Le Tarot des Imagiers du Moyen âge : une Interprétation kabbalistique par Oswald Wirth.
Les Sephiroth
Selon la kabbale, les nombres, en hébreu Séphiroth (pluriel de Séphirah), révèlent les mystères de la création, en expliquant comment la multiplicité découle de l’unité.
Celle-ci, cause et point de départ de toutes choses, centre principe dont tout émane et qui renferme tout en puissance, en germe ou en semence, a reçu le nom de KETHER, qui signifie Couronne ou Diadème. C’est, comme le Bateleur, la source de toute activité, et spécialement de toute pensée, le Père, le Dieu vivant qui dit : « Eh’yeh, Je suis ! »
La deuxième Séphire est appelé C’HOCMAH, Sagesse, et correspond à la pensée créatrice, émanation immédiate du Père, son « premier né », Fils, Parole, Verbe, Logos ou Suprême Raison, que symbolise aussi la mystérieuse Papesse du Tarot.
La troisième Séphire, BINAH, Intelligence, Compréhension, se rapporte, ainsi que l’Impératrice, à la conception et à la génération des idées, à la Vierge-Mère qui enfante les images originelles de toutes choses.
Ce premier ternaire est d’ordre intellectuel et correspond à la pensée pure ou à l’esprit.
Le ternaire suivant, d’ordre moral, est relatif au sentiment et à l’exercice de la volonté, autrement dit à l’âme.
Quatrième Séphire : C’HESED, Merci, Grâce, Miséricorde, Bénignité, ou GEDULAH, Grandeur, Magnificence. Bonté créatrice appelant les êtres à l’existence. Pouvoir qui donne et qui répand la vie. – L’Empereur.
Cinquième Séphire : GEBURAH, Rigueur, Sévérité, PEC’HAD, Punition, Crainte, ou DIN, Jugement. Volonté qui retient ou gouverne la vie donnée. Devoir, loi morale : Le Pape (5).
Sixième Séphire : TIPHERETH, Beauté. Coeur, sensibilité, affections qui déterminent le vouloir de l’Amoureux.
Le troisième ternaire est d’ordre dynamique ; il se rapporte à l’action réalisatrice et par ce fait au corps.
Septième Sephire : NETSAH, Triomphe, Victoire, Fermeté. Principe coordinateur qui gouverne le monde, dirige le mouvement et préside au progrès : Grand Architecte de l’Univers. – Le Chariot.
Huitième Sephire : HOD, Splendeur, Gloire. L’ordre que la Nature apporte dans son travail : la loi immuable des choses. – La Justice.
Neuvième Sephire : JESOD, Base, Fondement. Le plan divin. Énergies latentes, coordonnées de ce qui doit devenir. Le corps astral. – L’Ermite.
Le triple ternaire des Sephiroth est ramené à l’unité par la dixième Séphire : MALCUT, Royaume, Règne, Royauté, qui synthétise penser, vouloir et agir – esprit, âme et corps, pour réaliser l’être complet en puissance de devenir. Cet être est appelé Homme céleste ou Adam Kadmon. Il ne possède aucune existence matérielle, mais il réunit les principes créateurs divins qui entrent en jeu pour donner naissance à l’homme. Celui-ci ne prends corps sur le plan physique qu’en subissant la différentiation individuelle, dont le tourbillon évolutif est figuré par la Roue de la Fortune.
La dixième Séphire est aussi dite la Reine, la sixième devenant alors le Roi. Quant à l’Adam supérieur, il est le Médiateur par excellence reliant l’Infini au Fini. On le représente touchant par la Couronne l’Inconcevable Absolu (ENSOPH ou Sans Fin), alors que ses pieds effleurent le monde matériel.
Le Tarot des Imagiers du Moyen âge – Les triples ternaires
Les Sephiroth fournissent la clef des trois premiers ternaires du Tarot. Ces neuf arcanes constituent un tout auquel correspond un second ensemble formé par les neuf arcanes suivants.
D’un de ces triples ternaires à l’autre, les nombres sont équivalents en tant que somme théosophique. Les arcanes présentent de même une analogie parfaite de signification. Mais si la première ennéade se rapporte à l’Adam Kadmon, donc à l’Homme idéal, conforme au plan divin selon lequel se construisent les individualités humaines, la seconde fait allusion à l’Adam terrestre, à l’Humanité différenciée, éparpillée dans la multiplicité des individus, mais constituée en être collectif permanent, animateur de nos organismes transitoires, qui sont au tout humanitaire ce que chacune de nos cellules organiques est à l’unité de notre personnalité individuelle.
L’ennéade n’est d’ailleurs qu’un triplement du ternaire.
ESPRIT, ÂME, CORPS, comme l’indique le schéma suivant :
1 ESPRIT de l’Esprit 2 AME de l’Esprit 3 CORPS de l’Esprit
4 ESPRIT de l’Ame 5 AME de l’Ame 6 CORPS de l’Ame
7 ESPRIT du Corps 8 AME du Corps 9 CORPS du Corps
Voici donc comment nous interpréterons parallèlement les arcanes de chacun des triples ternaires :
I. CAUSE SPIRTUELLE GENERATRICE : Esprit de l’Esprit.
0. Le Bateleur, Principe conscient, Moi. Centre immatériel d’où rayonne la pensée. Idée pure, antérieure à toute expression.
I0. La Roue de Fortune. Archée, principe de genèse individuelle, noyau spirituel de l’individualité qui provoque un perpétuel devenir.
II. EMANATION SPIRITUELLE AGISSANTE : Âme de l’Esprit.
2. La Papesse. Verbe ou Parole créatrice. Pensée-acte dont naît l’idée.
I. La Force. Rayonnement expansif de l’individu. Son action propre.
III. PRODUIT SPIRITUEL GENERE : Corps de l’Esprit.
3. L’Impératrice. Concept subjectif. Pensée-chose ou idée non exprimée renfermée dans l’esprit.
12. Le Pendu. Sphère spirituelle de l’individu. Ambiance mentale. Idées objectivées, rêves, conceptions aimantées et vitalisées.
IV. CAUSE GENERATRICE PSYCHIQUE : Esprit de l’Âme.
4. L’Empereur. Principe animateur. Centre qui émet la volonté, éprouve les sentiments et engendre la vie psychique.
13. La Mort. Principe rénovateur de la vie individuelle. Cause des transformations et des échanges qui provoquent le mouvement vital.
V. ACTION PSYCHIQUE : Âme de l’Âme.
5. Le Pape. Vie psychique, acte de sentir et de vouloir.
14. La Tempérance. La vie universelle qui passe d’une individualité aux autres.
VI. RESULTAT PSYCHIQUE : Corps de l’Âme.
6. L’Amoureux. Sentiment. Volonté émise. Atmosphère volitive. Voeu formulé. Désir.
15. Le Diable. Vitalité physique. Fluide vital. Instinct tentateur. Impulsions de l’égoïsme.
VII. CAUSE AGISSANTE : Esprit du Corps.
7. Le Chariot. Principe générateur et directeur du mouvement universel.
6. La Maison de Dieu. Principe de révolte individuelle. Cause matérialisante et corporisante.
VIII. MOUVEMENT, ACTION PHYSIQUE : Âme du Corps.
8. La Justice. Loi organique du fonctionnement général. Acte de création incessante.
17. Les Étoiles. Génération des formes concrètes à travers lesquelles se reflète un idéal de beauté.
IX. RESULTAT PHYSIQUE : Corps du Corps.
9. L’Ermite. Association des forces agissantes. Trame immatérielle de l’organisme. Corps aromal ou astral.
18. La Lune. Création physique. Organisme. Matière. Les sens et leurs illusions.
Le Tarot des Imagiers du Moyen âge – Le ternaire synthétique
L’Adam terrestre, créé à l’image de l’Adam céleste, est destiné à se relever de la chute qui l’a soumis à l’esclavage matériel. Cette rédemption nous apparaît dans le dernier ternaire du Tarot.
19. Le Soleil. Esprit. Rédempteur. Raison divine éclairant la créature pour la régénérer et la diviniser.
20. Le Jugement. Âme. Action rédemptrice. Esprit saint ou souffle divin fécondant les intelligences. Vie éternelle.
21. Le Monde. Corps. Rédemption accomplie. Réintégration dans l’Unité divine. La Matière spiritualisée, glorifiée, divinisée. Règne de Dieu ; Jérusalem céleste Perfection réalisée.
Il convient ici d’englober l’ensemble des sept ternaires en une suprême unité figurée par le Fou, symbole de l’ENSOPH, Sans Fin, Infini, Inconnu des inconnus, Mystère des Mystères. Cette Nuit première, Vide, Néant, Abîme dont tout sort et où tout rentre, semble n’être rien, bien que possédant la seule éternelle et immuable existence. C’est l’Être-non-Être qui confond la raison par son aspect absurde et contradictoire, mais s’impose à elle comme inéluctable et nécessaire. On lui donne pour hiéroglyphe un oeil fermé, un disque noir ou le zéro, 0, de notre numération. Par rapport à notre savoir, nous avons ici l’Unité non différenciée, ce qui est, bien que nous apparaissant comme n’existant pas. L’uniformité absolue n’offre, en effet, aucune prise à nos perceptions qui sont subordonnées à la loi des contrastes. Percevoir est donc synonyme de distinguer. Mais, ce que nous distinguons est infinitésimal auprès de ce qui reste confondu dans l’indiscernable Unité. Toute notre science se perdra toujours comme un atome dans l’immensité de notre ignorance ; aussi le domaine du Fou doit-il envelopper et comme noyer celui de tous les autres arcanes.
Le Tarot des Imagiers du Moyen âge – Les trois septénaires
Sur les sept ternaires, constitués par les premiers arcanes, les trois premiers s’opposent aux trois suivants et le dernier ramène le tout à l’unité. La loi du septénaire nous est ainsi révélée. Elle est en outre mise en lumière par le sceau de Salomon, comme le marque la figure suivante, dans laquelle la somme des nombres opposés est toujours égale 7 (I + 6 = 7, 2 + 5 =7, 3 + 4 =7).
Les deux triangles entrelacés représentent l’union féconde des deux facteurs de toute génération : Mâle et Femelle, Actif et Passif, Feu et Eau, Esprit et Matière, etc. A ce double l facteur, qui engendre et conçoit, se rapportent les six premiers j termes de chacun des septénaires du Tarot, dont le septième terme est synthétique, indiquant le retour à l’unité, en même temps que le résultat généré.
Après tout ce qui a été dit du ternaire, on ne doit pas hésiter dans l’attribution de ces trois septénaires, qui correspondent aux trilogies suivantes :
ESPRIT AME CORPS
Pensée Vie Action
Sujet Verbe Objet
Cause Acte Effet
Le premier septénaire marie les deux premiers ternaires du Tarot, dont la synthèse, représentée par l’arcane 7, figure l’Esprit animique commandant aux organes. Nulle difficulté à ce point de vue, si l’on se reporte aux explications antérieures.
Le deuxième septénaire fait résulter la vie universelle (14) des facteurs suivants :
En actif :
8. Justice. Loi primordiale de toute activité.
9. Ermite. Énergies latentes accumulées en vue du travail constructif des êtres.
10. Roue de Fortune. Principe générateur qui donne son impulsion première à l’existence individuelle.
En passif :
11. Force. Expansion de l’individu.
I2. Pendu. Verbe individuel convertible en vitalité.
I3. Mort. Rénovation incessante des êtres.
Le troisième septénaire nous initie d’une manière analogue aux mystères de la substance éternelle, qui est successivement condensée puis éthérisée.
Principes condensateurs actifs :
15. Diable. Instinct tentateur, source de l’égoïsme restrictif, corporisant.
I6. Maison-Dieu. Chute, révolte, isolement, corporisation.
I7. Étoiles. Production des formes concrètes.
Principes d’éthérisation passivement subis :
18. Lune. Élaboration de la Matière par l’Esprit tombé. Condamnation au travail.
19. Soleil. Mariage de l’Esprit avec la Matière purifiée.
20. Jugement. Spiritualisation finale.
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