Le Patriarche Synésius déclare un culte nouveau : l’Eglise Gnostique de France, par Armand Charpentier.
Parmi les associations cultuelles dont la déclaration figure au Journal officiel du 25 décembre courant, se trouve celle-ci :
Eglise gnostique de France (célébration du cultuel religieux), 5, rue du Pont-de-Lodi, Paris – Patriarche : Fabre des Essarts.
C’est la première fois, certainement, qu’à côté des cultes catholique, protestant et israélite, une religion nouvelle apparaît d’une façon officielle en France. Quelle est cette religion, d’où vient-elle, comment s’est-elle constituée, quels sont ses prêtres, où sont ses fidèles ? … Ce sont là autant de questions que nous nous sommes posées en lisant la déclaration parue au Journal officiel. Pour nous renseigner et renseigner nos lecteurs, nous avons été frapper à la porte du patriarche Fabre des Essarts, qui nous a fait un accueil très patriarcal.
« L’Eglise gnostique, nous dit-il, n’est point une église nouvelle. Ses origines coïncident avec la venue du christianisme. Les gnostiques d’autrefois, les Valentin, les Basilide, les Carpocrate, etc. prétendaient – et nous prétendons avec eux – conserver la véritable tradition du Christ, qui fut continuée à travers les siècles par les Albigeois, les Cathares, les Vaudois, les Templiers, etc. C’est vers 1890 qu’un archiviste d’Orléans, le savant Doinel, reconstitua le culte. Doinel prit alors le nom mystique de Valentin et le titre de patriarche et d’évêque de Montségur ; il nomma plusieurs évêques et les consacra d’après les rites traditionnels. »
« Personnellement, j’eus l’honneur d’être consacré par ses mains et nommé évêque de Bordeaux. A la mort de Doinel, je fus élu patriarche par le Saint-Synode et pris le nom de Synésius. C’est sous ce nom, depuis lors, que j’officie et consacre mes frères en gnosticisme. Je pourrais ajouter : et mes sœurs, car dans notre église les femmes sont admises à toutes les fonctions sacerdotales, sauf au patriarcat. »
« Notre religion est d’une extrême simplicité ; elle prêche la fraternité universelles et son Dieu est un être de bonté. Notre église ne compte encore qu’une élite de fidèles, dont 300 à Paris. Nous ne les recevons qu’à la suite d’examens philosophiques très sérieux. Non multi, sed boni. Nous avons des fidèles dans toute l’Europe, notamment en Belgique, en Bohême, en Italie. De même, dans les grandes villes de France, des groupements se constituent et leurs déclarations, sous forme de « cultuelles » paraîtront sous peu dans l’Officiel, car, bien que n’ayant ni biens, ni revenus, nous sommes respectueux de la loi républicaine ».
Ainsi parla Synésius, tandis que sa main, où brillait l’anneau d’améthyste, caressait d’un geste lent une barbe patriarcale. Comme je lui ce qu’il pensait de l’attitude du Pape, Synésius reprit ainsi :
« C’est notre plus grand ennemi, mais il travaille pour nous sans s’en douter. Il est en train, par son aveuglement, de détruire en France l’Eglise catholique. Sans doute, le protestantisme ramassera de nombreuses miettes, mais j’espère bien que l’Eglise gnostique en aura également. Grâce au pape, nous serons dix mille gnostiques en France avant dix ans. Et alors, nous demanderons au gouvernement de vouloir bien nous ou nous louer les églises désaffectées, nous y établirons le véritable culte du Christ. »
Je demande à Synésius s’il a éprouvé quelque difficulté pour déclarer sa cultuelle.
« Aucune, me répond-il. Voici le récépissé de déclaration d’association que m’a délivré la préfecture de police. »
Et le patriarche me tend un imprimé sur lequel je lis :
Cabinet du préfet, 2e bureau, 2e section.
A la date du 7 décembre 1906, M. Fabre des Essarts, demeurant à Paris, rue du Pont-de-Lodi, 5, a effectué la déclaration d’une association portant la dénomination de « Eglise gnostique de France », et dont le siège social est fixé à Paris, rue du Pont-de-Lodi, 5. Il a déposé à l’appui de cette déclaration : 1° deux exemplaires des statuts de l’association ; 2° la liste des personnes chargées de l’administration ou de la direction de l’association ; 3° la liste des membres fondateurs (vingt-cinq). Suit la signature du secrétaire général délégué.
Voici enfin la copie textuelle des statuts de l’Eglise gnostique de France :
I – Le gnosticisme est une doctrine philosophique et traditionnelle. Il a pour but de restituer l’unité primitive religieuse.
II – Le gnosticisme ne s’impose aux consciences ni par la violence ni par la menace de châtiments après la mort.
III – Il professe, conformément à son titre, que la religion véritable est la Science Intégrale ; de ce fait, son enseignement comporte la doctrine évolutive, qui s’ouvre toujours aux progrès successifs et définis de l’intelligence humaine.
IV – Il est ouvert à tous les hommes, sans distinction de nationalité, de langues ou de races.
V – On est admis à la plénitude de la connaissance des vérités gnostiques par des grades successifs qui ne sont conférés qu’au mérite et à la valeur intellectuelle des aspirants.
VI – Les cérémonies gnostiques, les dogmes, les rites sont expressément respectueux des lois de la République.
VII – L’Église gnostique de France est sous la haute direction d’un patriarche, qui a Paris pour résidence épiscopale et qui s’intitule évêque de Montségur, en souvenir du massacre des derniers Albigeois. Mais ces titres ne confèrent au chef de l’Église aucune suprématie dogmatique. Il est simplement primus inter pares et il ne peut prendre aucune décision importante sans l’approbation du Saint-Synode.
VIII – Le Saint-Synode est composé de tous les évêques gnostiques de France.
IX – La caractéristique de l’Église gnostique est de représenter et de restituer l’ancienne Église chrétienne, démocratique et égalitaire.
Cette fois, j’étais aussi renseigné que possible sur la jeune Eglise gnostique. Synésius voulut bien encore me faire don de son portrait en costume de patriarche. Puis, en me reconduisant à sa porte, il m’a déclaré que je n’avais pas la foi. Ajouterais-je que, dans sa vie profane, Fabre des Essarts est un littérateur de talent, auquel on doit diverses œuvres, notamment un volume de poésies qui a pour titre Humanité ?
Plus sur le sujet :
L’Eglise Gnostique de France, Armand Charpentier.
Le Journal, 31 décembre 1906.
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