Les Saturnales par Spartakus FreeMann.
Atellanes dit : « Les sept jours des Saturnales, longtemps attendus, arrivent enfin ».
En cette Ă©poque de solstice dâhiver (qui tombe le 25 dĂ©cembre selon le calendrier julien), les Romains de lâantiquitĂ© avaient lâhabitude de cĂ©lĂ©brer le dieu Saturne dans le cadre des « Saturnalia » (Saturnales) qui se dĂ©roulaient alors pendant 7 jours Ă partir du 17 dĂ©cembre (le 16e jour avant les calendes de janvier).
Les Saturnales sont suivies immédiatement par les Opalia (dédiées à Ops) et précédées par les festivals de Telus (Terre MÚre) et de Consus.
Saturne
Saturne, Cronos (Kronos) chez les Grecs, est le fils du Ciel et de la Terre, Uranus et GaĂŻa. ThĂ©ogonie dâHĂ©siode (138-f) : « Kronos Ă©tait un fils dâOuranos et de GaĂŻa qui sâempara de la domination du monde avec les autres Titans en « mutilant et dĂ©trĂŽnant son pĂšre ». De son mariage avec sa sĆur RhĂ©a (Ops) naquirent PosĂ©idon et Zeus lâOlympien. ». Il deviendra le roi des dieux aprĂšs avoir castrĂ© son pĂšre. Avec Saturne, le pĂšre du Temps, commence la temporalitĂ© et donc lâordre cosmique et lâhistoire. EffrayĂ© Ă lâidĂ©e de devoir laisser son trĂŽne, nous savons tous comment il prit lâhabitude dâavaler ses enfants, jusquâau jour oĂč Ops, son Ă©pouse, par un subterfuge, rĂ©ussit Ă sauver Jupiter qui, Ă son tour, fit vomir ses frĂšres et sĆurs Ă Saturne. Ce mythe nous dĂ©montre comment le temps crĂ©e, dĂ©truit et recrĂ©e sans cesse toutes choses. La dĂ©faite de Saturne nous montre Ă©galement que dans le cours du Temps, le vieux doit sâeffacer devant le jeune, mĂȘme sâil rĂ©siste Ă le faire.
AprĂšs avoir dĂ» laisser sa royautĂ© Ă Jupiter, Saturne prit un nouveau rĂŽle au sein des dieux, celui du Vieil Homme Sage ; il voyagea vers lâItalie oĂč il sera accueilli par Janus qui en fera un roi. Saturne enseigna comment cultiver les arbres fruitiers, fertiliser les champs, utiliser le miel, en bref toutes les choses relatives aux fruits de la terre.
Lâorigine du nom de Saturne est Ă©galement liĂ©e cette fonction. La racine se retrouve dans notre mot provençal « Satre » (ou Sartre) qui signifie « coupeur, tailleur », câest donc un coupeur mais aussi un assembleur des « coupes » (latin satrum « dĂ©frichement »). Le mot latin sator signifie « planteur, semeur ». Saturne est ainsi devenu le dieu des semailles chez les Romains. « Son nom contient la racine « semer », et si le semeur est sator, les semailles sont « satus » » (Varron, De lingua latina).
Lorsque Saturne disparut, Janus institua les Saturnales en signe de gratitude pour ses bienfaits
Les Saturnales
« Memmius, qui ressuscita la comĂ©die atellane, longtemps perdue aprĂšs Novius et Pomponius, dit aussi : « Nos ancĂȘtres instituĂšrent fort bien une foule de choses : ce quâils ont fait de mieux, câest de fixer durant les plus grands froids les sept jours des Saturnales » » (Macrobe, Saturnalia, I, 10).
Durant ces Saturnales, qui Ă©taient des jours saints et fĂ©riĂ©s, des rites religieux Ă©taient pratiquĂ©s, et des sacrifices lui Ă©taient rendus selon les antiques rituels grecs. AprĂšs ceux-ci, un banquet public â instituĂ© par Livy en 217 avant notre Ăšre â Ă©tait organisĂ© en lâhonneur du dieu. Les Saturnales Ă©taient fĂȘtĂ©es avec les Opalia, dĂ©diĂ©es Ă la dĂ©esse Ops, parĂšdre de Saturne :
« La dĂ©esse Ops Ă©tait regardĂ©e comme lâĂ©pouse de Saturne : lâon cĂ©lĂšbre ensemble, dans ce mois-ci, les Saturnales et les Opalies, parce que Saturne et son Ă©pouse Ă©taient considĂ©rĂ©s comme ceux qui les premiers avaient su obtenir les grains de la terre et les fruits des arbres. Câest pourquoi, aprĂšs quâils ont recueilli tous les divers produits des champs, les hommes cĂ©lĂšbrent le culte de ces divinitĂ©s comme Ă©tant les auteurs des premiĂšres amĂ©liorations de la vie, et qui suivant certains tĂ©moignages, ne sont autres que le Ciel et la Terre. Saturne ainsi appelĂ© de satus (gĂ©nĂ©ration), dont le ciel est le principe ; et Ops, de la terre, par lâassistance (ope) de laquelle sâobtiennent les aliments de la vie humaine ; ou bien du mot opus (travail), par le moyen duquel naissent les fruits des arbres et les grains de la terre » (Macrobe, Saturnalia, I, 10).
« Saturnalia, jour consacrĂ© Ă Saturne, comme Opalia, fĂȘte qui doit son nom Ă Ops, et qui vient trois jours aprĂšs les Saturnales » (Varron, De la langue latine).
Ops, « visage, ouverture, germination », rĂ©gnait dans la Rome archaĂŻque et Ă©tait associĂ©e Ă Saturne. Ops (la Terre) Ă©tait lâĂ©pouse de Saturne et Picos leur fils, le roi du Latium, Ă©tait aussi le dieu de lâagriculture.
Les Saturnales Ă©taient les fĂȘtes les plus populaires de lâannĂ©e. Temps de festivitĂ©s, de cĂ©lĂ©brations, de visites aux amis et Ă la famille, prĂ©sentation de cadeaux, particuliĂšrement de petites bougies blanches (les cerei), et de poupĂ©es dâargile ou de pĂąte, les « sigillaria » (saturnalia et sigillaricia). Les sigillaria sont une des formes du sacrifice simulĂ© que lâon offrait aux dieux, afin dâadoucir leur colĂšre et dâobtenir leur bienveillance.
Martial a Ă©crit « Xelia » et « Apophoreta » en lâhonneur des Saturnales qui furent publiĂ©es en dĂ©cembre et qui Ă©taient destinĂ©es Ă accompagner les cadeaux Ă©changĂ©s en cette occasion.
Durant les Saturnales, les interdictions Ă©taient levĂ©es et lâordre social se voyait renversĂ© : on pouvait jouer en public, les esclaves pouvaient jouer aux dĂ©s et pouvaient ne pas travailler. Ils Ă©taient traitĂ©s en Ă©gaux et pouvaient porter les vĂȘtements de leurs maĂźtres. Lucien dans ses Saturnales, fait dire Ă Saturne : « Ma puissance se borne Ă sept jours : ce temps Ă©coulĂ©, je redeviens simple particulier, comme qui dirait un homme du peuple. Mais, durant cette semaine, il ne mâest permis de mâoccuper dâaucune affaire soit publique, soit privĂ©e. Boire, mâenivrer, crier, plaisanter, jouer aux dĂ©s, choisir les rois du festin, rĂ©galer les esclaves, chanter nu, applaudir en chancelant, ĂȘtre parfois jetĂ© dans lâeau froide la tĂȘte la premiĂšre, avoir la figure barbouillĂ©e de suie, voilĂ ce quâil mâest permis de faire. Mais les grands biens, la richesse, lâor, câest Jupiter qui les donne Ă qui il lui plaĂźt ».
Macrobe nous dĂ©crit cette inversion de lâordre social : « Le chef du service des esclaves, chargĂ© de brĂ»ler lâencens aux PĂ©nates, de dresser les mets sur la table et de diriger les actes du service domestique, vient avertir le maĂźtre que ses serviteurs ont terminĂ© le repas dâusage en cette solennitĂ© annuelle. Car en cette fĂȘte (les Saturnales) on fait lâhonneur aux esclaves, dans les maisons religieuses, de les servir les premiers, et Ă des tables disposĂ©es comme pour les maĂźtres » (Saturnalia, I, 24).
Durant la pĂ©riode de cette fĂȘte, on ne portait pas la toge, mais la « synthesis », des vĂȘtements colorĂ©s et informels, et tous portaient le « pileus libertatis », le chapeau des affranchis (bonnet phrygien).
« Nous voici en dĂ©cembre, oĂč plus que jamais Rome sue Ă se divertir ; le plaisir sans frein est de droit public ; tout retentit des vastes apprĂȘts de la fĂȘte, comme si rien ne distinguait les Saturnales des jours de travail. La diffĂ©rence a si bien disparu que, ce me semble, on nâa pas eu tort de dire : « Autrefois dĂ©cembre durait un mois, Ă prĂ©sent câest toute lâannĂ©e. » Si je tâavais ici, je causerais volontiers avec toi sur ce quâĂ ton sens on doit faire : faut-il ne rien changer Ă nos habitudes de chaque jour ou, pour ne pas paraĂźtre faire opposition Ă lâusage gĂ©nĂ©ral, faut-il Ă©gayer un peu nos soupers, et dĂ©pouiller la toge ? Car, ce qui nâavait lieu jadis quâau temps de troubles et de calamitĂ© publique, maintenant pour le plaisir, pour des jours de fĂȘte, le costume romain est mis bas. Si je te connais bien, tu ferais le rĂŽle dâarbitre et ne nous voudrais ni tout Ă fait pareils Ă cette foule en bonnet phrygien, ni de tous points dissemblables ; Ă moins peut-ĂȘtre quâen ces jours plus que jamais il ne faille commander Ă son Ăąme de sâabstenir seule du plaisir alors que tout un peuple sây vautre. Elle obtient la plus sĂ»re preuve de sa fermetĂ©, lorsquâelle ne se porte ni dâelle-mĂȘme ni par entraĂźnement vers les sĂ©ductions attirantes de la voluptĂ©. Sâil y a bien plus de force morale, au milieu dâun peuple ivre et vomissant, Ă garder sa faim et sa soif, il y a plus de mesure Ă ne se point isoler ni singulariser, sans toutefois se mĂȘler Ă la foule, et Ă faire les mĂȘmes choses, non de la mĂȘme maniĂšre. On peut en effet cĂ©lĂ©brer un jour de fĂȘte sans orgie » (SĂ©nĂšque, ĂpĂźtres, 18).
Un lit (lectisternium) Ă©tait disposĂ© devant les portes du temple de Saturne et les cordes qui enserraient la statue du dieu Ă©taient relĂąchĂ©es. « On sait en effet que pendant tout le reste de lâannĂ©e il est liĂ© de bandelettes, dont on ne le libĂšre quâĂ cette occasion : autant dire quâil nâexiste vraiment quâĂ cette pĂ©riode de lâannĂ©e. Le reste du temps, câest un deus otiosus, un dieu du sommeil, en rĂ©serve » (Jean Haudry, La religion cosmique des Indo-EuropĂ©ens, ArchĂ© Milano, 1987).
Au cours du banquet des libertas decembris, au sein de chaque grande familia (le chef de maison, sa famille et ses esclaves), un esclave Ă©tait Ă©lu « Saturnalicius princeps » (MaĂźtre des Saturnales), maĂźtre des cĂ©rĂ©monies, Seigneur du dĂ©sordre. Il avait le pouvoir de donner des ordres mĂȘme Ă ses maĂźtres et on en retrouve la trace dans le rituel de la galette des Rois, dans la « FĂȘte des Fous » du Moyen-Ăąge et dans nos « rois et reines » de nos Carnavals actuels. Pendant ces fĂȘtes, qui symbolisaient aussi un Ăąge dâor oĂč lâesclavage nâexistait pas, la sociĂ©tĂ© romaine vivait ainsi une vĂ©ritable rĂ©volution : lâordre social Ă©tait symboliquement inversĂ©, les esclaves se comportaient en maĂźtres et ceux-ci en esclaves affranchis. Tous devaient obĂ©ir Ă ces obligations comme nous le rappelle Lucien de Samosate : « « Dis-leur aussi, ajouta-t-il, que sâils ne les observent pas, ce ne sera pas pour rien que je porte une faux tranchante ; il serait plaisant quâaprĂšs avoir chĂątrĂ© mon pĂšre Uranus, je nâen fisse pas autant aux riches qui enfreindraient nos lois, les envoyant eunuques, quĂȘter pour la mĂšre des dieux avec accompagnement de flĂ»tes et de tambours ». Telles ont Ă©tĂ© les menaces de Saturne ; ainsi, vous ferez bien de ne pas violer ses lois » (Les Saturnales).
Les Saturnales furent ensuite confondues avec les Brumalia, cĂ©rĂ©monies dĂ©diĂ©es Ă Dionysos et fĂȘtĂ©es le 25 dĂ©cembre du calendrier julien (et donc le 17 dĂ©cembre de notre calendrier grĂ©gorien).
« Tu me fais, lâami, une foule de questions quand nous devrions boire. Tu mâas fait perdre un temps considĂ©rable de mon jour de fĂȘte, avec tous ces riens philosophiques. Laisse-moi tout cela de cĂŽtĂ© ; mettons-nous Ă table, menons grand bruit, jouissons de la libertĂ© ; puis, jouons aux noix Ă la vieille mode, Ă©tablissons des rois et leur obĂ©issons : de la sorte, nous justifierons le proverbe : « Les vieillards redeviennent enfants » ». (Saturne dans les Saturnales de Lucien).
Plus sur le sujet :
Les Saturnales, Spartakus FreeMann, décembre 2008 e.v.
Image : Thomas Couture [Public domain], via Wikimedia Commons