Le Temple de Satan – Fleurs de l’Abîme par Stanislas de Guaïta.
Première Septaine du Serpent de la Genèse : le Temple de Satan,
Chapitre VII (fin) : Fleurs de l’Abîme
Un dernier mot aux curieux de la Magie noire. Penchés avec nous sur l’abîme, dont ils ont pu saisir l’escarpement et sonder la nuit vertigineuse, peut-être n’ont-ils pas vu sans surprise s’épanouir, sur les bords, et jusque dans la ravine qui mène au gouffre, certaines fleurs d’une beauté sauvage et fatale, d’un capiteux et troublant parfum… Ignorent-ils que le Mal a sa poésie ? – Du mystère d’abomination même se dégage un idéal fantastique, attrayant et funeste, où plusieurs se sont laissés séduire de tout temps.
Que les curieux y prennent garde ! C’est là le grand péril des excursions excentriques, dans les mondes interdits aux caprices profanes. Qui s’aventure sans guide sur la piste des émotions inédites foule déjà le sentier de sa perdition prochaine : tout, autour de lui, conspire sa ruine et la présage. Sur la porte qu’il va franchir, Dante aurait pu graver le tercet menaçant de l’Inferno :
Per me si va nella citta dolente ;
Per me si va nell’ eterno dolore :
Per me si va tra la perduta gente !…
Tels, il est vrai, ne demandent à la Sorcellerie que le charme d’art qui lui est inhérent : pour ceux-là, bien moindre est le danger. Ils s’en tiennent au pittoresque assez superficiel du Grimoire ; leur dent ne mord qu’à l’écorce du fruit défendu.
Mais d’autres, téméraires, savourent à même la poésie intime du Mal. La tentation pour eux fut trop forte ; ils n’ont pas su réagir. L’esprit de malice les a séduits, qui maintenant les possède. Ils vogueront désormais au torrent fluidique de la perversité, vers, l’abîme d’inconscience qui doit un jour les engloutir. Ce suicide est l’aboutissement de leur destin : de gré ou non, tous y convergent ; quelques-uns, par des voies très détournées. Tels n’abolissent même leur individu qu’à force de l’exalter : dût la fièvre d’un égotisme intraitable décevoir ceux-là en d’inédites pérégrinations, à la conquête d’une originalité exclusive, – efforts stériles, illusoire conquête, – ils succomberont. Loin de se créer un Moi factice, ils n’auront peiné qu’à dissoudre en eux le Moi réel.
Le gouffre de l’Inconscient ! Voilà le Maëlstrom où le grand Séducteur attire insensiblement leurs pauvres nefs, en fascinant les yeux du pilote à la fantasmagorie de ses mirages imposteurs. Un sourd murmure s’élève, qui bientôt s’accroît et gronde ; mais le marinier, à peine distrait de sa rêverie, ne s’aperçoit pas que le navire évolue en cercle, à l’entour d’un remous encore lointain ; que sa marche s’accélère ; qu’il penche à bâbord, décrivant une spirale dont le diamètre se rétrécit à vue d’œil…. Cependant, l’illusion magique a redoublé de captivants prestiges… Le gouffre tonne à quelques encablures ; mais le pilote n’a rien entendu. Déjà l’entonnoir béant a reçu la frêle embarcation, qui vole, emportée comme une plume au pivot de la paroi interne ; mais le pilote n’a rien vu, – et le voici disparaître au fond du vortex, l’esprit toujours en extase et les yeux perdus dans l’azur de son rêve ! Les initiés savent pourquoi l’inconscience est l’élément propre de Satan-Panthée, le point central où – fatalement – l’inflexible, logique de la Goëtie ramène ses fidèles directs ou indirects, ses sectateurs de faits ou d’intention. Que si l’on nous invitait à préciser par quels symptômes se manifeste, chez les adeptes de la Goëtie – conscients ou non – ce processus vers l’inconscience, nous répondions qu’il se décèle d’abord par l’abolition des facultés logiques ; par le prosélytisme des philosophies négatives du libre arbitre et de l’immortalité ; enfin, après la mort, par la rétrogression vers les formes les plus infimes de la nature élémentaire.
Le satanisme pur, avoué, voulu et militant (si l’on peut dire), est un mal d’exception. Les Gilles de Laval, les David de Louviers, les chanoines Docre sont très rares, Dieu merci ! Mais les cas de sorcellerie indirecte ne se nombrent pas.
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Serpent de la genèse : La fleur de l’abîme
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