Templiers et Francs-Maçons : une filiation douteuse par Claude Jousseaume.
« Si lâordre ne vĂ©cut que 194 ans, il emporta au pays de la Mort son secret⊠»
Victor Ămile Michelet, Le secret de la Chevalerie.
Templiers et Francs-Maçons : une filiation douteuse
Depuis son apparition dans sa forme spéculative la Franc-Maçonnerie subjugue, attire ! Objet de peurs, et spéculations diverses.
Depuis (et probablement Ă cause) de sa disparition lâOrdre du Temple est lâobjet dâune mĂȘme forme de culte !
Pourtant que peut-il y avoir de commun entre des moines-guerriers intĂ©gristes de la foi chrĂ©tienne pourfendant sans pitiĂ© les infidĂšles (la lĂ©gende des bonnes relations des Templiers et lâIslam ne tient pas face Ă lâhistoire aprĂšs la bataille dâHattin en 1187, 230 moines soldats furent livrĂ©s aux bourreaux. Saladin parlait des Templiers et des Hospitaliers comme deux ordres immondes aux pratiques sans utilitĂ©s qui ne renonceront jamais aux hostilitĂ©s et ne rendront pas de services comme esclaves, il voulait en purifier la terre en les exterminant) et des humanistes appartenant Ă une institution gardienne des Valeurs RĂ©publicaines « essentiellement philanthropique, philosophique, progressive et autre » Ă lâorigine de la plupart des progrĂšs sociaux et des avancĂ©es de notre sociĂ©tĂ©. La franc-maçonnerie est dans sa grande partie une sociĂ©tĂ© dâaction philosophique se rĂ©fĂ©rant Ă des lĂ©gendes et fictions dâorigine biblique (mais pas seulement) dans la plus grande partie de son cheminement initiatique.
La chevalerie TempliĂšre fut typiquement un Ordre ou le combat et surtout la guerre sainte (le petit djihad des musulmans) Ă©quivalaient (les Ă©crits de Saint Bernard subliment dâailleurs cela dans lâĂloge de la nouvelle milice) Ă une voie dâascĂšse et de libĂ©ration comme chez les Kshatryas hindous.
Le vendredi 13 octobre de lâAn 1307 au matin, une des plus grandes opĂ©rations de police de tous les temps dĂ©marre ! La quasi-totalitĂ© des Templiers du royaume de France est arrĂȘtĂ©e ! AntĂ©rieurement dâautres Ordres avaient Ă©tĂ© visĂ©s. En 1238, GrĂ©goire IX attaquait dĂ©jĂ lâOrdre de Saint-Jean en invoquant des abus et des prĂ©tendues trahisons, mais en faisant Ă©galement allusion Ă la prĂ©sence en son sein dâĂ©lĂ©ments hĂ©rĂ©tiques. En 1307, annĂ©e dĂ©cidĂ©ment fatidique, les Chevaliers teutoniques furent Ă©galement accusĂ©s dâhĂ©rĂ©sie par lâarchevĂȘque de Riga, et leur Chef rĂ©ussit Ă grand-peine Ă sauver lâOrdre.
Un Ă©vĂ©nement Ă venir projette toujours son ombre et lâhallali fut donnĂ©.
Les moines-soldats nâopposĂšrent aucune rĂ©sistance, respectant en cela leur RĂšgle qui leur interdisait de lever lâĂ©pĂ©e contre un chrĂ©tien. Dans la soirĂ©e prĂ©cĂ©dente bon nombre dâofficiers royaux dĂ©pendant directement de Philippe le Bel Roi de France (dont le fils avait Ă©tĂ© refusĂ© dans lâOrdre), recevaient cette inquiĂ©tante missive :
« Une chose amĂšre, une chose dĂ©plorable, une chose horrible Ă penser, terrible Ă entendre, une chose dĂ©testable, un forfait exĂ©crable de scĂ©lĂ©ratesses, une infamie affreuse, une chose tout Ă fait inhumaine, pis Ă©trangĂšre Ă toute humanitĂ©, a retenti Ă nos oreilles selon le rapport de plusieurs personnes dignes de foi, non sans nous frapper dâune stupeur profonde et nous faire frĂ©mir dâune violente horreur⊠surtout que cette engeance (les Templiers)⊠est comparable aux bĂȘtes privĂ©es de raison⊠commet les crimes les plus abominables, a dĂ©laissĂ© Dieu⊠sacrifiĂ© aux dĂ©mons »
Moins de sept ans plus tard, le 18 mars 1314, Jacques de Molay dernier grand maĂźtre de lâOrdre du Temple mourait le corps dĂ©chiquetĂ© par les flammes hurlant son innocence, rĂ©clamant misĂ©ricorde et justice Ă Dieu. Il devint alors immortel Ă jamais rentrant dans la lĂ©gende. Quel paradoxe ! (A ce propos la « malĂ©diction » profĂ©rĂ©e par le grand MaĂźtre et popularisĂ©e par Maurice Druon nâa, semble-t-il, pas de rĂ©alitĂ©. Dans les faits qui nous sont parvenus, il nây a aucune trace de malĂ©diction du pape, du roi de France ou de sa lignĂ©e !)
Naissance de lâOrdre :
LâOrdre des Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon de JĂ©rusalem (nom originel des Templiers) vit le jour pour protĂ©ger les routes menant au Saint SĂ©pulcre (tombeau du Christ. La lĂ©gende parle de neuf chevaliers qui se rassemblent et en terre sainte prennent leurs quartiers dans le Temple de Salomon. Ils sont Ă la foi moines et guerriers, pendant prĂšs de deux cents ans, ils seront le bras armĂ© de la chrĂ©tientĂ© en Orient jusqu’Ă la chute de st Jean dâAcre et la mort valeureuse du grand maĂźtre Guillaume de Beaujeu.
Leur puissance financiĂšre et leur arrogance Ă©taient lĂ©gendaires, les plus grands princes furent leurs dĂ©biteurs, cela causa probablement leur perte ! Victimes du premier grand procĂšs politique de lâHistoire, cela causa probablement leur perte ! Curieusement, lâexplication de la condamnation des Templiers par le facteur Ă©conomique nâest pas une dĂ©couverte de lâhistoire contemporaine. La plupart des chroniqueurs ayant rapportĂ© lâhistoire des Templiers ont avancĂ© que câĂ©tait probablement pour rĂ©cupĂ©rer leurs biens, et non en raison de fautes bien hypothĂ©tiques, que lâOrdre des Templiers avait Ă©tĂ© aboli par le Pape sous la pression de Philippe Le Bel.
La Franc-maçonnerie : Filiation de lâOrdre des Templiers, rien nâest moins sur !
En mars 1737, probablement en rĂ©action aux Constitutions du pasteur James Anderson (datant de 1723) jugĂ©es trop humanistes et Ă©galitaires, le Chevalier Ramsay prononce Ă Paris un discours, qui constitue encore la charte officieuse de « l’Ecossisme ». Ramsay introduisit les CroisĂ©s dans l’histoire maçonnique. Ils seraient entrĂ©s dans la FraternitĂ© pour « rĂ©tablir les temples des chrĂ©tiens dans la Terre Sainte » engagĂ©s par serment Ă employer leurs talents pour ramener l’architecture a son rĂŽle premier : le sacrĂ©. La chevalerie rejoint alors les constructeurs. L’Ordre maçonnique se serait ensuite uni avec les Chevaliers de saint Jean de JĂ©rusalem. De la Terre sainte, l’Ordre maçonnique aurait Ă©tĂ© introduit en Ăcosse. Cette persistance templaro-Ă©cossaise proviendrait d’une continuation de l’Ordre du Temple Ă travers la crĂ©ation, par Robert Bruce premier Roi d’Ăcosse, de l’Ordre du Chardon qui accueillit les Templiers de France exilĂ©s depuis la destruction par Philippe le Bel. Juste avant sa mort, le dernier grand maĂźtre de lâOrdre, Jacques de Molay, aurait transmis Ă un certain dâAumont les secrets de son Ordre. Venu en Ăcosse, il fonda la loge Heredom. DĂ©tentrice par lui du secret, cet atelier lâaurait transmis jusquâĂ nos jours dans les hauts grades nĂ©s de la lĂ©gende vĂ©hiculĂ©e par Ramsay. De plus, dans lâintimitĂ© dâune conversation avec son ami germanique Geusau, Ramsay a confiĂ© quâil avait essayĂ© de « rĂ©tablir les cĂ©rĂ©monies comme elles avaient Ă©tĂ© dans les temps anciens. » Or, de son point de vue, ces cĂ©rĂ©monies remontaient « au temps des croisades. » Ramsay eut donc pour projet de ramener la Maçonnerie Ă ses origines supposĂ©es, câest-Ă -dire aux usages de la Chevalerie. Le premier grade dâElu, un des plus anciens hauts grades vengeant Hiram Abif devient plus tard dâailleurs avec lâintroduction du rituel dit de Quimper vers 1750, un psychodrame de vengeance ou Hiram sera remplacĂ© par Jacques de Molay avec lâintroduction de diffĂ©rents accessoires. Les Ălus devenant des saints (rien de moins) ou plutĂŽt leur traduction en hĂ©breu Kadosh. La Milice du Temple avec ce grade entre en Loge, ou plutĂŽt dans le Camp !
Il apparut quelque temps aprĂšs en Allemagne sous lâĂ©gide du Baron de Hund un ordre nĂ©oâtemplier : la Stricte Observance TempliĂšre. Son dessein secret semble-t-il Ă©tait dâĂ©tablir un gouvernement maçonnique sur lâEurope.
Divers grades furent instituĂ©s et une liste plutĂŽt fantaisiste des neuf chevaliers croisĂ©s fondateurs de lâOrdre du Temple comportant un anglais, un espagnol et un allemand circula !
Autre dĂ©tail « amusant », Marschall Von Biberstein qui « Ă©labora » les archives secrĂštes de lâOrdre rĂ©novĂ© eut la bontĂ© de mourir, gratifiĂ© du titre de Grand MaĂźtre de la VII° province templiĂšre sur lâElbe et lâOder, qui lui aurait Ă©tĂ© confĂ©rĂ© par des SupĂ©rieurs inconnus ! Avec mission de restaurer lâOrdre du Temple. « Les IlluminĂ©s de BaviĂšre » reprirent aussi dans leur mouvance ces mythes, mais pour des raisons plus politiques.
Concernant lâordre du Temple : rappelons que lâhistoire maçonnique avant 1760 est silencieuse Ă leur Ă©gard !
Pour les documents les plus anciens : rien dans les manuscrits des Old Charges britanniques ni dans la Constitution dâAnderson en 1723 aucune trace dans le RĂ©gius (environ 1390â1400) et le Cooke (environ 1420-1440)
La fable de la filiation templiĂšre de la Franc-maçonnerie a aujourdâhui encore une influence considĂ©rable, de pseudo groupes de rĂ©flexions sây rattachent dâailleurs avec de nombreux « MaĂźtres » plus grands les uns que les autres, dĂ©tenteurs dâarchives secrĂštes dont ils ne peuvent bien sĂ»r rĂ©vĂ©ler la provenance.
Nourri des ces rituels et lectures, au milieu des annĂ©es 1780, lors du cĂ©lĂšbre Convent des PhilalĂšthes, un FrĂšre prĂ©sente ainsi lâhistoire de la Maçonnerie : « La Maçonnerie doit sa puissance Ă lâextinction des Templiers : ceux-ci puisĂšrent leurs connaissances dans lâOrient. Lâordre, fondĂ© par neuf gentilshommes dans le XIIe siĂšcle, sâĂ©tablit lĂ oĂč avait Ă©tĂ© le Temple de Salomon et surtout dans le voisinage des deux colonnes ; ils avaient plusieurs grades : leurs rĂ©ceptions se faisaient de nuit et avant le lever du jour ; leurs assemblĂ©es Ă©taient dans un lieu fermĂ©; ils sâappelaient FrĂšres. » Les livres, en lâoccurrence, comme nous lâindique Pierre Mollier, LâHistoire vĂ©ritable de la condamnation des Templiers de Pierre Dupuy, la grande source du 18e siĂšcle sur les Chevaliers du Temple, sont ensuite invoquĂ©s pour appuyer la filiation entre lâOrdre illustre et la Franc-maçonnerie : « Quelques passages de Dupuis prouvent quâon Ă©tait reçu, nâayant que la chemise et la culotte, et quâon faisait un grand dĂ©tour pour arriver dans le lieu secret de la maison, que la porte Ă©tait gardĂ©e par deux guerriers, Ă©pĂ©e en main et gardant les clefs ; ils avaient des signes et des mots, lors de leur persĂ©cution en France, plusieurs passĂšrent en Angleterre. » Dupuy a-t-il vraiment Ă©crit tout cela ? Câest en tout cas ce quâun FrĂšre passionnĂ© de Maçonnerie y a lu… peut-ĂȘtre entre les lignes dixit le lâauteur citĂ© plus avant !
Bien sûr nous pouvons retrouver dans certains principes maçonniques, des relents de la RÚgle du Temple, mais souvenons-nous que cet Ordre fut un ordre guerrier opératif et la Maçonnerie est une structure initiatique spéculative.
En guise de conclusion :
En deux siĂšcles dâexistence, lâordre dĂ©funt ne produisit aucun penseur de renom, ni chroniqueur, ni Ă©crivain.
Entre 1314 et 1760, les autoritĂ©s ecclĂ©siastiques ne cesseront pas de lutter contre les organisations corporatives considĂ©rĂ©es par eux comme des rivales, mais pas une fois il ne sera fait mention dâune Ă©ventuelle transmission dâun Ă©sotĂ©risme templier. Ce qui pourrait inciter certains esprits « taquins » Ă dire que leur secret fut tellement secret quâil ne fut jamais mĂȘme Ă©voquĂ© par les auteurs sĂ©rieux.
La plupart des obédiences de France ont un discours trÚs cohérent sur ce sujet et séparent les symboles des interprétations historiques erronées.
Donnons la parole Ă Jean Mourgues ancien Souverain Grand Commandeur du Rite Ăcossais au Grand Orient de France : « Il ne peut ĂȘtre question de prouver des filiations remontant Ă lâordre du Temple, pas plus que de supposer que les ordres de moines bĂątisseurs ont eu leurs prolongements dans les loges spĂ©culatives⊠»
Quâil y ait eu des liens entre des ouvriers bĂątisseurs de lâĂ©poque et des Templiers pour la construction dâĂ©difice certes, mais il sâagissait avant tout de liens commerciaux et de protections. Pour un mĂ©diĂ©viste, aucun document ne vient suggĂ©rer que les Templiers aient jamais professĂ© autre chose que lâorthodoxie catholique, pour laquelle ils sâĂ©taient durement battus pendant deux siĂšcles, et notamment quâils aient Ă©tĂ© dĂ©tenteurs de quelconques conceptions Ă©sotĂ©riques. Lâaccusation, grave, dâhĂ©rĂ©sie, avancĂ©e, est Ă lâĂ©poque quâun procĂ©dĂ© classique oĂč lâaccusĂ© est condamnĂ© dâavance.
Il nây a aucune raison de penser que lâordre des Templiers ait survĂ©cu dâune maniĂšre ou dâune autre. Les Moines soldats qui Ă©chappĂšrent aux bĂ»chers ou Ă la prison rejoignirent probablement dâautres ordres chevaleresques ou religieux ou retournĂšrent Ă lâĂ©tat laĂŻque. Certains resteront militaires ! Il est presque aujourdâhui certain historiquement que des anciens Templiers encadrĂšrent lâArmĂ©e de Robert le Bruce. Peu importe que la survivance des Templiers soit, ou non, une invention, mĂȘme si rien ne suggĂšre une survivance, fĂ»t-elle rĂ©siduelle, de « lâOrdre des pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon de JĂ©rusalem ». En marge du dogme des Ă©glises et de lâhistoire, la lĂ©gende templiĂšre a crĂ©Ă© un lieu de libertĂ© accueillant les spĂ©culations les plus diverses abritĂ©es dans les plis des blancs manteaux.
MĂȘme si les MonastĂšres Ă©taient devenus le foyer de sciences et des arts tachons de nous remettre dans le contexte de lâĂ©poque et cessons de visiter lâhistoire avec nos yeux dâhommes du 21e siĂšcle.
Par contre, on peut nĂ©anmoins penser quâen quelque sorte le Temple par certains de ses symboles fut un anneau de la chaĂźne Traditionnelle.
Souvent les mouvements associatifs cherchent (et se trouvent) des rĂ©fĂ©rences dans le passĂ©, et quelquefois remodĂšlent mĂȘme lâhistoire en fonction des sensibilitĂ©s, des affinitĂ©s et des buts recherchĂ©s !
La Franc-maçonnerie malgrĂ© sa grande respectabilitĂ© nâen est pas dĂ©douanĂ©e.
Mais laissons Ă lâHomme, les matĂ©riaux pour tisser ses songes !
Le rĂȘve nâest-il pas une seconde vie ?
Plus sur le sujet :
Templiers et Francs-Maçons : une filiation douteuse, Claude JOUSSEAUME. http://era-new.over-blog.fr/article-31549593.html
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