Petite critique d’un ordre secret templier par Tau Héliogabale. Nous avons lu avec amusement l’article « L’Ordre Secret du Temple – La filiation des Templiers jusqu’à aujourd’hui » dû à la plume de Guy Boulianne. Cet article n’offre rien de bien neuf dans sa partie historique ; il ressasse certains des poncifs éculés que l’on rencontre dans la plupart des ordres templiers se réclamant de la lignée de Fabré-Palaprat. Soulevons ici quelques points :
— L’auteur affirme ainsi « Bernard Raymond Fabré-Palaprat fut nommé Grand Maître de l’Ordre du Temple en 1812 par Guillaume Mauviel (1757-1814) ». Ce qui est une erreur historique, car cette cérémonie aurait eu lieu, selon la légende templière de la « lignée » Palaprat, le 29 juillet 1810. Cependant, Mauviel, refusant les nouveautés liturgiques de l’Ordre de Fabré-Palaprat, sera destitué de sa charge de primat le 14 mars 1810. Pour quelle raison ? Pour manquement à la communion avec… Rome !
« Vu les informations, desquelles il résulte que, lors des élections successives aux titres de coadjuteur des Antilles, de coadjuteur général, de primat, aucune pièce officielle n’a constaté, ainsi qu’il est réglé par l’article 18 du concordat, que le commandeur Guillaume de Lisieux, précédemment sacré évêque pour Saint-Domingue, fut en communion publique avec l’Église de Rome ».
Mauviel sera certes réincorporé plus tard dans l’Ordre, mais en 1811… On se demande donc comment il a pu nommer Palaprat Grand-Maître… Il n’y a d’ailleurs que Fabré-Palaprat pour confondre l’onction chevaleresque (et quasi royale) reçue en 1810 – et non pas en 1812 – et la consécration épiscopale dans les lignées apostoliques. Ajoutons que Palaprat avait démissionné de sa charge le 15 mai 1812 ; et que Le Peletier d’Aunay fut consacré Grand-Maître le 21 janvier 1813. Il y a quelques soucis de date…
J’engage d’ailleurs les templiers secrets à nous dévoiler leurs informations historiques à ce sujet ; ou à admettre qu’ils jouent sur un mythe, et uniquement un mythe. En ce cas, la filiation de Benoît XIII est bien sûr caduque et non avenue !
— L’auteur dans la même phrase prête à Mauviel le but de « concilier illuminisme ésotérique et science. » Or rien dans la carrière de ce prélat ne laisse entendre ce fait, si ce n’est qu’il fut franc-maçon, comme bien d’autres à cette époque…
— Nous arrivons à une énorme erreur historique : « Il est nécessaire d’examiner ce qu’est devenue l’Église des Chrétiens Primitifs sachant que sa perpétuation se fait d’évêque en évêque, le premier de la liste étant Fabré-Palaprat. Ce dernier reçoit la succession apostolique de Monseigneur Jean Baptiste Royer, évêque constitutionnel de Paris le 3 août 1800 ». Palaprat n’a jamais été consacré par Royer, mais par d’Arnal et selon le rit templier… quant à une consécration par Mauviel, nous avons répondu. Rappelons que Palaprat aurait reçu, vers 1793, l’ordination presbytérale des mains de Mgr. Jean-Joachim Gausserand, évêque constitutionnel du Tarn (Mgr de la Thibauderie soutient, quant à lui, que ce fut en réalité Jean Danglars, évêque constitutionnel du Lot). Nous ne voyons pas pourquoi Royer – même s’il fut lui-même franc-maçon (membre de la loge La Vraye Lumière) – aurait sacré évêque Fabré-Palaprat. Si aujourd’hui il est de coutume dans les églises parallèles de concéder les dignités épiscopales comme un simple diplôme, ce n’était absolument pas le cas alors… Mais il suffirait, ici encore, d’exposer la seule preuve qui vaille : une bulle de consécration. Une erreur encore, Royer a bien consacré Mauviel, par contre…
— On lit : « Cette année-là (1804 sic !), l’ordre des Chevaliers de l’Ordre du Temple, avec Fabré-Palaprat comme Grand Maître est autorisé par l’Empereur Napoléon 1er ». On aimerait que l’auteur nous précise en quoi l’ordre était autorisé. Il est facile de fouiller les recueils des textes de lois et décrets de cette époque. Il n’y a rien. Pas plus Napoléon premier du nom que le troisième n’ont autorisé le culte templier, johannite ou gnostique… C’est un mensonge effronté à la face de la réalité historique.
— On nous donne ensuite la liste habituelle des successeurs de la « lignée » Fabré-Palaprat… Machaud (ou Machault) a consacré Chatel en 1831 selon le rite johannite (et exclusivement johannite), mais rappelons qu’il sera excommunié et démis de ses fonctions par Palaprat en octobre de la même année. Chatel dira de sa consécration templière : « c’est une vaste farce ! » Le reste des noms est jeté en pâture au lecteur, mais sans aucune preuve historique (où sont les bulles de consécration ? Les chartes ? les lettres patentes ?). Quoi qu’il en soit la lignée épiscopale est des plus douteuses, et il en va donc de même de la lignée chevaleresque. On voit mal un Chatel conférer l’adoubement d’une chevalerie qu’il n’avait pas reçu, on le voit mal faire un « primat » d’une obscure église albigeoise (qui ne serait pas spirituellement dans la lignée de l’ordre du Temple de Palaprat)… Tout cela pour paraphraser Chatel est une vaste farce donc.
La suite de l’article est confondante de naïveté. On sent poindre le nez du prieuré de Sion et des descendants physiques du Christ pour venir donner une extrême onction à sa béatitude Paul Sanda comme seul et unique maître des templiers du monde, et d’au-delà…
Quant à la survivance de l’ordre, permettez-moi de souligner que le 20 juin 1857, dans sa quatre-vingtième séance, le Magistère rédigea le décret qui, après entente avec le roi de Hanovre, lui conférait la Grande-Maîtrise. Dans sa quatre-vingt-unième et dernière réunion, le Conseil Suprême régla définitivement les questions de détail pour la cérémonie du grand convent du 23 juillet 1857 et fit dresser l’inventaire du trésor de l’Ordre qui, avec toutes les archives, devaient être remis par les soins du comte Szapary, Grand-Prieur, Grand-Croix de l’Ordre à S.M. le roi de Hanovre, le Grand-Maître. Ce transfert ne se fera pas, et en 1871, tous ces objets seront déposés par le docteur Vernois aux archives nationales de France.
Pour l’édification des postulants à l’ordre secret templier, voici cet inventaire :
« L’épée de Jacques de Molay ; l’épée de la Grande-Maîtrise ; le casque de Guy, précepteur de Normandie ; sept sceaux cachets ; la charte de transmission (Charte de Larmenius) ; une collection de registres parmi lesquels se trouvent ceux du Conseil Suprême ; le livre d’or ; les statuts (original) de 1705… toutes les archives de l’Ordre ».
Vous lisez bien, la charte de transmission (aujourd’hui au Mark Masons Hall de Londres) et l’épée de la Grande-Maîtrise et les archives… Que reste-t-il alors au patriarcat anti-historique de Cordes ? Rien, ou si peu… Pas de charte de transmission ni les ornements liturgiques et chevaleresques, et surtout aucun document officiel des soi-disant successeurs de Palaprat donnant la Grande-Maîtrise à Sa Béatitude Raymond II. Il ne reste que quelques déclarations péremptoires, quelques filiations imaginales, et beaucoup de vide. Bien sûr nous retirerions nos assertions au moment exact où ils fourniront les pièces historiques prouvant leurs dires… Mais il serait plus facile de visiter les archives nationales (pour les curieux la cote est 3 AS 1-34 : don du docteur A. G. M. Vernois, 16 août 1871 et 3 AS 35-38 : don du comte Aynard de Chabrillan, 1920-1921).
On a du mal à retenir les larmes – de rire – en lisant la déclaration de Sa Béatitude sur sa page : « notre légitimité est absolument incontestable… Très honorés sommes-nous d’avoir ainsi une page à notre nom, qui décrit minutieusement toutes les successions véritables de notre Patriarcat. » Eh bien non ! Monsieur Sanda vous n’avez aucune légitimité historique ou spirituelle – vous n’avez qu’un mythe mal bâti et grossièrement détouré afin de faire illusion devant ceux qui sont innocemment dans la recherche de la spiritualité templière véritable. Et ce n’est pas le fait d’habiter une des maisons où Fabré-Palaprat a pu habiter quelques années de sa vie (n’oublions pas qu’il la quitta très jeune pour aller étudier à Montpelier puis s’établir à Paris avant de mourir à Pau) qui est une quelconque validation de vos prétentions.
Mais tout cela serait bon enfant – on a tous le droit de défiler le 14 juillet en tenue de carnaval, l’épée émoussée à la main – non, ce qui est plus inquiétant c’est la prétention de ces trafiqueurs de lignées et usurpateurs de titres qui, dans leurs courses effrénées, ont adoubé et ordonné prêtre, puis consacré évêque avant de l’élever à la dignité de primat une personne qui – et de l’aveu même de Sa Béatitude – n’avait JAMAIS dit une seule messe de sa vie.
Ce simple acte vaut jugement définitif du sérieux de ces patriarches histrioniques de l’ordre secret templier de Cordes…
Humainement parlant, l’acharnement mis par Sa Béatitude à rabaisser son ancien primat – aujourd’hui gravement malade (il s’agit d’une information publiquement disponible sur les médias sociaux) – suffit au jugement moral qu’il convient de lui appliquer.
Petite critique d’un ordre secret templier, Tau Héliogabale, septembre 2015 e.v.