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בּראשית
LA MAISON DE L’UNIVERS
Si maintenant, je récapitule encore une fois, dans une méditation sans cesse approfondie, les rapports de la conscience et ce par quoi elle se sait étant, je vois que le mot
בּראשית Berèchith est fait de בּית Beith englobant, contenant ב־(ראש)־ית ׃ ראש
Le début et la fin de בּראשית Berèchith se renferment dans la désignation visible de בּית Beith = maison, entourant ראש Roch = la tête, le principe. Cette lecture nous indique que בּית Beith : 2, 10, 400 entoure, contient, enrobe ראש Roch : 200, 1, 300. Ces nombres étant déjà bien connus, je saisis immédiatement le sens de cette indication. En effet ראש Roch le principe, la qualité intrinsèque de l’univers est constitué par sa dualité, par le א 1 insaisissable, impensable, de l’origine de toute vie et en même temps (du fait de ce א 1 ) par le ש 300, lequel exprime le grand mouvement vital trinitaire, qui anime le monde. Le 200, ר réapparaîtra au cours des premiers versets dans ארץ Erets (terre), רוּחַ Rouah’ (souffle), מרחבת Meravoth (le mouvement de ce souffle), וימר Vayomer (du verbe parler, dire), et enfin אור Aur (qui est la lumière), et c’est là que son sens se révélera le mieux.
En effet, la lumière est à la fois la plus grande vitesse (le plus grand mouvement) dont est susceptible l’univers, et la plus grande résistance qu’oppose l’univers à tout changement de vitesse. La lumière fait masse en ce qu’elle oppose, à toute intervention, la constante de son intensité. Si je pouvais imaginer un infini de vitesse animant un souffle divin, je devrais en même temps l’imaginer dompté, réduit à la vitesse de la lumière, que lui concède l’univers. L’univers lui accorde le ombre de la lumière et pas plus. Et le fait même que l’univers existe prouverait dans cette métaphore, l’acceptation du souffle infini. L’univers ne peut pas plus, le souffle ne veut pas moins. La lumière est le compromis, le pacte entre la conscience et son contenant. Le « pas plus » d’un côté et le « pas moins » de l’autre, maintiendront cette tension dans une constante. Et cette tension sera le cœur même du mythe hébraïque, depuis le verset de Berèchith : « que la lumière soit », jusqu’à l’Évangile de Jean. Le mot אור Aur, la lumière (1, 6, 200) exprime on ne peut mieux, ce caractère double, antinomique, contradictoire de la lumière.
Sans perdre de vue le mot Berèchith, qui me retient encore, je laisse ma méditation se poser librement sur le mot-clé, sur l’événement qu’est אור Aur, la lumière. Celle-ci apparaît, ainsi que chacun le sait, bien avant la création de toute source lumineuse. En vérité les astres seront considérés comme les habitants du monde de la lumière physique, plutôt que comme générateurs de lumière. Et Jean qui reprend, en la rénovant, la tradition ontologique, peut aller jusqu’à négliger complètement l’aspect physique de la lumière, et jusqu’à identifier celle-ci à ce que l’on a coutume d’appeler Verbe ou Parole, ce Verbe étant coexistant avec le Berèchith (qu’encore une fois on dénature en le traduisant « au commencement était le Verbe »). Ce Verbe créateur impliqué dans Berèchith est « la lumière des hommes » déclare Jean.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit, encore et toujours, et uniquement du thème essentiel de la tradition ontologique, c’est-à-dire des rapports de la conscience consciente d’être et de son contenant. Je dis bien son contenant et non son contenu. La psychologie moderne nous parle surabondamment du contenu de la conscience. Mais il ne peut s’agir pour cette science que de la conscience consciente d’être quelque chose. Ce quelque chose est précisément son contenu, c’est-à-dire l’accumulation des couches stratifiées de mémoire. Cette mémoire allant jusqu’aux abîmes ancestraux échappe à la perception. Le contenu de la conscience, sous quelque forme qu’on l’envisage, est du passé enregistré.
La tradition ontologique pose un être conscient d’être, c’est-à-dire une conscience consciente d’être, un perpétuel renouvellement, un jaillissement intemporel et constant, donc incréé, sans passé, donc sans contenu. Mais cette conscience a un contenant : la lumière. Non pas la lumière en tant que produit d’une source particulière, mais la lumière en temps que celle-ci est le choc de la conscience et de ce par quoi elle se reconnaît étant, c’est-à-dire l’équation d’un univers fini. Prise de conscience, perception, parole sont un seul phénomène. Le contenant בּית Beith (la maison) apparaît. La conscience peut nier, renier, rejeter ou méconnaître tout contenu, mais elle est obligée d’admettre, de constater, de reconnaître le « il y a ».
« Il y a » est sa demeure, laquelle existe.
בּראשית Berèchith avec ce qu’engendre la conscience. En sa perception est son nom. Et son nom est la conscience d’être. Et celle-ci est l’Élohim créateur en יהוה YHWH, réalisation de l’immanence. Par cet acte magique qu’est la vie interne de la conscience consciente d’être, celle-ci pulvérise, « désatomise » les éléments de la maison.
L’infini contenu dans le nombre ne cesse de le transfigurer. C’est en cette transfiguration et non en une fuie vers l’illusion d’une transcendance que se joue le drame du mythe hébraïque.
Je reviens maintenant une dernière fois à בּראשית Berèchith en tant que ראש Roch (la tête) contenu dans בּית Beith (la maison). Le 200, 1, 300 de ראש Roch est devenu complètement lisible, par l’effet de ma méditation sur le ר, 200. Le « principe » à la fois cause et effet de l’univers, son élément, son essence sa matière, son mouvement, tout cela est fait du 200, 1, 300, ראש Roch. Tout ce qui est, tout ce qui existe, intérieur à soi comme la conscience, ou extérieur à soi comme le corps, et les relations réciproques de tout ce qu’il y a, de ce qu’il y a eu et de ce qu’il y aura ; l’espace et le temps ainsi que le continuum espace-temps ; le commencement et la fin, le devenir et l’être dans leur coexistence ; tout cela est ראש : 200, 1, 300.
Et consubstantiel à tout cela est son contenant, בּית Beith, sa maison = 2, 10, 400, laquelle est dualité, réalisation concrète du mouvement créateur et force cosmique : pacte entre l’infini et le nombre.
Je peux clôturer cette série de méditations en constatant que le mot : בּראשית Berèchith dans la mesure où il se révèle à moi (du fait qu’il me permet de me révéler à moi-même) peut me faire participer au processus de la vie universelle, auto-engendré, auto-alimenté, et auto-conscient.
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את השׁמים ואת הארץ
LA PERFECTION DE LA FORME
Je me replonge dans la perception de la conscience consciente d’être, en tant que dualité, à la fois intemporelle, immesurable et comme prisonnière dans le créé. J’ai senti, j’éprouve encore avec force l’inexorable condition de « cela qui ne peut pas se supprimer », de « cela qui ne peut pas ne pas être ». Et, en même temps je sens au tréfonds de cette « compression » un surgissement, un frémissement inconnu en voie de naître, improbable possible, perpétuelle naissance. Je viens en fait de reparcourir les mots בראשית ברא אלהים Berèchith Bara Elohim et, et j’en suis justement à ce את Èt : 1, 400, mettant en présence la spontanéité immanente du א, 1 et l’obstination formidable de tout ce qui est, de l’univers dans la force de sa matérialité, le ת, 400. Ce qui est en cet état de perception, c’est la conscience humaine telle qu’elle est aujourd’hui, en ce moment, en soi-même. Elle sera définie beaucoup plus loin au cours du récit où l’homme, expulsé de la matrice prénatale symbolisée par le Jardin d’Éden, sera devenu « comme l’un de nous », dira l’Élohim dans le texte français. Le sachant, me sachant ce אלה Eloh, ce 1, 30, 5, je me concentre sur ce surgissement du א, 1 ; sur cette réalisation du ל, 3(0), du mouvement créateur en moi ; et sur cette vie, ה, 5. Je sais que le ה Hé, 5 fait aussi fonction d’article (le, la, les) ; mais tandis qu’en français, il ne fait que désigner, il aune signification extraordinaire dans la tradition ontologique (et on le verra au deuxième chapitre de la genèse, lorsqu’apparaîtra יהוה YHWH l’Être-Étant), car désigner c’est dire que cela est, et cela n’est que si cela est désigné, En somme, pour la conscience consciente d’être, il n’y a pas de différence, il n »y a pas de hiatus entre désigner et créer.
Je continue donc ma lecture. Que se produit-il après que את בראשית ברא אלהים
Berèchith Bara Elohim Et.
Il se produit השׁמים Hachamaïm. Je comprends le ה, Hé création-désignation et j’arrive à שׁמים Chamaïm : 300-40-10-600, que le texte français traduit « cieux » (quand ce n’est pas ciel), ne sachant pas que מים Maïm n’est autre que « Eaux » au masculin pluriel. Ce sont ces Eaux que nous retrouverons à la fin du deuxième verset. Ce qui est créé, c’est d’abord évidemment le grand mouvement cosmique du שׁ Chin 300 auquel s’ajoute מים Maïm, c’est-à-dire la même contradiction qui se trouvait dans la perception suraiguë du את Èt, 1-400, mais renversé dans la création et actualisé, existant en fait, les deux catégories se rencontrant dans le monde concret : le ת 400 devenant מ 40 et le א 1 devenant י 10.
Voilà le מי 40-10, le grand brassage préliminaire de la contradiction מ 4(0) et י 1(0), lequel a pour conséquence le ם Mem final 600 cosmique de tout ce qui existe, le processus vivant que composent ensemble le 2 et le 3.
ואת
Le ו Vav 6 se projette évidemment dans la conscience. Le voici existant, et, tandis que dans nos langages il n’assume pas d’autre valeur que la conjonction copulative, et (les cieux et la terre, lit-on), le ו Vav 6 ici (et plus tard dans le יהוה YHWH ) est réellement, en fait, copulatif. Tandis que ces mots ne sont que des signes, ici, chaque lettre est vivante, active, fonctionnelle, réelle, créatrice, on voudrait dire magique.
Il y avaitאת השׁמים Èt Hachamaïm, il y a en outre את הארץ Èt HaArets. Il y a את ו את Èt VeÈt : « ceci », lequel, par son existence, fait qu’il y a aussi « cela ». Car s’il est vrai que שׁמים Chamaïm est complet et total (puisqu’il contient le grand mouvement cosmique créateur du שׁ 300 dans les réalisations concrètes des י 10 et מ 40, lesquelles font surgir le ם 600) où suis-je, dans quoi suis-je, moi qui tout Eloh que je sois, ne suis qu’un homme, infime poussière sur un grain de poussière ? Quel est le contenant de cette conscience ? De quoi est-il fait ? D’où émane-t-il ? Quelle est sa substance ?
Je sens en moi, maintenant, l’existence du 6, en moi se fait l’éternelle copulation du 2 et du 3 ; de ce terreau fécond surgit le 1 imprévisible, insaisissable ; la liberté initiale qui échappe à tout et d’abord à elle-même… et voici, encore, toujours, brutalement, le 400 inexorable, l’incompréhensible obstination de tout ce qu’il y a partout, de l’indestructible existence de tout ce qui meurt… Pourrai-je jamais sortir de cette prison ?
הארץ
Cette prison n’est pas une prison, me dit le texte. Ton contenant, ton corps, la terre dont tu es fait, cette poussière qui est ta maison, est fertile. La première lettre qui désigne ארץ Èrets est le א Aleph primordial, le 1 des germes qui germent en liberté.
Ainsi ארץ Èrets est en mouvement, ou, plus exactement, contient en ses profondeurs le germe de la spontanéité immanente, tandis que sa substance est le 200 de la résistance cosmique, la constante lumineuse qui s’oppose à toute variation. L’antithèse 1-400 de את Èt devient 1-200 (à l’intérieur de quoi viendra se situer le 6 fécond, pour former אור Aur, la lumière 1-6-200). Et cette antithèse en acte engendre le ץ Tsadé final 900 de la perfection de la forme, de l’accomplissement féminin.
Nous sommes ici – il ne faut pas l’oublier – dans le domaine de l’intemporel. Le mythe n’a pas encore démarré dans le devenir. Celui-ci n’apparaît qu’à partir du moment où les noms des essences sont modifiés non par l’effet d’une volonté dite divine (qui dit volonté dit désir, mais est-il nécessaire de revenir indéfiniment sur le caractère enfantin des religions ?), mais par l’effet d’une nécessité interne que seuls peuvent révéler les nombres. Le passage se fera au moment où Élohim criera à אור Aur lumière le mot יום Yom jour et à חשך H’ochekh ténèbres, le mot לילה Layelah nuit.
Pour l’instant, nous sommes donc dans l’intemporel de ארץ Èrets. La perfection 900 n’y est par conséquent contenue qu’à la façon dont l’arbre se trouve dans la graine ; l’actuel est encore à venir, puisque l’homme n’est pas encore là. L’homme à son apparition, sera défini « spontanéité immanente ayant germé dans le sang » אדם Adam car דם Dam veut dire Sang. Ce n’est qu’au deuxième chapitre de la Genèse que la Terre deviendra l’Épouse dans le sang ; ארץ Èrets se transformera en אדםה Adamah. Ce sera le début du drame humain. Ce drame, chacun de nous le vit, à différents degrés de conscience, et l’histoire de אדם Adam nous éclairera à ce sujet. Pour l’instant, soyons satisfaits de nous entendre dire que ארץ Èrets n’est pas faite d’une substance viciée au départ, elle n’est ni incomplète, ni incapable de répondre à la réalité créatrice des perpétuels renouvellements. Mais telle qu’elle se présente à ma conscience, elle ne possède aucune valeur de réalisation ; les nombres qui la décrivent sont abstraits ou cosmiques. En effet, ce 1-200-900 ארץ est décrit comme étant : תהו ובהו וחשך Tohu Vabohu H’ochekh, Tohu-Bohu Ténèbres, soit 400-5-6 et 6-2-5-6 et 6-8-300-500, ce qui vient simplement me rappeler que, quelque vague et indéterminée et sombre que puisse être ארץ Èrets, elle contient en désignation-création-fécondité, la puissance de l’univers, c’est-à-dire la dualité.
Plus sur le sujet :
Nouvelles lectures kabbalistiques du premier verset de la Genèse,, Carlo Suarès. Texte tiré de la revue Tsedek, La Kabbale du commencement et de la lettre B(eith). Retranscrit sur Word par Cirdec, Arquennes, le 26 octobre 2006.
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