Moorish Tag Day Update

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Moorish Tag Day Update par Hakim Bey. 

Le Manifeste de la « Ligue de l’Épine Noire » est essentiellement une mĂ©ditation sur les mystĂ©rieux enseignements de Noble Drew Ali au sujet de l’Irlande en tant « qu’ancienne rĂ©gion de l’Empire Maure » ; du bannissement des serpents par Saint Patrick comme n’étant qu’un masque Ă  l’expulsion des Maures Irlandais ; et des Celtes comme reprĂ©sentants de la « race Asiatique ». Depuis la rĂ©daction de ce texte, nous avons dĂ©couvert une vaste quantitĂ© de matĂ©riaux liĂ©s Ă  cette lĂ©gende, bien que nous ne sachions toujours pas comment Noble Drew en prit connaissance — une rĂ©vĂ©lation ? Peut-ĂȘtre, mais nous avons l’intime conviction aujourd’hui que la lĂ©gende elle-mĂȘme est beaucoup plus ancienne que ce qu’en rapporte Drew Ali, et nous suspectons qu’il la connut de sources authentiquement « populaires ». Des communautĂ©s mixtes afro-irlandaises sont beaucoup plus communes dans le « Nouveau » Monde que nous le pensions ou que nous nous attendions Ă  en trouver — pour donner deux exemples : les Irlandais Noirs de la JamaĂŻque (descendants des serfs de Cromwell qui se mĂ©langĂšrent avec des groupes d’esclaves et de « marons » de la Barbades et de la JamaĂŻque ; et le Village de Seneca, une colonie de squatters — irlandais, noirs et indiens — qui fut expulsĂ©e avec force de la rĂ©gion de Manhattan maintenant occupĂ©e par Central Park. L’histoire des Émeutes du Jour de la St Patrick Ă  New York en 1741 peut avoir survĂ©cu dans certaines communautĂ©s comme lĂ©gende de liens afro-irlandais. Mais cette histoire remonte encore plus loin, bien plus loin, — incroyablement loin.

Moorish Tag Day Update Noble Drew Ali
Noble Drew Ali – Moorish Tag Day Update

Notre premier Ă©claircissement — la premiĂšre indication quant Ă  une Ă©cole entiĂšrement dĂ©diĂ©e Ă  la question Irlandaise/Maure — vint de l’achat d’un livre Ă  Dublin d’un journaliste irlandais nommĂ© Bob Quinn (Atlantean : Ireland’s North African & Maritime Heritage, Quartet Books, London/NY, 1986). Nous espĂ©rons pouvoir rencontrer Quinn cette annĂ©e lors de notre prochaine visite en Irlande. Son livre n’est pas acadĂ©mique, mais n’en reste pas moins merveilleusement enthousiasmant. Presque chaque chapitre jette une lumiĂšre sur ce que nous sommes arrivĂ©s Ă  concevoir aujourd’hui comme la QuĂȘte. Il est impossible d’ĂȘtre plus prĂ©cis.

En mettant de cĂŽtĂ© tout le matĂ©riel que Quinn a collectĂ© quant Ă , disons, l’influence Égyptienne sur l’église primitive Celtique — ou sur les connexions maritimes hispano-mauro-irlandaises — ou sur les Pirates Barbaresques (Quinn passe Ă  cĂŽtĂ© du fait que les pirates irlandais se sont convertis Ă  l’Islam et prirent part Ă  la RĂ©publique de Sallee, une utopie corsaire marocaine) — en d’autres mots, si l’on Ă©carte la sphĂšre historique, nous arrivons au coeur de l’hypothĂšse de Quinn : les « Irlandais » et les « Maures » sont en rĂ©alitĂ© le mĂȘme peuple (il ne le dit jamais directement, mais c’est clairement ce qu’il pense). Mais la question n’en reste pas moins posĂ©e : qui sont-ils ?

Le premier indice donnĂ© par Quinn est la musique — l’étrange similitude entre la musique marocaine berbĂšre et le « seannos » irlandais ou le style de chant. Nous explorons ce domaine dans notre show radiophonique, le Moorish Orthodox Radio Crusade, en diffusant de la musique folk choisie par Sean O’Riada (le dernier grand compositeur irlandais) et en la comparant avec la Gnaoua, le Jajuka, et autres formes musicales berbĂšres et marocaines du Haut Atlas. Les similitudes sont rĂ©ellement Ă©tonnantes. Mais encore plus Ă©tonnant (comment Quinn a-t-il pu rater cela ?) : l’Irlande et le Maroc sont les seules rĂ©gions Ă  avoir des Ă©chelles « pentatoniques » Ă  l’ouest de la Chine et de Java !!

Le second indice donnĂ© par Quinn est la langue. Un certain nombre de linguistes et de philologues, allant de Morris Jones au dĂ©but du siĂšcle Ă  Heinrich Wagner (in The Celtic Consciousness, NY 1981), ont essayĂ© de cerner les sous-structures prĂ©celtiques de l’irlandais. Ceci serait trop compliquĂ© Ă  expliquer ici. Le rĂ©sultat ? Des liens entre l’irlandais, le berbĂšre et l’ancien Ă©gyptien ! (dĂ©solĂ© pour ces exclamations, mais je n’y puis rien !) Cette Ă©cole de pensĂ©e est conspuĂ©e par les hautes autoritĂ©s acadĂ©miques — mais elle demeure malgrĂ© tout. Ce n’est pas une simple fantaisie non plus (non que nous ayons quelque chose contre les fantaisies) — mais pour autant que je puisse en juger, c’est certes audacieux, mais indubitablement « scientifique ».

Le troisiĂšme indice vient des MĂ©galithes. Jusqu’à cette Ă©poque de ma vie, j’ai rĂ©sistĂ© Ă  la « mĂ©galithomania » (comme John Michell l’appelle) mais ici j’ai bien peur d’y avoir succombĂ©. J’ai lu une vingtaine de livres sur le sujet, et je suis en train de dĂ©velopper ma propre… thĂ©orie extravagante. Quinn suggĂšre (tout comme le savant du dĂ©but du siĂšcle, T.W. Rolleston, in Celtic Myths and Legends, 1917) que les populations prĂ©-celtiques d’Irlande et du reste du monde atlantique insulaire ou cĂŽtier, le peuple qui Ă©rigea les mĂ©galithes, ne furent pas exterminĂ©s mais absorbĂ©s par les Celtes, qui prĂ©servĂšrent l’hĂ©ritage « mĂ©galithique » du folklore ainsi que de la musique et de la langue ; que ces peuples sont mĂȘme mieux reprĂ©sentĂ©s dans le monde moderne par les BerbĂšres (qui n’ont pas Ă©tĂ© absorbĂ©s par les arabes). Quinn & Rolleston vont jusqu’à imaginer que le « mĂ©galithisme » prit naissance au Maroc et que les proto-BerbĂšres (comme dans IbĂšres et Hibernes, les noms classiques pour les aborigĂšnes prĂ©-aryens d’Espagne et d’Irlande) furent en fait les « Missionnaires MĂ©galithiques » imaginĂ©s par certains archĂ©ologues.

Quinn se plaint avec raison que les « mĂ©galithologues » acadĂ©miques n’envisagent jamais l’Afrique du Nord, mais elle est indubitablement couverte de menhirs — et j’ai tout de suite remarquĂ© le caractĂšre eurocentriste de la majeure partie de leur travail. La politique derriĂšre tout ceci est trĂšs complexe. On a l’habitude de croire que les mĂ©galithes sont celtiques (« druidiques ») d’origine, et que ces peuples Ă©taient blancs, lointains Ă©chos de la CrĂšte, de la GrĂšce, de l’Égypte, des grandes civilisations NĂ©olithiques du Proche-Orient. Gordon Childe, par exemple, croyait que les « Missionnaires MĂ©galithiques » Ă©taient grecs ou Ă©gyptiens. TrĂšs rĂ©cemment cependant, la datation au carbone 14 a fait voler en Ă©clats la thĂ©orie de la « diffusion proche-orientale ». Les plus rĂ©cents mĂ©galithes sont plus vieux que les pyramides — aussi vieilles que JĂ©richo ou Catal Huyuk.

La datation au carbone 14 suggĂšre, en fait, que le mĂ©galithisme serait nĂ© en Espagne ou en Bretagne vers 5000 avant J.C., & se serait Ă©tendu dans les Ăźles Britanniques, en Irlande, Scandinavie et dans la Baltique, & en Sardaigne, Afrique du Nord, Italie du Sud, Malte & l’Égypte ! (Aucune datation n’a Ă©tĂ© faite en Afrique du Nord et ainsi les suspicions de Quinn quant aux origines marocaines peuvent encore s’avĂ©rer correctes.) Mais Ă  la lumiĂšre de la datation au carbone 14, le milieu acadĂ©mique a dĂ» renoncer Ă  TOUTE forme de Diffusionnisme. À les Ă©couter aujourd’hui, on penserait que les ĂȘtres humains de la PrĂ©histoire Ă©taient trop stupides pour voyager. Tout est aujourd’hui expliquĂ© par la thĂ©orie du DĂ©veloppement ParallĂšle — c’est Ă  dire, tout le monde construisait des mĂ©galithes de son cĂŽtĂ©, chaque peuple ayant atteint le « bon niveau de dĂ©veloppement ».

Dieu, quelle connerie ! ÉVIDEMMENT les gens voyageaient — par mer, comme Quinn le fait remarquer — aussi loin que dans l’époque du PalĂ©olithique. Les Atlantes du NĂ©olithique ou les peuples de l’Atlantique Ă©taient ÉVIDEMMENT trĂšs cosmopolites (reliĂ©s entre eux par les routes des « dons » cĂ©rĂ©moniels le long desquelles ils commerçaient de trĂšs belles haches de pierre cĂ©rĂ©monielles — & Ă©galement, Ă  n’en pas douter, la « doctrine » MĂ©galithique.)

Sans trop entrer dans les arguments, j’affirme ici que le mĂ©galithisme Ă©tait une religion basĂ©e sur le calendrier (la « premiĂšre idĂ©ologie ») et sur l’agriculture. Cette religion porte en elle de grandes similitudes avec la trĂšs ancienne religion agraire du Proche-Orient (explorĂ©e par T. Gaster dans sa magnifique Thespis), avec toutefois des diffĂ©rences majeures. Pour commencer, les mĂ©galithes eux-mĂȘmes n’étaient pas des temples (de style proche-oriental) mais des observatoires, des calendriers, des sites de danse & de thĂ©Ăątre, des foires pour les Ă©changes de cadeaux & des collĂšges pour les hauts enseignements, le tout-en-un. (Des auteurs classiques nommĂšrent les constructeurs de mĂ©galithes des HyperborĂ©ens et leurs chamanes les BorĂ©ates — Ă  noter la racine B’R. Encore !) Ensuite, les peuples mĂ©galithiques Ă©taient moins hiĂ©rarchiquement structurĂ©s que ceux du Proche-Orient. Ils conservĂšrent une structure sociale tribale ou « segmentĂ©e » basĂ©e sur les catĂ©gories de « sept », chef et chamane, plutĂŽt que de citoyen, roi et prĂȘtre. Cela peut ĂȘtre dĂ©montrĂ© Ă  la fois archĂ©ologiquement & en examinant les cultures mĂ©galithiques du XXe siĂšcle Ă , disons, Sumatra ou Madagascar…

Je pourrais aller plus loin (et je le ferai) — mais ici je passerai directement au sujet du folklore. Le calendrier « celtique » d’Irlande a trĂšs certainement des origines mĂ©galithiques (voir K. Danher, The Celtic Consciousness). Les MĂ©galithes sont d’évidence d’origine prĂ©celtique, et ainsi tout le folklore « celtique » qui tourne autour doit ĂȘtre mis de cĂŽtĂ© ; il se peut que ce qu’il en reste contienne des indices sur la culture mĂ©galithique. J’ai besoin d’avoir accĂšs Ă  certains textes clĂ©s originaux (Ă©puisĂ©s depuis longtemps et trĂšs chers), tels le Book of Invasions, afin de mener Ă  bien cette tĂąche. DĂ©jĂ , je crois avoir localisĂ© un ensemble de thĂšmes prĂ©celtiques dans le mythe des Formoriens, les gĂ©ants Ă  une seule jambe et un seul oeil dĂ©jĂ  en Irlande quand les Celtes (les Thuatha de Danaan) arrivĂšrent — bien que suivant certaines versions les Formoriens vinrent de la mer. (Note : Amur, un ancien nom pour Maroc et Mauritanie ; Armorique, l’ancien nom de la Bretagne, et Formorien.) MĂȘme les rĂ©centes lĂ©gendes « druidiques » sur les mĂ©galithes valent la peine d’ĂȘtre Ă©tudiĂ©es ; mais encore plus prometteuses, cependant, sont les traditions, non aristocratiques et non encore enseignĂ©es, attachĂ©es au Cycle Fenian et Ă  l’histoire lĂ©gendaire de Munster (voir Rees & Rees, Celtic Heritage, London, 1961) ; et les contes et lĂ©gendes des paysans bretons (voir J.P. Mohen, The World of Megaliths, NY, 1989).

RĂ©cemment, j’ai empruntĂ© et lu l’entiĂšretĂ© des 1.238 pages du grand Ritual and Belief in Morocco (Rituels et Croyances du Maroc) de Westermarck (que Quinn a aussi manquĂ©). A mon grand Ă©tonnement, j’ai dĂ©couvert que dans les annĂ©es 1920, les BerbĂšres construisaient encore des cercles de pierres et Ă©rigeaient des menhirs ! Westermarck a vouĂ© des centaines de pages aux cultes des pierres, aux montagnes sacrĂ©es, aux cultes des serpents & autres survivances prĂ©-islamiques au Maroc. Les BerbĂšres mettent en scĂšne une version burlesque de l’ancien drame du Calendrier NĂ©olithique dĂ©crit par Gaster, & que l’on trouve aussi en Grande Bretagne en tant que « Mummer plays & Morris (Moorish) Dances ».

En bref, je crois qu’une reconstruction assez complĂšte de la culture mĂ©galithique est possible, basĂ©e sur un Diffusionisme revu & un folklore comparatif, qui Ă©taieront l’hypothĂšse de Quinn quant Ă  un lien prĂ©historique entre le Maroc et l’Irlande. Une fois que ce lien aura Ă©tĂ© intensivement fouillĂ©, je crois qu’une des idĂ©es les plus folles de Noble Drew Ali s’avĂ©rera ĂȘtre un simple fait exprimĂ© par des mĂ©taphores religieuses. Nous avons encore une formidable quantitĂ© de travail Ă  fournir — sur les serpents (et les dragons) par exemple — sur l’archĂ©ologie prĂ©historique irlandaise et marocaine — sur la musique (je ne suis pas un ethnomusicologue) — et mĂȘme sur les Pirates Barbaresques. J’écris ceci afin de solliciter de l’aide. L’histoire du « Moorish Tag Day » prend des proportions Ă©piques. Je m’épuise dans une douzaine de mĂ©andres bibliographiques. Un projet comme celui-ci doit ĂȘtre multidisciplinaire. La Ligue de l’Épine Noire a besoin de chercheurs actifs !

Pour finir — Notre Diacre Maure de Paris, M. Strangmeyer, a portĂ© Ă  mon attention le fait qu’un « Comte de l’Épine Noire » joue un rĂŽle mineur dans une des romances arthuriennes, « l’Iwein » d’Hartmann Von Aue (NY/London, 1984), un livre que je n’ai pas encore lu. Sur cette base, cependant, nous devrions prĂ©tendre Ă  un antique et honorable lignage pour la Ligue de l’Épine Noire. L’Histoire, aprĂšs tout, est un jeu. L’important est d’ĂȘtre des chevaliers — et non des pions.

« Je vous intime l’ordre sous peine de prohibitions, & de restrictions, & de mort, & de destruction, de partir & de me ramener la pouliche isabelle du Roi du Maroc qui course le vent & bondit par dessus les murs des chĂąteaux ». TirĂ© de « The Greek Princes & the Young Gardener », Irish Fireside Folktales de Patrick Kennedy, 1860, Wexford.

Notes : Tag Day, formule intraduisible. En anglais amĂ©ricain, le tag day est le jour dĂ©diĂ© Ă  la vente de pin’s pour les Ɠuvres de charitĂ©.

Plus sur le sujet :

Moorish Tag Day Update, Hakim Bey. Traduction française par Spartakus FreeMann. Extrait de Anarchisme Ontologique, Hakim Bey, traduction par Spartakus FreeMann, 2008. Pour acheter cet ouvrage, cliquez ICI.

Image par dric de Pixabay

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