La Clé de la Magie Noire : L’Ermite

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La Clé de la Magie Noire : L’Ermite, par Stanislas de Guaita.

Chapitre II de La Clé de la Magie Noire : Les Mystères de la solitude

La neuvième clef du Tarot ouvre à l’intelligence affranchie les mystères de la solitude.

Un ermite à barbe inculte, la main gauche appuyée sur sa canne, se guide aux clartés d’une lanterne qu’il soulève de la droite et dissimule un peu sous les plis de son large manteau. — Voilà l’emblème.

Le sens en est multiple, comme celui de tous les hiéroglyphes. Nous nous attacherons à la signification moyenne, celle qui se propose naturellement à l’esprit. Néanmoins, dans la sphère même où notre interprétation se limite, le pentacle peut s’éclairer de deux jours très différents, selon qu’on l’envisage de deux points de vue opposés.

L’ermite symbolisera toujours le solitaire ; mais cet ermite peut être un sage, — ou un fou.

Sage, il s’isole dans sa science et sa pureté ; drapé de la bure de sa vertu sereine, il brave toutes les contagions du dehors. Mais plein de sollicitude en­vers ce monde imparfait d’où il s’exile, et par égard pour les yeux faibles qu’aveuglerait une trop éblouissante lumière, il cache aux trois quarts le flambeau du Vrai sous son manteau de prêtre, qui n’en laisse prudemment filtrer que des rayons affaiblis. Son bâton à sept nœuds, — emblème du critérium infaillible que confère à l’initié l’intelligence du Grand Arcane, — son bâton représente la verge de Moïse, la baguette des miracles, la crosse du parfait épiscope : c’est le sceptre de l’unité-synthèse.

La Clé de la Magie Noire : L’Ermite
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Autre version : le fou protège à grand peine la flamme vacillante de sa pauvre lanterne, lumière illusoire et décevante, qu’éteindrait le moindre souffle de cet instinct collectif des foules, qui a nom le sens commun. C’est que l’insensé a peuplé sa solitude d’hallucinations fugitives comme le rêve, et de mensongères créatures, auxquelles son vouloir peut seul prêter un semblant d’existence, son obstination une apparence de durée… Il végète ainsi, cloîtré dans un séminaire de formes vaines et vides, qu’il prend pour la réalité ; se fiant au faux jour de son système a priori, dont la lanterne est le symbole. La canne ? ne figure-t-elle point, sa logique de maniaque, puissante encore que dévoyée ; sa déraison toujours systématique, et les artifices où son imagination se dépense, sans s’épuiser jamais, pour pro longer l’illusion et pouvoir se mentir à elle-même avec une conviction de jour en jour plus affermie ?…

Parlons du fou d’abord, nous voulons dire — du sorcier.

Cet homme vit seul d’habitude. Redouté des uns, bafoué des autres, odieux à tous, la vie commune lui est un supplice ; il s’en affranchit le plus qu’il peut.

Mais l’état de société étant pour l’homme une condition normale, organique, presque absolue de l’existence, le sorcier ne fuit guère ses voisins, parmi lesquels il serait une exception monstrueuse, que pour se créer à l’écart une compagnie d’êtres décriés, suspects et hideux comme lui.

Là se révèle la raison majeure de ces assemblées toujours excentriques, parfois criminelles, que nous avons dépeintes d’après la légende.

On ne saurait mettre en doute l’effective réalité de ces nocturnes réunions de malfaiteurs et de nigromans ; maintes fois la sorcellerie y servait de prétexte et de couverture à des forfaits moins pittoresques, ainsi qu’ailleurs nous l’avons noté. Mais les adeptes qui ne pouvaient se rendre en corps à la synagogue y allaient en esprit : tel sorcier fréquentait communément les sabbats, sans quitter son lit ou son fauteuil.

À l’appui de cette opinion, le philosophe Gassendi nous a conservé le souvenir d’une aventure bien remarquable et dont la portée n’échappera sans doute à personne.

Comme il se promenait par la campagne, il aperçut un groupe de manants furieux qui traînaient brutalement un malheureux berger, ligoté dans d’étroites courroies. Gassendi s’en émut et s’in forma. — C’est un sorcier, lui dit-on, redouté de tous pour les maléfices qu’il exerce sur les hommes et sur les troupeaux. Nous l’avons surpris en flagrant délit de sortilège ; de ce pas nous allions livrer au magistrat.

L’homme de science les en dissuada vivement :

— Conduisez le gaillard chez moi : je veux voir… je veux l’interroger seul à seul.

Les paysans vénéraient Gassendi, connu pour ses bienfaits dans tout le pays d’alentour. Ils n’eurent garde de rien objecter à cet ordre, et quand ils se furent retirés :

— Fais ton choix, dit Gassendi : tu vas tout avouer et je te baille la clef des champs. Si tu re fuses, la justice aura son cours…

L’homme, tout tremblant d’une si chaude alerte, ne témoigna nul goût à lier connaissance avec Nos seigneurs du Parlement : on brûlait encore, à cette époque-là, pour crime de sorcellerie. Il commença donc, sans hésiter, la plus étrange confession.

Je suis sorcier depuis trois ans, Monsieur, et deux fois la semaine je me rends au Sabbat… C’est affaire d’avaler si peu que rien d’un extrait balsamique. Vers minuit, paraît le Malin, sous l’apparence d’un bouc monstrueux ou d’un chat géant aux ailes de ténèbres ; il s’envole par la cheminée, après vous avoir chargé sur ses épaules…

Tu me donneras de ce baume, répliqua Gassendi sans s’émouvoir. L’expérience paraît originale ; j’en veux courir la chance… bref, je compte te suivre au Sabbat.

Qu’à cela ne tienne, mon maître ! J’y dois aller ce soir-même ; nous cheminerons de compagnie.

En attendant l’heure fatidique de la medianoche, le berger, plus à son aise, fit au savant la description circonstanciée des lieux incultes où Satanas convoquait ses féaux ; il avoua les plus innommables débauches, peignit d’ignobles accouplements et de sauvages agapes. Nous ferons grâce au Lecteur des détails qu’il a pu lire au chapitre II du Temple de Satan : une réédition de ce genre paraît inopportune ; c’est vraiment assez d’une fois. Au sabbat, — et surtout dans l’imagination polluée de ceux qui s’y rendent, de fait ou en esprit, — l’obscène le dispute au grotesque et l’horrible au pitoyable.

À l’heure dite, le sagace philosophe reçut sans broncher sa part du balsamique électuaire, qu’il fit mine de prendre, au même instant qu’il l’escamotait. Son compagnon absorba la sienne en conscience, et tous deux s’étendirent à terre, auprès de la cheminée. Le berger ne tarda point à s’endormir d’un sommeil rauque et fort agité. Sa face se congestionna vivement, d’incompréhensibles paroles s’exhalèrent de ses lèvres, entrecoupant par saccades sa respiration sifflante et pénible. Entre temps, des soubresauts convulsifs marquaient l’intention bien nette de s’élancer par les airs… Gassendi observait et notait à mesure.

Au réveil, le pauvre hère félicita celui que désormais il saluait son complice, et l’interpellant avec une volubilité comique : — N’êtes-vous point ravi de l’accueil du bouc Léonard ? Il faut qu’il vous ait de suite reconnu grand clerc, pour vous avoir, dès la première fois, concédé l’insigne honneur de lui baiser le derrière…

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Image par Garik Barseghyan de Pixabay

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