Nicolas Flamel, étude historique

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Nicolas Flamel, étude historique par Eugène Canseliet.

Comme nul auteur ne l’avait fait avant lui, notre vieux maître Fulcanelli a interprété et commenté la fraction intensément active de la vie de Nicolas Flamel, laquelle se développa dans l’agitation et les conséquences temporelles de l’effort opiniâtre. Ainsi a été traitée à fond la question majeure du problème, à savoir l’ésotérisme indéniable d’une biographie savamment détaillée par son héros lui‑même, que mut sa volonté charitable de traditionnelle initiation [1].

Il nous reste à tenter une étude plus générale, un essai qui sera modeste en somme, et dont il peut sembler difficile qu’il se montre de quelque portée, après l’important travail que l’abbé Villain assit sur les réalités impitoyablement terre à terre, en l’y poussant très loin, mais, il est vrai, dans la morne banalité et la minutie stérile des documents de tabellionnage [2] .

Nicolas Flamel, étude historique
Nicolas Flamel, étude historique

Deux principaux motifs nous incitent à reprendre ce sujet en apparence épuisé par le laborieux ecclésiastique. Ils s’attachent à son livre même qui, tout d’abord, vieux de bientôt deux siècles, n’est pas à la disposition de tous, du fait que, rare et de coût prohibitif, il doive être le plus souvent consulté dans les bibliothèques ; ensuite, conçu dans le parti pris fermement contempteur, il ne saurait présenter toute l’impartialité garante d’une valeur et d’une autorité réelles.

C’est bien là ce que souligna, sans ménagement, dans sa préface, Albert Poisson, écrivant, lui aussi, il y a soixante années, une biographie du populaire alchimiste parisien, pleine de mérite et qui vaut assurément d’être complétée :

« … On n’avait sur Flamel que l’histoire de l’abbé Villain, riche en documents, mais mauvaise en ce sens qu’elle est terriblement partiale et que l’auteur s’efforce de démontrer une thèse préconçue : Flamel n’a jamais été alchimiste [3] . »

Evidemment encore, l’abbé Villain était dans la plus profonde ignorance des principes élémentaires de l’alchimie, démontrée en même temps que sa mauvaise foi, par le sentiment que, convaincu et péremptoire, il fournit, sans ambages, à l’occasion de sa réponse à dom Pernety, tenant, bien sûr, pour l’opinion contraire :

« Un saint homme, auteur de tant de pieuses fondations, ne pouvait commettre un acte aussi indélicat, ni se compromettre avec l’enfer en se prêtant à l’initiation hermétique [4]. »

Si le distingué prêtre de Saint‑Jacques‑La Boucherie avait su que nombre d’ecclésiastiques de toutes dignités – moines, abbés, cardinaux et jusqu’à certains papes – s’adonnèrent à l’alchimie du laboratoire, il n’eût pas prononcé aussi inconsidérément une sentence d’interdit à ce point exécratoire. On verra, dans notre essai relatif au moine d’Erfurt et à son savant traité, comment nous avons fait justice de cette opinion fausse que l’Eglise eût jamais anathématisé les travaux hermétiques, à la manière d’une hérésie détestable [5].

Albert Poisson a résumé cette lettre de l’abbé Villain, déjà introuvable de son temps sous sa forme imprimée, venue entre ses mains grâce à l’obligeance de Stanislas de Guaïta et que nous avons nous-mêmes vainement recherchée à la Bibliothèque Nationale [6]. Cette épître fut suscitée, nous l’avons dit, par celle que Dom Pernety, bénédictin de la congrégation de Saint‑Maur, adressa publiquement à l’auteur de l’Histoire critique et que nous avons trouvée au Département des Imprimés, rue de Richelieu [7]. Ce document, en quelques points nettement établis, où la logique s’allie à l’évidence, sape, dès la base, l’ouvrage laborieusement édifié, dans l’unique dessein d’enlever à Flamel sa réputation d’alchimiste. Ainsi, dom Pernety, envisageant le fatras indigeste des pièces d’archives accumulé par l’abbé Villain, constate‑t‑il non sans vérité et sur le ton plaisant :

« Peut‑on raisonnablement s’imaginer qu’un Philosophe Hermétique doive s’afficher tel ? Et M. l’abbé V… a‑t‑il pensé trouver Flamel Philosophe dans les contrats de rentes, les quittances, etc. de Flamel homme privé ?

Falloit‑il employer plus de 400 pages pour nous accabler du détail minutieux de ces rentes, de ces quittances, etc. de Flamel se conduisant comme Bourgeois bon Chrétien ? M. l’abbé V… pour se convaincre que Flamel mérite le nom de Philosophe, voudroit‑il que dans les contrats qu’il a faits, dans les quittances qu’il a reçues ou données, il est signé, Nicolas Flamel, Philosophe Hermétique L’Année Littéraire de Fréron, op. cit. ? »

Dom Pernety, né à Rouane (Roanne) dans le diocèse de Lyon, était‑il alors le chef d’une société secrète d’alchimistes et d’illuminés établie en Avignon ? Ce qui est certain, c’est que l’année suivante, il allait accompagner Bougainville, en qualité d’aumônier, dans son voyage aux Iles Malouines, avant de devenir bibliothécaire de Frédéric II puis abbé en Westphalie. Il avait embrassé la profession religieuse dans l’ordre de Saint‑Benoît, le 29 juin 1732, à l’abbaye de Saint‑Allire de Clermont, dont les supérieurs l’envoyèrent ensuite à Saint‑Germain‑des‑Prés à Paris, où il écrivit ses ouvrages [8].

* * *

C’est en attaquant l’authenticité du Livre des Figures Hierogliphiques que l’argumentation de l’abbé Villain, contre la personnalité philosophique de Nicolas Flamel, semble plus sérieuse et mieux fondée, au moins à première vue. Il ne faut pas oublier, en effet, que le peu qu’on sait de l’activité de l’alchimiste dans la Science, nous est fourni par le texte traduit et édité, vraisemblablement pour la première fois, par P. Arnauld sieur de la Chevallerie Poitevin [9].

Celui‑ci, tout d’abord, selon l’érudit prêtre, aura été « quelqu’alchimiste, qui, pour faire valoir un ouvrage hermétique de sa façon, aura profité de la réputation que les richesses prétendues immenses de Flamel lui avoient acquises » [10].

Un fait indéniable ruine, totalement et sans conteste, cette assertion, dont on verra, d’autre part, qu’elle ne reposait déjà que sur de bien faibles arguments :

Trois alchimistes normands, Grosparmy, Valois et Vicot, qui labouraient ensemble à Flers, à la fin du XIVe siècle et dans la première moitié du suivant, possédaient et tenaient en grande estime Le Livre des Figures Hieroglyphiques de Nicolas Flamel.

Dans leurs Œuvres restées manuscrites, ils invoquent fréquemment l’autorité de leur confrère parisien en le présentant sous ce dernier vocable :

« Par ainsi calcine ton corps en trois jours : ce que le juif par la denotation du parisien figuroit par son livre contenant trois fois 7 feuillets… [11] »

Il s’agit d’autant plus sûrement de Flamel, que ces auteurs contemporains rappellent, dans le même tome, l’épouse modèle échue par grâce à l’alchimiste de la paroisse Saint‑Jacques‑la‑Boucherie, et cela à l’occasion de conseils détaillés pour une installation commode :

« Aiez aussi un compagnon fidelle, et en meurs vous ressemblant, si mieux naviez une seconde Perrenelle, mais se sexe est hasardeux et a craindre [12]. »

Le Grand Olimpe, traduit et commenté, « achevé d’escrire ce 26 mars l’an 1430 », désigne, clairement, l’alchimiste de Paris, par son patronyme :

« Et ses ames qui dedans leurs corps sont remises, voy Flamel en son arche… [13] »

C’est Nicolas Valois qui parvint au but le premier, à un âge relativement jeune, si nous ne le prenons pas à la manière philosophique, c’est‑à-dire compté depuis le jour où l’artiste se mit a expérimenter au fourneau :

« Or, j’avais bien 45 ans quand cela arriva en l’an 1420. Et au bout de 20 mois, nous vismes ce grand Roy assis en son trosne royal… »

* * *

Reconnaissons avec Sauval [14] que la version latine de Flamel, translatée par Arnauld de la Chevallerie, semble n’avoir jamais été trouvée manuscrite ou imprimée, et soulignons nous-même que le gentil‑homme poitevin ne tint pas sa promesse de nous donner aussi les Figures Hierogliphiques « en Latin avec L’Histoire du Iardin des Hesperides, composée par Lorthulain tres‑grave et tres‑docte Autheur » [15]. Qu’il ne l’ait pas placé tout de suite en regard du français, comme pour le premier traité de son recueil – celui du tres-ancien Philosophe Arthephius, nous permettant, au reste, d’apprécier son excellent savoir de latiniste -, voilà qui ne laisse pas de surprendre, lors même qu’il en fournisse l’explication :

« Car il eust esté grossier de mettre les figures en tous les deux textes Latins et François, ou de n’en mettre qu’en un. Et n’en mettant qu’en un, les figures occupans l’espace, eussent empesché que le Latin et François ne se feussent pas bien rencontrez aux fueillets, i’ay donc esté contraint de te les bailler en ceste‑cy seulement [16]. »

Sur la simple constatation qu’il ne demeure aucun exemplaire, ni aucune trace de ce latin original, serait‑il prudent de vouloir qu’il n’eût jamais existé ? Nous ne le pensons pas, devant cet article du Catalogue de Pierre Borel, docteur médecin, né à Castres, mentionnant un manuscrit qu’il eut sans doute dans les mains et qui rappelle un précédent travail de même genre :

« Nicolai Flamelli quædam Hieroglyphica, et Carmina quæ in variis Lutetiæ lapidibus olim visebantur vel quæ adhuc super sunt, alia ab iis quæ in Lucem prodierunt, MS ut et ejus processionnes [17] ».

Ne pourrait‑il s’agir de la pièce primitive sur laquelle se bâtit la réputation philosophique de Nicolas Flamel et de laquelle il faut espérer que, tôt ou tard, elle resurgisse par l’heureuse occurrence de quelque chercheur prédestiné ? Quoi qu’il en soit jamais, voici la traduction du latin précité :

« Certains Hiéroglyphes et certaines Inscriptions de Nicolas Flamel, qu’on voyait autrefois sur diverses pierres de Paris ou qui sont encore dessus, autres que ceux qui ont été mis en lumière, et, par exemple, ses processions. »

Flamel, dans ses Figures, explique ce qu’il entend par procession, et, répétant un distique qui accompagnait l’image peinte au charnier des Innocents, sur l’une des arches de la galerie voûtée, nous indique implicitement qu’il les rédigea en latin :

« … par dedans le Cymetiere, où i’ay aussi mis contre la muraille d’un et d’autre costé, une procession en laquelle sont représentées par ordre toutes les couleurs de la pierre, ainsi qu’elles viennent et finissent, avec ceste escripture françoise :

Moult plailt a Dieu procession

S’elle est faicte en devotion [18]

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