Aleister Crowley & la Franc-Maçonnerie par Bram Ha.
Nous vous proposons dâĂ©tudier avec nous les connexions entre Aleister Crowley et la Franc-Maçonnerie, dĂ©bat qui fait rage entre les disciples actuels de la Grande BĂȘte 666 et les Maçons « rĂ©guliers » ou mĂȘme « irrĂ©guliers ». Nous allons essayer de donner quelques Ă©lĂ©ments de rĂ©flexion tendant Ă prouver lâaffiliation d’Aleister Crowley Ă la Maçonnerie « irrĂ©guliĂšre » et de cerner les raisons qui lâont poussĂ© Ă y rechercher une quelconque reconnaissance.
La Franc-Maçonnerie nâest pas un ensemble homogĂšne, mais un groupe hĂ©tĂ©rogĂšne de degrĂ©s et de rites. La Maçonnerie est un ordre fraternel et tous les Maçons doivent au moins appartenir Ă une Loge Bleue qui regroupe les trois premiers grades : Apprenti, Compagnon et MaĂźtre. Il y a en outre une multitude de degrĂ©s additionnels (que lâon nomme les Hauts Grades) dont le but est de prodiguer un enseignement plus Ă©sotĂ©rique et de faire le lien avec des traditions autres que celle des MĂ©tiers : la Gnose, la Rose-Croix, les Templiers… Seuls les MaĂźtres Maçons peuvent prĂ©tendre Ă rejoindre ces hauts degrĂ©s et lâadmission se fait uniquement par cooptation. La Maçonnerie est souvent liĂ©e Ă dâillustres noms ou filiations : Chevalier du Temple, Rose-Croix, Ordre Royal dâĂcosse, etc. Il nâest donc pas surprenant que Crowley avec son goĂ»t pour le faste et les titres glorieux se soit senti attirĂ© par cette Ă©cole initiatique.
Crowley nous dit, dans ses « Confessions », quâen 1904 il a Ă©tĂ© Ă©levĂ© Ă la MaĂźtrise (c’est-Ă -dire quâil a Ă©tĂ© initiĂ© au 3e degrĂ©) au sein de la Loge Bleue anglo-saxonne N° 343 Ă Paris. Cette Loge avait au dĂ©part Ă©tĂ© ouverte pour des Anglais expatriĂ©s qui ne pouvaient pas sâaffilier Ă la Grande Loge Unie dâAngleterre du fait des standards appliquĂ©s Ă la sĂ©lection des candidats (il nâest cependant pas prouvĂ© que cette Loge aurait Ă©tĂ© un magasin Ă titres maçonniques bien quâelle octroyait les trois degrĂ©s en lâespace dâun seul week-end).
Ă cette Ă©poque, cette Loge Ă©tait gouvernĂ©e par le Grand Orient de France. Cet organe maçonnique irrĂ©gulier nâĂ©tait pas reconnu par la Grande Loge dâAngleterre et donc ses membres nâĂ©taient pas reconnus par elle comme Maçons. Crowley clama quâil avait Ă©tĂ© introduit lĂ par un PassĂ© Grand Chapelain Provincial dâOxforshire (qui nâaurait jamais participĂ© aux travaux dâune loge irrĂ©guliĂšre). Cependant, il nây a aucune documentation qui puisse servir de preuve pour affirmer ce fait, & il nâa sans doute jamais Ă©tĂ© initiĂ© en Angleterre non plus. Il essayera plus tard dâentrer dans une Loge de Londres mais on lui en refusa lâentrĂ©e sur le fait quâil appartenait Ă une Loge non reconnue par la Grande Loge Unie dâAngleterre et donc « irrĂ©guliĂšre » selon les landmarks.
En 1914 Crowley Ă©crivit Ă la GLUA en demandant le droit de rejoindre & de participer aux travaux des Loges anglaises, & ceci sur la base de son initiation en France. La rĂ©ponse fut un refus catĂ©gorique du fait, Ă nouveau, de lâirrĂ©gularitĂ© de sa Loge mĂšre française.
La raison de ces essais dâentrer dans les Loges rĂ©guliĂšres anglaises nâest pas trĂšs claire. On peut supposer que cela viendrait dâune pĂ©riode critique dans ses activitĂ©s magickes ou Ă©galement de lâentrĂ©e de lâEquinoxe dans sa phase de « silence », comme cela avait Ă©tĂ© imposĂ© par Crowley Ă lâA.·.A.·. suivant un cycle de cinq annĂ©es. Il se pourrait tout aussi bien que Crowley voulait lĂ©gitimer ses activitĂ©s au sein de cercles magickes quâil visitait – Ă cette pĂ©riode la Franc-Maçonnerie Ă©tait un des supports de la monarchie dont certains membres Ă©taient affiliĂ©s Ă la GLUA et offrait donc une couverture honorable. Ainsi, il aurait voulu donner lâimpression quâil avait le soutien et la reconnaissance des autoritĂ©s de son pays afin de redorer son blason et gagner plus de disciples proches de la GLUA. Ainsi, la reconnaissance de son statut de maçon rĂ©gulier aurait pu donner un aval Ă ses activitĂ©s en « marges » de la maçonnerie.
Il est fort peu probable que Crowley ait vraiment voulu prendre une place rĂ©guliĂšre au sein de la Maçonnerie car quelques-uns de ses Ordres magickes Ă©taient dĂ©jĂ basĂ©s sur un ensemble de Hauts Grades assez complexes & portant des titres ronflants et pompeux que la Maçonnerie ne possĂ©dait pas. Il est plus vraisemblable que pour Crowley son entrĂ©e au sein de la GLUA Ă©tait une porte ouverte qui lui permettait dâavoir accĂšs Ă des degrĂ©s de « marges » quâil aurait pu ajouter Ă ses titres & qualitĂ©s, & aussi apporter de nouveaux rituels quâil aurait pu utiliser pour ses propres besoins. Ă cette Ă©poque, le matĂ©riel rituel imprimĂ© Ă©tait rare voire quasi inexistant et la seule maniĂšre de se les procurer Ă©tait dâentrer dans les Ordres qui les possĂ©daient.
De plus, une activitĂ© rĂ©guliĂšre au sein dâune Loge bleue prend beaucoup de temps libre, pour remplir les offices en Loge il est nĂ©cessaire de mĂ©moriser de nombreux morceaux de rituels ce qui, Ă moins quâil nâait Ă©tĂ© vraiment dĂ©vouĂ© Ă sa tĂąche, ne lâaurait jamais attirĂ©. En outre, il est parfois assez onĂ©reux de participer activement aux activitĂ©s des nombreux grades maçonniques et cela nâaurait pu convenir Ă Crowley au vu de ses problĂšmes financiers de lâĂ©poque.
Il y a un Ă©lĂ©ment qui consolide le fait que Crowley ne considĂ©rait pas la Franc-Maçonnerie comme rĂ©ellement valable si ce nâest pour se procurer des rituels « clĂ©-sur-porte ». Cet Ă©lĂ©ment concerne le Royal Arch, degrĂ© additionnel, le seul reconnu par la GLUA et considĂ©rĂ© comme le complĂ©ment du degrĂ© de MaĂźtre Maçon. Si Crowley considĂ©rait les grades bleus comme utile au niveau psycho-spirituel, alors ce grade aurait dĂ» ĂȘtre un des plus essentiels, car il fait table rase des enseignements des 3 premiers degrĂ©s et rĂ©vĂšle une nouvelle « vĂ©ritĂ© » occulte & supĂ©rieure. Et ceci a Ă©tĂ© largement rĂ©pandu par la GLUA qui dĂ©crivait le Royal Arch comme la composante essentielle du degrĂ© de MaĂźtre Maçon. Lâignorance totale de Crowley quant Ă ce degrĂ© dans une optique « orthodoxe » donne crĂ©dit Ă lâargument que son intĂ©rĂȘt pour la Franc-Maçonnerie nâĂ©tait donc quâune recherche des « signes & attouchements » plutĂŽt que de lâillumination que lâon peut retirer de ses enseignements. En fait, il est fait mention du Royal Arch dans le Liber II de lâOrdo Templi Orientis oĂč lâon dit que les « secrets » du Royal Arch sont compris dans les enseignements de lâOTO. Selon dâautres sources dâinformation, Crowley aurait pu avoir accĂšs aux rituels du Royal Arch au sein de lâOTO, car il en constitue un des Ă©lĂ©ments dâun de ses Hauts Grades et comme Crowley Ă©tait le Grand MaĂźtre de lâOTO, il est probable quâil ait pu accĂ©der Ă ces rituels. Cependant Crowley ne sera jamais initiĂ© aux Hauts Grades de lâOTO du fait de la possession de ses autres qualitĂ©s maçonniques, qui bien quâirrĂ©guliĂšres selon les standards de la GLUA Ă©taient reconnus par ThĂ©odore Reuss alors Grand MaĂźtre de lâOrdo Templi Orientis. Donc, Crowley nâa jamais reçu les enseignements du Royal Arch sous la lumiĂšre de lâinitiation et ils sont sans doute restĂ©s dâun impact peu important dans son systĂšme.
En 1900, Crowley prĂ©tend dans ses Confessions quâil a Ă©tĂ© initiĂ© au 33° degrĂ© maçonnique du Rite Ăcossais Ancien et AcceptĂ©. Il semble que cela ait eu lieu Ă Mexico, par un SuprĂȘme Conseil dont on sait peu de choses. Ă cette Ă©poque, en AmĂ©rique du Sud, il y avait de nombreuses organisations maçonniques parfois Ă la vie aussi brĂšve que tĂ©nĂ©breuse & aux activitĂ©s parfois assez diffuses. Me problĂšme avec cette prĂ©tention porte sur les dates. En effet, pour ĂȘtre cooptĂ© au sein des Hauts Grades, le Maçon doit dĂ©jĂ ĂȘtre en possession du grade de MaĂźtre Maçon. Et Ă cette Ă©poque, en 1900, Crowley nâĂ©tait mĂȘme pas encore entrĂ© comme Apprenti dans une Loge bleue (cfr supra) il y a donc une contradiction – soit Crowley a pris les trois grades avant et ont lui a accordĂ© le 33° sans respecter les dĂ©lais dâusage ou il a inventĂ© toute cette affaire.
Lâhistoire de ces Ă©vĂ©nements est relatĂ©e dans ses Confessions et Crowley prĂ©tend quâil reçut les initiations suite Ă une aide apportĂ©e Ă un individu au sein dâun autre ordre mystique connu sous le nom de L.I.L.. Et lâon ne sait rien de plus que ce quâil en est dit dans ses Confessions pour confirmer ou infirmer ce fait.
Crowley aura toutefois au moins un autre contact avec la Maçonnerie, au travers de John Yarker (1833 – 1913). En 1872, Yarker, un chercheur maçon de renommĂ©e, membre de la Loge Quatuor Coronati N°2076, avait constituĂ© un Ordre Maçonnique appelĂ© Rite Ancien & Primitif au travers de la crĂ©ation dâun Grand Conseil des Rites & sâĂȘtre installĂ© lui-mĂȘme en tant que Grand MaĂźtre.
La Rite Ancien & Primitif Ă©tait un amalgame de trois diffĂ©rents rites maçonniques : lâAncien & AcceptĂ©, avec ses 33 degrĂ©s, le Rite Oriental de Memphis avec ses 96 degrĂ©s & le Rite de MishraĂŻm avec ses 90 degrĂ©s. La RA&P sous Yarker Ă©tait simplifiĂ© en 33 degrĂ©s qui synthĂ©tisaient les 219 degrĂ©s des trois Rites de base.
Ce Rite nâĂ©tait pas reconnu comme rĂ©gulier par les autres corps maçonniques, mais il nâen continuait pas moins ses activitĂ©s. Comme rĂ©sultat, Yarker sera expulsĂ© du SuprĂȘme Conseil « officiel » du RA&A mais resta au sein de la Maçonnerie bleue. Le but de cet ordre Ă©tait, comme il le dit lui-mĂȘme, « de donner Ă chaque maçon la chance dâobtenir les hautes initiations maçonniques Ă un prix raisonnable ».
En 1909, Crowley entra en contact avec Yarker & il en rĂ©sulta que celui-ci octroya Ă Crowley les 33°, 90° et 95° degrĂ©s par poste ! On ne sait trop si Yarker vendit ces degrĂ©s Ă Crowley comme cela semblait ĂȘtre son habitude. Le diplĂŽme de 33° de Crowley a survĂ©cu et on peut le consulter sur le site de PR König.
Yarker Ă©tait Ă la fin de sa vie et on a supposĂ© quâil veuille trouver une personne qui continue son oeuvre au sein du RA&P aprĂšs sa mort. Bien que lâon ait dĂ©jĂ soulevĂ© le problĂšme du monnayage des grades, on ne peut nier lâintĂ©rĂȘt primordial de Yarker pour la Maçonnerie, dans son ensemble, & pour le RA&P en particulier. Donc, nous pouvons supposer quâil cherchait bien quelquâun qui puisse reprendre le flambeau aprĂšs sa mort, personne avec les qualifications, qualitĂ©s & intĂ©rĂȘts dans le RA&P.
Le dĂ©cĂšs de Yarker le 20 mars 1913 est rapportĂ© dans lâOriflamme, lâorgane officiel de lâOTO sous Reuss et par Crowley dans son Equinox.
Dans le studio de Crowley au 76 Fulham Road Ă Londres, le 30 juin 1913, une rĂ©union fut tenue par le Souverain Sanctuaire du RA&P. Il devait dĂ©cider de lâavenir du Rite aprĂšs la mort de Yarker. Ceux qui Ă©taient prĂ©sents : Crowley, Reuss, Henri Meyer, Leon Angers Kennedy & William Quilliam. Henry Meyer fut Ă©lu valablement Ă la dignitĂ© de Souverain Grand MaĂźtre GĂ©nĂ©ral du RA&P pour la Grande-Bretagne et lâIrlande. Il semble que Crowley fut Ă©levĂ© au 96° degrĂ© du Rite de Memphis et Ă©levĂ© Ă la dignitĂ© de Patriarche Grand Administrateur GĂ©nĂ©ral.
Selon la notice nĂ©crologique de Yarker dans lâEquinox, Crowley se donnera pour 97° du Rite de Memphis… Mais il nây a aucun document qui puisse avaliser cette prĂ©tention.
Pour finir dans ce registre, John Symonds rapporte un incident dans sa biographie dĂ©diĂ© Ă Crowley, The King of the Shadow Realm. Il nous dit quâen 1914, Crowley quitta lâAngleterre pour les USA, porteur dâune Charte qui le proclamait Honorus Magus de la SRIA. Toutefois, Crowley nâĂ©tait pas membre de la SRIA, ce qui est prouvĂ© par lâabsence de son nom dans la Livre dâOr de lâOrdre, un registre qui reprend tous les membres de la SRIA. De plus, le titre dâHonorus Magus ne pouvait ĂȘtre donnĂ© que par le Mage SuprĂȘme de la SRIA & Crowley nâĂ©tait pas Ă cette Ă©poque en relations amicales avec personne de la SRIA. Crowley Ă©tait bien connu de la SRIA mais ses « chefs » le tenait lui & son oeuvre en piĂštre considĂ©ration. Cependant, il semblerait que cette patente lui ait Ă©tĂ© transmise par un ordre amĂ©ricain qui se prĂ©tendait ĂȘtre issu la SRIA mais sans aucune charte lui donnant ce droit.
Wynn Westcott tenait la position de Mage SuprĂȘme Ă cette Ă©poque, mais il nâa jamais Ă©tĂ© en termes amicaux avec Crowley & il ne lui aurait jamais donnĂ© un quelconque document Ă©manant de la SRIA. Bien que Mathers soit un membre de la SRIA, Ă cette Ă©poque il se battait contre Crowley au sujet du matĂ©riel de la Golden Dawn que celui-ci venait de publier dans son Equinox & il nâaurait jamais aidĂ© Crowley Ă se procurer un tel certificat. Une preuve supplĂ©mentaire peut encore ĂȘtre donnĂ©e par le fait que le titre dâHonorus Magus Ă©tait vĂ©ritablement un grade honorifique donnĂ© comme gage de reconnaissance Ă dâillustres maçons. Ainsi, F. Hockley, un maçon de haut grade & expert en crystalomancie ne se verra octroyĂ© quâun IV° grade honoraire pour des confĂ©rences donnĂ©es au sein de lâOrdre. Crowley, qui nâavait aucun contact avec lâOrdre, nâaurait jamais reçu un tel honneur.
Les citations suivantes sont tirĂ©es des Confessions p. 700 et suivantes. Elles concernent les motifs de Crowley Ă utiliser ses connaissances maçonniques lors de la rĂ©vision des rituels de lâOTO.
« Quâest-ce que la Franc-Maçonnerie ? Jâen ai recueilli les rituels et les secrets, comme jâen avais fait avec les religions du monde entier, avec leurs fondements magickes et mystiques… Jâai dĂ©cidĂ© de dĂ©finir la Franc-Maçonnerie comme un systĂšme de communication de la vĂ©ritĂ© – religieuse, philosophique, magicke et mystique ; & indiquant les procĂ©dĂ©s adĂ©quats qui permettent de dĂ©velopper les facultĂ©s humaines au moyen dâun langage particulier dont lâalphabet en est le symbolisme de ses rituels. Une FraternitĂ© Universelle & de grands principes moraux, indĂ©pendants des prĂ©judices personnels, raciaux & autres, ont formĂ© un coussin qui assure la sĂ©curitĂ© individuelle & la stabilitĂ© sociale pour tous ses membres ».
« La question se pose alors : Quelles vĂ©ritĂ©s doivent ĂȘtre communiquĂ©es et par quels moyens peut-on les promulguer ? Mon premier objectif Ă©tait dâĂ©liminer des centaines de rituels Ă ma disposition tous les Ă©lĂ©ments exotĂ©riques. Beaucoup de degrĂ©s contiennent des affirmations (souvent fausses) sur des matiĂšres bien connues de nos Ă©coliers modernes, bien quâelles aient pu ĂȘtre importantes quand les rituels furent Ă©crits… Je ne vis aucune raison de surcharger le systĂšme avec des informations superflues ».
« Un autre point essentiel Ă©tait de rĂ©duire la masse monstrueuse de matĂ©riel Ă un systĂšme compact & cohĂ©rent. Je pensais que tout ce qui valait la peine dâĂȘtre prĂ©servĂ© pouvait & devait ĂȘtre prĂ©sentĂ© sous la forme dâune douzaine de cĂ©rĂ©monies tout au plus & que cela devait ĂȘtre Ă la portĂ©e de nâimporte quel officier dâapprendre par coeur sa partie durant les heures de loisirs Ă sa disposition, en un mois tout au plus ».
Afin de donner une idĂ©e de lâimportance des contacts entre Crowley et la Franc-Maçonnerie, nous devons prendre en considĂ©ration plusieurs points. Le premier est quâil pressentait que ce courant mystique pouvait ĂȘtre dâun quelconque bĂ©nĂ©fice pour son dĂ©veloppement spirituel & psychologique. Mais cela ne semble pas tenir la route si lâon pense quâil ne prit jamais aucun rĂŽle actif dans aucun de ces ordres & quâil le progressa jamais comme câest la norme jusquâau vĂ©nĂ©ralat afin dâĂ©voluer vers les autres degrĂ©s et rites. Cependant, on peut objecter que Crowley Ă©tait un personnage assez peu conventionnel & quâil se considĂ©rait lui-mĂȘme comme au-dessus du commun des mortels & au-dessus des rĂšgles mondaines Ă©dictĂ©es pour les masses. Sa progression & la maniĂšre peu orthodoxe dont il reçut ses grades en Maçonnerie peut lui sembler parfaitement acceptable. Peut-ĂȘtre quâil ne ressentait pas le besoin de suivre le cheminement habituel du fait quâil Ă©tait capable dâassimiler lâessence de la Maçonnerie de sa propre maniĂšre. Il ne prit certainement jamais Ă coeur les grands principes de la Franc-Maçonnerie, Amour Fraternel, CharitĂ© & VĂ©ritĂ©. Il nâa jamais Ă©tĂ© particuliĂšrement chaleureux avec les autres maçons et il a mĂȘme eu des rĂ©actions hostiles Ă leur encontre. Ses actes de charitĂ© sont quasi inexistants & sa prĂ©tention Ă ĂȘtre un martyr de la vĂ©ritĂ©, risible. La citation quant au caractĂšre de FraternitĂ© Universelle, bien que louable, Ă©tait uniquement idĂ©ale et Crowley ne la prit jamais Ă coeur, ou ne la mit activement en pratique.
Le second point est quâil ressentait le besoin de faire partie de la Maçonnerie afin de se glorifier lui-mĂȘme & de sâĂ©lever aux yeux de ses critiques & acolytes. Comme nous lâavons dĂ©jĂ fait remarquer, la Maçonnerie Ă©tait trĂšs honorable pour un gentleman et il a pu croire que cette facette de ses activitĂ©s mystiques lĂ©gitimerait ses activitĂ©s plus controversĂ©es. On peut peut-ĂȘtre en douter si lâon pense que Crowley sâest toujours dĂ©fendu de donner crĂ©dit Ă ses dĂ©tracteurs et on peut difficilement croire quâil a choisi cette voie simplement pour se justifier de ses critiques. Toutefois, on peut estimer que lâimage de marque que pouvait confĂ©rer la Maçonnerie nâa pas dĂ» laisser Crowley indiffĂ©rent, dâune part pour lui-mĂȘme et dâautre part vis-Ă -vis de ses disciples. Mais on ne peut raisonnablement dire que Crowley voulait utiliser ses qualitĂ©s maçonniques pour recruter dans le cercle des Loges, car lâirrĂ©gularitĂ© mĂȘme de ses initiations maçonniques aurait alors jouĂ© contre lui.
TroisiĂšmement, nous devons considĂ©rer que la Franc-Maçonnerie et ses diffĂ©rents rites donnaient Ă Crowley une grande quantitĂ© de matĂ©riels rituels dĂ©jĂ utilisables pour les cĂ©rĂ©monies. Bien que lâA.·.A.·. utilisait les rituels de la Golden Dawn et de la Maçonnerie pour quelques-uns de ses degrĂ©s, ceux-ci nâen reprĂ©sentaient quâune infime partie. Avec la rĂ©vision des rituels de lâOTO qui suivit sa nomination en tant que Grand MaĂźtre pour le Royaume-Uni, on peut voir que la part prise par les rituels maçonniques est peu importante. Les rituels de lâOTO avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© basĂ©s sur des thĂšmes maçonniques, le plus bas degrĂ© Ă©tant repris des Rites de Memphis & MisraĂŻm, et la rĂ©vision des rituels tendait plus Ă introduire du matĂ©riel qabalistique dans les cĂ©rĂ©monies quây ajouter des Ă©lĂ©ments maçonniques. Son utilisation de ses connaissances maçonniques Ă©tait minime et nĂ©gligeable & nous pouvons dire quâil a pu dĂ©sirer lâinitiation maçonnique en vue dâune utilisation potentielle future. Ce quâil ne fit jamais.
Enfin, il y a le dĂ©sir dâobtenir des « mots, signes & attouchements » pour le bĂ©nĂ©fice de son propre ego ou pour donner Ă penser quâil Ă©tait un maĂźtre en toutes matiĂšres. Les sectateurs de Crowley vont crier au scandale Ă la lecture de cette affirmation en prĂ©tendant que Crowley nâa jamais fait dâutilisation de ses titres & grades maçonniques de façon rĂ©guliĂšre et quâil y ait dâautres raisons Ă son intĂ©rĂȘt envers la Franc-Maçonnerie. Mais lâon sait lâamour que Crowley portait aux « signes, mots & attouchements », ainsi quâaux autres signes de reconnaissance dans ses correspondances. Cela reste avec lâauto-glorification lâhypothĂšse la plus valable. Si lâon nâoublie pas les liens actifs de Crowley avec le monde de lâespionnage et du renseignement. Car il est tout aussi possible dâaffirmer que Crowley, poussĂ© par Reuss – qui renseignait la police secrĂšte prussienne sur le milieu anarchiste – ait pu vouloir entrer dans cette Maçonnerie qui tissait des liens entre tous les continents du globe. Crowley, Ă lâinstar dâautres « espions », a pu vouloir utiliser le rĂ©seau maçonnique dans les annĂ©es 1914-1918 pour remplir une quelconque obscure mission. Il nâa jamais infirmĂ© de maniĂšre absolue que Crowley nâavait pas Ă©tĂ© un agent des services de renseignements britanniques – certains lâont mĂȘme accusĂ© dâĂȘtre un agent double au service de lâAllemagne. LâhypothĂšse reste ouverte…
Pour conclure, les chartes reçues par Crowley de Yarker sont valides et le Rite Ancien & Primitif est toujours maçonnĂ© dans cette maçonnerie « irrĂ©guliĂšre » qui reste un mouvement philosophique majeur en Europe continentale & ailleurs. LâirrĂ©gularitĂ© maçonnique porte sur le non-respect de certaines rĂšgles Ă©dictĂ©es par la GLUA, rĂšgles qui sont refusĂ©es par des corps maçonniques comme le Grand Orient de France, la Grande Loge de France, le Rite Ancien Primitif de Memphis & MisraĂŻm & autres… Donc, Crowley Ă©tait un Maçon mĂȘme sâil nâen respectait pas du tous les prĂ©ceptes et il n’Ă©tait irrĂ©gulier quâaux yeux des Maçons de la GLUA qui ne reprĂ©sentent quâune branche de la famille Maçonnique.
Plus sur le sujet :
Aleister Crowley & la Franc-Maçonnerie, Bram Ha.