Nouvelles lectures kabbalistiques du premier verset de la GenĂšse, par Carlo SuarĂšs.
1
ŚÖŒŚšŚŚ©ŚŚȘ
LA PROJECTION DU MOUVEMENT CREATEUR
EN Lâ HOMME
1Ăšre mĂ©ditation : ŚÖŒ = 2
Deux ! tel est le nombre qui surgit avec la simple perception du fait que jâai constatĂ© quelque chose : un objet, lâUnivers, un grain de poussiĂšre, nâimporte quoi.
Deux encore, lorsque la conscience se pose elle-mĂȘme en tant que question. La conscience consciente dâĂȘtre est sa propre interrogation. Le deux apparaĂźt Ă lâorigine, dĂšs lâorigine de tout acte de conscience. Avant le deux, il nây a pas de question posĂ©e.
2Ăšme mĂ©ditation : Śš = 200
Mâinterrogeant sur moi-mĂȘme conscience consciente dâĂȘtre, me constatant deux ŚÖŒ et encore deux Śš en me situant dans le cosmos (200), je constate de ce fait le deux dans la conscience et dans le cosmos. Cette mĂ©ditation devient de plus en plus douloureuse, car elle rend de plus en plus perceptible lâĂ©tat dâisolement de la conscience individuelle. Jâen viens Ă Ă©prouver dâune façon intolĂ©rable que « le moi est prisonnier de lâunivers », quâil nâa pas dâissue. Le moi en tant que problĂšme se heurte au 200, lequel est la substance mĂȘme de lâunivers, impĂ©nĂ©trable Ă la connaissance de celui qui cherche la connaissance. Si je mâaccommodais de cet Ă©tat, je nâirais pas plus loin.
Au contraire, je parviens Ă une tension extrĂȘme et cette crise me conduit au dĂ©sespoir. La conscience individuĂ©e se heurte Ă la perception inexorable et incomprĂ©hensible de lâexistence de lâunivers, Ă la façon dont un prisonnier se fracasserait la tĂȘte contre les murs de sa prison. Toute tentative dâunion avec un principe supĂ©rieur apparaĂźt comme nâĂ©tant quâune Ă©vasion. Et mĂȘme toute activitĂ© tendant Ă me faire perdre mon individualitĂ© sĂ©parĂ©e dans le social.
Le moi isolĂ© cherche tous les expĂ©dients pour « sortir » de son isolement. Ma mĂ©ditation me ramĂšne toujours avec fermetĂ© Ă lâexamen de ces tentatives.
Lorsque je me rends compte quâelles sont illusoires, je me retrouve face Ă face avec moi-mĂȘme et « me constate ». Lâacceptation de ce fait peut provoquer une dĂ©tente.
3Ăšme mĂ©ditation : Ś = 1
Cette détente, due à la perception du phénomÚne de la conscience isolée, peut engendrer une poussée intérieure (semblable à celle du poussin qui brise sa coquille en naissant).
Cette poussĂ©e interne est exprimĂ©e par le chiffre Ś 1.
Câest le dĂ©but dâune nouvelle vie, un recommencement, un renouvellement, un renouveau, une pensĂ©e crĂ©atrice sentie, Ă©prouvĂ©e mais non pensĂ©e, qui ne se connaĂźt pas elle-mĂȘme, qui ne sait pas ce quâelle deviendra.
4Ăšme mĂ©ditation : Ś© = 300
Ă lâangoisse, au dĂ©sespoir dâune conscience prisonniĂšre dâelle-mĂȘme, a succĂ©dĂ© un frĂ©missement de bonheur en expectative. Câest un bonheur pour ainsi dire projetĂ© au-devant de lui-mĂȘme, dans un Ă©tat crĂ©atif, oĂč la conscience a la possibilitĂ© de percevoir son ĂȘtre en tant que processus en mouvement. Ce bonheur nâest pas assis sur le dĂ©nombrement des possessions dont le moi sâimagine avoir besoin pour Ă©tayer la perception quâil a de lui-mĂȘme. Câest au contraire, une sorte de « vide en mouvement ». Câest le mouvement de relation entre lâexistence et lâessence ; entre les nombres et lâinfini ; entre lâUnivers et la Conscience. Câest le mouvement cosmique de tous les contraires qui sâengendrent mutuellement et se dĂ©truisent. Ce mouvement crĂ©ateur est le perpĂ©tuel mouvement de crĂ©ation cosmique : le Ś© 300.
5Ăšme mĂ©ditation : Ś = 10
Et sa trace dans le monde de lâhumain est le Ś 10.
Car lâhomme en qui se produit ce renouveau devient crĂ©ateur dans le monde des hommes. Cette nouvelle vie est le Ś 10, rĂ©alisation du Ś 1 immanent, trace de lâaction quâaccomplit la spontanĂ©itĂ© immanente dans le monde des contingences.
6Ăšme mĂ©ditation : ŚȘ = 400
Et alors apparaĂźt lâirrĂ©ductible force de rĂ©sistance de lâunivers, la permanence de lâimpĂ©rissable « il y a » sur la danse de mort de tout ce qui existe. Et quelque infime que soit lâhomme, poussiĂšre sur ce grain de poussiĂšre quâest le globe terrestre, perdu dans les inimaginables immensitĂ©s du cosmos, lâhomme agent conscient de la puissance crĂ©atrice de lâunivers, rĂ©alise, rend actuelle et rĂ©elle cette puissance, du fait quâil est si petit.
Cette puissance est le ŚȘ 400.
Commentaire :
Le mot BerĂšchith par lequel commence la rĂ©vĂ©lation du mouvement crĂ©ateur dont lâunivers est le lieu, a pour but de projeter en moi-mĂȘme ce mouvement crĂ©ateur, câest-Ă -dire de me projeter au sein de ce mouvement crĂ©ateur. Rien nâest plus stĂ©rile, donc nuisible, Ă des consciences endormies, que de sâenseigner mutuellement : « Au commencement Dieu crĂ©a les cieux et la terre ». Ce commencement, ce Dieu, cette crĂ©ation nâont aucune rĂ©alitĂ©, Ă©tant inconcevables. La connaissance rĂ©elle est plus exigeante que cela. Pour quâelle naisse, il est indispensable que meure par Ă©clatement interne la conscience individuelle isolĂ©e dans son intellect. Câest afin de provoquer cet Ă©clatement interne que le mot BerĂšchith a Ă©tĂ© composĂ©.
Du 2 au 200, au 1, au 300, au 10, au 400, il offre Ă la mĂ©ditation des vibrations qui, de lâinterne au cosmique, Ă lâinterne au cosmique, Ă lâactuel au cosmique, sont de nature Ă provoquer un vĂ©ritable dĂ©chirement de la conscience. Ă cet effet, la mĂ©ditation doit parvenir Ă un degrĂ© suffisant dâintensitĂ©. Cette intensitĂ© ne peut ĂȘtre obtenue artificiellement. Elle est le fruit dâune vocation. Ă la façon dâharmoniques quâengendrent les battements dâune cloche, cette initiation au BerĂšchith engendre en moi lâĂ©cho de la crĂ©ation de la conscience de lâunivers. Ă partir de lĂ , je peux entrer dans la lecture du Livre, car le Livre peut entrer en moi.
RĂ©capitulation :
Ayant franchi le seuil de BerĂšchith, je suis arrivĂ© Ă rĂ©capituler le processus qui mâa conduit jusque-lĂ , lequel est le seul dĂ©part possible, la seule dĂ©marche qui sâoffre Ă la conscience consciente dâĂȘtre. Il nây en a pas dâautre. Quâil sâagisse de lâindividu humain et de son monde personnel, ou de la conscience en tant que phĂ©nomĂšne cosmique et de lâunivers entier, aussitĂŽt que la conscience se pose elle-mĂȘme Ă©tant, câest le ŚÖŒ, le 2 qui est lĂ . Sous quelque forme quâil se perçoive lui-mĂȘme, câest le contenant de ma conscience qui se dĂ©clare conscience.
2
ŚŚšŚ
LA CREATION
Reprenant donc ma mĂ©ditation Ă son dĂ©part, et permĂ©abilisĂ© au flux crĂ©ateur de lâunivers, je rencontre le mot ŚŚšŚ Bara, soit 2. 200. 1 (ou 1000, le Aleph Ă©tant final). Cette succession de nombres veut dire crĂ©ation, câest-Ă -dire surgissement du Ś 1 (et dans le cosmos du 1000). Le Ś 2 se percevant lui-mĂȘme engendre une vie interne par le durcissement quâest sa propre affirmation. Affirmation double puisque 2 est perception de soi et Śš 200 constatation du Ś 2 cosmique et perception du cosmique dans le particulier. Câest le double mouvement mystĂ©rieux de la conscience, qui, pour se constater elle-mĂȘme, crĂ©e, constate, « invente » lâunivers : Bara veut dire crĂ©er et sĂ©parer.
3
ŚŚŚŚŚ
LA DRAME DE LA CONSCIENCE DâĂTRE
Bara mâoffre ainsi une occasion de contemplation. Le Aleph final 1000 est impensable. La pensĂ©e reprenant ses droits, je reviens au Ś 1, au frĂ©missement interne de la nouvelle vie qui cherche Ă naĂźtre en moi, qui est nĂ©e en moi, qui veut sa rĂ©alisation. Cette rĂ©alisation peut se produire. La voici dĂ©crite, expliquĂ©e, et voici lâinstrument, le processus, la forme ou plutĂŽt les forces innombrables telles quâelles apparaissent : câest le troisiĂšme mot : 1, 30, 5, 10, 40 (40 ou MĂšm final 600). Ce mot se lit Ălohim.
Ălohim est le surgissement crĂ©ateur, qui projette dans le monde contingent, actuel, concret, le grand mouvement cosmique qui sâĂ©tait rĂ©vĂ©lĂ© dans le mot BerĂšchith. Ce mouvement dialectique de tout ce qui est vivant est rendu visible, charnel et en mĂȘme temps exaltĂ© dans le Ś Lamed (30) de Eloh, suivi du Ś HĂ© (5), qui est le signe de lâharmonie, de la vie mĂȘme, dans son essence, c’est-Ă -dire dans son ĂȘtre.
RĂ©capitulation :
Avant dâaller plus loin dans le mot Ălohim, je sens quâil est utile de rĂ©capituler les mots ŚŚŚ ŚŚšŚ ŚŚšŚŚ©ŚŚȘ car le ŚŚ Im final qui exprime le masculin pluriel ne prendra tout son sens que lorsque jâaurai intĂ©grĂ© le mot ŚŚŚ Eloh en fonction de la place quâil occupe dans cette succession de nombres. La rĂ©capitulation 2-200-1-300-10-400-2-200-1000-1-30-5, exige quâĂ la fois je conçoive et perçoive, en dâautres termes que je vive intensĂ©ment le drame de la conscience dâĂȘtre, isolĂ©e dans son individuation, qui se perçoit e tant que dualitĂ©, et qui de ce fait lance un dĂ©fi Ă lâĂȘtre-conscience par ce cri : « si je suis sĂ©parĂ© de toi, quelque infime que je puisse ĂȘtre, ton intĂ©gritĂ© nâest pas ». Cette non-soumission, cette non-acceptation de la dualitĂ© crĂ©ature-crĂ©ateur est la racine, la source de la position hĂ©braĂŻque. La conscience consciente dâĂȘtre se perçoit sans dimensions, sans mesure, sans conditionnement espace-temps et se constate en mĂȘme temps individuĂ©e, particularisĂ©e Ă lâextrĂȘme, du fait que, ne renonçant Ă aucun possible, elle tend vers lâimprobable. Toute autre dĂ©marche lui apparaĂźt comme rĂ©gressive, tout abandon, trahison ; tout renoncement, assassinat. Il nây a ni descente de lâesprit dans la chair, ni ascĂšse de la conscience individuelle vers une vie universelle, mais poussĂ©e irrĂ©versible de vie crĂ©atrice en Ă©tat de crĂ©ation. Loin de se sentir Ă©crasĂ© par lâimmensitĂ© de lâunivers visible, lâhomme tire argument de sa propre exiguĂŻtĂ© pour affirmer que si la conscience consciente dâĂȘtre en est arrivĂ©e Ă se percevoir Ă©tant, dans ce minuscule grain de poussiĂšre quâest lâhomme, câest quâelle est parvenue au bout de sa course, Ă la façon dont un rayon lumineux rencontre une surface rĂ©flĂ©chissante au fond dâun puits et est renvoyĂ© par elle. Ă travers toute lâĂ©volution de la nature et des espĂšces inconnues et connues (quelles quâaient Ă©tĂ© les dĂ©marches de cette Ă©volution) la conscience consciente dâĂȘtre se rĂ©veille, se retourne, se rĂ©flĂ©chit dans lâhomme, par lâhomme. Le BerĂšchith lâinvite aussitĂŽt Ă rechercher le dialogue de conscience Ă conscience, câest-Ă -dire dâĂ©gal Ă Ă©gal.
Mais au dĂ©but, prĂ©alablement Ă tout, il y a lâidentification de ma conscience avec le Ś 2. Et câest ce dĂ©fi de lâindividuel Ă lâuniversel, qui, intensifiĂ© jusquâĂ lâĂ©clatement, pourra briser ma coque individuelle. Ă cet effet apparaĂźt le Ś 1, lequel est fort dangereux car son interprĂ©tation, avant mĂȘme son Ă©noncĂ©, projette le psychique dans lâune ou lâautre des deux directions opposĂ©es, contradictoires, antinomiques, rĂ©elles toutes deux ; lâunitĂ© universelle et lâunitĂ© individuelle. Rechercher la premiĂšre, câest amplifier la seconde, câest dĂ©truire la premiĂšre. Abandonner le moi individuel pour le moi universel, câest agrandir ce moi Ă lâĂ©chelle de lâunivers et, loin de briser cette coque, la pĂ©trifier. Renoncer Ă rechercher lâuniversel, câest se plaindre dans le labyrinthe dâune petite vie centrĂ©e sur elle-mĂȘme.
En vĂ©ritĂ© le Ś 1 peut prendre naissance ou, au contraire, ĂȘtre remplacĂ© par les mille et une illusions spirituelles. Il peut ĂȘtre lĂ et nâĂȘtre pas perçu, car ce qui est perçu appartient au monde limitĂ© des sens. BerĂšchith dit que câest le Ś© 300 qui en jugera, si le 300 est sauvegardĂ©, que câest le Ś 10 qui le prouvera si le 10 est voulu en acte, que câest le ŚȘ 400 qui le consacrera si le 400 sâaffirme.
Telle est la rĂ©capitulation de BerĂšchith, qui permet Ă la conscience consciente dâĂȘtre, de se faire pĂ©nĂ©trer par le mystĂ©rieux Bara oĂč le 1 devient 1000, Ă tout jamais impensable.
Et pourtant câest dans lâimpensable quâĂ partir de lĂ doit avoir lieu le phĂ©nomĂšne, le processus de conscience par laquelle celle-ci devient Eloh.
Le mot Ălohim est un seuil difficile Ă franchir. Il Ă©tait relativement facile dans le mot BerĂšchith, de sauter du 1 au 300, car ce grand mouvement cosmique Ă©tait pensĂ© avant dâĂȘtre constatĂ©. Il est plus difficile de passer du 1 au 30, car le 30 doit ĂȘtre constatĂ© et non pensĂ©. Et comment constater dans le monde perceptible des formes, le renoncement Ă©ternel du 3 ? Si tout ce qui vit meurt, si tout ce qui est fait se dĂ©fait, si tout e qui est construit se dĂ©truit, oĂč et comment retrouver lâessence vivante de tout ce qui est, la vie en perpĂ©tuel renouvellement, le 3 dans le manifestĂ©, câest-Ă -dire le 30. Que les homes bĂątissent des Ă©difices, quâils Ă©tablissent leur pouvoir ou quâils affirment leur personnalitĂ©, quâils prĂ©parent le lendemain ou quâils sauvegardent le patrimoine du passĂ© ; quâils sâinstallent dans leurs mĆurs, leurs coutumes, leurs traditions ; toute leur activitĂ© tend Ă enraciner dans leur conscience la conscience dâĂȘtre quelque chose. LĂ est le grand hiatus, la grande sĂ©paration entre lâhomme tel quâil est et lâhomme Eloh, câest-Ă -dire entre lâhomme contingent, conditionnĂ© , et sa propre essence en laquelle sont sauvegardĂ©s tous les possibles de lâĂȘtre non-conditionnĂ©. Câest dans ce hiatus, Ă lâintĂ©rieur mĂȘme de cette sĂ©paration que se situe 1, 30, 5 : ŚŚŚ Eloh.