Le Carbonarisme par Spartakus FreeMann.
Le carbonarisme est une sociĂ©tĂ© secrĂšte qui s’est rĂ©pandue dans divers Ă©tats europĂ©ens au dĂ©but du XIXĂšme siĂšcle. DissimulĂ©e derriĂšre le compagnonnage artisanal des producteurs de charbon de bois, la charbonnerie se fondra dans certaines loges maçonniques. Elle comportait neuf degrĂ©s et Ă©tait cloisonnĂ©e en ventes regroupĂ©es en ventes mĂšres.
En France, le carbonarisme sera implantĂ© par Benjamin Buchez qui sera Ă l’origine de la SociĂ©tĂ© Diablement Philosophique. En 1818, celle-ci est transformĂ©e en loge maçonnique sous le vocable des Amis de la VĂ©ritĂ©. L’annĂ©e 1833 voit, sous la direction de Buonarroti, la crĂ©ation de la Charbonnerie DĂ©mocratique Universelle Ă Bruxelles. Elle Ă©tait en correspondance avec la Societa Dei Veri Italiani d’inspiration babouviste. Le vocable de vente sera remplacĂ© par celui de « phalanges« , celles-ci avaient, souvent, sous leur direction occulte des loges de MisraĂŻm. Le plus haut degrĂ© connu de cette sociĂ©tĂ© secrĂšte est le « FrĂšre de la Racine ».
Parmi les couvertures de la charbonnerie on peut citer tout d’abord les rĂ©seaux de conspirateurs connus sous les noms de Philadelphes et d’Adelphes. Les Philadelphes sont issus d’une rĂ©surgence des IlluminĂ©s de BaviĂšre. Leur programme est voisin de ceux-ci et des Ăgaux de Babeuf. Les Adelphes et Philadelphes Ă©taient coiffĂ©s par une autre sociĂ©tĂ© secrĂšte : le Grand Firmament, qui se subdivisait en Ăglises, Synodes et AcadĂ©mies.
Parmi les couvertures de la charbonnerie, il faut citer les Familles et les Saisons. Les Familles comptaient 5 initiĂ©s dirigĂ©s par un Chef de Famille. A une certaine Ă©poque, la sociĂ©tĂ© des Familles se scinda en deux groupes : la sociĂ©tĂ© des Saisons et les Phalanges DĂ©mocratiques. La sociĂ©tĂ© des Saisons se subdivisait en Semaines qui regroupaient 6 hommes et un chef. Quatre semaines formaient un Mois (comptant 28 initiĂ©s et un chef). Trois Mois constituaient une Saison et quatre Saisons formaient une AnnĂ©e. Il existait au moins trois AnnĂ©es dirigĂ©es par Blanqui, Barbes et Martin Bernard. Les Phalanges DĂ©mocratiques Ă©taient dirigĂ©es par Mathieu D’Ăpinal, Pornin et Vilcocq. Leur programme : abolition de la propriĂ©tĂ© et de la famille, communautĂ© des femmes, Ă©ducation gratuite, destruction des objets de luxe, dictature populaire…
« Le carbonarisme, lui, est un groupement de rĂ©volutionnaires français et italiens utilisant le secret, le serment et le corpus symbolique de la passion du Christ pour lier entre eux des individus de milieux hĂ©tĂ©rogĂšnes qui se vouent Ă l’instauration de la rĂ©publique empĂȘchĂ©e par Bonaparte. » (Martine Watrelot, « Le rabot et la plume. Le Compagnonnage littĂ©raire au temps du romantisme populaire, ThĂšse de doctorat en littĂ©rature », Revue d’histoire du XIXe siĂšcle)
Les Quatre Sergents de La Rochelle
La Charbonnerie se rĂ©pandit en France vers 1818. De type politique, elle s’opposa Ă la Restauration de la Monarchie. TrĂšs active de 1820 Ă 1823, elle se signale notamment lors de lâaffaire des quatre sergents de La Rochelle (Bories, Pommier, Raoulx et Goubin, ĂągĂ©s respectivement de 26, 25, 24 et 20 ans), jeunes soldats français accusĂ©s sous la Restauration d’avoir voulu renverser la monarchie Ils avaient fondĂ© leur vente au sein du 45e rĂ©giment dâinfanterie en garnison Ă Paris. Ce rĂ©giment suspect aux yeux du pouvoir sera transfĂ©rĂ© Ă La Rochelle, les jeunes imprudents seront dĂ©noncĂ©s, arrĂȘtĂ©s, mis en jugement et guillotinĂ©s en 1822.
Honoré de Balzac évoque leur souvenir dans La Peau de chagrin, Les Employés ou la Femme supérieure, ainsi que dans La Rabouilleuse:
« … la conspiration jugĂ©e, fut, comme on sait, la derniĂšre tentative de l’ancienne armĂ©e contre les Bourbons, car le procĂšs des sergents de La Rochelle appartint Ă un autre ordre d’idĂ©es. A partir de 1822, Ă©clairĂ©s par le sort de la conspiration du 19 aoĂ»t 1820, par les affaires Berton et Caron, les militaires se contentĂšrent d’attendre les Ă©vĂ©nements. Cette derniĂšre conspiration, la cadette de celle du 19 aoĂ»t, fut la mĂȘme, reprise avec de meilleurs Ă©lĂ©ments. Comme l’autre, elle resta complĂštement inconnue au Gouvernement royal. Encore une fois dĂ©couverts, les conspirateurs eurent l’esprit de rĂ©duire leur vaste entreprise aux proportions mesquines d’un complot de caserne. Cette conspiration, Ă laquelle adhĂ©raient plusieurs rĂ©giments de cavalerie, d’infanterie et d’artillerie, avait le nord de la France pour foyer. On devait prendre d’un seul coup les places fortes de la frontiĂšre. En cas de succĂšs, les traitĂ©s de 1815 eussent Ă©tĂ© brisĂ©s par une fĂ©dĂ©ration subite de la Belgique, enlevĂ©e Ă la Sainte-Alliance, grĂące Ă un pacte militaire fait entre soldats. Deux trĂŽnes s’abĂźmaient en un moment dans ce rapide ouragan. Au lieu de ce formidable plan conçu par de fortes tĂȘtes, et dans lequel trempaient bien des personnages, on ne livra qu’un dĂ©tail Ă la Cour des Pairs. ».
L’Alta Vendita
Le document La Formation Permanente de la Alta Vendita (Haute Vente) dressait un plan d’infiltration et de corruption de l’Ăglise catholique. Ces papiers tombĂšrent entre les mains de GrĂ©goire XVI. Ce document fut publiĂ© Ă la requĂȘte du Pape Pie IX par Jacques CrĂ©tineau-Joly dans son livre: L’Eglise Romaine en face de la RĂ©volution en 1859. AprĂšs cette affaire, l’abbĂ© George Dillon dĂ©noncera les liens entre la Franc-maçonnerie et les carbonari et contribuera Ă populariser le thĂšme de la Haute Vente dans l’espace anglophone. Parmi les documents mis Ă la disposition de CrĂ©tineau-Joly pour Ă©crire son livre figure une lettre d’un membre de la Haute-Vente, nommĂ© Piccolo-Tigre, fondateur lui-mĂȘme d’une Vente, qui Ă©crivait Ă ses membre le 18 janvier 1922 des instructions sur les moyens Ă prendre pour racoler des membres importants [Paul Copin-Albancelli, Le drame maçonnique. Le Pouvoir occulte contre la France, 1908, p.56-57].
Carbonarisme à la française
Dans lâHistoire de dix ans, Louis Blanc sâexprime sur la naissance de la Charbonnerie française :
« Le 1er mai 1821, trois jeunes gens, messieurs Bazard, Flottard et Buchez, se trouvaient assis devant une table ronde, rue Copeau. Ce fut des mĂ©ditations de ces trois hommes inconnus, et dans ce quartier, lâun des plus pauvres de la capitale, que naquit cette Charbonnerie qui, quelques mois aprĂšs, embrasait la France.
Les troubles de juin 1820 avaient eu pour aboutissement la conspiration militaire du 19 aoĂ»t, conspiration Ă©touffĂ©e la veille mĂȘme du combat. Le coup frappĂ© sur les conspirateurs avait retenti dans la loge des Amis de la VĂ©ritĂ© dont les principaux membres se dispersĂšrent. Messieurs Joubert et Duguied partirent pour lâItalie. Naples Ă©tait en pleine rĂ©volution. Les deux jeunes Français offrirent leurs services et ne durent quâĂ la protection de cinq membres du gouvernement napolitain lâhonneur de jouer leur tĂȘte dans cette entreprise. On sait de quelle sorte avorta cette rĂ©volution, et avec quelle triste rapiditĂ© lâarmĂ©e autrichienne dĂ©mentit les brillantes prĂ©dictions du gĂ©nĂ©ral Foy. Duguied revint Ă Paris, portant sous son habit le ruban tricolore, insigne du grade quâil avait reçu dans la Charbonnerie italienne. Monsieur Flottard apprit de son ami les dĂ©tails de cette initiation Ă des pratiques jusquâalors ignorĂ©es en France. Il en parla au conseil maçonnique des Amis de la VĂ©ritĂ©, et les sept membres dont le conseil se composait rĂ©solurent de fonder la Charbonnerie française, aprĂšs sâĂȘtre jurĂ© lâun Ă lâautre de garder inviolablement ce redoutable secret.
Messieurs LimpĂ©rani et Duguied furent chargĂ©s de traduire les rĂšglements que ce dernier avait rapportĂ©s de son voyage. Ils Ă©taient merveilleusement appropriĂ©s au caractĂšre italien, mais peu propres Ă devenir en France un code Ă lâusage des conspirateurs. La pensĂ©e quâils exprimaient Ă©tait essentiellement religieuse, mystique mĂȘme. Les carbonari nây Ă©taient considĂ©rĂ©s que comme la partie militante de la Franc-Maçonnerie, que comme une armĂ©e dĂ©vouĂ©e au Christ, le patriote par excellence. On dut songer Ă des modifications; et messieurs Buchez, Bazard et Flottard furent choisis pour prĂ©parer les bases dâune organisation plus savante.
La pensĂ©e dominante de lâassociation nâavait rien de prĂ©cis, de dĂ©terminĂ©: les considĂ©rants, tels que messieurs Buchez, Bazard et Flottard les rĂ©digĂšrent, se rĂ©duisaient Ă ceci: Attendu que force nâest pas droit, et que les Bourbons ont Ă©tĂ© ramenĂ©s par lâĂ©tranger, les Charbonniers sâassocient pour rendre Ă la nation française le libre exercice du droit quâelle a de choisir le gouvernement qui lui convient. CâĂ©tait dĂ©crĂ©ter la souverainetĂ© nationale sans la dĂ©finir. Mais plus la formule Ă©tait vague, mieux elle rĂ©pondait Ă la diversitĂ© de la haine et des ressentiments. On allait donc conspirer sur une Ă©chelle immense, avec une immense ardeur, et cela sans idĂ©e dâavenir, sans Ă©tudes prĂ©alables, au grĂ© de toutes les passions capricieuses.
Il fut convenu quâautour dâune association « mĂšre », appelĂ©e la Haute Vente, on formerait sous le nom de Ventes centrales, dâautres associations, au-dessous desquelles agiraient des Ventes particuliĂšres. On fixa le nombre des membres Ă vingt par association, pour Ă©chapper au code pĂ©nal. La Haute Vente fut originairement composĂ©e des sept fondateurs de la Charbonnerie: Bazard, Flottard, Buchez, Duguied, Carriol, Joubert et LimpĂ©rani. Elle se recrutait elle-mĂȘme.
Pour former les Ventes centrales, on adopta le mode suivant: deux membres de la Haute Vente sâadjoignaient un tiers sans lui faire confidence de leur qualitĂ© et ils le nommaient prĂ©sident de la Vente future, en y prenant eux-mĂȘmes, lâun le titre de dĂ©putĂ©, lâautre celui de censeur. La mission du dĂ©putĂ© Ă©tait de correspondre avec lâassociation supĂ©rieure, et celle du censeur de contrĂŽler la marche de lâassociation secondaire. La Haute Vente devenait par ce moyen, comme le cerveau de chacune des Ventes quâelle crĂ©ait, tout en restant, vis-Ă -vis dâelles, maĂźtresse de son secret et de ses actes.
Les Ventes particuliĂšres nâĂ©taient quâune subdivision administrative, ayant pour but dâĂ©viter la complication que les progrĂšs de la Charbonnerie pourraient amener dans les rapports entre la Haute Vente et les dĂ©putĂ©s des Ventes centrales. Du reste, de mĂȘme que celles-ci procĂ©daient de la sociĂ©tĂ© mĂšre, de mĂȘme les sociĂ©tĂ©s infĂ©rieures procĂ©daient des sociĂ©tĂ©s secondaires. Il y avait dans ces combinaisons une admirable Ă©lasticitĂ©. BientĂŽt les Ventes se multipliĂšrent Ă lâinfini.
On avait bien prĂ©vu lâimpossibilitĂ© de dĂ©jouer complĂštement les efforts de la police: pour en diminuer lâimportance, on convint que les Ventes agiraient en commun, sans cependant se connaĂźtre les unes les autres, et de maniĂšre Ă ce que la police ne pĂ»t, en pĂ©nĂ©trant dans la Haute Vente, saisir tout lâensemble de lâorganisation. Il fut consĂ©quemment interdit Ă tout Charbonnier appartenant Ă une Vente de chercher Ă sâintroduire dans une autre. Cette interdiction Ă©tait sanctionnĂ©e par la peine de mort.
Les fondateurs de la Charbonnerie avaient comptĂ© sur lâappui des troupes. De lĂ lâorganisation double donnĂ©e Ă la Charbonnerie. Chaque Vente fut soumise Ă une hiĂ©rarchie militaire, parallĂšle Ă la hiĂ©rarchie civile. Ă cĂŽtĂ© de la Charbonnerie de la Haute Vente, des Ventes centrales, des Ventes particuliĂšres, il y eut la lĂ©gion, les cohortes, les centuries, les manipules. Quand la Charbonnerie agissait civilement, la hiĂ©rarchie militaire Ă©tait comme non avenue; quand elle agissait militairement, la hiĂ©rarchie civile disparaissait. IndĂ©pendamment de la force qui rĂ©sultait du jeu de ces deux pouvoirs et de leur gouvernement alternatif, il y avait, dans les dĂ©nominations quâils nĂ©cessitaient, un moyen de faire perdre Ă la police les traces de la conspiration.
Les devoirs des Charbonniers Ă©taient dâavoir un fusil et cinquante cartouches, dâĂȘtre prĂȘt Ă se dĂ©vouer, dâobĂ©ir aveuglĂ©ment aux ordres des chefs inconnus.
Ainsi constituĂ©e, la Charbonnerie sâĂ©tendit en fort peu de temps dans tous les quartiers de la capitale. Elle envahit toutes les Ă©coles. Je ne sais quel feu pĂ©nĂ©trant circula dans les veines de la jeunesse. Les membres de chaque Vente se reconnaissaient Ă des signes particuliers, et lâon passait des revues mystĂ©rieuses. Des inspecteurs furent chargĂ©s dans plusieurs Ventes de veiller Ă ce que nul ne se dispensĂąt dâavoir des cartouches et un fusil. Les affiliĂ©s sâexerçaient dans leur demeure au maniement des armes; plus dâune fois lâon fit lâexercice sur un parquet recouvert de paille. Et pendant que cette singuliĂšre conspiration sâĂ©tendait, protĂ©gĂ©e par une discrĂ©tion sans exemple, et nouant autour de la sociĂ©tĂ© mille insensibles liens, le gouvernement sâendormait dans lâombre!
Les fondateurs de la Charbonnerie, on lâa vu, Ă©taient des jeunes gens obscurs, sans position officielle, sans influence reconnue. Quand il fut question pour eux dâagrandir leur oeuvre et de jeter sur la France entiĂšre le rĂ©seau dont ils avaient enveloppĂ© tout Paris, ils se recueillirent et se dĂ©fiĂšrent dâeux-mĂȘmes. Il existait alors un comitĂ© parlementaire dont monsieur de Lafayette faisait partie. LiĂ© intimement avec le gĂ©nĂ©ral, Bazard demanda un jour Ă ses amis lâautorisation de lui confier le secret de leurs efforts. Les objections ne pouvaient manquer: pourquoi cette confidence que le caractĂšre facile de Lafayette rendait pleine dâinconvĂ©nients et de pĂ©rils? Sâil consentait Ă entrer dans la Charbonnerie, et Ă y porter, ainsi que tous, sa tĂȘte comme enjeu, Ă la bonne heure! Lafayette, averti, nâhĂ©sita pas; il entra dans la Haute Vente, et parmi ses collĂšgues de la Chambre, les plus hardis le suivirent. Les directeurs de la Charbonnerie se trompaient sâils jugeaient cette adjonction indispensable. Les Charbonniers, ayant toujours ignorĂ© de quelle main partait lâimpulsion qui leur Ă©tait donnĂ©e, nâavaient jamais cru quâobĂ©ir quâĂ ces mĂȘmes notabilitĂ©s libĂ©rales, tardivement appelĂ©es au partage dâun tĂ©nĂ©breux pouvoir. La prĂ©sence effective de ces hauts personnages dans la Haute Vente nâajoutait rien Ă lâeffet moral quâavait jusquâalors produit leur prĂ©sence supposĂ©e. Quand Ă la portĂ©e de ce quâils pourraient ou oseraient, câĂ©tait le secret de lâavenir. »
Le chant des Ă©gaux
Chant de ralliement au Club du Panthéon sous le Directoire.
PREMIER COUPLET
Un code infĂąme a trop longtemps
Asservi les hommes aux hommes.
Tombe le rĂšgne des brigands !
REFRAIN
RĂ©veillez-vous Ă notre voix
Et sortez de la nuit profonde.
Peuple ! Ressaisissez vos droits :
Le soleil luit pour tout le monde !
DEUXIĂME COUPLET
Tu nous crĂ©as pour ĂȘtre Ă©gaux,
Nature, ĂŽ bienfaisante mĂšre !
Pourquoi des biens et des travaux
L’inĂ©galitĂ© meurtriĂšre ?
TROISIĂME COUPLET
Pourquoi mille esclaves rampant
Autour de quatre ou cinq despotes ?
Pourquoi des petits et des grands ?
Levez-vous, braves sans-culottes !
Une autre chant charbonnier.
Plus sur le sujet :
Le Carbonarisme par Spartakus FreeMann, issu de Morgane’s World.