Le Silence de l’Apprenti par Spartakus FreeMann.
VM et vous tous mes FF.·. et mes SS.·. en vos Gr.·. et Qual.·.,
Le silence de l’apprenti
Le silence qui nous est imposé lors de cette année d’apprentissage est l’un des outils les plus précieux qui soient mis à notre disposition à notre entrée en F.·.M.·.
Personnellement, c’est ce qui m’a sans doute le plus posé de problème. Moi, la babelute, obligé de me taire… Cette idée me semblait alors assez horrible… Lors des premières Ten.·., il m’était insupportable de ne pas pouvoir intervenir sur des sujets qui m’étaient chers. Mais aujourd’hui, je pense vraiment que c’est une chance voire un véritable joyau.
Le silence permet surtout l’écoute de l’autre. Une chose si rare à notre époque qui me manquant sans nul doute possible. L’écoute est une ouverture à la pensée de l’autre et permet de mieux percevoir le signifiant dans le calme de la méditation imposé par le silence.
Combien de fois, lors d’une planche ou d’interventions de fin de Ten.·., me suis-je dit « Tiens, heureusement que je ne suis pas intervenu à tel ou tel moment, car mon intervention aurait été déplacée ou ridicule, hors de propos, inutile… » Et alors, j’ai compris peu à peu combien cette écoute forcée était un bien à mettre à profit :
- Le silence bride l’ego qui chercherait autrement à briller inutilement, à flatter honteusement. Bref, à un ego encore mal poli, il donne la chance de pouvoir réfléchir sur les motivations de la parole en loge et de son utilité non personnelle mais collective ;
- le silence permet la méditation comme je l’ai souligné un peu avant ; et donc le questionnement intérieur ;
- le silence donne la paix nécessaire à la compréhension de ce qui se déroule en loge lors des Ten.·.. L’esprit délivré du besoin d’intervenir analyse et incorpore les symboles et les divers éléments qui nous entourent…
Certains savent ici mon intérêt pour une branche du mysticisme hébreu, je veux parler de la Kabbale. Je vois déjà certains visages se fermer, mais rassurez-vous le but n’est pas de faire une planche sur la Kabbale que certains assimilent à de l’occultisme de bas étage, non… Lorsque j’ai décidé de faire mon travail sur le silence de l’apprenti, j’étais alors en pleine lecture d’ouvrages tournant autour de la Kabbale et c’est à ce moment que j’ai fait un parallèle entre certains éléments de ce courant et le silence.
Comme je l’ai dit auparavant, au travers du silence, l’ego est amoindri afin de se voir poli et affiné avant qu’il lui soit à nouveau donné l’autorisation de s’exprimer. Et l’on peut mettre ce processus en parallèle avec une certaine théorie de la Kabbale appelée TSIMTSOUM, qui est la contraction de Dieu en lui-même afin de permettre à sa création d’exister. Mais ce n’est pas véritablement de cela qu’il s’agit. Au sein de cette théorie, d’autres se sont imbriquées afin de l’adapter au travail de l’homme sur lui-même.
En hébreu, « Je », expression de l’ego peu se dire de deux façons différentes : ANI [אני] et ANOKHI [אנכי]. L’ANOKHI est le « Je » déjà réalisé, produit de l’extérieur, forme subjective incontrôlée… L’ANI au contraire est le « Je » en perpétuelle réalisation, transformation, le « Je » en mouvement.
En entrant dans le Temple, nous sommes tous, à des degrés divers, des « Je » ANOKHI, des êtres produits de notre conditionnement social, familial, culturel. Rabbi Nahman de Braslav : « L’homme doit se retirer de soi pour pouvoir accéder à lui-même et aux autres ». Ce premier soi dont nous parle ce rabbi est un soi préfabriqué et dans et état, lorsque nous parlons, nous ne parlons pas vraiment mais nous sommes « parlé ». Lors de notre période d’apprentissage, nous nous replions sur nous même – forme de Tsimtsoum, de retour à l’essentiel – de notre intimité – afin de laisser la merveille de l’initiation et du travail en loge agir sur nous. En ce repli, nous devenons AYIN [aleph iod noun] qui est néant, mais non point le néant négatif symbole du vide, mais bien plutôt du néant produit de la tabula rasa de notre ego permettant un re-développement de notre personnalité et de notre ego, une renaissance du « Je » figé de l’ancien ANOKHI en un « Je » en réalisation, ANI. Nous apprenons en cet état AYIN le silence et le calme propre au développement de l’ANI. Et cette interaction entre AYIN et ANI est porté dans les lettres mêmes qui composent ces deux mots : Aleph Iod Noun pour Aïn et Aleph Noun Iod pour ANI. Le but n’étant pas de discourir sur les procédés kabbalistiques, je soulignerai seulement que l’identité des deux états est renforcée en hébreu par l’identité des lettres. Au travers de la réalisation du nouveau « Je » permis par le silence, nous formons un ego qui doit être détaché de toute étiquette, de tout code…
ANI, nous sommes arrachés à nos étiquettes familiales, sociales ou même naturelles, et ANI en ce Temple nous sommes tous libres et égaux. Et à mon sens, c’est sans doute un des buts de cette épreuve du silence qui serait une 5e épreuve de l’initiation. Une faculté de se libérer des scories de l’ego afin de paraître alors en loge en être véritablement équilibré et libre et d’agir alors au mieux de l’intérêt de l’atelier, non par fatuité, mais par amour fraternel.
J’ai dit V.·.M.·.
Plus sur le sujet :
Le Silence de l’Apprenti, Spartakus FreeMann, 2004. Planche délivrée pour le passage au Gr.·. de Comp.·..
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