplit, par la prière, du nectar sacré de l’Immortalité.
Markos s’attacha de nombreux disciples. Les femmes du plus haut rang suivirent ce docteur dont la parole éloquente les séduisait. Il institua deux sacrements : le baptême et l’imposition des mains. Quant au dogme, il se rattachait, pour le fond, à la doctrine valentinienne.
Dans sa jeunesse studieuse, Markos avait eu une vision remarquable. Une femme vêtue de lumière, blonde, et baignée dans un éther embaumé, lui était apparue. « Je suis la TÉTRADE, avait dit cette femme céleste. Je suis la Mère universelle, la mère des germes. Je n’ai pas de père ; je suis fille de Celui qui est androgyne, l’INEFFABLE. » Et, se penchant sur lui, elle l’avait baisé sur la bouche. Aussitôt il avait senti son cœur plein d’amour et son intelligence pleine de clarté. Les Philosophumena nous ont conservé le discours de la TÉTRADE. Nous allons le résumer religieusement.
« La PAROLE est le vêtement de l’Invisible. Dire un nom, c’est énoncer un commencement. Les lettres sont les éléments de la Parole. Elles ont une personnalité. Elles sont une image, une figure de ce qui est ineffable. Le son est un créateur. Les sons, ces anges de Dieu, voient continuellement la face du Père céleste. On les appelle : les ÉONS. Ils sont des semences, des racines, des fruits du PLÉRÔME. Les sons s’engendrent les uns les autres. À peine un son est-il né qu’un autre lui succède. Le dernier émane du premier. Chaque parole est un plérôme de sons. Ainsi Δελτα (delta) est un plérôme de cinq éons : δ, ε, λ, τ et α. La Parole est un océan. Elle a les sons pour vagues chantantes et mobiles.
Voici. Je veux te révéler la vérité. Je te l’amène toute nue et tout aimable des Tabernacles d’En-Haut. Tu comprendras combien elle est belle. Tu l’entendras parler. Tu admireras sa divine sagesse. Alpha et oméga forment sa tête charmante. Bêta et psi composent sa gorge féconde. Gamma et chi, sont ses bras éternels. Delta et phi expriment sa poitrine. Epsilon et nu correspondent à son diaphragme. Son ventre gracieux est dzêta-tau. Son ctéis d’or est êta-sigma. Ses cuisses élégantes se manifestent par thêta-rô ; ses genoux par iota-pi ; ses pieds par mi-nu. C’est là la sublime SIGÊ qui parle par son merveilleux silence. Adore le corps impeccable de la Vérité, et prête-lui une oreille attentive. Elle t’enseignera le Père qui s’est engendré lui-même, le PÈRE PREMIER, le PROPATER. »
Elle se tut et la Vérité parla. Et, à mesure que la vérité parlait, LE VERBE SE FAISAIT NOM. Et ce Verbe s’appelait Jésus. Jésus ! le nom admirable com posé de six lettres, le Plérôme des six Éons. Et Markos, abîmé dans l’extase, pleurait de joie et d’amour.
La TÉTRADE continua son discours. « Les vingt-quatre lettres de votre alphabet sont des ruisseaux qui charrient jusqu’à vous les TROIS VERTUS, les TROIS FORCES, les TROIS PRINCIPES. Les Muettes signifient que l’Ineffable ne peut pas s’exprimer. Les vocales signifient l’Homme et l’Église. Les semi-vocales, qui tiennent le milieu entre les Muettes et les vocales, signifient que l’Ineffable descend et que le périssable monte. Ces vingt-quatre lettres sont le Plérôme. Il est UN et il émane tout. Un, il engendre le Plusieurs. Plusieurs, il revient à l’Un. C’est la Catabase et l’Anabase. C’est l’évolution et l’involution. Adore et crois. Et la TÉTRADE expliqua les vertus du Trinaire, du Septenaire, de l’Ogdoade, du Décennaire. »
Elle ajouta : « Écoute ce que signifient les voyelles. A, c’est le Ciel, ou l’Unité. E, c’est le Binaire. Ê, c’est la Triade. I, c’est la Tétrade. 0, c’est le Quinaire. U, c’est la Sixaine. O, c’est le Septenaire. Liées entre elles, elles chantent la gloire du Père. L’enfant qui sort de la matrice les énonce. C’est ainsi que les cieux annoncent la gloire de Dieu. L’âme heureuse crie : Ah ! L’âme qui souffre gémit : Oh ! Car le bonheur, c’est l’Unité. »
« Voici l’origine des vingt-quatre lettres. Le SEUL et l’UN existent ensemble. De Lui émanèrent la monade et Un. Ces quatre éléments formèrent la TÉTRADE.
En effet, dans votre esprit, deux fois deux sont quatre. Deux et quatre émanèrent six. Quatre et six émanèrent vingt-quatre. En effet, six fois quatre ou quatre fois six font vingt-quatre. Je suis QUATRE, je suis l’ABSOLU. Je suis la racine et la mère du Tout. J’ai engendré huit qui a engendré dix. Et cela a fait : 18 (le nombre de la R. — ✠). Calcule le nom de Jésus. Ιησοῦς vaut : 88. C’est le nombre-absolu. C’est pourquoi Jésus s’appelle l’Alpha et l’Omega : “Ego sum Alpha et Omega, principium et finis.” »
La Tétrade développa ensuite la loi des nombres. Elle chanta la production de l’Univers, l’émanation de l’eau, de l’air, de la terre et du feu. Elle célébra la création des astres, la formation de l’homme, celle de l’Église idéale : au commencement l’Unité, à la consommation, l’Unité.
On le voit, Markos est le continuateur de Valentin. Ce que Valentin exprime par la génération des idées, Markos l’exprime par la génération des nombres et des lettres. Il est le grammairien et le mathématicien de l’Infini. Génie à la fois méthodique et éloquent, il a des envolées de poète et des raisonnements abstraits. Il se meut dans les nombres, comme Valentin dans les idées. Sa vision magnifique de la TÉTRADE est une épopée glorieuse dont l’unité est le héros.
Autour de sa chaire, à Lyon, se pressaient les mondaines ravies. De nobles amours embellirent sa vie et le vengèrent des attaques violentes de l’évêque Irénée. Il marchait environné d’un cortège d’élèves suspendus à ses lèvres par les chaînes d’or de l’éloquence. Ainsi devait parler Platon sur le Sunium, quand il exposait les théories du Timée. À mesure que Markos, l’évêque gnostique de Lyon, le père de la gnose française, exposait son dogme exact et harmonieux, les auditeurs croyaient voir se dérouler, dans l’éther de la pensée pure, les sublimes syzygies des Bons, et rayonner dans l’abîme insondable le flamboiement sacré du saint Plérôme.
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La Gnose de Markos, Jules Doinel. Extrait de l’Initiation N° 5 de février 1893, p. 118 à 123.
Illustration : Wolfgang Sauber [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons.
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