Description de Louis Claude de Saint Martin

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Description de Louis Claude de Saint Martin par François-RenĂ© de Chateaubriand. 

Je rencontrai encore la duchesse de ChĂątillon, laquelle, pendant mon absence des Cent-Jours, dĂ©cora ma vallĂ©e d’Aulnay. Madame Lindsay, que je n’avais cessĂ© de voir, me fit connaĂźtre Julie Talma. Madame de Clermont-Tonnerre m’attira chez elle. Nous avions une grand-mĂšre commune, et elle voulait bien m’appeler son cousin. Veuve du comte de Clermont-Tonnerre, elle se remaria depuis au marquis de Talaru. Elle avait, en prison, converti M. de Laharpe. Ce fut par elle que je connus le peintre Neveu, enrĂŽlĂ© au nombre de ses cavaliers-servants ; Neveu me mit un moment en rapport avec Saint-Martin.

M. de Saint-Martin avait cru trouver dans Atala certain argot dont je ne me doutais pas, et qui lui prouvait une affinitĂ© de doctrines avec moi. Neveu, afin de lier deux frĂšres, nous donna Ă  dĂźner dans une chambre haute qu’il habitait dans les communs du Palais-Bourbon. J’arrivai au rendez-vous Ă  six heures : le philosophe du ciel Ă©tait dĂ©jĂ  Ă  son poste. À sept heures, un valet discret posa un potage sur la table, se retira et ferma la porte. Nous nous assĂźmes et nous commençùmes Ă  manger en silence. M. de Saint-Martin qui, d’ailleurs, avait de trĂšs belles façons, ne prononçait que de courtes paroles d’oracle. Neveu rĂ©pondait par des exclamations, avec des attitudes et des grimaces de peintre ; je ne disais mot.

Au bout d’une demi-heure, le nĂ©cromant rentra, enleva la soupe, et mit un autre plat sur la table : les mets se succĂ©dĂšrent ainsi un Ă  un et Ă  de longues distances. M. de Saint-Martin, s’échauffant peu Ă  peu, se mit Ă  parler en façon d’archange ; plus il parlait, plus son langage devenait tĂ©nĂ©breux. Neveu m’avait insinuĂ©, en me serrant la main, que nous verrions des choses extraordinaires, que nous entendrions des bruits : depuis six mortelles heures, j’écoutais et je ne dĂ©couvrais rien. À minuit, l’homme des visions se lĂšve tout Ă  coup : je crus que l’esprit des tĂ©nĂšbres ou l’esprit divin descendait, que les sonnettes allaient faire retentir les mystĂ©rieux corridors ; mais M. de Saint-Martin dĂ©clara qu’il Ă©tait Ă©puisĂ©, et que nous reprendrions la conversation une autre fois ; il mit son chapeau et s’en alla. Malheureusement pour lui, il fut arrĂȘtĂ© Ă  la porte et forcĂ© de rentrer par une visite inattendue : nĂ©anmoins, il ne tarda pas Ă  disparaĂźtre. Je ne l’ai jamais revu : il courut mourir dans le jardin de M. Lenoir-Laroche, mon voisin d’Aulnay.

Je suis un sujet rebelle pour le Swedenborgisme : l’abbĂ© Faria, Ă  un dĂźner chez madame de Custine, se vanta de tuer un serin en le magnĂ©tisant : le serin fut le plus fort, et l’abbĂ©, hors de lui, fut obligĂ© de quitter la partie, de peur d’ĂȘtre tuĂ© par le serin : chrĂ©tien, ma seule prĂ©sence avait rendu le trĂ©pied impuissant.

Une autre fois, le cĂ©lĂšbre Gall, toujours chez madame de Custine, dĂźna prĂšs de moi sans me connaĂźtre, se trompa sur mon angle facial, me prit pour une grenouille et voulut, quand il sut qui j’étais, raccommoder sa science d’une maniĂšre dont j’étais honteux pour lui. La forme de la tĂȘte peut aider Ă  distinguer le sexe dans les individus, Ă  indiquer ce qui appartient Ă  la bĂȘte, aux passions animales ; quant aux facultĂ©s intellectuelles, la phrĂ©nologie en ignorera toujours. Si l’on pouvait rassembler les crĂąnes divers des grands hommes morts depuis le commencement du monde, et qu’on les mit sous les yeux des phrĂ©nologistes sans leur dire Ă  qui ils ont appartenu, ils n’enverraient pas un cerveau Ă  son adresse : l’examen des bosses produirait les mĂ©prises les plus comiques.

Il me prend un remords : j’ai parlĂ© de M. de Saint-Martin avec un peu de moquerie, je m’en repens. Cette moquerie que je repousse continuellement et qui me revient sans cesse, me met en souffrance ; car je hais l’esprit satirique comme Ă©tant l’esprit le plus petit, le plus commun et le plus facile de tous ; bien entendu que je ne fais pas ici le procĂšs Ă  la haute comĂ©die. M. de Saint-Martin Ă©tait, en dernier rĂ©sultat, un homme d’un grand mĂ©rite, d’un caractĂšre noble et indĂ©pendant. Quand ses idĂ©es Ă©taient explicables, elles Ă©taient Ă©levĂ©es et d’une nature supĂ©rieure. Ne devrais-je pas le sacrifice des deux pages prĂ©cĂ©dentes Ă  la gĂ©nĂ©reuse et beaucoup trop flatteuse dĂ©claration de l’auteur du Portrait de M. de Saint-Martin fait par lui-mĂȘme ? Je ne balancerais pas Ă  les effacer, si ce que je dis pouvait nuire le moins du monde Ă  la renommĂ©e grave de M. de Saint-Martin et Ă  l’estime qui s’attachera toujours Ă  sa mĂ©moire. Je vois du reste avec plaisir que mes souvenirs ne m’avaient pas trompĂ© : M. de Saint-Martin n’a pas pu ĂȘtre tout Ă  fait frappĂ© de la mĂȘme maniĂšre que moi dans le dĂźner dont j e parle ; mais on voit que je n’avais pas inventĂ© la scĂšne et que le rĂ©cit de M. de Saint-Martin ressemble au mien par le fond. « Le 27 janvier 1803, dit-il, j’ai eu une entrevue avec M. de Chateaubriand dans un dĂźner arrangĂ© pour cela, chez M. Neveu Ă  l’École polytechnique. J’aurais beaucoup gagnĂ© Ă  le connaĂźtre plus tĂŽt : c’est le seul homme de lettres honnĂȘte avec qui je me sois trouvĂ© en prĂ©sence depuis que j’existe, et encore n’ai-je joui de sa conversation que pendant le repas. Car aussitĂŽt aprĂšs parut une visite qui le rendit muet pour le reste de la sĂ©ance, et je ne sais quand l’occasion pourra renaĂźtre, parce que le roi de ce monde a grand soin de mettre des bĂątons dans les roues de ma carriole. Au reste, de qui ai-je besoin, exceptĂ© de Dieu ? » M. de Saint-Martin vaut mille fois mieux que moi : la dignitĂ© de sa derniĂšre phrase Ă©crase du poids d’une nature sĂ©rieuse ma raillerie inoffensive…

Plus sur le sujet :

Description de Louis Claude de Saint-Martin, MĂ©moires d’outre-tombeFrançois-RenĂ© de Chateaubriand, (1849-1850). 

Merci Ă  Mariette Cyvard.

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