La revue PlanĂšte

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La revue PlanĂšte par Melmothia. 

Mes remerciements Ă  GrĂ©gory Gutierez qui m’a autorisĂ©e, pour la rĂ©daction de cet article, Ă  m’inspirer de son mĂ©moire : Le discours du rĂ©alisme fantastique : la revue PlanĂšte. 

Introduction

En 1960, deux intellectuels français, Jacques Bergier et Louis Pauwels cosignent un ouvrage destinĂ© Ă  connaĂźtre un succĂšs fulgurant. Brassant des sujets aussi divers que les derniĂšres avancĂ©es de la science, les sociĂ©tĂ©s secrĂštes, la sociologie, l’alchimie ou l’occultisme, Le matin des magiciens a pour ambition d’ouvrir la voie Ă  une nouvelle rĂ©volution culturelle, sociale et artistique, celle du « rĂ©alisme fantastique Â». Un an plus tard, en guise d’extension au livre, sera crĂ©Ă©e la revue PlanĂšte avec pour slogan « Rien de ce qui est Ă©trange ne nous est Ă©tranger ! Â». Porte-parole d’un mouvement dont l’importance est difficilement imaginable aujourd’hui, PlanĂšte se donnait avant tout pour fonction d’ĂȘtre un « remue-mĂ©ninges Â» dans lequel Ɠuvres de science-fiction cĂŽtoyaient articles de vulgarisation scientifique, essais Ă©sotĂ©riques, sociologiques ou historiques, les auteurs s’efforçant de rĂ©concilier les domaines du savoir et rendre accessibles des connaissances habituellement relĂ©guĂ©es dans les marges.

Avec des ventes dĂ©passant les 100 000 exemplaires dĂšs les premiers numĂ©ros, le « phĂ©nomĂšne PlanĂšte Â», selon l’expression d’Edgar Morin divisa l’opinion publique des annĂ©es 60, provoquant des rĂ©actions passionnĂ©es d’adhĂ©sion ou de rejet. Bien que la revue soit tombĂ©e dans l’oubli une dĂ©cennie plus tard, son influence demeure toujours sensible, de nombreuses thĂ©ories dĂ©veloppĂ©es dans PlanĂšte Ă©tant passĂ©es dans la culture populaire pour le meilleur comme pour le pire.

 Le Matin des Magiciens

 Â« Dans les coulisses de notre Ă©poque s’agitent des bricoleurs d’idĂ©es neuves qui ont peut-ĂȘtre un avenir. »

Aimé Michel, éditorial du dernier numéro de PlanÚte, juillet 1968.

Au milieu des annĂ©es 50, l’écrivain Louis Pauwels se met Ă  la recherche d’un scientifique susceptible de l’aider dans la rĂ©daction d’articles. RenĂ© Alleau lui prĂ©sente alors Jacques Bergier, un touche Ă  tout intellectuel, ingĂ©nieur chimiste de profession. La rencontre est dĂ©cisive. À propos de son collaborateur, Pauwels Ă©crira : « Bergier m’a fait gagner vingt ans de lecture active. Dans ce puissant cerveau, une formidable BibliothĂšque est en service Â».

Jacques Bergier

Les deux hommes dĂ©cident de travailler ensemble. AprĂšs cinq annĂ©es de besogne, Le matin des Magiciens, servi par la plume de Pauwels et l’érudition encyclopĂ©dique de Bergier, sort en 1960 aux Ă©ditions Gallimard. L’ouvrage repose sur l’idĂ©e que certaines connaissances essentielles pour l’humanitĂ© ont Ă©tĂ© oubliĂ©es ou tenues secrĂštes. De nouveau en leur possession, l’ĂȘtre humain pourra devenir un surhomme, un « mutant Â» suivant le terme des auteurs.

Pour le dĂ©montrer, ceux-ci vont aller chercher du cĂŽtĂ© du paranormal et du bizarre. Avec pour sous-titre : « Introduction au rĂ©alisme fantastique », Le matin des Magiciens s’applique Ă  la rĂ©cusation du scientisme et Ă  l’apologie des Ă©sotĂ©rismes. Se positionnant « aux frontiĂšres de la science et de la tradition Â», il aborde pĂȘle-mĂȘle des thĂšmes aussi divers que l’ufologie, les sciences, les sociĂ©tĂ©s secrĂštes, les civilisations disparues, les phĂ©nomĂšnes Ă©tranges et les sciences occultes. Ainsi que l’écrit GrĂ©gory Gutierez, Le matin des magiciens se prĂ©sente comme « un manuel : le manuel du penser diffĂ©remment ». Et il est vrai que cette dĂ©marche de rĂ©conciliation des savoirs, d’optimisme Ă  l’égard du progrĂšs et de bienveillance envers la tradition, est alors profondĂ©ment innovante, tout autant que les thĂšmes dĂ©veloppĂ©s dans l’ouvrage. Ainsi, dans le chapitre intitulĂ© « L’alchimie comme exemple », est exposĂ©e pour la premiĂšre fois de maniĂšre accessible au lecteur, la dĂ©marche opĂ©ratoire de l’alchimiste.

Le succĂšs est fulgurant et inattendu. Les journaux rĂ©percutent l’initiative pour la louer ou la condamner, les courriers de lecteurs s’accumulent et des Ă©ditions Ă©trangĂšres ne tardent pas Ă  ĂȘtre imprimĂ©es. En 1965, on compte dĂ©jĂ  500.000 exemplaires du Matin des magiciens vendus en Europe.

Environ un an aprĂšs la sortie du livre, Jacques Bergier et Louis Pauwels dĂ©cident de crĂ©er une revue qui en serait l’extension. De mĂȘme que pour Le Matin des Magiciens, le succĂšs est aussi rapide qu’inattendu. Le premier numĂ©ro de PlanĂšte, sorti en octobre-novembre 1961, est tirĂ© d’abord Ă  8 000 exemplaires. Mais, aprĂšs de multiples rĂ©impressions, il s’en vendra 80 000. DĂšs lors, tous les deux mois, un nouveau numĂ©ro paraĂźt. Comme l’ouvrage qui l’a inspirĂ©e, la revue mĂ©lange allĂšgrement les genres : Ă©sotĂ©risme, sciences, sociologie, politique, science-fiction, etc. Aux critiques qui s’indignent de ce salmigondis, le rĂ©dacteur en chef, Jacques Mousseau, rappelle : « nos lecteurs sont des adultes ».

Le RĂ©alisme Fantastique

« Nous avons baptisĂ© l’école Ă  laquelle nous nous sommes mis, l’école du rĂ©alisme fantastique (
). On ne prospecte pas les lointains faubourgs de la rĂ©alitĂ© ; on tente au contraire de s’installer au centre Â». – Louis Pauwels et Jacques Bergier, Le Matin des magiciens, 1960.

Pour dĂ©finir le nouveau courant dont ils sont les instigateurs, Jacques Bergier et Louis Pauwells s’offrent une dĂ©finition toute neuve du fantastique : « On dĂ©finit gĂ©nĂ©ralement le fantastique comme une violation des lois naturelles, comme l’apparition de l’impossible. Pour nous, ce n’est pas cela du tout. Le fantastique est une manifestation des lois naturelles, un effet du contact avec la rĂ©alitĂ© quand celle-ci est perçue directement et non pas filtrĂ©e par le voile du sommeil intellectuel, par les habitudes, les prĂ©jugĂ©s, les conformismes ». Autrement dit, il ne s’agit pas de dĂ©lirer en imagination, mais de scruter ce qui se cache derriĂšre le voile des apparences, une forme de surrĂ©alitĂ© liĂ©e Ă  une conscience supĂ©rieure du rĂ©el.

Charles Hoy Fort, dit Charles Fort (1874-1932) & la seconde Ă©dition française du Livre des damnĂ©s, Ă©ditions Éric Losfeld, 1967.

Ce « rĂ©alisme fantastique Â» tel que dĂ©fini dans le Matin des magiciens, se rĂ©clame d’un prĂ©curseur, l’autodidacte Charles Hoy Fort. MĂ©connu dans la francophonie, cet amĂ©ricain nĂ© en 1874 passa une grande partie de sa vie Ă  recenser et collectionner les phĂ©nomĂšnes insolites, notamment les fameuses pluies de sang ou d’animaux. En 1919 parut le trĂšs controversĂ© Livre des DamnĂ©s qui s’ouvrait par ces mots : « Une procession de damnĂ©s. Par les damnĂ©s j’entends bien les exclus. Nous tiendrons une procession de toutes les donnĂ©es que la Science a jugĂ© bon d’exclure Â». Proposant des explications aussi farfelues que les faits qu’il collecte, Charles Fort fascina certains artistes comme Howard Phillips Lovecraft, mais s’attira le mĂ©pris des universitaires.

InstituĂ© « Rabelais cosmique » dans Le matin des magiciens, Charles Fort est donnĂ© comme un exemple Ă  suivre pour le rĂ©alisme fantastique, Jacques Bergier assurera la prĂ©face de l’édition française de l’ouvrage en 1955 aux Ă©ditions des Deux Rives et une rubrique de type fortĂ©en sera rĂ©digĂ©e par George Langelaan sous l’intitulĂ© « Les faits maudits » dans la revue PlanĂšte.

Galerie de portraits

DĂ©cloisonner les savoirs, embrasser tous les domaines de la connaissance, explorer des domaines mĂ©connus ou volontairement ignorĂ©s, rĂ©concilier sciences, littĂ©rature et spiritualité  Les ambitions du rĂ©alisme fantastique sont vastes. Dans Le matin des magiciens, les auteurs exprimaient le dĂ©sir de « crĂ©er et animer une sorte d’institut oĂč les Ă©tudes, Ă  peine amorcĂ©es dans ce livre, seraient poursuivies ». Ce projet va s’incarner dans la revue PlanĂšte, puis dans les collections qui y seront associĂ©es.

Le format lui-mĂȘme est original. Se prĂ©sentant comme la premiĂšre « revue de bibliothĂšque Â», PlanĂšte est imprimĂ©e en noir et blanc dans un format carrĂ© et propose environ 150 pages d’articles et d’illustrations. Chaque numĂ©ro est constituĂ© de six grandes rubriques : Chronique de notre civilisation ;  Histoire invisible ; Ouverture de la science ; Grands contemporains ; Monde futur ; Civilisations disparues. En outre, la revue promeut des artistes considĂ©rĂ©s pour une raison ou une autre comme participant du rĂ©alisme fantastique, des Ă©crivains tels qu’Howard Phillips Lovecraft, John Buchan, Arthur C. Clarke, Jorge Luis Borges, Ray Bradbury, etc. et des peintres comme Pierre Soulages, Jean Gourmelin, Yves Klein ou Pierre-Yves TrĂ©mois.

Enfin, l’écrasante majoritĂ© des 41 numĂ©ros propose en couverture un visage humain accompagnĂ© d’une lĂ©gende. L’homme est en effet au centre des prĂ©occupations du mouvement, au point que certains ont voulu voir dans le rĂ©alisme fantastique une nouvelle Renaissance.

Quatre ans aprĂšs la sortie du Matin des magiciens, la revue PlanĂšte, qui connaĂźt dĂ©jĂ  une douzaine d’édition en langue Ă©trangĂšre, va Ă  son tour faire des petits. En 1964 sont fondĂ©es les Ă©ditions PlanĂšte qui permettent la mise en place de plusieurs collections dont la fameuse « Anthologie PlanĂšte Â» dont chaque volume rĂ©unit un florilĂšge de textes littĂ©raires autour d’un genre ou d’un thĂšme : Les Chefs-d’Ɠuvre du fantastique, Les Chefs-d’Ɠuvre de l’Ă©pouvante, Les Chefs-d’Ɠuvre de la science-fiction, etc. ParallĂšlement est crĂ©Ă©e « L’EncyclopĂ©die PlanĂšte Â» qui fait la part belle aux disciplines scientifiques, mais Ă©galement Ă  divers courants de pensĂ©es philosophiques, religieux ou spirituels.

L’annĂ©e 1966 voit la crĂ©ation de la revue Plexus au sous-titre Ă©vocateur : « La revue qui dĂ©complexe Â», axĂ©e sur l’érotisme, l’art, l’humour et la contre-culture. Bien qu’interdite aux mineurs Ă  partir de l’annĂ©e suivante, elle comptera 36 numĂ©ros et fera connaĂźtre au public des artistes tels que Roland Topor, Salvador Dali, Georges Wolinski, Paul Delvaux, le photographe Hubert Grooteclaes ou l’auteur de bandes dessinĂ©es RenĂ© PĂ©tillon. Un autre projet voit Ă©galement le jour en 1967 : PĂ©nĂ©la, « la premiĂšre et unique revue de bibliothĂšque fĂ©minine Â».

Enfin, Bergier et Pauwels imaginĂšrent les « ConfĂ©rences PlanĂšte », qui se dĂ©roulaient en France, mais Ă©galement dans d’autres pays d’Europe, au QuĂ©bec et au Mexique et jusqu’en Argentine, avec notamment la participation de l’écrivain Jorge Luis Borges. Des « DĂźners-dĂ©bats PlanĂšte », des sĂ©jours culturels et des spectacles furent Ă©galement lancĂ©s sous l’Ă©gide de la revue.

Le Crépuscule des Magiciens

« Qu’il s’agisse de philosophie orientale, d’archĂ©ologie, de biologie, de chimie ou d’astrophysique, des spĂ©cialistes montrent que la faconde des rĂ©dacteurs de PlanĂšte masque un manque de sĂ©rieux, une ignorance, un mĂ©pris du lecteur impardonnables ». Yves Galifret et al., Le crĂ©puscule des Magiciens, 1965.

DĂšs la sortie du Matin des magiciens, le rĂ©alisme fantastique s’est retrouvĂ© au centre de dĂ©bats animĂ©s. Les sujets abordĂ©s Ă©tant nouveaux pour le public, ils dĂ©clenchent curiositĂ© et enthousiasme, mais rencontrent Ă©galement de farouches contradicteurs.

Le premier reproche qui peut ĂȘtre fait Ă  l’encontre de la dĂ©marche est le chaos nĂ© de la volontĂ© affichĂ©e de rĂ©concilier les savoirs. Le matin des magiciens, est une Ɠuvre baroque, souvent confuse, mĂȘlant informations et anecdotes, passant allĂšgrement de thĂ©orĂšmes physiques Ă  des spĂ©culations sur l’Atlantide ou les soucoupes volantes. La revue cultivera le mĂȘme joyeux dĂ©sordre. Le risque d’amalgames qui en dĂ©coule, ainsi que le danger de suivre de fausses pistes, est connu des auteurs qui ne prĂ©tendent pas apporter de grandes vĂ©ritĂ©s, mais confessent simplement l’ambition d’ouvrir des voies : « Il y aura sans doute beaucoup de bĂȘtises dans notre livre, rĂ©pĂ©tons-le, mais il importe assez peu, si ce livre suscite quelques vocations et, dans une certaine mesure, prĂ©pare des voies plus larges Ă  la recherche Â».

Des bĂȘtises assurĂ©ment, des approximations, des apprĂ©ciations hasardeuses, des compilations de sources non vĂ©rifiĂ©es, autant de dĂ©fauts que les dĂ©tracteurs ne se priveront pas de souligner. Et malgrĂ© l’appel au discernement, certaines de ces contrevĂ©ritĂ©s sont passĂ©es dans la culture populaire, Ă©levĂ©es par le succĂšs de PlanĂšte au rang de vĂ©ritĂ©s. C’est le cas par exemple des spĂ©culations portant sur le mysticisme et l’occultisme nazi qui n’en finissent plus de ressurgir aprĂšs chaque rĂ©futation.

En 1965, un collectif d’auteur sortit aux Ă©ditions de l’Union Rationaliste, un recueil d’articles dĂ©nonçant le rĂ©alisme fantastique comme Ă©tant une imposture intellectuelle. FondĂ©e en 1930, l’Union Rationaliste rĂ©unit des scientifiques qui revendiquent un positionnement strictement cartĂ©sien. Sous-titrĂ© « le rĂ©alisme fantastique contre la culture Â», Le crĂ©puscule des magiciens dĂ©passe largement la rĂ©serve sceptique et condamner la dĂ©marche dans son ensemble, ou pour le dire autrement, l’ouvrage a tendance Ă  jeter le bĂ©bĂ© avec l’eau du bain.

La polĂ©mique s’éteindra en mĂȘme temps que la revue. Le dernier numĂ©ro de PlanĂšte, le quarante et uniĂšme, sort en juillet-aoĂ»t 1968. MalgrĂ© des tentatives pour en relancer la dynamique avec Le Nouveau PlanĂšte qui sort en septembre de la mĂȘme annĂ©e, l’élan initial est brisĂ©. AprĂšs 23 numĂ©ros, Le Nouveau PlanĂšte disparaĂźt Ă  son tour.

Bibliographie SĂ©lective

 Le matin des magiciens, Louis Pauwels, Jacques Bergier (1960), Gallimard, 1972.

 Le discours du rĂ©alisme fantastique : la revue PlanĂšte, GrĂ©gory Gutierez, 1997-1998. Disponible en tĂ©lĂ©chargement sur le site de l’auteur : http://myblog.greguti.com/

 Le crĂ©puscule des Magiciens. Le rĂ©alisme fantastique contre la culture, Yves Galifret et al., Ă©ditions de l’Union Rationaliste, 1965.

 La revue PlanĂšte. Une exploration insolite de l’expĂ©rience humaine dans les annĂ©es 1960, Clotilde Cornut, Ă©ditions de l’ƒil du Sphinx, 2006.

La revue PlanĂšte, Melmothia, 2012.

Article rédigé pour le site Syfy.

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