La Rose Croix d’Or par Antoine Faivre.
Malgré quelques travaux sérieux en langue allemande, aucun ouvrage n’a encore traité de façon satisfaisante l’histoire des Roses Croix d’Or. En France à part quelques bonnes pages de Paul Arnold et de René Le Forestier, mieux vaut ne mentionner aucun « travail » sur la question, ce qui évitera de les critiquer tous…
Il faudra s’entendre une fois pour toutes sur des faits simples et évidents. Par « Rose-Croix d’or », en Allemagne, au XVIIIe siècle, on entend quelques groupements locaux épars sans cohésion ni liens réciproques. Il apparaît extravagant et intellectuellement malhonnête d’y voir à tout prix une « filiation » ininterrompue depuis les premiers manifestes de 1614, 1615, 1616, dates des écrits satiriques d’Andreae et de son « cercle » avant lesquels, rappelons-le, il n’y avait jamais eu de « Rose Croix ». Andreae lui-même n’ayant jamais fondé de Société de ce genre. Toute la littérature rosicrucienne du XVIIe, pour intéressante qu’elle soit, n’apporte pas la moindre preuve de l’existence d’une société rosicrucienne, à moins que l’on entende par là des groupements d’ésotéristes sensibles au charme de ce double mot et eux-mêmes désireux d’entrer en rapport avec une société dont ils ignoraient que l’existence avait été inventée de toutes pièces en 1614. Au XVIIIe siècle, l’expression continue à faire fortune en s’agrémentant du mot « Or ». Ni historiquement, ni géographiquement, rien ne rattache les uns aux autres les groupes qui se disent « Rose Croix d’Or ».
C’est seulement à partir de 1777, que se constitue un Ordre para-maçonnique plus puissant que les autres ; il vivra environ neuf ans. Retraçons à grands traits les événements principaux de cette évolution depuis le XVIIe siècle.
Le mot « Rose Croix d’Or » n’a pas été inventé au siècle des Lumières. Petrus Mormius avait déjà employé une expression semblable dès 1630, à Leyde de même que Arnauld de Villeneuve. Mais on doit sans doute à Samuel Richter, alias Sincerus Renatus d’avoir répandu l’expression Gölden-und Rosenkreutz par un écrit de 1709 consacré à la Pierre philosophale et dans lequel on trouve déjà des Statuts d’une fraternité se disant rosicrucienne. En tous cas, avec ces statuts des Rose-Croix d’Or de Samuel Richter commence un des chapitres les plus difficiles du XVIIIe siècle allemand, c’est-à-dire l’histoire de la période moyenne et tardive des Sociétés portant ce nom. Elles semblent assez nombreuses. Ludovicus Orvius (Occulta Philosophia, 1737) nous entretient de celles de Hollande. La même année, J. C. Toeltius publie Coelium reseratum chymicum qu’il date fallacieusement de 1612 pour assurer une antériorité de deux ans sur la Fama elle-même. Dix ans plus tard, un auteur de Sonnenberg, en Bohême, J. H. Schmidt, alias Elie Artiste, alias Hermann Fictuld, affirme dans Aureum Velleus (1747), puis dans d’autres ouvrages, l’existence d’une Société des Rose Croix d’Or détentrice des vraies arcanes hermétiques.
C’est seulement ensuite, notons-le bien, et pas avant 1755, que l’historien trouve la trace de différents cercles portant ce nom. Les premiers apparaissent à cette date en Allemagne du Sud d’où ils essaiment en Europe centrale au cours des dix années suivantes. Aucun de ces groupements ne se rattache à la maçonnerie dans son principe. D’autre part, leurs membres apparaissent beaucoup moins nombreux que chez les maçons, mais les contacts personnels se multiplient entre ces Rose-Croix d’Or, la S.O.T. (La Stricte Observance Templière) et d’une façon générale toutes les obédiences teintées d’ésotérisme. Dès 1757, à Francfort, une Société des Rose Croix d’Or adopte la forme maçonnique ; une autre, douée d’une grande vitalité, se manifeste de 1770 à 1777 en Bavière, en Autriche, en Bohême, en Hongrie et réussit même à se faire adopter légalement par une loge maçonnique de Ratisbonne. Il faut surtout retenir qu’au cours de ces années-là de nombreux Rose Croix d’Or sont en même temps rattachés à la maçonnerie, non pas, certes, à titre de Rose-Croix, mais à titre individuel, rien n’ayant jamais empêché un homme d’appartenir à plusieurs obédiences compatibles. Bien souvent ils recrutent des gens haut placés ; citons seulement Stanislas II, roi de Pologne, affilié à un cercle rosicrucien par Aloys de Brühl. On connaît quelques-uns de ces rituels ; la plupart du temps leurs Instructions présentent un intéressant amalgame de doctrines alchimiques et de légendes templières.
Tout à coup, en 1777, se manifeste la suprématie incontestable d’un de ces cercles qui devient aussitôt un Ordre unifié, englobant plusieurs autres groupes préexistants et prend le nom de « Rose-Croix d’Or d’Ancien Système ». Cette organisation puissante ne possède, semble-t-il, aucun lien avec les Ordres du même nom qui existèrent dans les décennies précédentes. II se compose de neuf hauts-grades se fonde sur le secret, la hiérarchie et des rituels passionnants pour l’historien du symbolisme. Ajoutons qu’il n’est pas certain qu’on puisse admettre l’hypothèse pourtant intéressante selon laquelle la maçonnerie française, avec ses grades de « Chevaliers Rose-Croix » inventés par Tschoudy vers 1765 , (le rite français adonhiramite date de 1762), influença l’activité des Rose Croix d’Or d’Ancien Système. Ils doivent généralement leur force, pour une bonne part, au fait que certains de leurs membres influents sont aussi des maçons : ainsi le duc Ferdinand de Brunswick pourtant grand dignitaire de la S.O.T. Le duc possède d’ailleurs un nomen (a Lapide Aureo) témoignant de ses préoccupations alchimiques et rosicruciennes. Nous avons vu qu’en 1778 et 1779 ils sont assez forts pour que plusieurs d’entre eux se retirent des loges de la S.O.T., entraînant un grand nombre de frères à leur suite.
Le médecin F. J. W. Schröder, pressenti et pressé par les fondateurs de l’Ordre peu avant 1777, fit pour celui-ci une active propagande qui ne surprend point de la part d’un alchimiste. Schröder étant mort en 1778 l’Ordre se sert de Œtinger qui semble devenir, pour un temps, l’organe pensant de la Société bien que le rôle de chef spirituel échoie, au moins de facto, à Johann Gottfried Jugel. Trois autres personnages méritent de retenir notre attention : Schlelss, Wöllner et Bischoffswerder.
Joseph Schleiss zu Löwenfeld, alias Phoebron, médecin à Sulzbach, s’était signalé en 1775 et 1776 par plusieurs écrits en faveur des cures merveilleuses de l’exorciste bavarois Gassner : il semble être en 1782 l’un des chefs de l’Ordre. Bischoffswerder, officier qui avait fait la guerre de Sept Ans, était entré à la Stricte Observance Templière, avait aussi subi l’influence, en 1774, de Schrepfer et s’était montré un chaud partisan de Gugomos au Convent de Wiesbaden. II s’était ensuite enrôlé dans les Rose Croix d’Or, y avait fait entrer Wëllner, ancien pasteur de la Marche ; celui-ci disposait de nombreuses relations maçonniques, au point d’être appelé en 1770 à Berlin par le prince Henri de Prusse comme Conseiller des Finances. Bischoffswerder, grâce à ses procédés magiques, gagne (8 août 1781) la confiance du futur Frédéric-Guillaume II de Prusse en l’initiant au système de son Ordre et en évoquant pour la circonstance, au château de Charlottenburg, au milieu du tonnerre et des éclairs, les esprits de Marc Aurèle, de Leibniz et du Grand Electeur. Dès qu’il monte sur le trône – pour dix ans – Frédéric Guillaume II nomme ses deux initiateurs, l’un – Wollner – ministre d’Etat et des Cultes, l’autre – Bischoffswerder – ministre de la Guerre…
Pourtant c’est à ce moment que l’Ordre des Rose Croix d’Or d’Ancien Système disparaît tout à coup, définitivement. Wôllner et Bischoffswerder, grands Maîtres de l’Ordre, imposent un « silanum » général, d’autant plus volontiers qu’ils n’ont plus besoin de rosicrucisme pour s’assurer une carrière. En même temps, malgré les progrès effectués en Hongrie, Pologne, Russie, l’Ordre reçoit un second coup fatal sous la forme d’un arrêté du Cabinet autrichien fixant à un petit nombre les loges tolérées. Les deux grands Maîtres mettent donc l’Ordre en sommeil, décrètent la suspension de toutes les assemblées; elles ne devaient plus jamais se réunir.
Il faut lire les Instructions de ces Rose-Croix. Outre leur intérêt symbolique, elles nous renseignent sur ce qu’on lisait à l’époque en ce domaine […]. En 1785-1788, les Geheime Figuren der Rosenkreuzer, publiées à Altona, apparaissent comme une création typique de l’Ordre finissant ; elles sont en même temps un des plus beaux recueils de planches coloriée qui existent dans l’histoire de la littérature ésotérique […]. Le succès de la plupart de ces livres auprès du public provient de ce que les Rose Croix d’Or y parlent de philosophie, de symbolisme, et pas seulement de transmutations alchimiques.
Plus sur le sujet :
La Rose Croix d’Or. Extrait de L’ésotérisme au XVIIIe siècle, Antoine Faivre, Editions Seghers 1973.
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