Les alphabets maçonniques par Spartakus FreeMann.
Origines.
L’alphabet maçonnique est un système de cryptage qui se présente sous la forme d’un carré et d’une croix, sur lesquels sont disposés les lettres de l’alphabet normal, et que l’on a rapproché de l’hébreu dit « carré ». Treize caractères (9 + 4) composent le système de l’écriture maçonnique. Mais ils ne parviennent à peindre tous les sons qu’au moyen d’une addition de points.
En voici la clé :
La lettre a s’écrit ainsi
Une variante de cet alphabet :
Selon certains, l’origine de l’alphabet maçonnique se trouverait dans le Catéchisme des francs-maçons attribué à Louis Travenol, écrit en 1744, mais nous devons avouer qu’il n’y a, dans ce livre, aucune trace d’un alphabet maçonnique. La source la plus probable semble être le Sceau Rompu (titre complet Khatam Pharouq ou Sceau Rompu) publié en 1745 :
« Chapitre VII : Des caractères de la Maçonnerie ou de l’écriture maçonne.
Un des plus ingénieux usages de la Maçonnerie & qui frappe le moins les Maçons mêmes, est notre écriture. Il en est de cette invention comme de celle du Compas, l’instrument de tous le plus simple & en même temps le plus utile. L’écriture Maçonne réunit à la même simplicité l’avantage d’être une Écriture universelle & propre à toutes sortes de Langues.
Ce merveilleux alphabet consiste en deux lignes parallèles perpendiculaires, coupées de deux lignes horizontales aussi parallèles, ce qui forme au milieu un quarré régulier, quatre quarrés ouverts, & quatre angles égaux. Toutes ces divisions forment neuf cases, tant ouvertes que fermées, dont cinq contiennent chacune deux lettres & les quatre autres trois.
Cette figure avec les lettres forme, comme on voit, un quarré parfait dont chaque case contient une lettre simple & une ou deux distinguées, soit par un point seul, soit par deux points. Or pour en composer un mot, comme par exemple celui de Compas, il s’agit de représenter successivement la case ou l’angle qui contient chaque lettre, en observant la ponctuation qui fait la différence de ces lettres. Je vais chercher pour cet effet le C à l’un des angles inférieurs, & je l’exprime ainsi ┐, etc.
En voila ce me semble assez pour mettre le Lecteur au fait. Cette écriture au premier coup d’œil paraît plus embarrassante que l’écriture commune, mais avec un peu d’habitude, on la trouvera très-commode, puisqu’on peut combiner & rétrécir toutes ces figures aussi facilement que celles dont nous nous servons.
On s’aperçoit bien, sans que nous en fassions la remarque, que les caractères Maçons ressemblent beaucoup à ceux des Hébreux, & l’Analogie est frappante. Les points qui distinguent les lettres les en rapprochent même encore, & tirent sans doute leur origine des points voyelles inventés par les Massorets. » [1].
Une origine dans l’Aïq Bekar ?
Dans son introduction à la Kabbalah Denudata de Knorr von Rosenroth, Mathers explique : « Il y a encore une autre forme importante appelée « Kabbale des Neuf Chambres » ou Aïq Bekar. Elle est formée ainsi :
J’ai inscrit la numération de chaque lettre au-dessus pour montrer les affinités entre les lettres dans chaque chambre. Parfois, elle est utilisée comme code en prenant les chiffres pour montrer les lettres qu’elles contiennent, en mettant un point pour la première lettre, deux pour la deuxième, etc. Ainsi, l’angle droit, contenant איק, répondra pour la lettre ק s’il y a trois points dedans. De la même manière, un carré répondra pour ה, נ ou ך selon qu’il y ait un, deux ou trois points placés respectivement dedans. Mais il y a bien d’autres façons d’utiliser la Kabbale des Neuf Chambres que je n’ai pas le temps de décrire ici »[2].
« Cette grille a également été utilisée comme outil de cryptage. Les magiciens représentaient les lettres dans les cellules au moyen des lignes cloisonnant les cellules. Par exemple, une lettre dans la cellule centrale aurait été substituée par un carré fermé ; une lettre dans la cellule supérieure gauche aurait été substituée par un angle ouvert sur la gauche ; et ainsi de suite. On indiquait laquelle des trois lettres de la cellule l’on voulait signifier par ce symbole graphique à l’aide de points placés au-dessus et aux angles. Un point signifiait la lettre à droite, deux points la lettre du milieu et trois points la lettre du côté gauche dans la cellule en question. ». (« Aiq Beker » par Donald Tyson [3]).
Un autre système n’utilise que deux points : la première lettre du triplet est signifié par la figure sans point ; la seconde par un point au-dessus et la troisième par deux points placés au-dessus de la figure. Ce qui est plus clair si nous regardons le tableau suivant :
Enfin, nous ne pouvons passer sous silence l’influence probable de Blaise de Vigenère qui, dans son Traicté des Chiffres (1586) page 276 nous dit (nous modernisons la langue) : « Il ne faut point encore oublier cette invention que touche Agrippa dans son livre 3, chapitre 30, autrefois en très grande recommandation envers les anciens Cabalistes; depuis l’on en a fait « lictiere » (bassine de toilette ou pot de chambre). Ce sont quatre lignes s’entrecroisant à angles droits ; deux sont perpendiculaires, et deux traversières, qui par ce moyen viennent à établir neuf caractères différents, qu’on accommode à autant de lettres que l’on diversifie par un point assis au milieu, des autres neuf qui en sont vides, en résulteront dix huit lettres de cette manière.
MAIS vous pouvez les transposer: et si, gardant néanmoins toujours leur figure, vous voulez varier l’étendue des lignes en chaque caractère de deux manières, comme il se peut voir, et non davantage, vous aurez pour chacun trois lettres; qui avec les espaces d’entre deux, comme dessus, seront quatre. Ajoutez des nombres, ou autres notes servant de lettres dans les espaces, ce sera un chiffre à cinq ententes toutes ensemble; dont vous révélerez, et réserverez ce qu’il vous plaira ».
L’identité entre cet alphabet donné par de Vigenère et les alphabets maçonniques est trop évidente. Est-ce un emprunt direct ou bien, les Francs-maçons n’ont-ils fait que copier les codes des compagnonniques puisque nombreux furent les Enfants de Salomon à entrer en Loge. Jean Tourniac confirme que les maçons opératifs auraient possédé un art directement inspiré de la tradition kabbalistique juive, peut-être était-ce l’Aïq Bekar ?
Un exemple.
Nous donnons à présent un exemple simple de message codé selon ce principe :
Que l’on peut traduire par :
« Ne manquez pas d’être chez moi à onze heures ; tout est en ordre. Notre fortune est faite. Adieu. »
Un autre exemple fait partie intégrante de la cérémonie de réception d’un Maître de l’Arche Royale :
L’un des membres de la Loge, revêtu du nom mystique de Josué, à qui l’on fait lire un rouleau mystérieux, tiré d’un coffre, sur lequel apparaissent d’étranges inscriptions…
Examinant le Livre de la Loi y découvrant la clé du chiffre, il s’exclame alors : « Sur le Livre de la Loi j’aperçois ce qui pourrait bien être la clé d’un chiffre. Essayons de l’utiliser ». On utilise alors un morceau de parchemin portant ce qui semble être la clé d’un chiffre, grâce à laquelle le déchiffrement des caractères peut être réalisé.
Ensuite, trois groupes de trois sont formés. L’Officier principal dans chaque groupe prononce le mot en entier pour le Candidat et lui demande d’en dire la première syllabe : Officier principal « J » ; candidat « H » ; Autre Officier « V » ; candidat « J » ; Autre Officier « H » ; Officier principal « V » ; Autre Officier « J » ; Officier principal « H » ; candidat « V »
Ensuite, dans chaque groupe de trois, chaque membre a la pointe de son pied gauche contre le talon gauche du Compagnon à sa gauche, formant un triangle équilatéral; il tient de sa main droite le poignet droit du Compagnon à sa gauche, et de sa main gauche le poignet gauche du Compagnon à sa droite, bras droit au dessus du gauche.
Chaque candidat se trouve à la droite de l’Officier principal de chaque groupe. Les mots circulent de gauche à droite, c’est à dire dans le sens des aiguilles d’une horloge. L’Officier principal dans chaque groupe de trois prononce le mot en entier pour le candidat et lui demande d’en dire la première syllabe : Officier principal « J » ; candidat « B » ; Autre Officier « O » ; Candidat « J » ; Autre Officier « B » ; Officier principal « O » ; Autre Officier « J » ; Officier principal « B » ; candidat « O ».
On place ensuite l’alphabet latin dans les angles de la grille du code et voir si l’on obtient quelque chose d’intelligible.
Le mot étant en hébreu, il doit être lu de droite à gauche ; la première voyelle à utiliser se trouve donc sur le côté droit du triangle. Les autres sont trouvées en lisant à partir de la droite, où la première voyelle fut trouvée, vers la gauche, en faisant le tour du triangle. J. illustre la lecture du cryptogramme, lu de droite à gauche.
Josué déchire alors le papier portant le code, en trois morceaux, et en donne un a chacun des candidats, leur demandant de déchirer celui-ci en menus morceaux, comme ils l’ont juré.
Le rituel porte en note : « Ce Code fut établi longtemps avant qu’il n’existât un alphabet latin; nos lettres actuelles ne pouvaient donc pas alors figurer dans le code. Le code sans les lettres, tel qu’il est découvert, permet aux Candidats de mieux comprendre ».
Les alphabets que nous venons de survoler ici, ne concernent que les grades symboliques de la maçonnerie bleue, c’est-à-dire les trois premiers grades d’apprenti, de compagnon et de maître. À la suite de la prolifération des grades des 18e et 19e siècles, les alphabets se sont multipliés afin de correspondre aux haut grades de l’écossisme, par exemple. Le lecteur pourra se référer à la fin de cet article où nous reproduisons certains de ces alphabets extraits du Tuilleur de Vuillaume.
Récréation poétique.
CHAPITRE LXXXXVI (54 versets)
De l’alphabet
Au nom de la lumière et de l’amour pour les Hommes
L’alphabet Maçonnique est né en France
Et il a plus de deux cents ans d’existence
Après l’introduction de la Maçonnerie
Le nouveau langage est la vie de l’esprit
Il montre une origine Française
Qui implique ainsi plusieurs hypothèses
L’alphabet connaît toujours beaucoup de succès
Il constitue pour les langages un progrès
Il paraît dans de nombreuses publications
La fraternité est une grande nation
L’alphabet semble encadré par un carré
Pour l’utilité de toutes les sociétés
Il éloigne chaque frère de tout métal
Le tracé de l’alphabet est fondamental
Chaque ligne apparaît coupée par l’autre
Chaque frère devient ainsi un apôtre
Les neuf cases semblent ouvertes ou fermées
L’innovation réside dans le procédé
Les lettres se distinguent ainsi par des points
Et ce langage évite celui des mains
Chaque case représente une lettre
L’écriture est l’avenir du bien être
La signification est le nombre de points
La qualité de l’esprit bâtit un corps sain
Le nouvel alphabet constitue un secours
La fraternité doit développer l’amour
La multiplicité est celle de l’emploi
L’alphabet n’apporte jamais le désarroi
Chaque caractère semble Maçonnique
Il a ainsi quelque chose d’orchestique
Son origine ne semble pas antique
Car il se dessine deux lignes obliques
Certaines se coupent formant quatre cases
En définissant bien des règles de base
Par un héritage des carrés magiques
Apparaît un caractère fantastique
Une grille apparaît en carré de trois
Une joie est provoquée par chaque emploi
La grille est calquée sur le carré de trois
Chacun trace devant lui une belle voie
L’alphabet contient une clé symétrique
Elle n’apparaît en rien arithmétique
Une forme se trouve dans le triangle
Le bonheur doit apercevoir chaque angle
Les lignes dessinent toujours les équerres
Élevant un fondement élémentaire
Une lettre implique une structure
Qui enseigne une grande aventure
Chaque lettre semble formée de lignes
La fraternité apprend à être digne
Un point se situe ainsi toujours au centre
Une fraternité est un épicentre
Représenté par une croix de Saint-André
L’amour de l’égalité est la liberté
(In ALHIRAM : www.alihram.com)
www.alihram.com
Conclusion.
Remarquons enfin, que nos lettres imprimées usuelles dérivées du latin, peuvent être formées par un procédé analogue à celui que nous venons de décrire. La figure suivante les renferme ainsi toutes, de même que nos chiffres :
C’est, comme on le voit, un carré coupé par quatre lignes : deux diagonales, une horizontale et une verticale. Les caractères qui en proviennent ont des formes carrées qui étaient autrefois en usage.
Coquetterie initiatique ? Symbolisme ludique ? L’alphabet maçonnique a eu ses heures de gloires aux 18e et 19e siècles. Époques friandes de ce genre de « marques d’excellence » que nos contemporains semblent délaisser avec raison. Pour conclure donc, nous ne pouvons que citer :
« Quant à l’alphabet maçonnique, deux systèmes sont en présence: l’anglais et le français. Ils sont l’un et l’autre des modifications de l’alphabet primitif, formé de deux lignes perpendiculaires et de deux horizontales. C’est un chiffre de convention, comme un autre, objet d’amusement plutôt que de nécessité. Ce qui est plus ridicule, c’est la conclusion que D’Ansse de Villoison a tirée de la ressemblance de cet alphabet avec les caractères gravés sur un monument, qu’on a découvert sous les ruines d’Herculanum : inscription antique et signalée déjà par Winkelmann, mais qu’il est impossible d’expliquer, bien que les lettres en soient parfaitement conservées et lisibles. D’Ansse en a conclu que l’ancien Herculanum devait avoir été le berceau de la Maçonnerie (!) Heldmann fait judicieusement observer que la forme si simple des caractères formés par les divers angles du carré, a dû servir de type primitif à plusieurs langues » (Berchthold-Beaupré, Isis, ou l’initiation maçonnique, pages 324-325, Fribourg, 1859).
Plus sur le sujet :
Les alphabets maçonniques, Spartakus FreeMann, Na∴ de Guantanamo, août 2010 v∴ l∴
Sources :
- Articles de Guy Tamain, « La clé géométrique du premier alphabet maçonnique (1745) » (Chroniques d’Histoire Maçonnique, No 41, 1988) & « La clé arithmétique du premier alphabet maçonnique connu » (Association Française du Temple de Salomon, Bulletin No 1 & 2, 1991).
- Alfred Engel, « Die freimaurerischen Geheimschriften – Geschichte und Entschlüsselung » (Quellenkundliche Arbeiten Nr. 5, 1972, Quatuor Coronati Loge, Bayreuth).
- Khatam Pharouq ou Sceau Rompu, publié en 1745.
- Berchthold-Beaupré, Isis, ou l’initiation maçonnique, Fribourg, 1859.
- Claude André Vuillaume, Manuel maçonnique ou Tuileur de tous les rites de maçonnerie, Paris, 1820.
- Louis Travenol, Catéchisme des francs-maçons, 1744.
- Blaise de Vigenère, Traicté des Chiffres, 1586).
- J.-R. Ragon, Cours philosophique et interprétatif des initiations anciennes et modernes, Paris, 1841.
Notes:
[1] Khatam Pharouq ou Sceau Rompu, 1745 : « Chapitre VII : Des caractères de la Maçonnerie ou de l’écriture maçonne”.
[2] Introduction de Mathers à sa traduction anglaise de la Kabbalah Denudata de Knorr von Rosenroth. Traduction française par Spartakus FreeMann.