La Clavicule de la Science Hermétique

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La Clavicule de la Science Hermétique.

Au Lecteur Bénévole

IL me semble que je vous entends gronder à l’aspect de cette brochure, vous êtes étonné de ce que nous ne sommes pas d’humeur de laisser tarir encore une source, qui a fourni de quoi remplir tant de papier & tant de livres. Vraiment direz-vous, c’est bien du Nord, où il y a longtemps que les sources de l’Hélicon sont prises par les glaces, que nous devions attendre quelque chose de nouveau sur cette matière ? C’est de là sans doute que doit venir à la Déesse des Égyptiens Isis, & à ses anciens Mystères le rétablissement de leur premier lustre & de leur splendeur ancienne. Si vous considérez encore le nom, les amusements, & les occupations de l’auteur, combien ne serez vous pas trompés dans votre attente, & combien ne jugerez vous pas cette entreprise étrange ? Si vous-même êtes équitable, suspendez votre jugement dans une cause de laquelle vous n’êtes pas encore assez instruit. La Schytie a eu autrefois ses Abarides & ses Xamolxides. Si vous prétendez que nous sommes dans l’erreur, parce que nous ne chantons pas la même chanson que la fabuleuse antiquité : lisez tout & vous direz peut-être avec le Poète : Felices errore suo, quos despicit arctos. Car je ne puis me persuader que la corne d’abondance de la Nature soit tellement épuisée qu’elle, que d’autres ont appelé une bonne Mère, nous soit, à nous qui habitons ces climats, une Marâtre, & qu’elle ne voulût pas que nous la reconnaissions pour Mère par aucun mérite, ni bienfait de sa part envers nous. Je me trompe, ou elle nous ouvre aussi son sein ; si vous l’aimez ce sein, blanc comme neige, plein de lait, & respirant une douce chaleur, risquez quelque chose comme font les enfants par des manières simples, flatteuses, & pleines d’affection. J’espère qu’en lisant ce peu de pages vous trouverez des choses dont d’autres n’ont pas parlé ; si elles vous amusent utilement je croirai mes voeux accomplis ; & cela m’excitera à tenter quelque chose de plus important : mais si elles vous déplaisent, pardonnez au zèle que j’ai d’obliger mon prochain.

LA CLAVICULE DE LA SCIENCE HERMETIQUE

ÉCRITE PAR UN HABITANT DU NORD DANS SES HEURES DE LOISIR 1732

A

LA NATURE

VIERGE NON SOUILLÉE ET A

L’ART

QUI LA SUIT COMME SON GUIDE

Je consacre très humblement mes délassements du soir, moi, qui suis un grain de poussière du Paradis, UN HOMME

L’auteur

Le Très Haut pour mettre le comble à la création forma l’homme & le doua de qualités si différentes & si belles qu’il n’a pas hésité à avouer qu’il était fait selon son image. L’Écriture Sainte témoigne & la Religion Chrétienne nous persuade suffisamment de combien de bienfaits Dieu l’a comblé dans la suite, quoiqu’il fut rebelle & son ennemi ; & qu’il n’a pas même épargné son fils unique pour le salut du genre humain. Ces témoignages sont au-dessus de toute exception. Et quoique la foi croit bien des choses que la raison ne comprend pas, elles conviennent cependant l’une & l’autre en ceci, que l’homme est de toutes les créatures la plus noble. Cette vérité est si claire, & a fait tant d’impression sur les anciens, qui n’étaient pas éclairés par la Révélation ; que les Égyptiens très avides des sciences faisaient leur principale étude de l’art de se connaître soi-même.

Les Grecs, qui ont puisé leurs dogmes chez les Égyptiens, ayant rapporté dans leur païs cette même règle qu’ils regardaient comme la base de toute sagesse ont fait mettre sur les portes & les murailles de leur fameux Temple de Delphes, ces paroles

Consule te ipsum, nofce termet

Et ambula ab intra.

Après qu’une longue expérience eut fait apercevoir l’harmonie qu’il y a entre l’homme & l’Univers, on l’a cru l’abrégé du tout, ou plutôt le petit monde. C’est là la clef du sceau de ce grand Hermès duquel l’emblème est une main, qui tient une sphère, ou bien un petit monde avec cette inscription :

Ce qui est en haut est le même que ce qui est en bas.

Je ne m’embarrasse pas des rêveries des Alchimistes, qui font violence à ces paroles pour les faire servir à confirmer leurs chimères. Il suffit que leur grand chef a puisé ceci dans les Mystères les plus cachés de la Nature. D’où vient que le même dît dans Asclepius :

C’est pour cela ô Esculape, que l’homme est un grand Miracle, un animal qu’on doit honorer & adorer.

On pourrait s’aviser quelquefois de vouloir disputer cette prérogative à l’homme, en alléguant le sort misérable des humains, inférieur de beaucoup à celui des autres animaux dans les trois règnes de la Nature, tant par rapport à la manière de vivre & au vêtement, qu’à la force ou vigueur des esprits vitaux, des sens, &c. de sorte que si je tourne les yeux sur moi-même, je n’apprends autre chose si ce n’est a reconnaître mon imperfection extrême, & que je fuis menacé de voir fondre sur ma tête un déluge de maux ; mais je ne prétends pas décider si cette confédération est opposée au but de notre axiome, ou bien si son utilité se manifeste davantage dans la Théologie & dans la Philosophie morale.

Qu’il me soit permis d’aller au-devant de cette question par une autre que voici : Qui vous a enseignez que vous êtes de toutes les créatures la plus misérable ? C’est sans doute votre raison et la force de notre règle. Mais si la force de notre règle vous dévoile votre misère, la conservation de vous-même vous ordonne de chercher des remèdes contre cette même misère ; par conséquent ma règle vous est utile & salutaire. Mais si c’est la raison, dites-moi, dans quelle créature excepté l’homme trouvez vous la raison ? Par conséquent la créature douée de raison est la plus excellente de toutes. La vénérable antiquité ne jugeait pas de l’excellence de l’homme par ses parties corporelles, terrestres & élémentaires, qu’une expérience journalière nous apprend être sujettes à des calamités sans nombre, & que ce qui vient des éléments leur doit être rendu ; mais elle en jugeait par la connexion admirable & le concours des vertus supérieures & inférieures qui se trouvent dans l’homme, comme dans leur centre. Ces grands hommes voyant que les autres animaux n’étaient composés que de deux parties : d’un corps organisé & de l’esprit vital, ont remarqué dans l’homme une troisième chose, qui subsistait après la mort, & qu’ils nommaient tantôt âme, tantôt feu céleste, ou bien génie ou esprit. Privés de la Révélation ils se sont formées différentes idées sur la patrie & l’origine de l’homme, qu’ils ont jugés différer totalement du reste des Créatures, par ses opérations ; parmi lesquelles ils comptaient l’intelligence, la volonté, la saine raison, la sagesse, l’amour pour les vérités mathématiques, qui ne peuvent tromper, & par les autres notions, qui ne se rencontrent pas dans les Brutes. De cette manière ils se sont assurés de l’existence de l’âme ; mais comme ils étaient incertains de son essence, & de ce qu’elle devenait après la ruine du corps, ils ont placé quelques âmes au nombre des Dieux & des Demi-Dieux, surtout celles des Héros & des Sages. Mais nous qui sommes mieux instruits de ces choses par l’auteur même de l’âme, nous connaissons non seulement les raisons que connaissaient les Païens, mais nous y découvrons encore tous les jours par la Foi de nouvelles, & de plus sûres opérations : Foi que l’âme Chrétienne conçoit mais que les Brutes ignorent entièrement.

Si le Créateur ne nous avait pas accordé cette Ame directement & habituellement, l’homme ne serait pas plus propre que les autres animaux à avoir quelques idées de Dieu, ou à recevoir l’Évangile & les vérités de la Religion Chrétienne, quand on les lui prêcherait mille fois. Cela même fait voir qu’il y a dans l’homme quelque chose de caché, qui se réveille comme d’un sommeil par les notions qu’on lui présente. Si cela n’était pas, l’homme serait condamné injustement par le Juge équitable à des peines éternelles pour avoir négligé des vérités qu’il était aussi incapable de connaître que l’est le boeuf, l’herbe ou la pierre. Ce serait de même injustement qu’un Créditeur redemanderait le remboursement d’une somme qu’il n’aurait pas prêtée. Mais si un Débiteur perd ou néglige par la faute la somme qui lui a été confiée, c’est à bon droit qu’il en est puni, à moins que le Créditeur ne lui fasse grâce. C’est à cette Créature seule que le Créateur éternel a confié quelque chose d’éternel.

L’homme diffère donc des autres animaux en ce qu’il est doué d’une âme raisonnable & immortelle ; de sorte qu’il mérite plutôt d’être mis au-dessus d’eux que d’être compté parmi eux. Par là les autres habitants des éléments connaissent, & la sujétion & l’infériorité de l’homme ; & sa domination & son excellence. À quoi je joint la saine raison, entends qu’elle est un faible rayon de l’image divine perdue. Les anciens Philosophes Chaldéens, Egyptiens & Hébreux ont fait tous leurs efforts pour réparer par la connaissance de la très sage nature ce rayon que la chute de nos premiers Pères avaient laissé presque comme éteint. Ils savaient qu’Adam avait été chassé d’Eden, mais ils n’ont trouvés nulle part qu’Éden fut ôté de dessus la terre, bien au contraire ils savaient que l’accès en était gardé très soigneusement, comme d’un Palais dont les portes sont bien fermées, ce qui ne prouve cependant pas que l’édifice n’existe plus ou que les trésors cachés n’y sont plus. Ils se sont donc adressés à leur Isis, la Nature, & la trouvant pourvue de tant de sagesse, de richesses & de générosité, ils en furent tellement étonnés qu’ils ont fait leur unique étude de la connaître. Et comme cette Vierge chaste ne rebute pas aisément ceux qui l’aiment véritablement, pourvu qu’ils la recherchent après en avoir obtenu la permission de son Père, & qu’ils ne soient pas animés d’un faux & fou amour four Aristote & les subtilités logiques & scolastiques, mais se dévouent entièrement à elle ; ils ont su gagner tellement ses bonnes grâces, par des caresses constantes, qu’elle-même leur a enseigné le sentier véritable pour visiter & pénétrer ses secrets les plus cachés, sans exiger d’autre récompense que des louanges pour son grand Auteur, & la prudence & le silence dans ses Amans.

Tous les Livres & les écrits des heureux & trois fois heureux sages & savants anciens font voir jusqu’où ils sont parvenus par cette voie, & les monument Merveilleux, qui nous restent encore, témoignent d’une manière palpable que ni nos richesses, ni nos forces, ni tout notre savoir dans les Mathématiques & l’Architecture, les Mécaniques, la Sculpture, l’Astronomie, la Physique, la Chimie, la Magie, &c. ne sauraient atteindre au point de sublimité ou était parvenue anciennement la science, bien moins lui être comparés. Quiconque en doute ou bien désire d’en savoir davantage peut consulter Hérodote, Platon, Démocrite, Joseph, Pancirolle, Morhoff, Borrichius & nombre d’autres.

Mais afin que ce milieu qu’il y a entre l’homme & la nature qu’ils ont nommée la grande chaîne, & cette Science Divine qu’ils s’étaient acquise par tant de soins & de peines ne se perdit pas avec eux & ne tomba dans l’oubli, ils ont eu grand soin de la transmettre à la postérité, sur des colonnes, sur le marbre, le bois, la pierre & dans des livres en caractères hiéroglyphiques & sacrés, afin que les dignes fils de l’art en fussent seuls instruits & le vulgaire exclu. Mais les sciences ont subi le même sort, que de grands Royaumes, des villes & Nations entières. L’envie de régner a fait naître la discorde & les querelles ; les Philosophes furent alors exilés, les monuments du génie ensevelis sous les ruines de la patrie, & la nature devenue veuve, pour ainsi dire, se renferma dans sa propre vertu. À ceci a succédé l’ignorance, l’oubli, la barbarie, la férocité avec le mépris & la haine pour les arts & les sciences. L’Histoire rapporte que L’Empereur Dioclétien ordonna, sous peine de la vie, de recueillir tous les livres des sages d’Égypte, qui avaient échappés aux injures du temps & de les détruire & brûler, afin que ce peuple extrêmement enclin à se révolter ne puisa pas de nouveau dans ces livres des richesses, dont les prédécesseurs de ce Prince l’avaient si souvent dépouillé.

Mais comme la Sagesse a cela de commun avec la Vérité, qu’elle peut bien être persécutée pour un temps, mais non pas tout à fait opprimée ni détruite, il est resté malgré sa mauvaise fortune, tant de traces de son ancien lustre que lorsque les Arabes sont entrés en Égypte dans les siècles suivants, elle a su s’attacher leurs Rois & leurs Princes. Quelques Grecs & Latins, du moins dans les premiers siècles du Christianisme, lorsque les Mystères de Céres furent apportés d’Égypte, eurent en attendant le bonheur de s’approcher d’elle ; mais ils ont été si peu en nombre, qu’excepté l’un ou l’autre, & cet excellent maître même, les noms des autres sont à peine connus. Les Arabes & les Sarrasins, enrichis de cette science, se sont non seulement rendus maîtres de grands Royaumes, mais sont encore devenus illustres en peu de temps par le grand nombre des Philosophes qu’ils ont eus : c’est de quoi les monuments superbes, qui subsistent encore dans les Royaumes de Grenade & de Murcie ; & ailleurs, où la barbarie des Turcs les a épargnés, font foi. Témoins les auteurs les plus respectables qui le confirment par leurs témoignages.

La Clavicule de la Science Hermétique

Il est déplorable que ce peuple ait été si envieux que de vouloir seul posséder la Sagesse, en sorte qu’un petit nombre d’entre eux, bien loin d’indiquer dans leurs livres le chemin simple de la nature, a supposé, pour en détourner ceux qui la voulaient connaître, des faussetés qui la détruisent plutôt qu’ils ne l’aident & ne la redressent. Et comme ils n’ignoraient pas que la soif insatiable de l’or possède l’homme, ils se font attachés uniquement dans la vue de l’attirer davantage & de le faire sortir, en même temps, du chemin simple de la nature, qui selon moi est le seul véritable, pour le jeter dans une infinité d’autres chemins particuliers, ils se sont, dis-je, attachés uniquement au règne minéral & métallique, soutenant que l’or ne pouvait se faire sans or, tout comme d’une vache provenait une vache, & d’un cheval un cheval, &c. Les fondements de cette règle sont très véritables ; car il n’est pas possible à la nature de produire de l’or sans semence d’or, & il ne sera de même pas possible au plus grand Philosophe de le dissoudre philosophiquement, & de le réduire en semence d’or, sans notre moyen, & sans la balance de la nature. Mais voici l’embarras, c’est de trouver le moyen de nous procurer l’entrée de ce Palais royal & fermé. Les Arabes ont eu grand soin de nous le cacher, en n’en disant rien, & leurs disciples & partisans, les Philosophes de notre siècle, ont fait de même : car quoi qu’ils débitent de coté & d’autre des sentences dorées en disant unanimement, attachez-vous à la Nature, ils l’ont néanmoins tellement déguisée en la masquant & la revêtant d’habillements étrangers, qu’à peine Hermès lui-même pourrait il la reconnaître. Je n’ai pas dessein de rompre une lance avec ces grands hommes, ni de réfuter leurs arguments, ou contraire, je fais beaucoup de cas de leur adresse & de leur précaution à cacher les secrets de la nature. Qu’il me soit cependant permis de dire, cette fois, que tant que vous suivrez les traces marquées dans leurs livres, vous n’atteindrez jamais le but que vous vous êtes proposé. Quiconque ne vous conduit pas directement au domicile de la Nature, ne tient pas le vrai chemin, mais vous en écarte. Je veux cependant vous donner un conseil, pourvu que vous puissiez obtenir de vous, qu’après que vous aurez lu quelques auteurs, dont la sincérité est avérée, vous effaciez sérieusement de votre esprit toute envie de visiter les métaux crus & les minéraux de toute espèce ; & si vous vous appliquez au contraire uniquement aux générations de la Nature, & à en faire l’examen, vous pourrez être bien persuadé que vous êtes entrés dans la voie royale. Voici ce que j’ai trouvé par mes recherches : vous jugerez vous même par l’opinion où je suis sur ce sujet, & que je vais vous communiquer sans détour, si j’ai avancé ou non. Si mon opinion ne vous plaît pas, cherchez-en, je vous prie, une meilleure & m’en faîtes part avec la même franchise. La route que je vous indiquerai ne vous engagera pas du moins à faire de grands frais, ni des travaux inutiles à la manière des Philosophes ; vu qu’outre les dépenses ordinaires, que vous êtes obligé de faire pour votre entretien, il ne vous en coûtera pas plus de deux ou trois écus. Ma matière n’est ni animale, ni végétale, ni minérale, mais elle participe à tous les trois. Elle est universelle & plus fréquente dans le monde que toute autre chose quelconque. Elle doit être nommée par sympathie microcosmique, & elle le mérite. On la trouve toujours & partout, tant au fond des Indes, qu’au milieu de Rome, tant de jour que de nuit, en Eté comme en Hiver. On peut l’avoir avec très peu & beaucoup de danger, & aucun mortel ne peut s’en passer. Elle n’est jamais en repos, mais toujours en action & en mouvement, jamais exposée mais toujours cachée à la vue. La mine où elle se trouve est profonde & couverte d’épaisses ténèbres, car elle est renfermée dans des lieux étroits & les entrailles de la Terre, d’où ma matière est tirée & manifestée subitement par l’Artiste. Son origine est de la Terre & sa vie du Ciel. De là vient qu’elle est animée & non pas morte. Ce Mercure est bien du vulgaire, mais nullement commun. Le commun est un fluide froid, le mien est un fluide chaud. Il faut bien des choses & des travaux pour épurer celui-là, tandis que le mien n’exige qu’un seul travail & qui m’est propre. Le mien ne réside & ne se trouve que dans un seul corps, quoique tout ce qui vit sous le ciel en soit jaloux. Il a la même couleur à la fin, qu’il avait au commencement, quoiqu’il soit infiniment exalté. Il se forme d’une infinité d’autres matières, d’où il indique par l’analyse, étant cru, les affinités qu’il a avec les trois règnes. Quoiqu’il ne me soit pas possible de le composer, je n’en suis point en peine ; car la Nature me le donne préparé & composé autant qu’il doit l’être pour mon dessein. Il est très vil & très abject, mais aussi très précieux & très chéri, même avant la première opération. Son nom est très connu de tout le monde, mais ses vertus sont plus qu’inconnues & qu’inexpérimentées. Il a trompé plusieurs personnes, qui se promettaient de grandes choses de son excellence & de sa céleste origine ; & qui ont fait tous leurs efforts pour le perfectionner, ignorant sa vraie & amicale concoction. D’où il est arrivé que de grands Philosophes l’ont rejeté & condamné, même avec raison, puisqu’il ne peut être dissous, ni mourir, ni être vivifié, ni parfait, qu’en soi-même & par soi-même, d’une seule manière vraiment naturelle, convenable, cachée & philosophique. Tout feu élémentaire, même le moindre, quelque nom qu’on lui donne, le chasse ou le tue, du moins le rend il incapable d’être ressuscité philosophiquement De sorte que la matière est inutile plus qu’on ne saurait croire sans une exacte connaissance du feu, du vase, & de l’athanor.

Les auteurs nous aident moins que rien à découvrir ces choses, car ils en ont si soigneusement effacé les traces, qu’ils font donner à gauche les jeunes gens mêmes qui se doutent de ta vérité. En vantant comme d’autant d’oracles leurs erreurs, leurs minuties & leurs rêveries, ils font perdre à ceux qui les croient, des peines infinies & beaucoup d’argent ; & les font tomber dans des labyrinthes dont ils ne sortent souvent qu’après avoir dissipé tous leurs biens. Faut-il s’étonner alors si cette noble science, & ces recherches de la plus parfaite préparation qui soit dans la Nature, sont aujourd’hui tant haïes & trouvent un fi grand nombre d’ennemis ? Je doute fort que la nécessité que les Philosophes prétextent à cacher ces choses puisse justifier leur conduite, puisqu’il semble qu’il vaut mieux se taire que de tromper. Pour moi je soutiens que la nature est le seul guide & la seule maîtresse dans cet oeuvre ; car se souvenant de son auteur, elle ne saurait se tromper elle-même, ni les autres.

La matière m’étant ainsi connue il me faut encore considérer & rechercher comment elle doit être corrigée & épurée. Ceci ne se fait par aucun feu élémentaire ni artificiel, dans aucun vase ni fourneau, mais par son propre feu que le Créateur a donné dès le commencement, immédiatement à la Nature & que nous héritons. Le laboureur la connaît malgré la grossièreté de son génie, & l’alchimiste le plus expert l’ignore entièrement. Nous sentons à tout moment sa vertu, mais nous ignorons le lieu de sa demeure après qu’il s’est retiré. Il est invisible mais non pas insensible, doux, vaporeux, continu, égal, & repose à l’entour de la matière nue. Par cela même il est entretenu, nourri & se dissout, il meurt, se corrompt, germe, verdit, fleurit, & est vivifié, corrigé, parfait, augmenté & se multiplie. Sa recherche est bien plus difficile que celle de la matière même, puisqu’on ne peut jamais le trouver dans les livres. C’est pourquoi la connaissance de ce feu doit être préférée de beaucoup à celle de la matière ; car la connaissance de la matière seule contribue peu à celle du feu, au lieu que celui-ci étant une fois connu, la connaissance de l’autre peut à peine rester cachée.

Le vase aussi est ni artificiel ni fait de main, mais naturel & homogène, oblong avec un col, fermé & ouvert, selon que l’exige la nécessité, opaque & obscur. Dans celui-ci, qui est seul & unique sur la terre, la matière commence, est cuite & perfectionnée. On peut l’avoir partout & à tout moment, & il ne coûte pas tant que le feu dont la matière coûte beaucoup à bien des gens. Il se ferme lui-même hermétiquement & s’ouvre. II ne reçoit pas plus qu’il ne convient & refuse le superflu ; de sorte qu’on n’a que faire de s’embarrasser de la proportion ni de la quantité ; la Nature n’ignorant pas de combien elle a besoin pourvu qu’on lui fournisse les secours nécessaires. Je n’ai non plus qu’un seul fourneau, qui est bien de terre mais naturel, & à la construction duquel l’art n’a point de part. II est pourvu de deux soupiraux, les côtés en sont opaques, cependant il est si mobile que je puis aisément le transporter d’un lieu en un autre, & même l’emporter avec moi dans de longs voyages, sans aucun embarras ni crainte d’être trahi Ce qu’il y a d’étonnant c’est que mon athanor contient, au dedans de soi, le feu le plus fort de la nature, ou comme d’autres s’expriment le quatrième degré du feu, & que c’est par sa vertu qu’il subsiste ; il se rompt néanmoins & est détruit par le moindre feu élémentaire ou d’une Lampe. Vous pouvez vous convaincre par là combien il diffère d’un vase artificiel.

Ce qui rend cet oeuvre difficile, c’est :

1. La connaissance & le soin des heures de l’accouchement, car cet oeuvre ressemble fort à la génération de l’homme en ce qu’il a ses heures de conception & d’accouchement.

2. Le gouvernement du feu, en quoi ceux qui n’emploient pas les précautions requises pèchent souvent & ruinent par là tout l’édifice ; écueil qu’on peut aisément éviter lorsqu’on est attentif & circonspect.

3. Le secret de l’art que j’ai appris promptement en remontant à sa première source. Le reste est facile & nullement désagréable, excepté l’odeur puante qui frappe au commencement. Les couleurs sont trois en nombres le noir, le blanc qui égale la neige, & la troisième qui ressemble au rubis, quoique le mélange de ces trois en produise encore d’autres. Je laisse à chacun à examiner, par ce qui vient d’être dit, si cet excellent oeuvre est si pénible & si difficile qu’il doit être entièrement méprisé & rejeté, ou bien traité de folie comme la chimère d’un cerveau troublé. Je crois plutôt qu’il est si aisé & si facile qu’il peut se faire aussi bien par un de mes paysans tout à fait ignorant dans la chimie (pourvu que je lui ai dit auparavant quelque mot à l’oreille) que par le plus excellent Philosophe. Mais voici la première & véritable cause pourquoi la Nature a caché ce Palais ouvert & royal à tant de Philosophes, même à ceux d’un esprit très subtil ; c’est que s’écartant, dès leur jeunesse, du chemin simple de la Nature par des conclusions de Logique & de Métaphysique, & que trompés par les illusions des meilleurs livres mêmes, ils s’imaginent & jurent que cet art est plus profond & plus difficile qu’aucune Métaphysique quelconque ; quoique la Nature ingénue marche dans celle-ci comme dans toutes ses autres opérations, d’un pas droit & très simple. Nous n’avons qu’une unique matière, qu’une simple coction. La matière, le vase, le fourneau & le feu ne sont qu’une seule & même chose. Qu’est-il besoin de chercher dans des pays éloignés, ce que nous avons suffisamment chez nous ? Mais la Nature abjecte & méprisée n’est pas un objet propre à s’attirer l’attention & l’estime de ces grands Philosophes. Et quand même ils la connaîtraient, elle ne paraîtrait pas digne à des gens d’un tel mérite d’en faire leur occupation & leur étude ; gens qui méprisent la connaissance d’eux-mêmes, & qui par le faste & l’avarice s’élèvent jusqu’aux étoiles & aux planètes, & se les associent comme de dignes amis qui se tournent d’abord vers leur chef le soleil, & après lui avoir offert la lune en mariage ils demandent pour récompense un libre accès aux trésors immenses de l’Époux.

Mais en vain attend-on lignée des morts. Les superbes idoles du vulgaire ne jouissent d’aucun privilège par-dessus les autres, dans notre oeuvre. Ils ont besoin de notre eau dès qu’ils sèmeront, & raviront par leur fruit ceux qui travaillent sur le soleil. Ce n’est pourtant pas là la fin principale d’un vrai Philosophe. Il regarde la race de ce Prince des Planètes comme un amusement, & comme les premiers rudiments de ses connaissances. Qu’importe à celui, qui peut se faire & s’acquérir à son gré des richesses, qui surpassent celles des deux Indes, d’avoir un grand amas d’or & d’argent ? La possession de ces biens cause journellement à ceux qui les possèdent des soins & des inquiétudes, & les exposent à divers dangers. Il faut enfin les abandonner, & à peine apportent-ils d’autre avantage à leurs possesseurs que celui qui leur est commun avec la plupart des mortels ; je veux dire d’assouvir la faim & déteindre la soif. Enfin la pâle mort frappe aussi bien à la porte d’un Palais qu’à celle d’une Cabane. Mais à celui à qui la porte de la Nature est ouverte, il ne lui manque autre chose que d’en connaître le tout-puissant Auteur. C’est à acquérir cette connaissance, que se dévoue de toutes ses forces celui qui voit devant ses yeux que tout tend à sa gloire, & il n’est pas surprenant que méprisant & abandonnant toutes les choses de la terre, il se livre uniquement à l’amour et au désir qui l’entraîne vers l’Auteur & le Maître de l’Univers. Celui qui a pris du goût pour l’éternité souhaite avec ardeur de quitter cette vie pour en être mis en possession, & celui qui a vécu dans l’exil & comme étranger dans des pays éloignés, quoique libre & en sûreté, n’hésite pas à retourner dans sa patrie. Ceci fournit une réponse à ceux qui demandent pourquoi on voit si rarement que les Philosophes à qui tout réussit ordinairement, & qui ont des connaissances si exactes de la Médecine ne vivent pas plus longtemps que le reste des hommes, c’est qu’il ne leur reste rien de mortel à désirer. Le Très haut a mis deux termes à nos jours ; l’un accidentel & l’autre naturel. Aucun mortel ni même le Philosophe ne saurait passer celui-ci. Pour l’autre à ce que nous apprend la science des mages, peut être prolongé, par la volonté divine & l’éloignement des obstacles. Nos premiers Pères & ceux qui ont vécu avant le déluge en fournissent des exemples, de même que plusieurs Philosophes. Le premier de ces deux termes est ordinaire & commun à tous les mortels de notre siècle ; c’est ce qui paraîtra plus clairement par l’exemple d’une lampe ou d’une chandelle allumée ; qui brûle autant que la mèche dure, c’est-à-dire jusqu’au second terme, à moins qu’elle ne soit éteinte par quelque cause accidentelle, qui fait le premier terme. La chandelle ou la lampe de notre vie brûlerait aussi jusqu’à ce que sa matière ou son huile vitale fut consumée, si elle n’était éteinte par l’âge, ou par quelque accident violent, par une complexion faible ou par l’intempérance, la débauche & la mollesse, d’où proviennent nombre de maladies, ou par quelque autre cause accidentelle. La science des sages peut beaucoup contre ce terme, à moins, qu’ayant de meilleures choses devant les yeux, ils n’obtiennent du Créateur, par leurs prières, de déloger bientôt pour être avec lui.

Mais pour revenir à notre sujet, on trouve beaucoup de choses dans les livres touchant les trois oeuvres distincts ; c’est-à-dire l’animal, le végétal, & le minéral : le grand & le petit oeuvre : l’oeuvre de Saturne : le chemin humide & sec. Je n’ai pas dessein de diminuer l’autorité d’aussi excellents personnages ni de lui résister, & combattre tant d’oracles. Je doute cependant beaucoup si par tous ces noms, ils n’ont pas voulu désigner une même chose ; & si ce ne sont pas des différents degrés dans l’opération ; si tous par tant de noms ne visaient pas au même but. Je n’ai pas de peine à croire que plusieurs d’entre eux, après avoir obtenu le véritable Mercure, n’aient cherché diverses voies pour abréger, puisque la patience des modernes ne s’étend guère jusqu’à porter cet excellent mais long oeuvre à ce dernier degré de perfection, qui est permis à l’art & à la nature. Cependant, je n’ai jamais pu me persuader qu’aucun des Philosophes ait pu pousser son oeuvre à une fin désirée par quelque autre Mercure que par la matière, de laquelle j’ai parlé ci-dessus, & par ma méthode, dans laquelle seule la, Nature a caché les clefs de son trésor ; & dans laquelle enfin il n’y a rien de superflu, mais où le tout se transforme par une coction assidue en un glorieux Élixir.

C’est là le chemin humide & sec, c’est là, l’oeuvre animal, végétale & minéral en même temps. Car l’expérience journalière nous apprend que la Nature peut, selon son bon plaisir, & la disposition de la matière, produire aussi bien un animal qu’une plante, un minéral & un métal. Les régimes & les couleurs nous mettent devant les yeux, dans le cours de l’oeuvre même, les vraies semences de toutes les planètes. De ce grand oeuvre proviennent, comme les ruisseaux d’une source, plusieurs choses particulières que je ne raconte pas, quoiqu’elles soient très courtes, parce quelles sont fort éloignées de la perfection de cette universelle, & qu’elles sont d’ailleurs très difficiles, incertaines & vaines s’il s’y glisse la moindre erreur. Le chemin du Verseau des sages m’est peut-être aussi connu ; mais je n’ai jamais entrepris d’y travailler, à cause que l’ouvrage est infini & très désagréable, & qu’il demande la manoeuvre exacte d’un homme accoutumé à souffler du charbon. Lorsque dans mon oeuvre j’ai une fois confié mon bouillon, bien renfermé, à son feu & à son four, je n’ai plus besoin d’autre maître ni d’autre guide que la Nature même. Celle-ci n’est jamais oisive, elle travaille toujours & tend de degré en degré à une nouvelle résurrection, & à la plus haute perfection. Quand même l’artiste se tromperait quelquefois elle redresse aussitôt son erreur. Une seule chose à regretter c’est qu’elle exige tant de temps, car à peine saurait-elle, dans l’espace de deux ans, être conduite à une rotation utile & fructueuse. Elle requiert encore un artiste attentif & libre de tous autres soins, de peur que par sa négligence ou l’empêchement d’autres affaires, le fruit de plusieurs mois de travail ne soit perdu dans un moment. Mes distractions, causées par des affaires publiques, ont été cause, par exemple, qu’à trois différentes reprises j’ai recommencé sans succès cet oeuvre & que je n’ai pu achever ce que j’ai vu chez mon maître, ce que j’y ai ouï & manié de mes mains. Si vous avez plus de patience, détention & de loisir, soyez content & d’une humeur gaie, priez sans relâche jusqu’à la fin, & vous pourrez être sur d’avoir trouvé sur la terre le souverain bien après Dieu. C’est là ce qui restaure la santé, fortifie la jeunesse, augmente les biens &c., & conserve jusqu’au dernier soupir la tranquillité désirable de l’esprit.

C’est la Toison d’or des Grecs, la Lumière & la Justice des Hébreux, l’étoile resplendissante des Mages, qui les a conduits dans la recherche de la connaissance du Seigneur de la Nature & du Verbe incréé.

Je finis en vous recommandant qu’avant toutes choses vous ayez soin de vous concilier la grâce de l’Auteur de la Nature, & de ne pas vous approcher de ces mystères contre sa volonté, parce qu’il les ôte & les donne à qui il veut : avec lui nous pouvons tout, & sans lui nous ne pouvons rien. Priez-le de tout votre coeur qu’il vous fasse connaître comment les cieux & leurs armées racontent sa gloire.

À lui soit honneur & gloire à jamais !

Cabale de la Table de Pythagore

ou I

Le Chaos ou la Matière, le nombre I r. & le cercle O par lequel l’Ame

I I

du Monde O ou le Soleil par R la Lune sa Matrice B fait

I I I

L’Esprit, l’âme & le corps

Ces trois principes de la Nature étant encore intellectuels donnent après y avoir ajouté le premier nombre, un composé parfait des quatre Éléments.

I I I I

P O N M

C’est à dire +

ou bien notre Terre.

De là ce nombre divin imperscrutable Ternaire magique, après avoir vaincu le deux par le secours du quatre, s’avance avec gloire vers le premier, d’où il devient parfait

De là cet ineffable

י

יה

יהו

יהוה

Le Tétragramme des Grecs & le Schemhammephorasch des Hébreux. Dont chaque ligne exprime le nom du Seigneur, & comme il est composé de voyelles pures, & qu’aucun mot au monde ne peut être prononcé sans voyelle, de même aucune chose dans le monde ne peut exister ni subsister sans Dieu ; d’où vient ce mot des Égyptiens : Jupiter remplit tout. Le Même Pythagore a voulu signifier la même chose par sa table divine Qu’il avait apportée d’Égypte ou de la Palestine.

I

I I

I I I

I I I I

Ces unités ensemble donnent le nombre X. parfait, qui disséqué anatomiquement par le milieu, la corne gauche étant érigée perpendiculairement, donne la lettre L, mais les deux cornes ensembles la lettre V, & en entier la lettre X, d’où vient LVX, qui fait un seul mot par lequel il a plu à Dieu de laisser quelque idée de lui à l’homme.

Corollaires

Le Géomètre apprenne de là, la quadrature du Cercle, & le mouvement perpétuel, savoir par la circulation des quatre éléments. L’Arithméticien la production du nombre sensible par des choses purement intellectuelles. Le Grammairien l’origine des Lettres.

Fin

Plus sur le sujet :

La Clavicule de la Science Hermétique.

Image by Peter Lomas from Pixabay

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