Initiation aux mystères révolutionnaires des Carbonari par Henri Delaage.
La conscription recrute des soldats pour les sociétés secrètes : c’est toujours à l’armée que les révolutionnaires ont appris le maniement des fusils qu’ils tirent derrière les barricades.
Nous avons vu que c’était dans les sanctuaires d’initiation que tous les génies d’élite qui s’étaient faits les instituteurs des peuples étaient venus chercher la lumière de l’éternelle vérité, afin d’éclairer la route qui devait, à travers les siècles, les conduire à l’immortalité. Ces sanctuaires, à la fin du XVIIIe siècle, retentissent du cliquetis des armes et des cris de rage : ce ne sera plus la civilisation qui en sortira, mais la révolution, bras nus, la furie dans le regard, un fusil dans les mains, mâchant la poudre, déchirant des cartouches, battant la charge et montant à l’assaut de l’ancienne société. Le flambeau de la vérité s’est fait torche, et la faim, pâle, livide, secoue l’incendie sur l’Europe. Nous touchons à la fin du XVIIIe siècle : la Noblesse est endormie dans les bras de la volupté ; elle se réveillera au bruit que fera le triangle d’acier de la guillotine, en tombant sur la tête de son roi.
La philosophie raille Dieu ; mais un bruit sourd, une rumeur menaçante couvrira ses éclats de rire, car l’Europe boit, mange, rit, danse sur un volcan. Au jour de son éruption, il enveloppera sous un déluge de laves en feu prêtres et roi, nobles et financiers. Dans ce chapitre, descendant, comme jadis Empédocle, dans le cratère brûlant du Vésuve révolutionnaire, nous allons étudier les combinaisons souterraines des éléments meurtriers qui font irruption à certains jours sur monde terrifié.
Pourquoi la terre tremble-t-elle ? Pourquoi, à l’horizon politique, voyons-nous s’amonceler ces nuages de sang dont l’insurrection sortira foudroyante ? C’est que la croyance est éteinte dans le cœur des peuples ; la rage et le désespoir ont remplacé les espérances éternelles. Dieu a retiré son esprit de lumière des hommes indignes, ambitieux et vénaux, qui sont la tête du grand corps européen, et ces hommes ont demandé à la raison d’être leur guide ; et aujourd’hui la raison, être présomptueux, aveugle et borné, leur fait diriger le navire qui porte les destinées sociales vers l’angle menaçant de tous les écueils ; tous, dans le péril imminent qui menace la société, se mêlent de donner un avis stupide : pour nous, le nôtre est bien simple, et cependant il sera la page la plus intéressante de ce livre, car il révélera une des vérités les plus immuables de l’ordre surnaturel de la grâce. Nous avons montré chez tous les peuples le sceptre du gouvernement temporel, la crosse d’or du gouvernement spirituel, déposés dans les mains d’hommes qui avaient reçu, dans le sacre de l’onction, l’Esprit saint qui anime d’une vie divine l’Ame, et peut créer en l’homme un homme nouveau qui, avec la vue infinie de son Âme revivifiée, pénètre les mystères du temps et de l’espace, et, pressentant avec certitude les écueils à venir gouverne avec tant d’habileté, qu’il conduit le navire au port de l’éternité. Le gouvernement profane des hommes conduit les nations à leur perte ; le gouvernement sacré des âmes seules peut les conduire au bonheur, à la stabilité, à la gloire ; mais il faut que la lumière de Dieu vienne en l’âme pour la vivifier et la rendre capable de gouverner avec sagesse, car les fastueuses et symboliques cérémonies du sacre ne suffisent pas pour créer en l’homme une âme vivante. Le monde moderne sera ébranlé, et des entrailles de la terre, les sociétés secrètes vomiront la désolation et la mort jusqu’au jour où l’Esprit saint, opérant surnaturellement dans l’âme des gouvernants, en fera des thaumaturges et des prophètes. Les Hébreux avaient pour les guider une colonne de feu ; pour diriger les nations modernes dans la voie du bonheur, il faut que le Souffle du Tout Puissant change en anges de lumière ceux qui marchent à leur tête.
Nous avons fait connaître par quelle voie douloureuse l’initiation conduisait à Dieu, par quel moyen elle métamorphosait l’homme profane en une âme vivante éclairée de la lumière divine. Enfin, nous avons rendu visible à tous les yeux ce qui se passait dans l’obscurité mystérieuse des temples d’où sont sortis les fondateurs de religions les législateurs sacrés de l’Antiquité ! Aujourd’hui, entrons dans un temple de la secte des Illuminés. L’homme qui venait s’y faire initier était conduit à travers un sentier ténébreux dans une, salle immense dont la voûte, le parquet et les murs étaient couverts d’un drap noir parsemé de flammes rouges et de couleuvres menaçantes ; trois lampes sépulcrales éclairaient d’une mourante lueur cette lugubre enceinte, au milieu de laquelle se dressait un autel formé d’ossements et de crânes de morts. Il y passait vingt-quatre heures dans un jeûne absolu au milieu d’un silence glaçant ; au bout de ce temps paraissaient deux hommes qui ceignaient le front pâle du récipiendaire avec un ruban aurore teint de sang ; puis on le dépouillait de ses vêtements et sur son corps nu on traçait des croix avec du sang ; alors, cinq fantômes drapés dans des suaires s’avançaient sinistrement la main armée d’un glaive dégoûtants de sang ; ils présentaient un pistolet à l’aspirant et l’obligeaient à en mettre le canon dans sa bouche et à en presser la détente ; cela fait, on amenait un suppliant pâle, livide, tremblant ; l’un des fantômes, le saisissant, malgré ses supplications, lui plongeait dans le cœur un poignard, et recueillant le sang qui s’échappait tout fumant de sa poitrine, il en présentait à l’aspirant une coupe. Après ces épreuves propres à connaître le courage du profane récipiendaire, on lui bandait les yeux et on lui faisait subir des épreuves morales et intellectuelles. Quand l’interrogatoire était satisfaisant, on lui faisait prononcer sur la croix et sur l’Évangile ce serment épouvantable :
« Au nom du crucifié, je jure de renoncer aux liens charnels qui m’attachent encore à mon père, à ma mère, à mes frères, à mes maîtresses, à ma femme, à mes enfants, il mon roi, il mes bienfaiteurs, en un mot à tous les êtres auxquels j’ai promis foi, obéissance, gratitude, service ; je jure de plus une soumission aveugle au chef de cette respectable loge, et reconnais le monde désormais pour ma patrie, l’humanité pour ma famille ; je jure de défendre le faible contre le fort, l’opprimé contre l’oppresseur, d’arracher l’intelligence du peuple aux mains de ceux qui l’hébètent pour le soumettre. »
Ce serment prononcé, on lui rappelait que le tonnerre était moins prompt à foudroyer que le couteau à égorger le traître qui tenterait de révéler les Mystères.
« Vivez, lui disait-on, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; vivez dans l’attente et le recueillement, préparez vos armes, car le jour du combat est proche ; heureux alors seront les vainqueurs, car ils auront la gloire ; mais plus heureux encore seront les martyrs morts pour la liberté, car ils auront le ciel. »
Sous l’antique civilisation européenne s’étendent ténébreusement ces mineurs fanatiques qui en ébranlent les fondements et recommencent sous la société du XVIIIe siècle le travail de destruction souterraine exécuté avec un si merveilleux talent par les chrétiens sous l’antique édifice de la religion païenne.
L’Église catholique arrivée au pouvoir n’avait pu exterminer par le fer, noyer dans le sang, consumer dans les flammes des bûchers de l’Inquisition cet esprit de rébellion mystérieuse qui, sous le nom de cabale, conspirait contre la puissance cléricale et royale avec une opiniâtreté persévérante. Le jour est venu où, à la voix de Weishaupt, les illuminés vont se compter comme jadis les esclaves se comptèrent à la voix de Spartacus, et se parer avec gloire d’un nom qui rappelle les bûchers qu’ils ont traversés et d’où ils sont sortis triomphants : ils s’appellent carbonari, nom qui signifie les brûlés, les carbonisés ; fantômes, ils se dressent à chaque pierre du chemin, ils vont saisir à la gorge nobles, prêtres, financiers, les renversent par terre et les déchirent de leurs mains furieuses ; l’esprit de vertige s’empare de tous les cerveaux, les rois eux-mêmes se font affilier et conspirent, sans s’en apercevoir, contre leur propre trône ; ils boivent à la liberté, à l’égalité, à la chute éternelle de toutes les tyrannies, à la mort des brigands couronnés, et s’endorment enivrés pour ne se réveiller qu’au son du tocsin qui ébranlera tous les clochers de France ; ils ont déchaîné l’incendie qui enveloppera de ses flammes noblesse, clergé et royauté.
Ce qui aida grandement les sociétés secrètes dans le recrutement de leurs adeptes fut l’effusion anti hiérarchique du sang des nobles, ou mieux, pour parler un langage compréhensible du vulgaire, les débauches des grands seigneurs, qui répandirent, par voie de génération, dans le sein de toutes les classes de la société, un sang ambitieux de domination. Tout homme qui a étudié les lois physiologiques qui président ici-bas au développement progressif des races humaines sait que positivement les parents transmettent par voie de génération leur individualité à leur descendant, et comprend comment les nobles en semant immodérément leur sang, ont créé en dehors d’eux, une génération avide de posséder, ambitieuse d’honneurs, sentant en ses veines un sang ardent, en son cœur des aspirations à la souveraineté. Ce sont ces hommes déclassés, à l’intelligence cultivée, qui vont, comme le vent sur l’Océan, soulever les masses populaires et battre en brèche l’antique édifice. Sortis de la noblesse, branches méconnues de l’arbre héraldique, ils tournent un fer parricide contre le cœur qui les a dédaignés ; mais, pour triompher, il faut qu’à la multitude qui souffre ils présentent un idéal propre à l’émouvoir ; cet idéal sera celui de toutes les sociétés : la liberté, l’amour et la fraternité universelle ici-bas, la gloire dans l’autre vie. Tous les cœurs jeunes, généreux, désintéressés s’embrasèrent du feu du patriotisme ; mais la liberté, la fraternité, blanches et pures déités, ne voulurent pas rougir leurs pieds dans le sang qui baignait la terre de France. L’échafaud et la statue de la déesse Raison bivouaquèrent seuls sur les ruines de l’Ancien Monde. La Raison présida froidement à son œuvre de carnage organisée, car un rationaliste qui reste pacifique est toujours un lâche ou un niais.
Un homme, voyant les classes déchaînées en France les unes contre les autres, eut l’idée de s’emparer de ces forces immenses, terribles, meurtrières, et de les diriger contre les autres nations. En moins de dix ans, à la suite de Napoléon, la France avait arboré son étendard dans toutes les capitales de l’Europe : elle voulut marcher sur Pétersbourg ; mais le feu sacré qui allumait dans ses veines, flambeau de la force, de la passion, de l’héroïsme et de la vie, s’éteignit sous le ciel neigeux de ces froides contrées, et l’Empereur ne ramena des glaces de la Russie que des cohortes mutilées, une étoile pâlie et une existence qui devait aller mourir silencieuse au milieu des bruits vagues de l’Océan, sur le rocher de Sainte-Hélène. La famille des Bourbons rentra, et toutes les familles qui avaient perdu un des leurs sur un champ de bataille l’acclamèrent comme une Providence visible qui venait les délivrer de celui qui arrachait aux mères leurs enfants pour les livrer à la mitraille de l’étranger. La France avait tant saigné, que pendant quinze ans elle resta paisible ; mais avec la santé, la force, la vigueur, l’énergie étaient revenues peu à peu à la société convalescente. Le sang commença à circuler de nouveau avec impatience dans les membres. Les classes ambitieuses et lettrées qui avaient, grâce au rationalisme, fort peu de confiance en la vie future désiraient, en attendant le bonheur problématique du ciel, le bien-être ici-bas. Les sociétés secrètes se réunirent de nouveau, recrutèrent, comme toujours, la partie jeune, ardente, l’exploitèrent dans les instincts généreux de son cœur. La révolution de 1830 se fit au nom de la liberté, et chassa les nobles et le clergé, qui avaient commis la faute impardonnable de faire cause commune avec le pouvoir. Les plus adroits meneurs s’emparèrent des places laissées vacantes ; l’idéal de liberté entrevu se dissipa comme un brillant météore. Un régime sans noblesse comme sans inspiration supérieure travailla à éteindre la foi, l’héroïsme, la passion dans tous les hommes ; mais, comme tout pouvoir qui préfère la raison à l’inspiration divine de la grâce qui ouvre les yeux de l’âme, il eut la faiblesse de s’appuyer sur la force : une ceinture de fortifications s’étendit autour de Paris ; le roi recruta une armée de plus de cent mille hommes, que d’un mot il pouvait jeter en armes sur le pavé des rues, et eut une garde nationale immense ; mais tandis que la raison lui promettait un règne long, tranquille et heureux pour lui et sa dynastie, les yeux de son âme, si la main de Dieu les lui avait ouverts, lui auraient montré, dans les tavernes des boulevards extérieurs, des hommes se réunissant en conciliabule secret, et enrégimentant par sections les soldats qui, après sept ans passés sous les drapeaux, apportaient leur expérience, leur discipline, leur habileté dans le maniement des armes, et de plus une organisation nerveuse assez développée par la musique et le régime militaire pour s’enlever au mot de liberté : alors il aurait compris que la conscription en résumé recrutait des soldats pour les sociétés secrètes, et qu’à, un jour donné les soldats recrutés pour lui seraient contre lui, et qu’il n’aurait d’autre parti à prendre que de s’enfuir ; il a eu le bonheur de pouvoir aller mourir tranquille sur la terre étrangère, grâce à l’intelligent dévouement d’Adolphe d’Houdetot, cette noble et glorieuse personnification de l’antique esprit chevaleresque, si rare en ce siècle de vénalité égoïste.
Les affiliations aux sociétés secrètes de nos jours manquent tout à fait de prestige : le local est habituellement une cave humide ou une arrière-boutique de marchand de vin, décorée de quelques sales friperies rouges. Quand un homme, par l’exaltation révolutionnaire de ses sentiments, par son habileté dans le maniement des armes, par sa discrétion, présente les garanties suffisantes, on lui envoie un émissaire chargé de lui proposer l’affiliation : s’il accepte, on l’introduit les yeux bandés dans la salle des séances, on l’interroge sur les actes antérieurs de sa vie, on lui adresse des questions propres à constater le degré de son fanatisme politique, puis on lui déclare le but de la société qui est l’extermination des privilèges, la mort de tous les tyrans, la diminution des impôts qui pèsent sur le prolétaire, la liberté illimitée, l’égalité des citoyens, la fraternité universelle, la vie à bon marché, la souveraineté du peuple, le bien-être de l’ouvrier, et la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme parle droit au travail ; s’il accepte, on lui fait jurer de donner jusqu’à la dernière goutte de son sang pour ces résultats, sur le poignard qui tuera son corps et sur la croix du Christ qui damnera son âme s’il est traître ou parjure au serment qu’il prononce en ce moment. Ensuite on lui débande les yeux, le président l’embrasse, et les autres frères viennent lui serrer la main en signe d’alliance. La cotisation se paye en argent ou en poudre, plomb, fusils, suivant les ressources pécuniaires du récipiendaire. Les sociétés secrètes sont les larves des révolutions ; mais pour qu’elles réussissent, il faut toujours qu’elles soient soutenues par le vœu secret de la nation ; si en février l’insurrection a été triomphante, c’est que la majorité de la nation, et que la garde nationale, cette milice prétorienne des temps modernes, gagnaient à une réforme électorale une part dans le gouvernement qui mettait en ses mains le sceptre de la souveraineté encore détenu exclusivement en celles de la richesse ; c’est que le grand poète orateur, Lamartine, avait insurgé contre le pouvoir tous les cœurs, en lui reprochant d’appuyer la main de la police sur la bouche du pays ; c’est qu’enfin comme le dirait mon éloquent ami Arthur de la Guéronnière, dans son noble et sublime langage, on sentait dans l’air les courants électriques de l’opinion publique qui renverse les trônes. Le personnel des révolutions se compose de deux éléments : les émeutiers, race de pâles désœuvrés, de voleurs au teint laid et cadavéreux, de forçats flétris par l’infamie, que la débauche pousse il la révolte ; car, suivant l’expression si juste d’Alphonse Esquires, ce sont les bouges enfumés, les allées douteuses qui, à certains jours de désordre, vomissent dans la rue des destructeurs : la vengeance et la hache sortent de là avec des baisers. L’autre élément des insurgés se compose de jeunes gens à l’Âme généreuse et enthousiaste, aux traits nobles et inspirés, et de cette vivante et audacieuse génération conçue sous l’Empire entre deux victoires et dans une atmosphère de poudre à canon, en qui le bruit des armes, les détonations de l’artillerie, réveille d’irrésistibles instincts guerriers, et qui, éblouissante de valeur, va derrière les barricades ramasser dans le sang un fusil encore tiède, et se bat avec l’héroïque intrépidité d’un français, le visage enflammé de la passion qui embrase le cœur et enivre le cerveau d’enthousiasme. Le souffle des révolutions est semblable au feu de l’amour que, dans un roman de Goethe, nous voyons s’insinuer dans les veines de Charlotte, endormir sa vigilante sagesse, troubler ses sens, emporter son esprit dans une atmosphère d’irrésistible séduction, quand cette jeune et vertueuse femme attire sur son sein brûlant Warther, et baise de ses lèvres balbutiantes ses lèvres ardentes, jusqu’au moment où, éperdue, en larmes, comme au sortir du charme d’un rêve de volupté, elle s’enfuit et court s’enfermer. Il palpite aussi du rythme précipité de la fièvre d’amour, le pouls de ce jeune homme, élevé dans les principes de la religion, dont le cœur s’est réchauffé dans l’Âme d’une sœur, d’une mère pieuse, dont l’intelligence a été développée dans le respect et le culte des antiques traditions, quand le cerveau enivré des mots de liberté et de fraternité, les sens envahis par le bruit des armes et l’odeur de la poudre, oubliant famille, richesse principes, traditions, il s’élance à la barricade, la chevelure au vent, le regard enflammé, un sourire d’héroïsme aux lèvres, et présente sa poitrine aux baïonnettes, persuadé qu’on peut hacher sa chair en morceaux, mais qu’on ne tuera pas l’esprit de vérité qui l’inspire, l’âme qui l’anime !
Au moment où nous écrivons, dans toutes les nations de l’Europe s’étendent les sociétés secrètes, toutes les classes sont déclassées, toutes les conditions sont confondues ; l’instruction, le manque de croyance et le désir de la jouissance ont envahi tous les hommes. Semblable au géant Encelade enseveli sous le mont Vésuve, le peuple refoulé se remue douloureusement sur son lit de désespoir ; il ébranle périodiquement par de terribles et menaçantes révolutions l’ordre social. Au lieu de tendre, dès ici-bas, la béatitude du ciel, tout le monde tend au bien-être sur la terre. Pour nous, au-dessus des intérêts humains, contemplant les malheurs qui se préparent et les vicissitudes des révolutions, persuadés que celui qui est millionnaire aujourd’hui, n’est pas assuré d’avoir demain un oreiller pour reposer sa tête proscrite, nous découvrons sans crainte notre poitrine, nous levons un regard tranquille et assuré vers le ciel, et nous répétons avec foi cette parole du Christ, qui est la seule solution possible et la seule route du bonheur : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu, et le reste vous sera donné comme par surcroît ». Marchons à cette divine recherche, hommes aux cœurs jeunes, et fermes à l’âme aimante et croyante ; laissons ondoyer notre chevelure au vent des orages populaires, sans souci des intérêts matériels, en détournant notre regard de la société qui se déchire de ses propres mains. Pour nous, comprenons le bonheur de ne plus être attachés aux richesses de ce monde : laissons biens, fortune, honneur, aux gens qui aiment ces choses-là, et, le front rayonnant de céleste béatitude, le cœur embrasé d’une douce fraternité, partons, unis par la même croyance, pour les rives bénies de l’éternité ; sacrifions ce qui passe pour ce qui reste, et, dès cette vie, ivres d’amour et de foi, nous sentirons, au tressaillement de notre âme s’éveillant en nos poitrines, combien est douce la quiétude des passagers qui voguent sur un navire dont la providence de Dieu tient le gouvernail en sa main.
Rituel d’initiation au premier grade.
Rituel d’initiation du second grade.
Plus sur le sujet :
Initiation aux mystères révolutionnaires des Carbonari. Henri Delaage. Extrait de Doctrines des sociétés secrètes, pages 117-134.
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