L’Archidoxe Magique : De l’Alliage des Métaux par Paracelse.
Nul ne peut nier que les alliages de métaux n’opèrent des choses admirables dans les sphères supernaturelles : ce qui peut être démontré par de nombreuses preuves, comme il sera dit plus clairement par la suite. Fais une composition des sept métaux en série convenable et en temps propice, fonds-les en une seule masse, et tu auras ainsi un tel métal que tu y retrouveras les qualités des sept métaux unies intimement. Toutes ces qualités, c’est dans cet unique métal appelé par nous Electrum [1] que tu les verras. Non seulement il possède en lui les forces naturelles des sept métaux, mais en outre, il reçoit d’autres forces supernaturelles. En effet, les métaux purs et simples n’ont pas en eux plus de vertus que celles à eux attribuées par Dieu et par la Nature, lesquelles à la vérité existent toutes en tant que naturelles. Ainsi l’on sait que l’or, le plus noble, le plus admirable, le plus excellent des métaux, guérit la lèpre avec tous ses symptômes ; le cuivre et le mercure raffermissent toutes plaies et blessures extérieures. De même tous ces métaux ont des forces particulières dont nous ne parlerons pas ici ; mais nous apportons des preuves des vertus des métaux.
Et pourtant cette indissoluble et inaltérée Essence métallique n’a aucune force ou utilité en médecine, sinon mauvaise. Il est tout à fait nécessaire que, pour montrer leur force médicale, ils perdent d’abord leur état métallique et soient eux-mêmes changés en une autre apparence, dans leur état naturel, leur constitution mystérieuse, huiles, baumes, quintessences, teintures, chaux et autres semblables, et qu’ils soient enfin administrés au patient. En dehors de celle préparation, leurs qualités naturelles ne sont d’aucun secours pour des opérations supernaturelles, contrairement à notre Electrum, composé et assemblé d’après le cours du ciel, comme nous le divulguerons par la suite, dans la pratique.
C’est pourquoi nous ne donnons pas à tort de grandes louanges à notre Electrum. Sa vertu est grande et très grande.
Il est de toute nécessité, je pense, de décrire les forces et facultés de notre Electrum ; ayant omis le traité sur les métaux, nous nous proposons de ne commenter que cela seulement. Ils ne peuvent le moins du monde être mis en comparaison avec l’Electrum, ce qui éclate plus clairement que la lumière du plein midi. Si l’on fabrique avec cet Electrum une coupe ou un plat, personne ne pourra boire de poison ou ingérer des choses nuisibles par intoxication ou incantation, en suivant les prescriptions voulues.
Notre Electrum, en effet, possède une sympathie extraordinaire pour l’homme ; les sept Planètes et les Astres supérieurs y coopèrent de telle sorte que, par une entente ou consentement singulier, quand l’un transpire, l’autre est souillé, à peine touché par l’homme ou pris à la main. C’est pour cela que les anciens attribuaient beaucoup de qualités à notre Electrum ; ils en firent quantité de vases à manger et à boire ; certains ont été, en notre siècle, dégagés et extraits du sein de la terre, où on les avait cachés. Avec ce même les fouilles Electrum, on a fabriqué autrefois certains ornements et clinodes tels qu’anneaux, bracelets, médailles, sceaux, images, figures, cloches, miroirs, monnaies, etc. ; d’aucuns ont été plaqués d’or et d’argent afin de ne pas trahir le secret. Mais cette coutume a complètement disparu de nos jours ; la chose même est tombée en désuétude et oubli.
Afin de ne pas laisser aujourd’hui plus longtemps dans l’ombre de mystère de la nature et les puissantes grandeurs de Dieu, mais pour les faire connaître du public et les mettre en pleine lumière, je n’ai pu empêcher ma science vulgarisatrice de décrire et de publier ces choses que les ténèbres des Sophistes avaient si longtemps déjà tenues dans le secret et dans l’obscurité. Il ne semble pas opportun de révéler ici l’universalité des forces et des vertus de notre Electrum : car si je le faisais, le sophiste calomnierait notre travail, l’ignorant l’attaquerait, le faible d’esprit le raillerait, le perfide et l’impie en abuseraient. Vis-à-vis de tous ceux-là, le silence est la plus sûre défense.
Cependant, il m’est impossible de ne pas montrer quelques forces et vertus admirables de notre Electrum. Nos yeux les ont vu se produire et nous pouvons précisément les mettre en lumière et en rendre témoignage sur l’heure, au nom de la vérité. Des anneaux de cette matière passés au doigt empêchent celui qui les porte – nous l’avons vu – de souffrir de convulsions spasmodiques, des atteintes de la paralysie ni d’aucune douleur, non plus que des attaques d’Apoplexie et des crises d’Epilepsie. Si l’on passe un anneau de cette matière à l’annulaire d’un épileptique, même au milieu de la crise la plus violente, il sera calmé sur-le-champ et sera en état de se relever. Nous avons vu et découvert que, si quelque maladie secrète est sur le point de saisir quiconque porte cet anneau à l’annulaire, l’anneau transpirera, en raison même de sa grande sympathie, se tachera et se déformera : nous l’avons très clairement démontré dans le Livre des Sympathies.
Il faut également savoir que notre Electrum écarte les mauvais esprits ; il tient encloses la faculté des opérations célestes et l’influence des sept planètes. C’est pourquoi les vieux Mages de Perse et les Chaldéens en ont démontré et mis en lumière toute la force. Si je voulais vous en recenser en détail toutes les merveilles, je vous écrirais une prodigieuse chronique ; je n’omets que pour éviter tout scandale : car il m’arriverait d’être proclamé, par le Sophiste, très grand et très haut Mage et enchanteur.
Je ne puis cependant passer sous silence un très grand miracle que je vis faire en Espagne par un certain Nécromant. Il avait une cloche qui ne pesait pas plus de deux livres. Chaque fois qu’il la frappait, il pouvait évoquer et amener des spectres, des visions d’Esprits nombreux et variés. Quand il lui plaisait, il inscrivait sur la surface interne de la cloche quelques mots et caractères ; puis il la mettait en branle et sonnerie, et faisait apparaître un Esprit de la forme et apparence qu’il voulait. Avec le son de cette même cloche, il pouvait attirer vers lui ou écarter de lui de nombreuses autres visions d’Esprits ; surtout des hommes et des troupeaux ; je l’ai vu de mes propres yeux produire beaucoup de ces phénomènes. Chaque fois cependant qu’il faisait œuvre nouvelle, il changeait les mots et les caractères. Il ne voulait pas me révéler le secret de ces mots et de ces caractères ; mais j’examinai et sondai la chose en moi-même, enfin je la découvris fortuitement. Ces moyens et ces procédés, je les dissimulerai soigneusement ici. Remarquez qu’il y avait plus de vertu dans la cloche que dans les paroles mêmes. Sûrement, celle cloche avait été entièrement faite de notre Electrum.
C’est encore de la sorte qu’était faite la cloche de Virgile, au son de laquelle étaient terrifiés les adultères des deux sexes qui se rendaient dans la cour du Roi Artus ; à ce point qu’ils étaient pris du vertige constellé ; ils en étaient bouleversés et tombaient du pont dans l’eau qui coulait en dessous comme frappés de la foudre. Ce n’est pas une fable, mais une chose véritable et digne de la Chronique. Ne méprisez donc pas de croire de semblables choses naturelles comme possibles. En effet, si l’homme visible (l’homme matériel) peut appeler un autre homme et le forcer par le son de sa voix à faire ce qu’il aura ordonné – par un simple mot, même un son dépourvu de mot et comme liquide – en dehors de toute intervention des armes et de toute violence ; pouvoir, la même chose est beaucoup plus facile à l’homme invisible (l’homme spirituel) qui peul dominer tout ensemble le visible et l’invisible non seulement par le mot, mais encore par la pensée du mot. Il est, en effet, toujours convenable que ce qui est en bas obéisse à ce qui est en haut et lui soit soumis. L’homme invisible est-il autre chose que l’Astre lui-même réfugié invisible dans l’âme et dans les pensées de l’homme, qui apparaît et sort au travers de son imagination ? Si déjà l’astre de L’homme peut exister et par l’Esprit Olympique être amené à agir sur autrui ; alors pourra-t-il exister de même dans les métaux et produire son impression pour les exalter plus haut que leur propre nature, et ce par la force et l’opération des astres ; nous l’avons enseigné dans les autres livres de l’Archidoxe Magique. Exemple : Avec l’or et le Mercure, faites un amalgame, une composition, un alliage des deux métaux au moment de la conjonction du Soleil et de Mercure, surtout si dans cette conjonction le Soleil domine Mercure. On pourra ensuite les fixer facilement ensemble, de manière à leur faire rendre la Teinture en Mercure vif. Que dans une telle conjonction on puisse plus amplement l’augmenter avec du Mercure vif : c’est un très grand Secret de la Nature.
De même et en dehors de toute conjonction, on peut faire des compositions et des alliages entre l’or et l’argent et le mercure vulgaire de la façon suivante : Tenir l’or au dessus du Mercure vulgaire qui montera entièrement vers l’or et le rendra blanc, fragile et fusible comme de la cire. On peut traiter l’argent de la même façon. Nous avons coutume de l’appeler Magnésie des Philosophes : pour la trouver, des philosophes, parmi lesquels Thomas d’Aquin et Rupescissa et ses élèves, ont travaillé avec soin, mais en vain. Ce secret est très remarquable et singulier, le Mercure vif s’allie au feu avec les métaux difficilement fusibles, argent, cuivre, fer, acier de manière à ce qu’ils fondent ensemble et coulent plus facilement. C’est de cette façon que se préparent beaucoup de Teintures et d’Elixirs pour la transmutation des métaux : nous l’avons enseigné d’une façon plus développée dans le livre sur la Transmutation des Métaux.
Du Mercure ordinaire, il faut savoir que, de quelque manière il pénètre les métaux de sa vapeur, il les calcine et 1es tourne vers sa propre nature, de même les métaux, plus chaud par leur vapeur, coagulent aussi le Mercure vif. Nous tenons, en effet, pour prouvé que le Mercure est intérieurement d’une très grande chaleur, et qu’il ne peut être coagulé que par un très grand froid, lui qui dans le feu et la fusion se répand complètement et expire comme de la fumée, hors des métaux. Il ne peut, en effet, rien endurer dans le feu et dans la chaleur ; il s’évapore hors des métaux. De cette sorte est l’arsenic des métaux qui, à l’instar de l’Esprit, monte des métaux liquéfiés.
En outre faut-il savoir que le Mercure est l’esprit métallique. Et de même que l’Esprit est plus que le corps, le Mercure est plus que tous les autres métaux. De même que l’Esprit pénètre tous les murs, le Mercure pénètre tous les métaux. Le Mercure, en effet, exerce et opère une action admirable dans les métaux ; nous ne l’expliquons pas tout entier ici, mais nous renvoyons ailleurs. Nous avons vu et expérimenté nous-mêmes que le Mercure vif sublimé hors d’un métal calciné quelconque tel que le cinabre, – le métal calciné ramené de nouveau à son état primitif et rendu plus fusible au moyen d’un peu de plomb – deviendra or, argent, cuivre, fer, acier ; il sera fusible comme chandelle ou comme cire, il fondra sous les rayons de soleil comme neige ou glace, et ensuite, par une digestion de quelque temps, retournera à l’état de Mercure. Nous faisons mention de ce fait dans le Livre de la Résurrection des Choses Naturelles, où nous parlons du Mercure des métaux.
Ainsi se prépare le Mercure de l’Or, le Mercure de l’Argent, le Mercure du Cuivre, le Mercure du Fer, le Mercure de l’Etain, le Mercure du Plomb, etc. Arnault, Aristote et tous les philosophes nous ont dit beaucoup de choses à ce sujet ; mais leurs yeux ont rarement, sinon jamais, vu ces faits se produire ; il faut tenir cela comme un très haut et très noble arcane de la Nature, qu’il faut cacher très soigneusement et ne pas mettre témérairement dans la main de mes adversaires, qui en sont indignes. Que serviraient à une oie une gemme ou une perle ? Elle ne connaît pas cela, ne peut en jouir, et préférera quelque rave. De même l’esprit des sophistes. Ils sont, pour la même raison, indignes de connaître ces arcanes. Il ne faut pas jeter des perles aux pourceaux ni d’objet sacré aux chiens. Dieu a sérieusement défendu qu’on le fasse.
Revenons à la mise en œuvre de notre Electrum, dont nous avons commencé de parler plus haut : il le faut composer et travailler suivant le mouvement du ciel et la conjonction des sept Planètes. En voici le processus :
Attends la conjonction de Saturne et de Mercure, au commencement de laquelle tous les instruments devront être prêts – tels que feu, creuset, plomb pur réduit finement en lamelles et en grains – afin de n’avoir aucune entrave. Au début de la conjonction, faire couler du plomb en faible quantité ; et ce, pour que le Mercure répandu sur le plomb ne s’évapore ni ne s’échappe. Au premier point de la conjonction, retire du feu le creuset avec le plomb liquéfié, et verse le Mercure ; laisse-les se refroidir ensemble ; puis attends la conjonction de Jupiter et de Saturne ou de Mercure ; et, tout une fois apporté et préparé comme ci-dessus, fais soigneusement couler séparément dans un vase particulier les deux métaux, le pur étain anglais et le plomb joint au Mercure ; tu les retireras, les coaguleras au froid et laisseras jusqu’à ce qu’ils se soient refroidis ensemble. De cette sorte, tu auras réunis en une seule masse les trois métaux les plus fusibles et qu’il convient d’unir les premiers. Ensuite attends une autre conjonction entre quelque autre des planètes, Soleil, Lune, Vénus ou Mars, et une autre des planètes Mercure, Saturne ou Jupiter. Alors réunis-les de nouveau comme ci-dessus, fais-les couler séparément, mêle-les au moment de la conjonction et mets-les de côté. Tu en feras de même avec tous les autres métaux jusqu’à ce que tu aies fondu et uni en un seul les sept métaux suivant la conjonction requise des Planètes. Ainsi tu auras apprêté l’Electrum.
Ceci entendu, fermons ce livre.
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Plus sur le sujet :
De l’Alliage des Métaux, Livre VI de l’Archidoxe Magique de Paracelse, traduction française par Marc Haven, 1909.
Image par Pete Linforth de Pixabay
Notes
[1] Dans l’antiquité, c’était un alliage naturel d’or et d’argent trouvé dans le Pactole et dans les monts de Lydie jusqu’à Crésus, à Cyzique et à Lesbos. C’est ce métal qu’Hérodote appelait or blanc. Il servait de monnaies en Lydie.