Eléments de Chymie par Herman Boerhaave.
Tome quatriĂšme qui contient le TraitĂ© de lâAir et celui de lâeau.
Ă Paris chez Briasson , Ă la science & Ă lâAnge Gardien.
MDCCLIV.
Considérations sur la rosée. ( P.88 à 93 )
En Ă©tĂ©, lorsque le temps est serein et sec si la surface de la Terre a Ă©tĂ© longtemps exposĂ©e Ă la chaleur dâun soleil ardent, il sâĂ©lĂšve non seulement de lâeau, mais encore dâautres corpuscules moins volatils ; des corpuscules gras & salins par exemple, qui exaltĂ©s par lâaction du feu solaire, se rĂ©pandent dans lâair qui est voisin de la terre. Aussi longtemps que ces exhalaisons sont agitĂ©es par la chaleur du soleil, elles ne sont point visibles.
Mais dĂ©s que la chaleur du soleil, qui est ordinairement dans sa plus grande force vers les trois heures de lâaprĂšs-midi, commence Ă diminuer, alors lâair se refroidir bientĂŽt, & cependant la terre, qui retient mille fois plus longtemps que lâair la chaleur qui lui a Ă©tĂ© communiquĂ©e par le soleil ,la terre dis-je, encore chaude, continue Ă exhaler des corpuscules qui sont en mouvement. Par lĂ il se forme une vapeur blanche, rĂ©unie, dense, froide par en haut & encore chaude par en bas. Cette vapeur paraĂźt premiĂšrement sur les petits fossĂ©s, & de lĂ elle se disperse insensiblement, & le soir & pendant la nuit elle couvre la terre dâun brouillard que la chaleur du soleil dissipe ensuite le matin : câest ça que lâon appelle la rosĂ©e. Cette vapeur est donc fort composĂ©e ; & il nây a pas moyen de parler si juste sur la nature, que ce quâon en dira vrai partout.
Car comme câest un assemblage de toute sorte de corpuscules volatilisĂ©s par la chaleur du soleil, confondus les uns parmi les autres, qui sâĂ©lĂšvent de la terre, & qui redescendent, il faut que ce soit un vĂ©ritable chaos, de nature trĂšs diffĂ©rente, suivant quâil y a des corpuscules dâespĂšces diffĂ©rentes dans les lieux oĂč il se produit.
Dans de vastes plaines de sable, ou dans de grandes bruyĂšres arides & Ă©levĂ©es, cette rosĂ©e est en fort petite quantitĂ©, & nâest presque que de lâeau ; celle qui sâĂ©lĂšve autour des Ă©tangs, des marais & des terres grĂąces, bitumineuses remplies de poissons & dâautres animaux pourris, celle-lĂ dis je est toute diffĂ©rente, souvent mĂȘme elle est pernicieuse aux hommes. Il nâest donc pas surprenant que les chimistes ayant trouvĂ© par lâanalyse de la rosĂ©e des principes si opposĂ©s, & quâils en ayant parlĂ© si diffĂ©remment, quâil y en Ă peine deux qui tiennent le mĂȘme langage Ă cet Ă©gard. Quant Ă ceux qui cherchent dans la rosĂ©e lâesprit de vie, le dissolvant universel, le mercure des Philosophes, le nitre & lâacier de Sendivogius, ils nâont presque rien compris dans les Ă©crits des Philosophes qui ont traitĂ© de cette matiĂšre. Je conviens Ă la vĂ©ritĂ© que câest un savon trĂšs Ăącre, & une liqueur grĂące trĂšs propre Ă nourrir les vĂ©gĂ©taux. Il est sur que la rosĂ©e quâon a recueillie dans certains endroits, a donnĂ© par la distillation une liqueur qui a imprimĂ© sur du verre une couleur dâarc-en-ciel, qui nâa pu ĂȘtre effacĂ©e par lâeau forte, ni par aucune lessive de sel alcali, ni par le frottement, & que cette liqueur Ă©tait inflammable comme lâesprit-de-vin.
On en a une preuve dans les expériences chimiques rapportées dans la République des Lettres tome I .Pag. 590. On dit que la rosée distillée de nouveau, mise pendant 8 jours en digestion dans la chaleur modérée & rendue encore dix fois plus subtile par des distillations réitérées, a cassé trois vaisseaux de verre & est cependant restée insipide, quoique par sa subtilité elle ressemblùt à des esprits purs. Ibid. 1708. pag. 152.
Dans les Transactions Philosophiques on trouve une description de la rosĂ©e qui est reprĂ©sentĂ©e comme du beurre dâun jaune blanchĂątre, mou qui fond dans les doigts, qui exposĂ© Ă un feu modĂ©rĂ© se sĂšche et se durcit, qui est dâune odeur trĂšs dĂ©sagrĂ©able & qui se produit en assez grands morceaux, surtout pendant les nuits du printemps & de lâhiver. Voyez Transat. Abr. tom. II. pag. 143. La diversitĂ© des saisons de lâannĂ©e & les changements successifs des MĂ©tĂ©ores causent aussi beaucoup de diversitĂ© dans la rosĂ©e ; en certains temps il sây mĂȘle des semences de plantes trĂšs petites & des oeufs invisibles de divers animalcules, & nombre dâautres causes : tout cela digĂ©rĂ© fermentĂ©, putrĂ©fiĂ© , distillĂ© & a jetĂ© les Chimistes dans des opinions tout Ă fait singuliĂšres. Voyez Transact. Abr. tom. II. pag. 141.
Concluons donc que la plus grande partie de la rosĂ©e est de lâeau & que le reste est un mĂ©lange, dâune prodigieuse quantitĂ© de corps diffĂ©rents quâil est impossible de dĂ©crire.
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Eléments de Chymie par Herman Boerhaave.
Illustration : Hans Vredeman de Vries [Public domain], via Wikimedia Commons