Origine des Sephiroth

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Un article de Spartakus FreeMann sur l’origine des Sephiroth.

A Melmothia

Une discussion avec Melmothia m’a interpelé sur l’origine des Sephiroth. Tout d’abord, la réponse à cette question me semblait si évidente que j’ai répondu par un tour de passe-passe kabbalistique : « oh ma bonne dame, les dix sephiroth, ben c’est le Sepher Yetsirah ». À y réfléchir ce court-circuit me déplaît, et je me suis rendu compte que je n’avais jamais essayé de brosser ne fut-ce qu’un très bref historique de la doctrine des Émanations. J’espère qu’ici cet oubli sera réparé.

Dans le courant de la Kabbale, un des concepts les plus importants est sans conteste celui des Émanations ou Sephiroth (singulier : sephirah ) par lesquelles Dieu se révèle. Ces Émanations sont des attributs ou des caractères archétypaux que la littérature kabbalistique décrit souvent comme des « sphères », des « régions » ou des « vases » contenant l’énergie émanée de Dieu, de l’En-Soph, l’infini et sans limite, inconnaissable par nature. Ce n’est qu’au travers de ces Émanations que l’on peut accéder à une connaissance (partielle) de Dieu et de Sa création.

Les 10 Sephiroth sont selon la représentation traditionnelle de l’Arbre de Vie :

  1. Kether ou Kether Elyon, la Suprême Couronne
  2. Hokhmah, la Sagesse
  3. Binah, l’Intelligence
  4. Gedoulah ou Hesed, la Grandeur ou l’Amour
  5. Guebourah ou Din, la Puissance ou le Jugement
  6. Rahamim ou Tiphereth, la Compassion ou la Beauté
  7. Netzach, la Victoire
  8. Hod, la Majesté
  9. Tzaddik ou Yesod Olam ou Yesod, le Juste, le Fondement du Monde ou la Fondement
  10. Malkhuth, le Royaume.
Arbre de Vie tiré du Pardes Rimmonim de Moïse Cordovéro (16e siècle).

Origine des Sephiroth

Les noms des dix Sephiroth semblent avoir leur source dans I Chroniques 29, 11 :

« À toi, Éternel, est la grandeur, et la force, et la gloire, et la splendeur, et la majesté ; car tout, dans les cieux et sur la terre, est à toi. À toi, Éternel, est le royaume et l’élévation, comme Chef sur toutes choses » (traduction Darby).

Ce sont là les 7 attributs associés au 7 Sephiroth inférieures. Au 13e siècle, Isaac l’Aveugle de Narbonne, que certains veulent pour père de la Kabbale, fera le rapprochement dans son Commentaire du Sepher Yetsirah, avec ce passage des Écritures pour parler de la doctrine des Sephiroth.

Le Sepher Yetsirah (ou Livre de la Formation) est une autre source de la doctrine des Émanations. En effet, ce bref traité kabbalistique nous parle des « 32 Sentiers de la Sagesse » par lesquels Dieu a créé le monde. Ces Sentiers comprennent les 22 lettres de l’alphabet hébraïque et 10 numérations, ou Sephiroth terme dérivé, selon G. Scholem, de l’hébreu « sapar », compter.

Plus tardivement, nous trouvons le Sepher ha-Bahir, traité dans lequel les Sephiroth ne sont plus perçues comme des nombres mais comme des éons, des logoï ou des attributs (middoth en hébreu) qui servent d’instruments à la création. Le Bahir identifie ces attributs aux 10 ma’amoroth ou 10 Paroles par lesquelles le monde fut créé (voir le Pirke Avoth 5:1. Traité Avoth).

Cette vision fait écho au Talmud où nous lisons : « Par dix choses le monde fut créé, par la sagesse et par l’intelligence, et par la raison et la force, par la rigueur et par la puissance, par la justice et par le jugement, par l’amour et par la compassion » (Talmud : Traité Haguiga, 12a).

Arbre de Vie de Kircher
Arbre de Vie de Kircher. Origine des Sephiroth.

Avec Azriel de Gérone (13e siècle), nous obtenons un développement philosophique du système des Émanations que l’on pourrait résumer en trois traits fondamentaux :

  1. les Sephiroth sont des manifestations finies de En-Soph ;
  2. En-Soph est Infini, Parfait, Inconnaissable ;
  3. les Sephiroth et En-Soph ne font qu’un.

En outre, les Émanations sont au nombre de 10 car elles sont limitées par les expressions de l’existence du monde « physique » de la création à laquelle elles participent : la substance, la longueur, la hauteur, la profondeur, le temps, le lieu…

Cette dernière idée se rapproche fortement de la théorie aristotélicienne des catégories de l’être. Si Dieu est inconnaissable, le monde a été créé par les Dix Paroles et selon Luzzatto :

« En-Sof est la Volonté telle qu’Il aurait pu la vouloir, celle qui n’a ni terme ni mesure, ni fin ; les Sephiroth sont ce qu’Il a voulu avec limite et qui constitue des attributs particuliers qu’Il a voulu ».

Le Zohar, ce volumineux et cryptique traité de la Kabbale, ne parle pas explicitement des Sephiroth, mais utilise une foule de termes différents que l’on peut rapprocher des qualités des Sephiroth (dans le folio 176b on les retrouve citées par leurs initiales, cependant, il semble que ce soit là un ajout tardif – du 16e siècle – dans la version du Codex de Mantoue). Cependant, le Zohar nous offre une explication quant à la structure de l’Arbre de Vie : les Sephiroth sont disposées en son sein selon la forme d’une Mishkal, ou balance, avec ses deux plateaux (les deux colonnes de gauche et de droite) et son centre. Ainsi, chaque Sephirah est un équilibre de la force et de l’énergie des deux Sephiroth qui la précèdent.

La source la plus claire semble bien être le Patah Eliyahu – une prière récitée lors de certaines liturgies juives – que l’on retrouve dans le Tikkunei Zohar (folio 19a), une œuvre postérieure au Zohar lui-même. Les références aux Sephiroth n’apparaissent souvent que dans les additions (tosaphoth) ou dans les commentaires (comme dans la traduction du Baal haSoulam par exemple). Daniel Matt, auteur d’une traduction anglaise contemporaine du Zohar écrit ainsi : « les commentateurs aiment à trouver des références aux Sephiroth que n’ont pas toujours voulu les ba’alei ha-Zohar (les auteurs du Zohar). Mais, les gloses sont plus innocentes, n’ajoutant pas de Sephiroth mais réduisant la poésie du Zohar en persistant à vouloir nommer les différentes Sephiroth là où le texte original n’y fait une subtile allusion ». En outre, les spécialistes sont presque tous unanimes pour dire que le Zohar « utilise rarement le terme Sephirah ou le nom même des Sephiroth » (Sperling et Simon, traduction 1931, 384).

La doctrine des Sephiroth sera développée par Isaac Louria. Il sort du cadre de cet article de décrire plus avant celle-ci et nous renvoyons le lecteur à notre travail La Kabbale lourianique. Qu’il nous suffise de dire ici que selon Louria, la création d’un monde fini par nature est une indication de l’auto-limitation de Dieu par voie du Tsimtsoum, ou retrait, contraction. Par cet acte, Dieu préserve un espace libre à sa création qui se déroule alors par l’épanchement de Sa lumière au travers des « vases » (Sephiroth).

Ce processus ne s’est pas déroulé correctement, menant au « bris des vases » et à la chute dans la matérialité, mais cette imperfection devrait, selon Louria, se conclure dans un tikkun, une réparation apparaissant alors comme la réalisation d’une parousie de Dieu au sein de la création rétablie dans sa perfection originelle.

Isaac Louria donne une autre classification des Sephiroth, omettant Kether et ajoutant Da’ath (Etz Chaim 23:5,8), que voici (Etz Chaim 23 : 1, 2, 5, 8; 25 : 6; 42 : 1) :

  1. Hokhmah ;
  2. Binah ;
  3. Da’ath ;
  4. Hesed ;
  5. Guebourah ;
  6. Tiphereth ;
  7. Netzach ;
  8. Hod ;
  9. Yesod ;
  10. Malkhuth.

Moïse Cordovéro, quant à lui, mettra l’accent sur une structure basée sur les Quatre Mondes (Pardes Rimonim 3 : 1 et Or Ne’erav 6 : 1) et il organisera les Sephiroth selon l’ordre suivant : Atsiluth (Émanation) comprend Kether et Hokhmah ; Briah (la Création) comprend Binah ; Yetsirah (la Formation) comprend Tiphereth, Hesed, Guebourah, Netzach, Hod et Yesod (qui sont les 6 directions du monde) ; et enfin Assiah (L’Action) comprend Malkhuth. Chacun de ces 4 niveaux, calqué sur les 4 mondes, se voit attribué une des lettres du Tétragramme divin YHVH.

« Les trois premières Sephiroth doivent être considérées comme une seule et même chose. La première représente la « Connaissance », la seconde le « Connaisseur » et la troisième « ce qui est connu ». Le Créateur est Lui-même connaissance, connaisseur et chose connue… Ainsi, toutes les choses de l’univers ont leur forme au sein des Sephiroth et les Sephiroth ont leur source dans ce qui les émane » (Cordovéro, Pardes Rimonim).

Le diagramme ci-dessous représente l’ordre des Sephiroth selon Cordovéro. Chaque Sephirah y étant représentée par l’initiale de son nom :

Moïse Cordovero, Pardes Rimmonim, 1592. Origine des Sephiroth.

Il est à noter que les diverses représentations des Sephiroth disposées sous la forme d’un arbre, bien qu’elles soient privilégiées par la tradition, ne sont pas les seules. Il y a déjà celle-ci-dessus de Cordovéro, on trouve également une représentation dite « cœur de Dieu » où Tiphereth est au centre d’une roue constituée des autres Sephiroth, sans parler de la Menorah ou chandelier à sept branches (voir ci-après). Quoi qu’il en soit, l’Arbre demeure le schéma le plus parlant, ne serait-ce qu’au vu de sa symbolique dans la Kabbale et le Judaïsme.

En-Soph et les 10 Sephiroth
Représentation extraite d’un manuscrit anonyme

Au fil des siècles, de la Cabale Chrétienne de Reuchlin au contemporain new-age navrant et réducteur, en passant par l’occultisme syncrétique de Crowley, la doctrine des Sephiroth sera étoffée, trahie, pervertie, embellie, complexifiée, dénaturée. Chacun tirant la « couverture » à soi, ajoutant ici ou là des attributs angéliques, voire démoniaques ; discourant sur les vertus magiques de telle Sephirah ou de telle autre ; rédigeant des pages absconses sur les interactions plus ou moins fumeuses de l’énergie (comme si l’Arbre de Vie était un tableau électrique) ; bref, d’une théorie limpide, d’un saphir, si l’on permet ce jeu de mot, l’on nous a bâti une tour branlante que personne aujourd’hui ne peut plus comprendre. Le brouillard est aujourd’hui tel que certains en arrivent à reproduire une interprétation des Sephiroth tirée d’un jeu de rôle !

Pour conclure donc, nous invitons le lecteur à revenir à la source, à s’imprégner de la simplicité d’un système qui pose comme principe que le monde fut créé par 10 « numérations », ni plus ni moins.

Les Dix Sephiroth dans la Menorah de Kether (1) à Malkhuth (10).

Pour aller plus loin quant à l’origine des Sephiroth et de la Kabbale, n’hésitez pas à lire notre ouvrage Initiation à la Voie de la Kabbale.

Aller plus loin :

Plus sur le sujet :

L’origine des Sephiroth, Spartakus FreeMann, décembre 2008 e.v.

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