Le Djedouel, talismanie arabe

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Un article sur le Djedouel, talismanie arabe par Edmond DouttĂ©. 

L’incantation est un rite oral : c’est-Ă -dire que le geste de la magie imitative y est remplacĂ© par son Ă©quivalent phonĂ©tique ; la seule Ă©nonciation du phĂ©nomĂšne dĂ©sirĂ© suffi t Ă  le susciter. Mais cette Ă©nonciation au lieu d’ĂȘtre faite par le geste, par la parole, peut-ĂȘtre exprimĂ©e autrement. Elle peut-ĂȘtre Ă©crite et nous avons dĂ©jĂ  donnĂ© au chapitre prĂ©cĂ©dent de nombreux exemples de l’incantation Ă©crite ; elle peut-ĂȘtre aussi exprimĂ©e par une image. Ainsi nous verrons plus loin que le mauvais Ɠil est Ă©cartĂ© par le geste de la main projetĂ©e en avant avec les cinq doigts grands ouverts : au lieu de faire ce geste, on pourra le reprĂ©senter, par exemple sur forme d’une main en argent que l’on portera suspendue sur soi ; c’est le khoms algĂ©rien. Nous appelons talismanie rite magique figurĂ© ou Ă©crit : sans doute en un sens plus restreint le talisman est l’objet placĂ© sous certaines influences astrologiques, mais en arabe, au moins dans l’arabe vulgaire (t’elsem, rĂ©g. t’islam), il a le sens plus gĂ©nĂ©ral que nous lui donnons ici.

Djedouel, talismanie arabe par Edmond Doutté
Djedouel, talismanie arabe par Edmond Doutté

Les amulettes appelĂ©es encore h’erz, ou h’edjĂąb, ma’ñdha, ouad’ah’, noufra [ces derniers mots sont de la langue rĂ©guliĂšre], sont portĂ©es, soit dans un but particulier, soit d’une façon gĂ©nĂ©rale contre tout mauvais sort, mais surtout par les entente, Ă  raison des dangers auxquels on les croit exposĂ©s. On en suspend aussi au cou des bestiaux, pour prĂ©venir leurs maladies.

La formule magique est, le plus souvent, Ă©crite sur du papier, mais il est frĂ©quent que les livres de magie prescrivent d’employer une autre matiĂšre ; la peau de gazelle est souvent recommandĂ©e dans ce but.

Les dessins ainsi formĂ©s, le plus souvent rectangulaires ou polygonaux, s’appellent djedouel, en arabe « tableau ». On les dĂ©signe aussi sous le nom de khĂątem : nous avons dĂ©jĂ  exposĂ© que ce mot veut dire « signe » et, par suite, « dessin magique ». Un h’erz complet comprend donc : une da’oua, souvent une da’oua et un qasam, d’une part, et de l’autre un djedouel.

Le djedouel ne peut que se porter : c’est le talisman Ă©crit par excellence et beaucoup de h’erz ne consistent qu’en un simple djedouel.

Djedouel, talismanie arabe par Edmond Doutté
Djedouel

Nous reproduisons ici, Ă  titre d’exemple, le djedouel ou khĂątem de la da’ouat ech chems, dont nous avons donnĂ© un extrait plus haut (1).

La premiĂšre ligne renferme les sab’a khouĂątim, c’est-Ă -dire les « sept signes Â». L’origine nous en est inconnue ils sont extrĂȘmement rĂ©putĂ©s dans la magie musulmane (2). El BoĂ»ni les donne encore sous cette forme (il n’y en aurait alors que six) :

djedouel 2

Les sab’a khouĂątim renferment des versets de la ToĂ»ra (Pentateuque), de l’Évangile et du Coran, au dire d’El BoĂ»ni qui s’étend longuement sur leurs propriĂ©tĂ©s merveilleuses : une da’oua en vers est en relation avec eux, qui paraĂźt presque identique Ă  celle de la djeldjeloĂ»tiya. Aussi les sab’a khouĂątim sont-ils appelĂ©s aussi khouĂątim djeldjeloĂ»tiya. Ils servent du reste Ă  confectionner des djedouel spĂ©ciaux comme celui que nous reproduisons Ă  la page suivante.

djedouel 3
Djedouel

L’un de ces signes a la forme tantĂŽt d’un pentagone Ă©toilĂ©, comme c’est le cas dans la figure ci-dessus, plus souvent d’un hexagone Ă©toilĂ©.

La premiĂšre de ces formes est le pentacle (moukhammas), bien connu dans la magie des peuples aryens et sĂ©mitiques : quant Ă  la forme hexagonale, elle est cĂ©lĂšbre dans le monde juif et musulman sous le nom de khĂątem SouleĂŻman, le « sceau de Salomon ». Les musulmans l’ont certainement empruntĂ© aux Juifs, chez lesquels il joue un rĂŽle trĂšs important dans la talismanique. Westermarck y voit l’entrelacement de deux yeux triangulaires destinĂ©s Ă  Ă©carter le mauvais Ɠil, hypothĂšse ingĂ©nieuse, mais qui ne nous paraĂźt pas ĂȘtre jusqu’ici suffisamment Ă©tayĂ©e.

En tous cas, la lĂ©gende rapporte les propriĂ©tĂ©s merveilleuses de l’hexagone Ă©toilĂ© (mousaddas) Ă  Salomon, Ă  qui Dieu avait donnĂ© l’empire sur les gĂ©nies et les animaux. Salomon portait cette figure gravĂ©e sur une bague qu’il ne quittait que lorsqu’il y Ă©tait obligĂ© : alors il la remettait Ă  quelqu’un de sĂ»r. Une fois il fit faire par un dĂ©mon une statue pour une de ses concubines qu’il aimait et qui lui avait demandĂ© le portrait de son pĂšre : la statue reprĂ©sentait le pĂšre de la jeune fille et celle-ci lui rendait un vĂ©ritable culte. Pour punir Salomon d’avoir ainsi introduit une idole dans son palais, Dieu permit qu’un diable volĂąt par ruse le sceau Ă  Salomon : celui-ci perdit aussitĂŽt son pouvoir ; enfin, aprĂšs de longues Ă©preuves il retrouva l’anneau dans le ventre d’un poisson. Les signes gravĂ©s sur le sceau de Salomon renfermaient le « grand nom Â» de Dieu, comme ceux qui Ă©taient gravĂ©s sur le cƓur d’Adam, dit El BoĂ»ni. Le sceau de Salomon est extrĂȘmement populaire dans toute l’Afrique, on le porte en amulette et surtout on le dessine sur les portes des demeures ; beaucoup de personnages l’adoptent comme cachet.

Les seb’a khouĂątim ne sont pas les seuls caractĂšres incomprĂ©hensibles et mystĂ©rieux que l’on emploie dans la magie musulmane. Il nous faut encore mentionner comme extrĂȘmement rĂ©pandus ceux que Schwab a appelĂ© les « caractĂšres Ă  lunettes Â». Nous en avons vu un exemple dans l’incantation de la khanqad’iriya ; en voici de nouveaux d’aprĂšs El BoĂ»ni :

djedouel 4

Dans les textes imprimĂ©s (Et BoĂ»ni est autogr.), ils sont le plus souvent cette forme (4) :

djedouel 5

Ce sont, disent les auteurs, des signes mystĂ©rieux correspondant aux noms divins. Les caractĂšres Ă  lunettes sont venus directement aux musulmans de la magie juive. Schwab pense « qu’ils sont composĂ©s, pour la plupart, de plusieurs paires d’yeux, pour symboliser la Providence ». Cette interprĂ©tation est Ă  rapprocher de l’hypothĂšse de Westermarck, concernant l’origine du sceau de Salomon : l’emploi de l’Ɠil est classique contre le mauvais Ɠil. D’autres part. des textes hĂ©breux nous montrent les caractĂšres Ă  lunettes en relations avec les lettres de l’alphabet.

Au-dessus des seb’a khouĂątim se trouvent sept lettres de l’alphabet : fĂą (ف), djĂźm (ŰŹ), chin (ŰŽ), thĂą (Ű·), z’ñ (Űž), khĂą (Űź) et zĂźn (Űł). Ces lettres sont les scouĂąqit’ el fĂątih’a, c’est-Ă -dire les seules lettres de l’alphabet arabe qui ne soient pas contenues dans les sept versets de la fĂątih’a ou premiĂšre sourate du Coran : elles sont prĂ©cisĂ©ment au nombre de sept. Elles sont douĂ©es de vertus magiques spĂ©ciales longuement Ă©tudiĂ©es par El BoĂ»ni.

Les saouĂąqit’ et fĂątih’a sont en rapport Ă©troits avec sept des quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu, dont nous parlerons dans un instant; ces noms sont ceux qui dans notre djedouel sont inscrits Ă  la troisiĂšme ligne : fard, « unique Â» ; djebbĂąr, « tout-puissant Â» ; thĂąbit, « ferme Â» ; z’ahĂźr, « Ă©vident » ; khabĂźr, « vigilant » et zaki, « pure ». Chacun de ces noms, on le voit, commence par une des saouĂąqit et fĂątih’a.

La quatriĂšme ligne du djedouel porte sept noms qu’à premiĂšre vue on reconnaĂźt appartenir Ă  l’angĂ©lologie. Il y a du reste des variantes ; Ibn el HĂądjdj les donne ainsi : RoĂ»qiùïl, Djebriùïl, Semsemùïl, Çerfiùïl, Aniùïl KesïŹĂąĂŻl. On retrouverait sans doute les prototypes de ces noms dans ceux des anges de la littĂ©rature kabbalistique ; ils en sont des reproductions ou des dĂ©rivĂ©s : Djabriùïl est un doublet de Djebrùïl (Gabriel); Aniùïl est Anael ou Aniel des Juifs ; Rouqiùïl est RaqiĂąel ; Cerfiùïl peut-ĂȘtre rapprochĂ© de SeraïŹel ou de Ceroufiel et KesïŹĂąĂŻl, ressemble vaguement Ă  Qecefel. Ce ne sont du reste pas des anges proprement dits ; souvent les livres de magie les qualifie de er roĂ»h’ñniyya es seb’a, « les sept esprits ». Le nom d’ange est rĂ©servĂ© Ă  des ĂȘtres spirituels parmi lesquels quatre sont distinguĂ©s entre tous et commandent aux autres : DjebrĂźl ou Djebrùïl (Gabriel), MĂźkùïl (Michel), IsrĂąfĂźl et ‘Azrùïl. Il y a un trĂšs grand nombre d’amulettes dans lesquelles on voit intervenir ces quatre archanges. Nous allons en donner un exemple dans un instant.

La cinquiĂšme ligne contient les noms des sept rois des gĂ©nies : Moudhhib, qui signifie « doreur », Merra, ‘Ah’mar qui signifie « rouge Â», BorqĂąn qui signifie « illumination de l’éclair », ChemhoĂ»rech, Abiod’ qui signifie « blanc », MĂźmoĂ»n. Au rebours des noms qui prĂ©cĂšdent, ceux-ci sont arabes, sauf peut-ĂȘtre ChemboĂ»rech dont l’origine nous est inconnue. Les noms des « sept rois » jouent comme nous l’avons dĂ©jĂ  vu, un rĂŽle trĂšs important dans la magie musulmane.

Enfin la sixiĂšme et la septiĂšme ligne de notre talisman contiennent l’une les noms des sept jours de la semaine, et l’autre les noms des sept planĂštes : Chems, « soleil Â» ; Qamar, « lune Â» ; Mirrikh, « Mars Â» ; ‘Out’ñrid, « Mercure Â» ; Mouchtari, « Jupiter Â» ; Zohra, « VĂ©nus Â» ; Zouh’al, « Saturne Â», suivant leur relations classiques avec les jours de la semaine.

L’idĂ©e dominante de ce djedouel est qu’il exista des correspondances prĂ©cises entre ces divers Ă©lĂ©ments : seb’a khouĂąlim, saouĂąqit’ el fĂątih’a, attributs divins, anges et dĂ©mons, jours de la semaine et planĂštes. Par exemple les saouĂąqit’ et fĂątih’a sont expressĂ©ment rapportĂ©es par El BoĂ»ni Ă  ces jours de la semaine et Ă  une planĂšte ; bien mieux, chaque lettre est en rapport avec un djedouel spĂ©cial qui sert pour les opĂ©rations magiques de chaque jour de la semaine. Par exemple le Z’ñ appartient au jeudi et se rapporte Ă  Jupiter. Son djedouel spĂ©cial est :

djedouel 6
Djedouel

Ce djedouel contient sept fois les sept saouĂąqit’ ; on a remarquĂ© aussi que le prĂ©cĂ©dent djedouel contenait sept colonnes dans chaque sens ; il est clair que cette recherche du nombre sept est intentionnel : ce nombre possĂšde Ă  un haut degrĂ© le caractĂšre magique.

Les correspondances que nous avons signalĂ©es entre les diffĂ©rente Ă©lĂ©ments du djedouel des sab’a khouĂątim sont un exemple de l’emploi des relations mystĂ©rieuses, fondĂ©es sur des vagues analogies, dont la magie, lorsqu’elle se complique, fait un si grand abus. Elle cherche alors Ă  se dĂ©velopper en science ; ces correspondances occultes qu’elle tente d’établir, ce sont en somme des lois ; seul l’abus du raisonnement analogique et de l’induction purement imaginative l’empĂȘche d’aboutir d’emblĂ©e Ă  la science vĂ©ritable. C’est en ce sens que l’on peut dire avec Frazer que la magie est une science fausse : mais cela n’est vrai que d’une pĂ©riode postĂ©rieure de la magie, celle dans laquelle elle cherche Ă  se prĂ©ciser en Ă©tablissant des rapports constants, c’est-Ă -dire des lois. Si elle n’est alors qu’une science fausse, elle est cependant sur le chemin de la science vraie et nous croyons que notre science en est sortie : au surplus quelle science peut se targuer d’ĂȘtre entiĂšrement vraie ?

En somme une des raisons d’ĂȘtre du djedouel, c’est d’exposer graphiquement et par consĂ©quent avec clartĂ©, ces correspondances occultes et de permettre d’user concurremment de l’influence d’élĂ©ments hĂ©tĂ©rogĂšnes. Le magicien associe Ă  son Ɠuvre la nature entiĂšre ; pour lui l’univers est continu et c’est toujours pour nous un sujet de surprise de voir que les primitifs ont Ă©tĂ© familiarisĂ©s avec cette notion de l’équilibre et de la continuitĂ© de l’univers que les savants modernes nous prĂ©sentent parfois comme une vue neuve.

Lire : Une solution au problÚme des carrés magiques arabes.

Plus sur le sujet :

Djedouel, talismanie arabe, Edmond DouttĂ©. EXTRAIT DU CHAPITRE IV (pages 144 et suivantes) DE LA MAGIE & RELIGION DANS L’AFRIQUE DU NORD, ALGER, TYPOGRAPHIE ADOLPHE JOURDAN, 1909.

Notes :

(1) Ce djedouel est figurĂ© dans Ibn el H’ñdjdj ; il est trĂšs connu, on le retrouve, ou a peu prĂšs, annexĂ© Ă  la djeldjeloĂ»tiya.

(2) Voir une représentation peu fidÚle dans Tuchmann, in Mélusine, IX, p. 128.

(3) El Boûni, p. 82.

(4) Ibn el H’ñdjdj, p. 92, 96.

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