Le Combat de Jacob et de l’Ange par Gabri-el.
Le combat de Jacob contre l’ange est une image marquante de la Genèse et il existe de nombreuses interprétations de cette scène. En me basant sur la traduction de Chouraqui, je présente ici quelques-unes de mes hypothèses.
Genèse 32 :
25. Ia‘acob reste seul. Un homme lutte avec lui jusqu’à la montée de l’aube.
26. Il voit qu’il ne peut rien contre lui. Il le touche à la paume de sa cuisse, la paume de la cuisse de Ia‘acob se disloque dans sa lutte contre lui.
27. Il dit: « Envoie-moi: oui, l’aube est montée. » Il dit: « Je ne t’enverrai que si tu me bénis. »
28. Il lui dit: « Quel est ton nom ? » Il dit: « Ia‘acob. »
29. Il dit: « Ton nom ne se dira plus Ia‘acob, mais Israël Lutteur d’Él : oui, tu as lutté avec Elohîms et avec les hommes, et tu as pu. »
30. Ia‘acob questionne et dit: « Rapporte-moi donc ton nom. » Il dit: « Pourquoi cela demandes-tu mon nom ? » Et il le bénit là.
Si la lutte de Jacob est souvent représentée comme un combat contre un ange, rien dans ce passage ne l’indique clairement. Rien non plus n’indique que Jacob combatte Esaü. Il lutte avec « un homme », et plus loin, avec Élohim et « les hommes ». L’homme qui combat Jacob est l’archétype humain, celui qui a été fait à la semblance et à la ressemblance (demout, tsemout) d’Élohim. Pour rappel, la Genèse ne parle pas d’Élohim en termes de membres corporels, mais seulement de la Création. Dans cette lutte, Jacob s’oppose donc à la fois à l’homme dans son ensemble, à Élohim, et à la Création tout entière.
Jacob arrive au seuil de l’étape qui le conduira à devenir l’archétype du peuple d’Israël, au Juste. On voit Jacob révéler son identité à son opposant. Mais celui-ci la change alors, tout comme Abram est devenu Abraham. En ce sens, sa confrontation avec lui-même lui a révélé qui il était vraiment. Il a dépassé le stade de l’opposition pour devenir une synthèse qui reste en mouvement.
En rapportant ces éléments à l’arbre séphirotique, Jacob s’oppose à Élohim, qui est Gueburah, la dimension de la rigueur et du jugement. L’aspect nocturne du combat peut indiquer que Jacob s’oppose au côté obscur de Gueburah, qui se trouve également être la dimension d’où vient le mal. Avec la venue de l’aube et de la Justice plutôt que du Châtiment, Jacob devient le « lutteur d’El ». Or, El se rapporte à Hessed, la dimension de la miséricorde. À travers Jacob, El s’oppose à Élohim, et de leur lutte naît Israël. Jacob trouve alors parfaitement sa correspondance avec Tiphereth (Abraham correspondant à Hessed, et Isaac correspondant à Gueburah), qui est la Beauté de YHVH.
En se rapportant à ce même symbolisme séphirothique, si l’opposant de Jacob est un ange, ce serait probablement Gabriel, qui régente Gueburah. Dans ce cas de figure, « Gabriel » signifiant « homme de Dieu », Jacob combattrait cette fois encore un homme, archétypal cette fois non plus de l’humanité en général, mais du lévite. Le combat de Jacob serait donc une opposition à la rigueur dogmatique des lévites ? Explication un peu simpliste, mais pourquoi pas.
On peut également se demander la raison pour laquelle ce combat s’étend jusqu’à l’aube, alors que l’opposant de Jacob ne peut rien contre lui. Rappelons que de El, il est dit qu’il est lent à la colère, et prompt à la miséricorde. L’emportement est souvent le manifeste de la colère, tandis que le pardon vient après. Ailleurs, le Zohar dit d’ailleurs que le Juste se laisse d’abord emporter par le Jugement avant de se laisser emplir par la Miséricorde, et que cela a plus de valeur que le pardon direct. Au fil de l’avancée de la nuit, les assauts de la dimension du Jugement se brisent sur Jacob, qui ne cède pas. Lorsque l’aube point, c’est tout Gueburah qui redevient Justice.
Que peut signifier la bénédiction de Gueburah pour Jacob ? Élohim a créé toutes ses œuvres avec Justice, sans qu’aucune ne puisse être lésée. Chaque créature a accepté son rôle. La bénédiction de Gueburah pourrait donc être l’acceptation de la transcendance de Jacob, qui passe outre les limites initialement définies pour lui. Bien sûr, cela donnerait un rôle peu traditionnel à Israël, qui prône plutôt la soumission et la crainte de Dieu.
Pourtant, les Lévites, qui oeuvrent dans le cadre de Gueburah (et quoi ôtent la sciatique des offrandes) ne bénissent pas, tâche réservée aux Cohens. Que Élohim/Gueburah bénisse est donc intrigant.
Il faudrait donc se rapporter à une modification du Jugement de Gueburah : Avant de devenir Israël, Jacob n’était encore qu’un homme comme les autres. Après son combat avec lui-même et avec la dimension de Gueburah, pour la plus grande gloire de El, il est renommé et devient Israël. Ce faisant, il n’est plus affecté par le Jugement qui portait sur l’humanité, mais bien par celui qui porte sur la nation choisie par El. Bref, ce combat marquerait la différenciation entre les fils d’Israël et les nations.
On notera également que Jacob demande le nom de son opposant, juste avant qu’il soit béni, ce à quoi l’homme le questionne sur la raison de cette demande.
Le fait qu’Adam ait nommé toutes les choses qui vivent sur terre impliquerait que Jacob sache déjà le nom de l’être qu’il combat. Or, ce n’est pas le cas. Son opposant n’est donc pas un être conventionnel, ce qui renforce l’hypothèse qui veut que « l’homme » soit un ange ou une expression interne de Jacob.
Plus sur le sujet :
Le Combat de Jacob et de l’Ange par Gabri-el, 2007.
Illustration : Rembrandt [Public domain], via Wikimedia Commons