L’Ancienne Guerre des Chevaliers Ou Entretiens de la Pierre des Philosophes avec l’Or et le Mercure Par Limojon de Saint Disdier.
Ce traité forme la première partie de l’ouvrage Le Triomphe Hermetique ou La pierre philosophale victorieuse (Amsterdam, 1667), dans lequel il est suivi des textes « Entretien d’Eudoxie et de Pyrophile sur l’ancienne guerre des chevaliers » et « lettre aux vrays disciples d’Hermès ».
Avertissement
On est assés persuadé qu’il n’y a déja que trop de livres qui traittent de la Philosophie Hermétique ; et qu’à moins de vouloir escrire de cette science clairement, sans équivoque, et sans allegorie (ce qu’aucun sage ne fera jamais) il vaudroit beaucoup mieux demeurer dans le silence, que de remplir le monde de nouveaux ouvrages, plus propres à embarasser davantage l’esprit de ceux, qui s’appliquent à pénétrer les mistères philosophiques ; qu’à les redresser dans la véritable voye, qui conduit au terme désiré, où ils aspirent. C’est pour cette raison qu’on a jugé que l’interprétation d’un bon Auteur, qui traite solidement de cette sublime Philosophie, seroit beaucoup plus utile aux enfants de la science, que quelque nouvelle production parabolique, ornée des plus ingénieuses expressions, que les Adeptes sçavent imaginer, lorsqu’ils traittent de ce grand art, ou plustost lorsqu’ils écrivent pour faire seulement connoitre à ceux qui possèdent comme eux, ou qui cherchent le Magistère, qu’ils ont eû le bonheur d’arriver à sa possession. En effet la plûpart des Philosophes qui en ont escrit, l’ont plûtost fait pour parler de l’heureux succez, dont Dieu a beni leur travail ; que pour instruire autant qu’il seroit nécessaire, ceux qui s’adonnent à l’estude de cette sacrée science. Cela est si veritable, que la plûpart ne font pas meme difficulté d’avouer de bonne foy, que ç’a esté là leur principale veuë, lorsqu’ils en ont fait des livres.
Le petit traitté qui a pour titre l’ancienne guerre des Chevaliers, a mérité sans contredit l’approbation de tous les sages, et de ceux aussi, qui ont quelque connaissance de la Philosophie Hermétique. Il est écrit en forme d’entretien, d’une manière simple, et naturelle, qui porte par tout le caractere de la vérité : mais avec cette simplicité, il ne laisse pas d’estre profond, et solide dans le raisonnement, et convainquant dans les preuves ; de sorte qu’il n’y a pas un mot qui ne porte sentence, et sur lequel il n’y eust de quoy faire un long commentaire. Cet ouvrage a esté composé en Alleman par un vray Philosophe, dont le nom est inconnu. Il parut imprimé à Leypsic en 1604. Fabri de Montpellier le traduisit en latin : c’est sur ce latin, que fut faite la traduction Françoise imprimée à Paris chez d’Houry et mise à la fin de la Tourbe Françoise, de la parole délaissée, et de Drebellius, qui composent ensemble un volume. Mais soit que Fabri ait mal entendu l’Alleman, ou qu’il ait à dessein falsifié l’original ; il se trouve dans ces deux traductions des passages corrompus, dont la fausseté étant toute manifeste, a fait mépriser ce petit ouvrage par plusieurs personnes : bien que d’ailleurs il parust estre d’un grand merite.
Comme la verité, et la fausseté ne sont pas compatibles dans un même sujet, et qu’il estoit aisé de juger que ces traductions n’estoient pas fideles ; il s’est trouvé un Philosophe d’un sçavoir et d’un merite extraordinaire, qui pour satisfaire sa curiosité sur ce sujet, s’est donné la peine de faire une recherche de plus de dix années, pour trouver l’original Alleman de ce petit traitté, et l’ayant enfin recouvré, l’a fait exactement traduire en latin : c’est sur cette Copie, que cette nouvelle traduction a esté faite, avec toute la fidelité possible. On y reconnoistra la bonté de l’original, par la vérité qui paroist evidemment dans la restitution de plusieurs endroits, qui avoient esté non seulement alterez, mais encore entièrement changez. On en jugera par le passage marqué 34, ou la première traduction dit comme le Latin de Fabri. Mercurium nostrum nemo assequi potest ; nisi ex mollibus octo corporibus, neque ullum absque altero parari potest. Il n’en falloit pas davantage pour faire mépriser cet escrit par ceux qui ont assez de connoissance des principes de l’oeuvre, pour en pouvoir distinguer le vray d’avec le faux : les sçavants toutesfois jugeoient aisement, qu’une faute aussi fondamentale que celle là, ne pouvoit venir d’un vray Philosophe, qui fait bien comprendre d’ailleurs, qu’il a parfaitement connu le magistere : mais il falloit trouver un sçavant zelé pour la découverte de la vérité, et en estat, comme estoit celuy-ci, de faire une aussi grande recherche, pour trouver l’original de cet ouvrage ; sans quoy il estoit impossible d’en retablir le vray sens. L’endroit, qu’on vient de remarquer, n’est pas le seul, qui avoit besoin d’estre redressé. Si on prend la peine de confronter cette nouvelle traduction avec la precedente, on y trouvera une fort grande difference, et plusieurs corrections essentielles. Le passage 35 n’en est pas une des moindres ; et comme cette traduction a esté faite sur la nouvelle copie Latine, sans avoir voulu jetter les yeux sur celle qui avoit déjà esté imprimée en Francois ; on a eu le plaisir de remarquer ensuite tout ce qui ne s’est pas trouvé conforme à la première. Les parolles et les frazes entieres, qui ont esté adjoutées en quelques endroits de celle-cy, pour faire une liaison plus naturelle, ou un sens plus parfait, sont renfermées entre deux crochets ( ), afin qu’on distingue ce qui est, d’avec ce qui n’est pas du texte, auquel l’autheur de cette traduction s’est tenu scrupuleusement attaché : parce que la moindre addition, sur une matière de cette nature peut faire un changement considérable, et causer de grandes erreurs.
La beauté, et la solidité de cet escrit meritoient bien la peine qu’on y fist un commentaire, qui rendist plus intelligible aux enfans de la science, un traitté qui peut leur tenir lieu de tous les autres. Et comme la methode des entretiens est la plus propre pour éclaircir, et pour rendre palpables les vérités les plus relevées ; on s’en est servi icy, avec autant plus de raison, que l’autheur sur lequel est fait le commentaire, a escrit de cette mesme manière. On trouvera dans l’entretien d’Eudoxe et de Pyrophile, qui explique celuy de la pierre avec l’or et le mercure, les principales difficultez éclaircies par les questions et les répôses qui y sont faites sur les points les plus essentiels de la Philosophie Hermétique. Les chiffres qui sont à la marge (Ils sont ici inclus dans le corps du texte entre parenthèses ). de ces deux entretiens, marquent le rapport des endroits du premier avec ceux du dernier où ils sont expliquez. On remarquera dans cet ouvrage une entiere conformité de sentimens avec les premiers maistres de cette Philosophie, aussi bien qu’avec les plus sçavans, qui ont escrit dans les derniers siècles ; de sorte qu’il ne se trouvera guere de traitté sur cette matiere, quelque grand qu’en soit le nombre, qui soit plus clair, et plus sincere, et qui puisse par consequent etre plus utile que celuy-ci, à ceux qui s’appliquent à l’estude de cette Science, et qui ont d’ailleurs toutes les bonnes qualitez de l’esprit et du Coeur, que notre Philosophie requiert en ceux qui veulent y faire du progrez. Ce commentaire paroistra sans doute d’autant meilleur, qu’il n’est point diffus, comme sont presque tous les commentaires ; qu’il ne touche que les endroits, qui peuvent avoir besoin de quelque explication ; et qu’il ne s’écarte en aucune maniere du sujet ; mais comme ces sortes d’ouvrages ne sont pas pour ceux qui n’ont encore aucune teinture de la Philosophie secrète : les plus clair-voyants connoistront bien qu’on a beaucoup mieux aimé passer par dessus plusieurs choses, qui auroiét, peut-être mérité une interprétation, que d’expliquer generalement tout ce qui pouvoit encore causer quelque difficulté aux aprentifs de ce grand art.
Comme le premier de ces entretiens raconte la victoire de la Pierre et que l’autre expose les raisons, et fait voir les fondemens de son triomphe : il semble que ce livre ne pouvoit paroistre sous un titre plus convenable que sous celuy du Triomphe Hermetique, ou de la Pierre Philosophale victorieuse. Il ne reste autre chose à dire icy, sinon que l’autheur de la traduction qui l’est aussi du commentaire, et de la lettre qui est à la fin de ce livre, n’a eu en cecy d’autre interest, n’y d’autre veuë, que de manifester la vérité à ceux qui aspirent à sa connoissance, par les motifs qui conviennent aux veritables enfans de la science ; aussi il declare, et il proteste sincerement qu’il désire de tout son coeur, que ceux qui sont assez malheureux, pour perdre leur temps à travailler sur des matières estrangeres, ou esloignées, se trouvent assez éclairez par la lecture de ce Livre, pour connoistre la vraye et unique matière des Philosophes ; et que ceux qui la connoissent déjà, mais qui ignorent le grand point de la solution de la Pierre, et de la Coagulation de l’Eau et de l’esprit du Corps, qui est le terme de la Medecine universelle, puissent apprendre icy ces operations secretes ; qui y sont décrites assez distinctement pour eux.
L’Autheur n’ a pas trouvé à propos d’escrire en latin, ne croyant pas, comme bien d’autres, que ce soit reveler ces hauts misteres, de les traiter en langue vulgaire : il a suivi en cela l’exemple de plusieurs Philosophes qui ont voulu que leur ouvrage portast le Caractere de leur pays ; aussi son premier dessein a esté d’etre utile à tous ces compatriotes, ne doutant pas que si ce Traité paraist de quelque merite aux disciple de Hermes, il ne s’en trouve, qui le traduiront en la langue qui leur plaira.
Explication générale de cet Emblème
On ne doit pas s’attendre de voir icy une explication en détail qui tire absolument le rideau de dessus cet énigme philosophique, pour faire paroistre la vérité à découvert ; si cela estoit, il n’y auroit qu’à jetter au feu tous les Escrits des Philosophes : Les Sages n’auroient plus d’avantage sur les ignorans ; les uns et les autres seront également habiles dans ce merveilleux art.
On se contentera donc de voir dans cette figure, comme dans un miroir, l’abregé de toute la Philosophie secrete, qui est contenuë dans ce petit livre, où toutes les parties de cet emblème se trouvent expliquées aussi clairement, qu’il est permis de le faire.
Ceux qui sont initiés dans les misteres philosophiques comprendront d’abord aisement le sens qui est caché sous cette figure : mais ceux qui n’ont pas ces lumieres, doivent considerer icy en general une mutuelle correspondance entre le Ciel et la Terre, par le moyen du Soleil et de la Lune, qui sont comme les liens secrets de cette union philosophique.
Ils verront dans la pratique de l’oeuvre, deux ruisseaux paraboliques, qui se confondant secretement ensemble, donnent naissance à la misterieuse pierre triangulaire, qui est le fondement de l’art.
Ils verront un feu secret et naturel, dont l’esprit penetrant la Pierre, la sublime en vapeurs, qui se condensent dans le vaisseau.
Ils verront quelle efficace la pierre sublimée reçoit du Soleil et de la Lune, qui en sont le Pere et la Mere, dont elle herite d’abord la première couronne de perfection. Ils verront dans la continuation de la pratique, que l’art donne à cette divine liqueur une double couronne de perfection par la conversion des Elemens, et par l’extraction et la depuration des principes, par où elle devient ce mistérieux caducée de Mercure, qui opere de si surprenantes metamorphoses.
Ils verront que ce même Mercure, comme un Phenix qui prend une nouvelle naissance dans le feu, parvient par le Magistere à la dernière perfection de Soufre fixe des Philosophes, qui luy donne un pouvoir souverain sur les trois genres de la nature, dont la triple couronne sur laquelle est posé pour cet effet le Hieroglyphique du monde, est le plus essentiel caractere.
Ils verront enfin dans son lieu, ce que signifie la portion du Zodiaque avec les trois signes qui y sont representez : de sorte que joignant toutes ces explications ensemble ; il ne sera pas impossible d’en tirer l’intelligence entiere de toute la Philosophie secrete et de la plus grande partie de la pratique qui est deduite assés au long dans la Lettre adressée aux vrays disciples de Hermès, qui est à la fin de cet ouvrage.
Cette figure avec son explication doit être insérée aprés la Préface.
L’Ancienne Guerre des Chevaliers ou Entretien de la Pierre des Philosophes avec l’Or et le Mercure
Touchant la véritable matière, dont ceux qui sont savans dans les Secrets de la Nature, peuvent faire la Pierre Philosophale, suivant les règles d’une pratique convenable, et par le secours de Vulcain Lunatique.
Composé originairement en Alleman par un très- habile philosophe et traduit nouvellement du Latin en Français.
Le sujet de cet entretien est une dispute que l’Or et le Mercure eurent un jour avec la Pierre des Philosophes. Voicy de quelle maniere parle un veritable Philosophe (qui est parvenu à la possession de ce grand secret).
Je vous proteste devant Dieu, et sur le salut (éternel) de mon âme, avec un coeur sincere, touché de compassion pour ceux qui sont depuis longtemps dans les grandes recherches ; et (je vous certifie) à vous tous qui chérissés ce merveilleux art, que toute nostre oeuvre prend naissance (1) d’une seule chose et qu’en cette chose l’oeuvre trouve sa perfection, sans qu’elle ait besoin de quoy que ce soit autre, que d’estre (2) dissoute et coagulée, ce qu’elle doit faire d’elle mesme, sans le recours d’aucune chose étrangere.
Lors qu’on met de la glace dans un vase placé sur le feu, on voit que la chaleur la fait resoudre en eau : (3) on doit en user de la même maniere avec nostre pierre, qui n’a besoin que du secours de l’artiste, de l’operation de ses mains, et de l’action du feu (4) naturel : car elle ne se resoudra jamais d’ellemême ; quand elle demeureroit éternellement sur la terre : c’est pourquoy nous devons l’aider ; de telle maniere toutefois, que nous ne luy adjoutions rien qui luy soit étranger et contraire. Tout ainsi que Dieu produit le froment dans les champs, et que c’est ensuite à nous à le mettre en farine, la pétrir et en faire du pain ; de même nostre art requiert que nous fassions la mesme chose (5). Dieu nous a créé ce minéral ; afin que nous le prenions tout seul, que nous décomposions son corps grossier et épois ; que nous separions et prenions pour nous ce qu’il renferme de bon dans notre intérieur ; que nous rejettions ce qu’il a de superflu ; et que d’un venin (mortel), nous apprenions à faire une Medecine (souveraine).
Pour vous donner une plus parfaite intelligence de cet agreable entretien ; je vous feray le recit de la dispute qui s’éleva entre la Pierre des Philosophes, l’Or et le Mercure ; de sorte que ceux qui depuis longtemps s’appliquent à la recherche (de notre art) et qui sçavent de quelle manière on doit traitter (6) les metaux et les mineraux, pourront en estre assés éclairés, pour arriver droit au but qu’ils se proposent : il est cependant necessaire que nous nous appliquions à connoistre (7) exterieurement et interieurement l’essence et les propriétés de toutes les choses qui sont sur la terre et que nous penétrions dans la profondeur des operations, dont la nature est capable.
Récit
L’Or et le Mercure allerent un jour à main armée, pour (combattre) et pour subjuguer la Pierre. L’Or, animé de fureur, commença à parler de cette sorte.
L’Or
Comment as-tu la temerité de t’eslever au-dessus de moy, et de mon frere Mercure et de pretendre la preference sur nous : toy qui n’es qu’un (8) vers (bouffi) de venin ? Ignores-tu que je suis le plus precieux, le plus constant, et le premier de tous les metaux ? (ne sçais tu pas) que les Monarques, les Princes, et les Peuples font également consister toutes leurs richesses en moy, et en mon frere Mercure ; et que tu es au contraire le (dangereux) ennemi des hommes et des metaux ; au lieu que les (plus habiles) médecins ne cessent de publier, et de vanter les vertus (singulieres) que je possede (9) pour donner (et pour conserver) la santé à tout le monde ?
La Pierre
A ces parolles (pleines d’emportement), la Pierre. répondit (sans s’émouvoir) : Mon cher Or, pourquoy ne te faches-tu pas plustot contre Dieu, et pourquoy ne lui demandes-tu pas pour quelles raisons il n’a pas créé en toy ce qui se trouve en moy ?
L’Or
C’est Dieu même qui m’a donné l’honneur, la reputation et le brillant esclat, qui me rendent si estimable : c’est pour cette raison, que je suis si recherché d’un chacun. Une de mes plus grandes perfections est d’estre un metail inalterable dans le feu, et hors du feu ; aussi tout le monde m’aime et court après moy : mais toy tu n’es qu’une (10) fugitive, et une trompeuse, qui abuse tous les hommes : cela se voit en ce que tu t’envoles et que tu t’échapes des mains de ceux qui travaillent avec toy.
La Pierre
Il est vrai mon cher Or, c’est Dieu qui t’a donné l’honneur, la constance, et la beauté, qui te rendent precieux : c’est pourquoy tu es obligé de rendre des graces (éternelles à sa divine bonté) et ne pas mépriser les autres, comme tu fais : car je puis te dire que tu n’es pas cet Or, dont les écrits des Philosophes font mention (11) ; mais cet Or est caché dans mon sein. Il est vray, je l’avoue, je coule dans le feu (et n’y demeure pas) toutefois tu sçais fort bien que Dieu et la nature m’ont donné cette qualité, et que cela doit être ainsi ; d’autant que ma fluidité tourne à l’avantage de l’Artiste, qui sçait (12) la maniere de l’extraire ; sçache cependant que mon âme demeure constamment en moy, et qu’elle est plus stable, et plus fixe, que tu n’es, tout Or que tu sois, et que ne sont tous tes freres, et tous tes compagnons. Ni l’eau, ni le feu, quel qu’il soit, ne peuvent la détruire, ni la consumer ; quand ils agiroient sur elle pendant autant de temps que le monde durera.
Ce n’est donc pas ma faute si je suis recherchée par des Artistes, qui ne sçavent pas comment il faut travailler avec moy, ni de quelle manière je dois estre preparée. Ils me mèlent souvent avec des matieres estrangeres, qui me sont (entierement) contraires. Ils m’adjoutent de l’eau, des poudres, et autres choses semblables, qui détruisent ma nature et les proprietes qui me sont essentieles ; aussi s’en trouve-t-il à peine un entre cent (13) qui travaille avec moy. Ils s’appliquent tous à chercher (la verité) de l’art dans toy, et dans ton frere Mercure : c’est pourquoi ils errent tous, et c’est en cela que leurs travaux sont faux. Ils en sont eux-mesme un (bel) exemple : car c’est inutilement qu’ils emploient leur Or et qu’ils tachent de le détruire : Il ne leur reste de tout cela, que l’extrême pauvreté, à laquelle ils se trouvent enfin réduits. C’est toy Or, qui es la premiere cause (de ce malheur), tu sçais fort bien que sans moy, il est impossible de faire aucun Or, ni aucun Argent qui soient parfaits ; et qu’il n’y a que moy seule, qui aye ce (merveilleux) avantage. Pourquoi souffres-tu donc, que presque tout le monde entier fonde ses opérations sur toy, et sur le Mercure ? Si tu avois encore quelque reste d’honnêteté, tu empêcherois bien que les hommes ne s’abandonnassent à une perte toute certaine : mais comme (au lieu de cela) tu fais tout le contraire ; je puis soutenir avec verité, que c’est toy seul, qui es un trompeur.
L’Or
Je veux te convaincre par l’authorité des Philosophes, que la verité de l’art peut estre accomplie avec moy. Lis Hermès. Il parle ainsi : » Le Soleil est son pere (14) et la Lune sa mere : or je suis le seul qu’on compare au soleil. Aristote, Avicenne, Pline, Serapion, Hipocrate, Dioscoride, Mesué, Rasis, Averroes, Geber, Raymond Lulle, Albert le grand, Arnaud de Villeneufve, Thomas d’Acquin, et un grand nombre d’autres Philosophes, que je passe sous silence pour n’estre pas long, écrivent tous clairement, et distinctement, que les métaux, et la Teinture (phisique) ne sont composés que de Souffre, et de Mercure (15) ; que ce Souffre doit estre rouge, incombustible, resistant constamment au feu, et que le Mercure doit estre clair, et bien purifié. Ils parlent de cette sorte sans aucune reserve ; ils me nomment ouvertement par mon propre nom, et disent que dans l’Or (c’est-à-dire dans moy) se trouve le souffre rouge, digest, fixe et incombustible ; ce qui est veritable, et tout évident ; car il n’y a personne qui ne connoisse bien, que je suis un métail tres constant (et inalterable), que je suis doué d’un souflre parfait et entierement fixe, sur lequel le feu n’a aucune puissance. Le Mercure fut du sentiment de l’Or ; il approuva son discours ; soutint que tout ce que son frère venoit de dire, estoit veritable, et que l’oeuvre pouvoit se parfaire de la maniere que l’avoient écrit les Philosophes cy-dessus alleguez. Il adjouta mesme, que chacun connoissoit (assés) combien estoit grande (16) l’amitié (mutuele) qu’il y avoit entre l’Or et lui, préférablement à tous les autres métaux ; qu’il n’y avoit personne, qui ne peut aisément en juger par le témoignage de ses propres yeux que les orfevres, et autres semblables artisans sçavoient fort bien, que lors qu’ils vouloient dorer quelque ouvrage, ils ne pouvoient se passer du (mélange) de l’Or et du Mercure, et qu’ils en faisoient la conjonction en très peu de temps, sans difficulté, et avec fort peu de travail : que ne devoit-on pas esperer de faire avec plus de temps, plus de travail, et plus d’application ?
La Pierre
A ce discours, la Pierre se mit à rire et leur dit, en verité vous merités bien l’un et l’autre qu’on se mocque de vous, et de vostre démonstration : mais c’est toy, Or, que j’admire encore plus, voyant que tu t’en fais si fort accroire, pour l’avantage que tu as d’estre bon à certaines choses. Peux-tu bien te persuader que les anciens Philosophes ont écrit, comme ils ont fait, dans un sens qui doive s’entendre à la maniere ordinaire ? Et croix-tu qu’on doive simplement interpreter leurs paroles à la lettre ?
L’Or
Je suis certain que les Philosophes, et les Artistes que je viens de citer, n’ont point écrit de mensonge. Ils sont tous de mesme sentiment touchant la vertu que je possede : Il est bien vray, qu’il s’en est trouvé quelques-uns, qui ont voulu chercher dans des choses entierement éloignées, la puissance, et les proprietes qui sont en moy. Ils ont travaillé sur certaines herbes ; sur les animaux ; sur le sang ; sur les urines ; sur les cheveux ; sur le sperme ; et sur des choses de cette nature : ceux-là se sont sans doute écartés de la véritable voye, et ont quelquefois écrit des faussetés : mais il n’en est pas de même des maistres que j’ay nommés. Nous avons des preuves certaines, qu’ils ont en effet possede ce (grand) art ; c’est pourquoy nous devons adjouter foy à leurs écrits.
La Pierre
Je ne revoque point en doute que (ces Philosophes) n’ayent eu une entiere connoissance de l’art ; excepté toutesfois quelques-uns de ceux que tu as allegués ; car il y en a parmi eux, mais fort peu, qui l’ont ignoré, et qui n’en ont écrit, que sur ce qu’ils en ont ouï dire : mais lorsque (les veritables Philosophes) nomment simplement l’Or, et le Mercure, comme les principes de l’art, ils ne se servent de ces termes, que pour en cacher la connoissance aux ignorans, et à ceux qui sont indignes (de cette science) : car ils sçavent fort bien que ces Esprits (vulgaires) ne s’attachent qu’aux noms des choses, aux receptes, et aux procedez, qu’ils trouvent écrits ; sans examiner s’il y a un (solide) fondement dans ce qu’ils mettent en pratique : mais les hommes scavants et qui lisent (les bons livres) avec application, et exactitude considerent toutes choses avec prudence ; examinent le rapport, et la convenance qu’il y a entre une chose et une autre, et par ce moyen, ils penètrent dans le fondement (de l’art), de sorte que par le raisonnement et par la meditation, ils découvrent (enfin) qu’elle est la matiere des Philosophes, entre lesquels il ne s’en trouve aucun qui ait voulu l’indiquer, ni la donner à connoistre ouvertement, et par son propre nom. Ils se déclarent nettement là dessus ; lors qu’ils disent qu’ils ne revèlent jamais moins (le secret) de leur art, que lors qu’ils parlent clairement, et selon la maniere ordinaire (de s’énoncer) : mais (ils avouent) au contraire que (17) lors qu’ils se servent de similitudes, de figures et de paraboles, c’est en verité dans ces endroits (de leurs escrits) qu’ils manifestent leur art : car (les Philosophes) après avoir discouru de l’Or et du Mercure, ne manquent pas de declarer ensuite, et d’asseurer, que leur Or n’est pas le Soleil (ou l’or) vulgaire, et que leur Mercure n’est pas non plus le Mercure commun ; en voicy la raison.
L’Or est un metail parfait, lequel à cause de la perfection (que la nature lui a donnée) ne sçauroit estre poussé (par l’art) à un degré plus parfait ; de sorte que de quelque manière qu’on puisse travailler avec l’Or ; quelque artifice qu’on mette en usage ; quand on extrairoit cent fois sa couleur (et sa teinture) ; l’Artiste ne fera jamais plus d’Or et ne teindra jamais une plus grande quantité de métail qu’il y avait de couleur et de teinture dans l’Or (dont elle aura esté extraite) : c’est pour cette raison, que les Philosophes disent, qu’on doit chercher la perfection (18) dans les choses imparfaites, et qu’on l’y trouvera. Tu peux lire dans le Rosaire ce que je te dis icy. Raymond Lulle, que tu m’as cité, est de ce mesme sentiment, (il asseure), que ce qui doit estre rendu meilleur, ne doit pas estre parfait ; parce que dans ce qui est parfait, il n’y a rien à changer, et qu’on détruiroit bien plustot sa nature ; (que d’adjouter quelque chose à sa perfection).
L’Or
Je n’ignore pas que les Philosophes parlent de cette manière : toutesfois cela se peut appliquer à mon frere Mercure, qui est encore imparfait : mais si on nous joint tous deux ensemble, il reçoit alors de moy la perfection (qui lui manque) : car il est du sexe feminin, et moi je suis du sexe masculin ; ce qui fait dire aux Philosophes, que l’art est un tout homogene. Tu vois un exemple de cela dans (la procreation) des hommes : car il ne peut naistre aucun enfant sans (l’accouplement) du mâle, et de la femele ; c’est à dire, sans la conjonction de l’un avec l’autre. Nous en avons un pareil exemple dans les animaux et dans tous les êtres vivants.
La Pierre
Il est vray ton frere Mercure est imparfait (19) et par consequent il n’est pas le Mercure des Sages : aussi quand vous seriez conjoints ensemble, et qu’on vous tiendroit ainsi dans le feu pendant le cours de plusieurs années, pour tâcher de vous unir parfaitement l’un avec l’autre ; il arrivera tousiours (la mesme chose, sçavoir) qu’aussi-tost que le Mercure sent l’action du feu, il se separe de toy, se sublime, s’envole, et te laisse seul en bas. Que si on vous dissout dans l’eau-forte ; si on vous reduit en une seule (masse), si on vous resout ; si on vous distille, et si on vous coagule, vous ne produirés toutesfois jamais qu’une poudre, et un precipité rouge : que si on fait projection de cette poudre sur un métail imparfait, elle ne le teint point : mais on y trouve autant d’Or qu’on en avoit mis au commencement, et ton frere Mercure te quitte, et s’enfuit.
Voilà quelles sont les experiences que ceux qui s’attachent à la recherche de la Chimie, ont faites à leur grand dommage, pendant une longue suite d’années : voilà aussi (ou aboutit) toute la connoissance qu’ils ont acquise par leurs travaux : mais pour ce qui est du proverbe des anciens, dont tu veux te prevaloir, que l’art est un tout (entierement) homogene ; qu’aucun enfant ne peut naistre sans le mâle et la femele ; et que tu te figures, que par là les Philosophes entendent parler de toy et de ton frère Mercure ; je dois te dire (nettement) que cela est faux, et que mal à propos on l’entend de toy ; encore qu’en ces mesmes endroits, les Philosophes parlent juste, et disent la vérité. Je te certifie, que c’est icy (20) la Pierre angulaire, qu’ils ont posée, et contre laquelle plusieurs milliers d’hommes ont bronché.
Peux-tu bien t’imaginer qu’il en doit estre de mesme (21) avec les metaux, qu’avec les choses qui ont vie. Il t’arrive en cecy ce qui arrive à tous les faux Artistes : car lors que vous lisez (de semblables passages) dans les Philosophes, vous ne vous attachés pas à les examiner davantage, pour tâcher de découvrir si (de telles expressions) quadrent, et s’accordent, ou non, avec ce qui a esté dit auparavant, ou qui est dit dans la suite : cependant (tu dois sçavoir), que tout ce que les Philosophes ont escrit de l’oeuvre en termes figurez, se doit entendre de moy seule, et non de quelque autre chose, qui soit dans le monde, puis qu’il n’y a que moy seule, qui puisse faire ce qu’ils disent, et que (22) sans moy, il est impossible de faire aucun or, ni aucun argent, qui soient verltables.
L’Or
Bon Dieu ! n’as-tu point de honte de proferer unsi grand mensonge ? et ne crains-tu pas de commettre un péché en te glorifiant jusques à un tel point, que d’oser t’attribuer à toy seule, tout ce que tant de sages et de sçavans personnages ont escrit de cet art, depuis tant de siècles, toy, qui n’es qu’une matiere crasse, impure, et venimeuse ; et tu avoues, nonobstant cela, que cet art est un tout (parfaitement) homogene ? tu dis de plus, que sans toy, on ne peut faire aucun or, ni aucun argent, qui soient véritables, comme estant une chose (23) universelle (n’est-ce pas là une contradiction manifeste) ; d’autant que plusieurs sçavans personnages se sont appliqués avec tant de soin et d’exactitude aux (curieuses) recherches qu’ils ont faites, qu’ils ont trouvé d’autres voyes (ce sont des procedez) qu’on nomme des particuliers, desquels cependant on peut tirer une grande utilité.
La Pierre
Mon cher Or, ne sois pas surpris de ce que je viens de te dire, et ne sois pas si imprudent que de m’imputer un mensonge, à moy qui y a (24) plus d’âge que toy : s’il m’arrivoit de me tromper en cela, tu devrois avec juste raison excuser mon (grand) âge ; puis que tu n’ignores pas, qu’il faut porter respect à la vieillesse. Pour te faire voir que j’ay dit la vérité, afin de deffendre mon honneur, je ne veux m’appuyer que (de l’authorité) des mêmes maistres, que tu m’a citez, et que, par conséquent, tu n’es pas en droit de recuser. (Voyons) particulièrement Hermès. Il parle ainsy. Il est vrai, sans mensonge, certain, et tres veritable, que ce qui est en bas, est semblable à ce qui est en haut ; et ce qui est en haut, est semblable à ce qui est en bas : (25) c’est par ces choses, qu’on peut faire les miracles d’une seule chose. Voici comment parle Aristote. O que cette chose est admirable, qui contient en elle mesme toute les choses dont nous avons besoin. Elle se tue elle mesme ; et ensuite elle reprend vie d’elle mesme ; (26) elle s’épouse elle mesme, elle s’engrosse elle mesme, elle naist mesme ; elle se resout d’elle mesme dans son propre sang ; elle se coagule de nouveau avec luy, et prend une consistance dure ; elle se fait blanche ; elle se fait rouge d’elle mesme ; nous ne lui adjoutons rien de plus, et nous n’y changeons rien, si ce n’est que nous en separons la grossiereté et la terrestreïté.
Le Philosophe Platon parle de moy en ces termes : C’est une seule unique chose, d’une seule et mesme espèce en elle mesme ; (27) elle a un corps, une âme, un esprit, et les quatre elemens, sur les quels elle domine. Il ne lui manque rien ; elle n’a pas besoin des autres corps, car elle s’engendre elle mesme ; toutes choses sont d’elle, par elle, et en elle.
Je pourrois te produire icy plusieurs autres témoignages : mais comme cela n’est pas necessaire, je les passe sous silence, pour n’estre pas ennuyeuse : et comme tu viens de me parler de (procédés) particuliers, je vay t’expliquer en quoy ils different (de l’art) (28). Quelques artistes qui ont travaillé avec moy, ont poussé leurs travaux si loin, qu’ils sont venus à bout, de séparer de moy mon esprit, qui contient ma teinture ; en sorte que le mélant avec d’autres métaux et mineraux, ils sont parvenus à communiquer quelque peu de mes vertus et de mes forces, aux metaux qui ont quelque affinité et quelque amitié avec moy : cependant les Artistes qui ont reussy par cette voye, et qui ont trouvé seurement une partie (de l’art), sont veritablement en très-petit nombre : mais comme ils n’ont pas connu (29) l’origine d’où viennent les teintures, il leur a esté impossible de pousser leur travail plus loing ; et ils n’ont pas trouvé au bout du compte, qu’il y eust une grande utilité dans leur procédé : mais si ces Artistes avoient porté leurs recherches au delà, et qu’ils eussent bien examiné qu’elle est (30) la femme qui m’est propre ; qu’ils l’eussent cherchée ; et qu’ils m’eussent uni à elle ; c’est alors que j’aurois pû teindre mille fois (davantage : ) mais (au lieu de cela) ils ont entièrement détruit ma propre nature, en me mêlant avec des choses étrangères ; c’est pourquoy bien qu’en faisant leur calcul, ils ayent trouvé quelque avantage, fort médiocre toutesfois, en comparaison de la grande puissance qui est en moi : il est constant neanmoins que (cette utilité) n’a procédé, et n’a eu son origine, que de moy, et non de quoique ce soit autre (avec quoi j’aye pû être mélée.)
L’Or
Tu n’as pas assés prouvé par ce que tu viens de dire : car encore que les Philosophes parlent d’une seule chose, qui renferme en soy les quatre elemens, qui a un corps, une ame, et un esprit ; et que par cette chose ils veuillent faire entendre la teinture (Phisique ;) lors qu’elle a esté poussée jusques à sa dernière (perfection ;) qui est le but où ils tendent ; néanmoins, cette chose doit dès son commencement estre composée de moy, qui suis l’Or, et de mon frere, qui est le Mercure, comme estant (tous deux) la semence masculine et la semence feminine ; ainsi qu’il a esté dit cy dessus : car après que nous avons esté suffisamment cuits, et transmués en teinture, nous sommes pour lors l’un et l’autre (ensemble) une seule chose, dont les Philosophes parlent.
La Pierre
Cela ne va pas comme tu te l’imagines. Je t’ay déjà dit cy devant, qu’il ne peut se faire une veritable union de vous deux, parce que vous n’estes pas un seul corps (31), mais deux corps ensemble ; et par consequent vous estes contraires, à considerer le fondement de la nature : mais moy j’ay un corps (32) Imparfait, une ame constante, une teinture penetrante : j’ay de plus un Mercure clair transparent, volatil et mobile, et je puis operer toutes les (grandes) choses, dont vous vous glorifiez tous deux, sans toutesfois que vous puissiez les faire : parce que c’est moy qui porte dans mon sein l’Or Philosophique et le Mercure des Sages ; c’est pourquoy les Philosophes (parlant de moy) disent, nostre Pierre (33) est invisible, et il n’est pas possible d’acquérir la possession de nostre Mercure, autrement que par le moyen de (34) deux corps, dont l’un ne peut recevoir sans l’autre, la perfection (qui lui est requise).
C’est pour cette raison qu’il n’y a que moy seule, qui possede une semence masculine, et féminine, et qui sois (en mesme temps) un tout (entierement) homogene, aussi me nomme-t-on Hermaphrodite. Richard Anglois rend témoignage de moy, disant la premiere matiere de nostre Pierre s’appelle Rebis (deux fois chose :) c’est à dire une chose qui a reçue de la nature une double propriété oculte, qui luy fait donner le nom d’Hermaphrodite ; comme qui diroit une matiere dont il est difficile de pouvoir distinguer le sexe, (et de découvrir) si elle est mâle ou si elle est fermele, d’autant qu’elle incline également de deux costez : c’est pourquoy la medecine (universelle) se fait d’une chose, qui est (35) l’Eau et l’Esprit du corps.
C’est cela qui a fait dire, que cette medecine qui a trompé un grand nombre de sots à cause de la multitude des enigmes (sous lesquelles elle est enveloppée :), cependant cet art ne requiert qu’une seule chose, qui est connuë d’un chacun, et que plusieurs souhaitent ; et le tout est une chose qui n’a pas sa pareille dans le monde ; (36) elle est vile toutesfois, et on peut l’avoir à peu de fraiz : il ne faut pas pour cela la mépriser : car elle fait, et parfait des choses admirables.
Le Philosophe Alain dit, Vous qui travaillés à cet art, vous devés avoir une ferme et constante application d’esprit à vostre travail, et ne pas commencer à essayer tantost une chose, et tantost une autre. L’art ne consiste pas dans la pluralité des especes : mais dans le corps, et dans l’esprit. O qu’il est veritable, que la medecine de nostre Pierre est une chose, un vaisseau, une conjonction. Tout l’artifice commence par une chose, et finit par une chose : bien que les Philosophes dans le dessein de cacher ce (grand art) décrivent plusieurs voyes ; sçavoir une conjonction continuelle, une mixtion, une sublimation, une desiccation, et tout autant d’autres (voyes et operations) qu’on peut en nommer de differents noms : mais (37) la solution du corps ne se fait que dans son propre sang. Voici comment parle Geber, Il y a un souffre dans la profondeur du Mercure qui le cuit, et qui le digere dans les veines des mines, pendant un tres-long temps. Tu vois donc bien mon cher Or, que je t’ay amplement demontré que ce souffre n’est qu’en moy seule ; puis que je fais tout moy seule, sans ton secours, et sans celuy de tous tes freres et de tous tes compagnons. Je n’ay pas besoin de vous : mais vous avez tous besoin de moy ; d’autant que je puis vous donner à tous la perfection, et vous eslever au dessus de l’estat, où la nature vous a mis. A ces dernieres parolles, l’Or se mit furieusement en colere, ne sçachant plus que répondre : il tint (cependant) conseil avec son frere Mercure, et ils convinrent ensemble qu’ils s’assisteroient l’un l’autre, (esperant) qu’estant deux contre nostre Pierre, qui n’est qu’une et seule, ils la surmonteroient facilement ; de sorte qu’après n’avoir pu la vaincre par la dispute, ils prirent resolution de la mettre à mort par l’espée. Dans ce dessein, ils joignirent leurs forces, afin de les augmenter par l’union de leur double puissance. Le combat se donna. Nostre Pierre deploya ses forces, et sa valeur : les combatit tous deux ; (33) les surmonta, les dissipa, et les engloutit l’un et l’autre en sorte qu’il ne restà aucun vestige, qui put faire connoistre ce qu’ils estoient devenus. Ainsi chers amis, qui avez la crainte de Dieu devant les yeux, ce que je viens de vous dire, doit vous faire connoistre la verité, et vous éclairer l’esprit autant qu’il est necessaire, pour comprendre le fondement du plus grand, et du plus precieux de tous les tresors qu’aucun Philosophe n’a si clairement exposé, découvert, ny mis au jour. Vous n’avés donc pas besoin d’autre chose. Il ne vous reste qu’à prier Dieu qu’il veuille bien vous faire parvenir à la possession d’un joyau, qui est d’un prix inestimable. Eguisés après cela la pointe de vos Esprits ; lisés les escrits des Sages avec prudence ; travaillés avec diligence (et exactitude), n’agissés pas avec precipitation dans un oeuvre si précieux (39). II a son temps ordonné par la nature ; tout de mesme que les fruits, qui sont sur les arbres, et les grappes de raisins que la vigne porte. Ayés la droiture dans le coeur, et proposés vous (dans vostre travail) une fin honneste ; autrement Dieu ne vous acordera rien : (40) car il ne communique un (si grand) don, qu’à ceux qui veulent en faire un bon usage ; et il en prive ceux qui ont dessein de s’en servir pour commettre le mal. Je prie Dieu qu’il vous donne sa (sainte) bénédiction. Ainsi soit-il.
Fin.
Plus sur le sujet :
L’Ancienne Guerre des Chevaliers Ou Entretiens de la Pierre des Philosophes avec l’Or et le Mercure Par Limojon de Saint Disdier.
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