L’infernale sarabande des Templiers par Albert Jannin.
Ma ville natale au bon vieux temps est une romance historique, rĂ©digĂ©e au milieu du 19e siĂšcle, ayant pour cadre la ville de Dunkerque. Au chapitre intitulĂ© « lâabbaye », Albert Jannin met en scĂšne le personnage dâun abbĂ© ayant Ă©tĂ© tĂ©moin de lâexĂ©cution des templiers :
« Chaque fois quâil Ă©tait question de ces moines guerriers, son sang ne faisait quâun tour », Ă©crit lâauteur, qui ajoute : « Il avait Ă la mĂ©moire le supplice de ces dĂ©fenseurs du Temple, drapĂ©s dans leurs longs manteaux blancs ; et il sentait encore la fiertĂ© de leurs regards, froids comme lâacier de leur heaume. Son zĂšle aveugle pour la foi lâavait poussĂ© jadis Ă allumer les bĂ»chers, Ă remplir les rĂ©pugnantes fonctions de frĂšre brĂ»leur. Maintenant que les grandeurs lâavaient placĂ© dans les rangs de lâaristocratie clĂ©ricale, il Ă©tait devenu indiffĂ©rent ou sceptique, et son esprit, hantĂ© par de lugubres visions, voyait partout les Chevaliers, dansant autour de lui une infernale sarabande ».
La confession de lâabbĂ© sera lâoccasion dâune belle envolĂ©e, brassant les lĂ©gendes classiques autour du Temple et de son idole supposĂ©e Baphomet. Cet extrait, placĂ© dans la bouche dâun religieux quelque peu caricatural, est donc Ă considĂ©rer comme un exemple et une illustration des dĂ©lires hĂ©ritĂ©s de LĂ©o Taxil et consorts et surtout pas comme une source sĂ©rieuse ! Le passage a cependant lâavantage dâĂȘtre amusant et typique des divagations antimaçonniques :
« Les Templiers… les Templiers…. Ă©nigme pour lâavenir… Ă©nigme terrible que lâhistoire ne connaĂźtra jamais, que les peuples ignoreront toujours… du feu… du sang… la flamme crĂ©pite et brille, lâĂ©paisse fumĂ©e tournoie dans lâair et les gĂ©missements des Chevaliers qui expirent dans dâatroces souffrances, font penser aux damnĂ©s dans la GĂ©henne… Ah ! vous nâĂ©tiez pas lĂ le jour oĂč nous brĂ»lions les Manteaux Blancs devant lâĂ©glise, alors que les cloches des paroisses environnantes, sonnant le glas, remplissaient lâespace de leurs tintements funĂšbres. Et quand, dans leur couvent, nous dĂ©couvrĂźmes les traces du culte infernal quâils pratiquaient en secret dans le temple des mages Ă©lus, oĂč ils adoraient la divinitĂ© double des gnostiques…, le Dieu bon ou Lucifer… AdonaĂŻ le Dieu mauvais… Astaroth, le gĂ©nie du feu et de lâimpudicitĂ©…
Les quatre lettres I. N. R. I., que nous vĂ©nĂ©rons avec amour, Ă©taient pour eux les initiales des mots dâune phrase impie et blasphĂ©matoire : Igne. Natura. Renovatur. Integra. « La nature tout entiĂšre se renouvelle par le feu. » La religion des Perses…. des idolĂątres…. La croyance des mages dâOrient le feu, le feu…. et ils ont pĂ©ri par le feu…. Jacques Bourguignon Molay, le Grand MaĂźtre, brĂ»le maintenant avec sa horde infernale… Son Baphomet, Ă tĂȘte de bouc, avec le pentagramme aux trois serpents dâElephanta, dâOsiris et dâĂva, a Ă©tĂ© rĂ©duit en poussiĂšre sur les marches de lâĂ©glise pendant leur supplice. Les Ă©pĂ©es magiques que les Chevaliers employaient pour les Ă©vocations des esprits ont Ă©tĂ© brisĂ©es comme le furent jadis celles des PhilistinsâŠ
Neckam… AdonaĂŻ… Oh ! la chambre noire des Rose-Croix… la salle du grand triangle…. le temple rouge des Chevaliers Kaddosch la salle de lâArĂ©opage dans les souterrains du chĂąteau, oĂč sâexĂ©cutaient la nuit les vengeances de lâordre… le sanctuaire dâĂva… le parvis des HiĂ©rarques. Quelle horreur, quelle hiĂ©rarchie formidable, quelle puissance dâaction que cette vaste association du Temple !
Si nous ne lâavions pas anĂ©antie, elle nous aurait absorbĂ©s en elle et la chrĂ©tientĂ© disparaissait du monde pour jamais. Heureusement que nous nous sommes aperçus Ă temps des agissements occultes de cette race maudite, et si les derniers germes ne sont pas complĂštement extirpĂ©s de la terre, les chefs de lâĂglise seront, Ă travers les Ăąges futurs, lâĆil vigilant qui suivra dans lâombre les agissements des suppĂŽts de CaĂŻn. »
LâĂ©tonnement du pĂšre Anselme grandissait au fur et Ă mesure que les mots sâĂ©chappaient avec volubilitĂ© de la bouche de lâAbbĂ©. NâĂ©tant pas initiĂ© Ă ces paroles symboliques, le sous-prieur se disposait Ă en demander lâexplication. Mais lâAbbĂ© sâarrĂȘta. Nâavait-il pas Ă©tĂ© trop loin dans son exaltation ? Nâavait-il pas dĂ©voilĂ© des secrets que seuls les PrĂ©lats devaient connaĂźtre ?
[âŠ] Le lecteur a peut-ĂȘtre devinĂ© Ă la lecture de ces phrases incohĂ©rentes, Ă©chappĂ©es au PĂšre AbbĂ© dans un moment de surexcitation nerveuse, oĂč la terreur religieuse se mĂȘlait au souvenir dâune sombre tragĂ©die, que les Templiers, au Moyen-Age, furent les prĂ©curseurs de la franc-maçonnerie moderne. La sociĂ©tĂ© clĂ©ricale, soupçonneuse et jalouse, avait de suite compris le danger de laisser subsister plus longtemps ce pouvoir formidable rĂ©unissant en lui la force morale et la force matĂ©rielle. LâEglise ne pouvait vivre Ă cĂŽtĂ© de ce colosse ayant grandi sous son ombre tutĂ©laire, protĂ©gĂ© par les papes, les rois et les conciles, et qui menaçait de lâabsorber. Lâun devait fatalement anĂ©antir lâautre, et ce furent le scapulaire et le capuchon qui eurent raison de la lance et de lâĂ©pĂ©e.
En effet, fondĂ© au dĂ©but pour combattre les infidĂšles, lâOrdre du Temple fut longtemps, en Palestine, le rempart contre lequel lâIslamisme vint briser ses efforts. En principe, les Croisades nâeurent pas toujours le but religieux quâon leur attribua plus tard, et les rois et les princes, en prenant la croix pour conduire aux lieux saints des armĂ©es composĂ©es en majeure partie de gens turbulents et belliqueux, dĂ©barrassaient leurs Ă©tats de toute la pĂšgre et de toutes les Ă©paves de la chrĂ©tientĂ©. Les Templiers connaissaient le but de ces expĂ©ditions lointaines. DouĂ©s gĂ©nĂ©ralement dâune instruction bien supĂ©rieure Ă celle des nobles de lâĂ©poque, ils prirent vite contact avec les mages de la ChaldĂ©e se rapprochĂšrent des prĂȘtres Ă©gyptiens pratiquant encore lâancien culte dâIsis et se firent initier secrĂštement aux mystĂšres du rite de Memphis.
De retour en Europe, ils firent correspondre les degrĂ©s de ce rite aux diffĂ©rents emplois et charges de leur ordre, et dans chaque maison quâils fondĂšrent, une loge fonctionna. Les grades dâapprenti et de compagnon Ă©taient dĂ©volus aux novices et aux Ă©cuyers, ceux de maĂźtres aux simples chevaliers. Les autres dignitĂ©s Ă©taient donnĂ©es gĂ©nĂ©ralement aux Templiers remplissant les fonctions dâintendants ou de trĂ©soriers dans les maisons de simple obĂ©dience, oĂč le chef avait le plus souvent le titre de Rose-Croix. Quant aux distinctions Ă©levĂ©es, telles que chevalier du serpent, du Delta sacrĂ©, du Soleil, Prince du rite ou chevaliers Kaddosch, ils Ă©taient toujours confĂ©rĂ©s aux supĂ©rieurs des commanderies ou Ă ceux qui aidaient de leurs conseils le grand maĂźtre du Temple, Ă Paris.
Si les Templiers nâavaient pas Ă©tĂ© supprimĂ©s, les Ă©glises dâaujourdâhui seraient trĂšs probablement remplacĂ©es par des loges maçonniques, fonctionnant dans un sens plus thĂ©ocratique, et revĂȘtues dâun caractĂšre de sacerdoce mystĂ©rieux. Elles nâouvriraient les portes de leurs Temples quâau plus petit nombre, Ă ceux marquĂ©s par le destin pour recevoir la lumiĂšre : aux vocates Ă©lus. Le Christianisme aurait donc Ă©tĂ© supplantĂ© par les anciennes croyances des premiers peuples, qui furent le berceau de la sociĂ©tĂ© humaine et dont les ruines imposantes des monuments gigantesques rappellent encore aujourdâhui, soit quâon les retrouve sur la terre des Pharaons ou dans les plaines de lâAsie, la grandeur et la puissance dâune civilisation Ă jamais Ă©teinte, mais pleine dâinsondables mystĂšres pour le savant, le penseur et le philosophe.
MĂȘme Ă lâĂ©poque oĂč les Chevaliers du Temple furent supprimĂ©s, peu dâecclĂ©siastiques Ă part les membres du haut clergĂ©, connaissaient les ramifications que la Compagnie entretenait avec les diffĂ©rentes sectes de lâOrient.
Plus tard seulement, quand la ruine de lâOrdre fut absolue, le clergĂ© considĂ©ra avec moins de crainte lâabĂźme oĂč il avait failli sombrer. »
Plus sur le sujet :
L’infernale sarabande des Templiers, Albert Jannin, « Ma ville natale au bon vieux temps », dans la revue MĂ©moires de la SociĂ©tĂ© dunkerquoise pour lâencouragement des sciences, des lettres et des arts, 27e volume, 1851.
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