Consolamentum, réincarnation et évolution spirituelle dans le catharisme et le Christianisme Originel 1 (première partie) par Jean Pierre-Bonnerot.
A Déodat Roché qui dans les sphères de l’au-delà
poursuit le cheminement spirituel si pur, qu’il manifesta
par le témoignage de sa vie.
In mémoriam
Le Catharisme se veut et se trouve être la religion de salut fondée sur le Nouveau Testament. Il apparaît dans l’histoire comme l’une des manifestations du courant gnostique chrétien qui, sans chercher à s’opposer à l’Église Romaine, tente de demeurer fidèle aux exigences du christianisme primitif, pour apporter aux hommes ce que les Églises Apostoliques n’avaient voulu ou su offrir à leurs fidèles, dans l’application de la doctrine.
La prise en compte du salut de Lucifer et la responsabilité de l’homme dans la transfiguration du Cosmos (1) est l’une des nombreuses prises de conscience de la pensée cathare. Il en est de nombreuses autres, qu’à l’occasion d’une série d’articles nous aborderons, choisissant d’évoquer présentement la théologie du Baptême dans l’Esprit Saint et le Feu, parce que les Églises chrétiennes n’en perçurent pas l’importance.
Pour pallier cette carence, le Catharisme a mis en place le Consolamentum et érigé une théologie spirituelle inhérente à ce rite, – à ce sacrement ! – et qui prend pour base les écrits du Nouveau Testament et la Foi des Pères de l’Église Primitive.
L’oeuvre n’est pas polémique ; les Cathares n’ont-ils pas offerts à l’histoire une leçon d’amour et de non-violence lorsqu’à l’inverse un Dominique sera canonisé pour son zèle ? et cet ensemble d’articles n’a point pour vocation de solliciter une réhabilitation car la force des armes physiques ne saurait corrompre ou souiller la Foi des Purs. Les calomnies et les mensonges ne peuvent modifier une doctrine qui n’a besoin de personne pour se justifier. Notre tentative est bien autre. Diffamé, le Catharisme dans ses fondements chrétiens n’a pas toujours eu des docteurs pour la présenter et sans prétendre être l’un d’eux, nous nous devons par contre, comme historien des idées, de révéler ce qui fut caché : la pleine orthodoxie de la doctrine cathare, puisque, comme le rappelle Maurice Magre :
« Le silence est l’arme la plus puissante du mal » (2)
La doctrine des trois Baptêmes des trois naissances et des trois morts
« Or un homme d’entre les Pharisiens qui s’appelait Nicodème et magistrat des Juifs, vint vers lui la nuit et lui dit : Rabbi, nous voyons bien que tu es un docteur venu de la part de Dieu ; car nul ne saurait opérer les prodiges que tu fais, si Dieu n’était avec lui.
– En vérité, en vérité je te le dis, répliqua Jésus, à moins de renaître, nul ne saurait voir le Royaume de Dieu.
– Mais, objecta Nicodème, comment un homme déjà âgé peut-il renaître ? peut-il rentrer dans le ventre de sa mère pour recommencer une nouvelle naissance ?
– En vérité, en vérité, je te le dis, reprit Jésus, si quelqu’un ne naît de l’eau et de l’Esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair ; il faut naître de l’esprit pour être esprit. Ne sois donc pas si stupéfait que j’aie dit : Il vous faut renaître ! » (Jean III, 1-9).
Naître de l’eau et de l’Esprit ! Dans le cadre de l’Église Primitive, le baptême d’eau était le baptême de repentance prêché par Jean le Baptiste par cette voix qui crie dans le désert : « Redressez le chemin du Seigneur » (Jean I, 23) ; mais cette cérémonie préparait à un autre baptême aux tout autres vertus et, lorsque Jean verra venir Jésus vers lui, ne s’écrira-t-il pas :
« Voici venir l’Agneau de Dieu qui porte le péché du monde, dit-il, celui dont j’ai prêché : “Derrière moi vient quelqu’un qui est mon aîné et mon supérieur”. Je ne le connaissais pas mais celui qui m’a donné mission de baptiser dans l’eau m’a dit : “L’homme sur lequel tu verras l’Esprit descendre d’en haut et demeurer sur lui, c’est celui-là qui baptise dans l’Esprit Saint. Or j’ai vu et je rends donc témoignage que celui-là est le Fils de Dieu” ». (Jean I, 29-32).
À propos de Jésus qui baptise dans l’Esprit Saint, il est rapporté dans deux des Synoptiques, cette phrase de Jean le Baptiste : « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le Feu » (Matthieu, III, 11 et Luc III, 16). Cette phrase relie le baptême dans l’Esprit Saint au baptême dans le Feu de telle sorte qu’il ne s’agit que d’un seul sacrement de régénération par le Christ. Si donc l’Eglise a envisagé le baptême de Feu comme étant celui du martyre, il conviendrait mieux de le considérer – et nous le prouverons – comme le baptême de Désir, au sens le plus spirituel du terme.
Avant d’aller plus outre, réfléchissons un instant sur l’emploi des mots « eau et Esprit » dans l’entretien de Jésus avec Nicodème.
« [Dans le Principe] Élohim créa les cieux et la terre. La terre était déserte et vide. Il y avait des ténèbres au-dessus de l’abîme et l’esprit d’Élohim planait au-dessus des eaux » (Genèse I, 1-3)
Rachi en son Commentaire du Pentateuque écrit à l’égard de ce verset 2 :
« Le souffle de Dieu planait. Le trône de la Majesté Divine se tenait dans les airs et planait à la surface des eaux, par la seule force du souffle de la parole du Saint Béni-soit-Il et par Son ordre. Telle une colombe qui plane sur son nid » (3).
Or, l’Esprit Saint qui planait sur les surfaces des eaux, ne va-t-il pas planer de nouveau sous forme d’une colombe au-dessus de Jésus-Christ lors du baptême par Jean ?
Il convient de rapprocher Genèse I, 2 du Psaume XXXIII 6-8 :
« Par la parole de Iahvé les cieux ont été faits et par le souffle de sa bouche toute leur armée. Il rassemble, comme dans une outre, les eaux de la mer, il met les flots dans des réservoirs ».
L’Esprit et l’eau précèdent la création originelle qui s’achève « provisoirement » avec la création de l’homme devenu une âme vivante. Avec la chute, la création est entravée dans son devenir originel, et il convient que l’homme soit restauré dans sa condition première pour permettre la délivrance de la nature assujettie à la vanité : sur ce point, nous renvoyons le lecteur intéressé à notre étude sur Satan.
Pour permettre à l’homme de retrouver sa condition première, l’Esprit et l’eau vont de nouveau être présents dans le cadre du Baptême qui lavera la faute originelle, et ce sacrement sera instauré et actualisé lors du baptême de Jésus par Jean : ce rite est une nouvelle création en ce fait qu’il débouche pour l’homme vers une nouvelle naissance à Dieu.
Grégoire de Naziance en son Homélie pour le Saint-Baptême, signale :
« Il est trois espèces de nativités reconnues par les Écritures ; la première est corporelle, la deuxième vient du baptême et la troisième procède de la résurrection… toutes ces formes de nativités, il est bien évident que mon Christ les a honorées ; la première par cette insufflation primordiale qui inaugure la vie physique, la deuxième par son Incarnation et le baptême qu’Il se conféra lui-même ; la troisième par l’Ascension qu’il avait lui-même prédite ; ainsi qu’il fut le premier né parmi de nombreux frères, il fut aussi jugé digne de renaître le premier d’entre les morts » (4)
Cette présence de l’Esprit Saint lors des deux premières naissances, Grégoire de Naziance la signale explicitement, elle est la condition de la restauration de l’homme dans la vie divine et Jean Scot évoque cet aspect en son Commentaire sur l’Évangile de Jean :
« La naissance selon l’esprit, celle dont le Seigneur parle maintenant en ces termes : « S’il ne naît de nouveau ». C’est par cette naissance que la nature humaine commence à retourner vers son ancienne dignité, dont elle était déchue » (5).
Dans le cadre des deux premières naissances – la troisième n’ayant pas encore eu lieu – l’eau et l’Esprit sont donc présents : « telle une colombe qui plane sur son nid ».
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L’Église enseigne en son Credo qu’il n’y a qu’un seul baptême pour la rémission des péchés mais reconnaît trois baptêmes quant à la forme.
1 le Baptême d’eau ou le baptême de repentance
2 le Baptême d’esprit ou le sacrement de la confirmation ou chrismation
3 le Baptême de Feu qui devrait être plus exactement le Baptême de Désir ou le martyre.
Origène et Ambroise de Milan quant à eux précisent qu’ils connaissent trois sortes de morts et le Maître Alexandrin explique :
« Quelles sont ces trois morts ? On vit pour Dieu et on est mort au péché selon l’apôtre. Cette mort est bienheureuse : on meurt au péché. C’est de cette mort qu’est mort mon [Seigneur] : Car la mort dont il mourut fut la mort au péché. Je connais encore une autre mort par laquelle on meurt à Dieu, celle dont il s’agit dans la parole : l’âme pécheresse elle-même mourra. Je connais aussi une troisième mort, selon laquelle nous croyons communément que ceux qui ont quitté leurs corps sont morts : par exemple Adam vécut 930 ans et mourut » (6)
L’idée des trois baptêmes, des trois naissances et des trois morts est beaucoup plus complexe que l’on ne se l’imagine.
1 A propos de la mort au péché, l’homme y est appelé par le baptême et Saint Paul de s’écrier :
« Que dirions-nous alors ? Nous persisterons dans le péché pour que la grâce opère une fois de plus ! Non certes ! Nous qui sommes morts au péché comment vivons-nous encore dans le péché ? Oubliez-vous donc que tous, quand nous avons été baptisés en Christ Jésus, nous avons été plongés dans sa mort ? Oui ! par le baptême nous avons été ensevelis avec lui dans la mort : afin que comme le Christ a été ressuscité des morts par la gloire du Père, ainsi nous marchions désormais dans une vie nouvelle : car si nous avons été implantés en lui dans le symbole de sa mort, c’est pour ressusciter avec lui » (Romains VI, 1-7)
2 A propos de la mort à Dieu, il est écrit en Ezechiel XVIII, 4 :
« Voici toutes les vies sont à moi, la vie du père et la vie du fils sont à moi. La personne qui pêche c’est elle qui mourra ».
Ce verset est à rapprocher de Deutéronome XXIV, 16 : « Les pères ne seront pas mis à mort pour les fils et les fils ne seront pas mis à mort pour les pères : chacun sera mis à mort pour son propre péché ».
Il importe toutefois de se souvenir des leçons du Judaïsme dans le commentaire de la Thora et Rachi commente ainsi le verset qui précède : « Chacun mourra pour son péché. Mais celui qui n’est pas encore un homme ne pourra mourir pour un péché de son père, les petits enfants peuvent mourir par le péché de leur père par décret céleste« . (7)
Le problème de la mort des enfants innocents a souvent préoccupé le Judaïsme qui à travers Deutéronome XXII, 7 : « laisse la mère, laisse-la, et les petits tu pourras les prendre; ainsi tu seras heureux et tu prolongeras tes jours » perçoit l’idée d’épreuves selon laquelle « Celui qu’il aime, l’Eternel le met à l’épreuve tel un père, le fils qui lui est cher » (Proverbes III, 12) et Rabbi Simon ben Yo’haï explique :
« Si un père perd son fils, il ne doit pas se plaindre, car c’est un signe que l’Éternel l’aime ». (8)
Il n’est pas sans intérêt d’évoquer Rachi et quelques autres maîtres du Judaïsme, cela n’est pas contraire à la réflexion philosophique du christianisme puisque dans la seconde moitié du XIIIe siècle les philosophes et les théologiens chrétiens traduisent en latin avec beaucoup de soin des passages du Talmud et de Rachi (9).
Gardons en mémoire Exode XX, 5-7 :
« Car moi, Iahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, punissant la faute des pères sur les fils, sur la troisième et la quatrième génération, pour ceux qui me haïssent, et faisant grâce jusqu’à la millième pour ceux qui m’aiment et observent mes commandements ».
Il n’y a pas de contradiction entre Deutéronome XXIV, 16 et Exode XX, 5-7 et ils ne s’opposent pas. Par ce dernier verset se dessine l’idée de communion des Saints qui sera l’un des apports les plus marquants de la théologie chrétienne. Le Zohar en son explication d’Exode XX, 5 précise à son égard :
« Et pourtant pourquoi faut-il que meurent ces malheureux enfants qui sont sans péché et sans reproche ? Où est ici le jugement juste et équitable du Maître du monde ? Si ce sont les péchés des parents qui sont cause de leur mort, alors vraiment, ils n’ont « personne pour les consoler ». Mais en vérité les larmes versées par ces « opprimés » agissent comme intercesseurs et les défenseurs pour les vivants qu’ils protègent ; et par la vertu de leur innocence, par la puissance de leur intercession, un lieu est, en son temps, préparé pour eux, auquel ne peuvent accéder ou prétendre les hommes même les plus justes, car le Saint, béni soit-Il, aime en vérité ces petits enfants d’un amour éminent et sans pareil. Il les unit à lui et tient prêt pour eux un lieu céleste tout proche de lui. C’est à leur propos qu’il est écrit : « Par la bouche des enfants et des nourrissons, Tu as fondé Ta puissance » » (Psaume XIII, 3) (10)
3 La mort « commune » qui marque la séparation de l’âme et du corps n’est pas si banale qu’on se le peut imaginer et à cet égard, Ambroise de Milan nous dit :
« La troisième tient du milieu : elle parait bonne aux justes et terrible au grand nombre ; quoiqu’elle libère tous les hommes, peu s’en réjouissent. Ce n’est pas sa faute mais celle de notre faiblesse : nous sommes captivés par les plaisirs sensuels et les délices de cette misérable vie, et nous tremblons d’arriver au bout d’une course où nous avons rencontré plus d’amertume que de plaisir. Je ne parle pas pour ces hommes saints et sages qui gémissaient sur la longueur de ce pèlerinage ; ils jugeaient meilleur d’être dessous, d’être avec le Christ, ils allaient jusqu’à maudire le jour de leur naissance comme celui qui a dit : « Périsse le jour où je suis né” ». (Job III, 3) (11).
À travers ces trois morts qu’évoquent Origène et Ambroise, il est possible de dresser une analogie avec les trois naissances qu’énonce Grégoire de Naziance et la doctrine des trois baptêmes.
1 Au Baptême de repentance ou baptême d’eau correspond la naissance selon la chair et la mort au péché ;
2 Au Baptême d’Esprit et de Feu correspond la naissance au baptême et la mort à Dieu ;
3 Au Baptême de Désir correspond la résurrection et la mort physique comme séparation de l’âme et du corps.
Existe-t-il une opposition entre ces trois formes ? Certes non ! L’ensemble de ces tris naissances et de ces morts s’inscrit dans un seul Baptême dans le cadre duquel le chrétien vit le Sacrement depuis son catéchuménat dans lequel il s’inscrit à l’occasion de sa naissance terrestre, jusqu’au stade de la rédemption que connaîtra celui qui bénéficiera de la mort physique où le corps devenu inutile et dissous laissera l’âme libre d’aller dans le Royaume de Dieu.
Il convient de renaître pour entrer dans le Royaume. Si l’Église Primitive comprit le sens de cette adresse du Christ à Nicodème – nous le verrons plus loin – les structures ecclésiales depuis de nombreux siècles choisirent de ne pas en percevoir les conséquences doctrinales et liturgiques préférant considérer cette parole du Christ comme une phrase symbolique et Jean Chrysostome à propos de son homélie sur l’entretien de Jésus avec Nicodème s’exclame, par exemple :
« Reprenons donc la suite des paroles de notre évangile. Nicodème était tombé dans des considérations terre-à-terre, il avilissait ce qu’avait dit Jésus-Christ, l’entendant d’une naissance charnelle » (12).
Nous verrons plus outre qu’il convient de ne point entendre ces termes selon un mode symbolique, que constitue la réponse de Jésus à Nicodème.
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Le Baptême d’eau ou de repentance : Première étape du Consolamentum
La préparation, l’introduction au Baptême de repentance accompli par le Baptiste passe par la conversion :
« En ces jours-là arrive Jean Baptiste, il proclame dans le désert de Judée : Convertissez-vous, le règne des cieux est proche ». (Matthieu III, 1-3)
et Jean d’ajouter à propos de ce qu’il fait :
« Moi je vous immerge dans l’eau pour la conversion ». (Matthieu III, 11)
La conversion suppose une faculté autonome de conscience qui n’appartient pas en principe à l’enfant : voilà la raison pour laquelle le Catharisme s’opposa toujours à l’administration de ce rite avant l’âge de sept ans :
« Le baptême donné aux enfants avant l’âge de sept ans ne vaut rien » (13).
Dans cette prise en compte de l’âge de sept ans, figure peut-être, sans en percevoir les motifs, l’idée de certains courants religieux chrétiens qui considèrent que l’âme ne se fixe définitivement dans le corps qu’à l’âge de sept ans, ce que le savoir populaire nomme à ce propos, l’âge de raison.
Avant d’aller plus outre, il convient, à la lumière de la Tradition, d’évoquer un certain nombre d’aspects quant à l’âme :
. l’âme préexiste-t-elle à la création du corps ?
. à quel instant l’âme s’unit-elle au corps ?
. existe-t-il des stades d’évolution dans la fixation de l’âme au corps ?
. l’âme peut-elle quitter le corps et dans l’affirmative sous quelle condition ?
A/ L’Ame préexiste-t-elle à la création du corps ?
Le terme âme, apparaît pour la première fois dans la Bible, dans le cadre de la création de l’homme :
« Alors Iahvé Élohim forma l’homme, poussière provenant du sol et il insuffla en ses narines une haleine de vie et l’homme devint une âme vivante ». (Genèse II, 7)
Avant d’envisager l’exégèse chrétienne, revenons un instant au judaïsme dans le cadre du commentaire de Rachi sur le Pentateuque qui, à l’égard de ce verset écrit :
« Il l’a formé d’éléments d’ici-bas et d’éléments d’en-haut. Le corps d’en bas ; l’âme d’en-haut. Car le premier jour avait été créé les cieux et la terre. Le deuxième jour Il a dit : Que la terre ferme apparaisse ne bas. Le troisième jour Il a créé les luminaires, en haut. Le quatrième jour Il a dit : Que les eaux pullulent etc, en bas. Il fallait bien le cinquième jour achever avec le monde d’en haut et avec le monde d’en bas. Sinon il y aurait eu jalousie dans l’oeuvre de la Création, l’un des deux aurait dépassé l’autre d’une journée de création ». (14)
Ce qu’il convient de retenir c’est le principe d’alternance et de complémentarité du haut et du bas dans le plan divin de la Création. Les auteurs classiques de l’exégèse de la Thora expriment des idées originales qui méritent d’être soulignées avant d’aller plus outre à propos de ce verset :
« En recevant le souffle de vie « dans la face », l’homme fut élevé au-dessus des créatures, au sens physique comme au sens moral. Il présente de ce fait le plus parfait contraste avec la plante. Celle-ci rivée au sol, tire la sève de sa vie des racines donc de ses extrémités inférieures. Chez l’animal le centre vital se situe au coeur, à la partie centrale du corps. Mais chez l’homme la vie est liée à l’esprit, à « la face », à la couronne de son être. L’homme porte ses regards vers en haut, il reçoit toutes ses forces « d’en haut », quand il espère, quand il désire, quand il pense. La vie insufflée dans la face porte l’homme et elle le soutient, si bien qu’il tombe lorsqu’il perd conscience ». (15)
Le fait qu’Adam possède une âme vivante issue du souffle de Dieu, a des raisons d’ordre mystique, il s’opère une alliance entre Iahvé Élohim et l’homme selon laquelle l’humain créé à l’image de Dieu doit tendre à Sa ressemblance et Carlo Suarès d’écrire en son Commentaire de la Genèse : La Kabbale des Kabbales au sujet de ce verset 7, à propos d’Adam :
« Il n’est pas l’aboutissement des espèces. Il est leur origine. Au verset 7 (sous l’égide de ce 7), il lui est accordé le « souffle des vivants », et voici un Aleph dans le sang, voici un Adam « surgir vivant pour les exigences du souffle de vie » (16)
En complément à ce qui précède, l’enseignement du Zohar précise :
« Une tradition nous apprend que par la force de la volonté du Roi Suprême, un arbre puissant poussa. Il est la plus élevée de toutes les plantes d’en haut. Il embrasse les quatre points cardinaux du monde et ses racines s’étendent sur un espace de cinq cents lieues. Toutes les volontés sont suspendues à cet Arbre ; nulle volonté n’est bonne, si elle ne concorde avec celle de cet arbre. A son pied sourdent les eaux qui donnent naissance à toutes les mers. C’est de son pied que toutes les eaux créées au moment de la création se dirigent dans diverses directions ; c’est de là qu’émanent toutes les âmes du monde. Avant de descendre dans ce monde, les âmes entrent dans le Jardin ; et, en sortant, elles reçoivent sept bénédictions et sont exhortées de servir, à leur sortie du Jardin, de pères aux corps, c’est à dire de guider les corps paternellement en les maintenant dans la bonne voie ; car, quand l’image céleste, c’est à dire l’âme est sur le point de descendre en ce monde, le Saint Béni-Soit-Il, la conjure d’observer les commandements de la Loi, et de faire Sa volonté ; il lui confie en outre cent clefs, auxquelles correspondent les cent bénédictions que l’homme doit prononcer chaque jour » (17)
Nous citerons encore deux passages du Zohar qui précisent :
« Tous ceux qui conduisent les hommes dans les diverses générations existaient, en image, au ciel, avant leur venue en ce monde. La tradition nous apprend que toutes les âmes des hommes étaient déjà gravées au ciel sous la forme des corps qu’elles étaient destinées à animer, avant même leur descente ici-bas » (18)
et d’autre part :
« Remarquez que toutes les âmes dans ce monde qui sont le fruit des oeuvres du Saint Béni-Soit-Il, ne forment avant leur descente sur la terre, qu’une unité, ces âmes faisant, toutes parties d’un seul et même système. Et lorsqu’elles descendent en ce bas monde, elles se séparent en mâles et femelles ; et ce sont les mâles et les femelles qui s’unissent… Ce n’est qu’après leur descente en ce monde, qu’elles se séparent, chacune de son côté, et vont animer deux corps différents, celui d’un homme et celui d’une femme. Et c’est le Saint -Béni-Soit-Il qui les unit de nouveau ensuite, lors du mariage » (19).
Ces passages du Zohar sur la descente de l’âme sont à relier à l’affirmation de Jésus à Nicodème : « En vérité, en vérité, je te le dis ; répliqua Jésus, à moins de renaître, nul ne saurait voir le royaume de Dieu » (Jean III, 3) car il est dit encore en Jean III, 13 : « Et nul n’est monté au ciel sinon celui qui du ciel est descendu ».
Ce verset fait bien entendu appel à l’idée de la préexistence des âmes que nous allons analyser bientôt, mais aussi à celle de l’origine céleste de l’âme, article de foi que nous retrouvons dans l’Hermétisme et dans les gnoses apparentées à l’Hermétisme comme celles que manifestent des philosophes tels que Numénius, Porphyre, Jamblique, Plotin, et que l’on retrouve aussi par exemple dans les Oracles Chaldaïques. Déjà antérieurement, cette croyance figurait chez les Pythagoriciens, mais il n’est pas ici le lieu de traiter des philosophies et des gnoses païennes, c’est pourquoi, nous renvoyons le lecteur, afin d’une première approche aux tentatives de Louis Rougier et R.P. Festugière, par exemple. (20)
L’Ancien Testament possède en plusieurs versets, cette affirmation de la préexistence de l’âme :
« Avant même que je te forme dans le ventre, je te connaissais, et avant que tu sortes du sein, je t’avais consacré, je t’avais placé comme prophète pour les nations ». (Jérémie I, 5)
« J’étais un enfant d’un bon naturel, j’avais reçu en partage une âme bonne, ou plutôt, étant bon, j’étais rentré dans un corps sans souillure ». (Sagesse VIII, 19)
Le judaïsme en son orthodoxie et la doctrine kabbalistique professent la migration des âmes et le lecteur appréciera peut-être cette adresse de l’éminent professeur Gershom. G. Scholem, toutefois en pensant qu’il y a d’autres points d’accord, sans doute : « L’unique doctrine dans laquelle cathares et kabbalistes se rencontrent sur un point capital est celle de la migration des âmes ». (21)
Origène en ses Homélies sur Jérémie n’évoque présentement pas l’idée de préexistence des âmes et son exégèse du verset cité ci-dessus s’inscrit en ces termes :
« Avant de t’avoir façonné dans le ventre de ta mère je te connais, qu’ils soient dits à Jérémie ou au Sauveur, lis la Genèse, observe ce qu’il y est dit de la création du monde et tu remarqueras que l’Écriture s’exprime d’une manière très dialectique, en évitant de dire : Avant de t’avoir fiat dans le ventre de ta mère je te connais. En effet lorsque l’homme « à l’image » a été créé, « Dieu dit : Faisons un homme à notre image et à notre ressemblance ». Il n’a pas dit : Façonnons ; mais quand il a pris, « du limon de la terre », il n’a pas « fait » l’homme, il a « façonné » l’homme et il plaça dans le paradis l’homme qu’il avait « façonné », pour le travailler et le garder. Si tu peux, vois ce qui distingue les mots « faire » et « façonner » et pourquoi le Seigneur, s’adressant soit à Jérémie, soit au sauveur, a évité de dire : Avant de t’avoir « fait » dans le ventre de ta mère je te connais : la raison en est que ce qui a été « fait » n’est pas dans un ventre, mais c’est ce qui est façonné à partir du limon de la terre qui est créé dans un ventre » (22).
Il n’était pas sans intérêt d’évoquer cette exégèse qui dans le Peri Archon à propos de ce même verset offre l’idée complémentaire de la préexistence de l’âme :
« Le prophète Jérémie lui aussi le montre clairement : « avant d’être façonné dans le sein maternel ». Jérémie était connu de Dieu et « avant de sortir de la matrice » il a été sanctifié par Dieu et a reçu encore enfant, la grâce de la prophétie : … Il y a eu, pour ceux, dont les âmes avant de naître dans un corps avaient commis une faute dans leurs sentiments ou dans leurs mouvements, des causes antécédentes qui ont amené la divine providence à des les juger dignes de subir à bon droit cet état… Il est vraisemblable que ces mouvements sont causes de mérites avant même que les âmes agissent en ce monde ; et ainsi en fonction de ces causes ou de ces mérites, le plan de la divine providence fait qu’elles endurent du bien ou du mal aussitôt leur naissance, dirais-je, avant » (23).
Pour l’heure nous constatons le prudence d’Origène : il l’expliquera et nous le laisserons parler à propos de ce passage de Genèse XXV, 22-27 :
« Comme les fils s’entrechoquaient dans son sein, elle dit : « S’il en est ainsi, pourquoi moi ? ». Elle alla donc consulter Iahvé et Iahvé lui dit : « Deux nations sont dans ton ventre et deux peuplades de tes entrailles essaimeront : l’une des peuplades sera plus forte que l’autre et l’aîné servira le cadet ! » Quand furent accomplis les jours de son enfantement, voici qu’il y avait des jumeaux dans son ventre ! Le premier sortit, il était roux, tout semblable à un manteau de poils. On l’appela du nom d’Esaü. Après cela sortit son frère. Sa main tenait le talon d’Esaü et on l’appela du nom de Jacob ».
Le rabbin Elie Munk en La voix de la Thora à l’égard du verset 22 écrit : « En tout état de cause, l’Écriture tient à nous faire comprendre que l’hostilité irréductible qui sépare les deux frères Jacob et Esaü pendant toute leur existence n’a pas son origine en des motifs de jalousie ou de rivalité politique et économique, etc., mais qu’elle remonte à des divergences congénitales de caractère qui se manifestèrent, dès avant leur naissance, dans le sein maternel ». (24)
Origène en ses Homélies sur la Genèse écrit cette prudence énoncée :
« Mais que sont ces privilèges de naissance, pourquoi Jacob a-t-il supplanté son frère, pourquoi est-il né lisse et nu, alors qu’assurément tous les deux ont été conçus, comme dit l’Apôtre, « d’un seul homme », « Isaac notre Père », ou bien pourquoi Esaü est-il tout entier hirsute, hérissé et pour ainsi dire recouvert de la crasse du péché et du mal, ce n’est pas mon intention de l’expliquer. Car si je veux creuser profond et, découvrir les filets d’eau vive qui se cachent, les Philistins aussitôt vont arriver et me chercher querelle, ils vont soulever contre moi disputes et chicanes et se mettre à remplir mes puits de leur terre et de leur boue. En vérité ; si ces Philistins me laissaient faire, moi aussi je m’approcherais de mon Seigneur, de mon très patient Seigneur qui dit : « Je ne repousse pas celui qui vient à moi » ; je m’approcherais, et, comme ses disciples qui lui dirent « Seigneur qui a péché, lui ou ses parents, pourqu’il soit né aveugle ? ». Je l’interrogerais moi aussi, et je lui dirais : « Seigneur qui a péché, cet Esaü ou ses parents, pour qu’il soit né de la sorte tout entier hirsute et hérissé, pour qu’il soit supplanté par son frère dans le sein de sa mère ? Mais si je fais mine d’interroger et de scruter là-dessus la parole divine, les Philistins aussitôt me cherchent noise et me chicanent. Aussi nous abandonnerons ce puits, nous l’appellerons « inimité » et nous en creuserons un autre ». (25)
Il serait loisible à l’égard de l’Ancien Testament de multiplier les exemples quant à la préexistence de l’âme et le fait vaut pour le Nouveau Testament pour lequel nous évoquerons quelques passages aussi, avant d’en venir à la façon dont les Pères de l’Église conçurent l’idée de la préexistence et de la migration des âmes.
Le lecteur garde en mémoire l’entretien de Jésus avec Nicodème évoqué dès le début de la première partie de cette étude (Jean III, 1-9).
Dans le Nouveau Testament, nous choisirons deux autres textes, l’un tiré de l’Évangile, l’autre de l’Apôtre Paul, afin de compléter ce qui précède :
« Les disciples lui demandèrent : Pourquoi donc les scribes disent-ils qu’Élie doit venir d’abord ? Il répondit : Oui, Elie vient et il va tout rétablir, mais je vous dis qu’Elie est déjà venue et, au lieu de le reconnaître, il lui ont fait ce qu’ils ont voulu. De même ils vont aussi faire souffrir le Fils de l’Homme. Alors les disciples comprirent qu’il leur parlait de Jean Baptiste » (Matthieu XVII, 10-14).
Ce passage est à relier à Luc I, 15-18 :
« Car il sera grand devant le Seigneur, il ne boira ni vin, ni rien de fermenté, il sera rempli de l’Esprit Saint dès le ventre de sa mère, et il retournera beaucoup de fils d’Israël vers le Seigneur leur Dieu. Lui-même le précèdera avec l’esprit et la puissance d’Elie ».
Pour faire corollaire à ces deux textes voici deux passages de l’Apôtre :
« Mais nous – j’entends ceux qui sont des élus conformes à la prédestination, -nous savons qu’à ceux qui aiment Dieu tout contribue à leur bien. Car ceux qu’il a prévus, semblables à l’image de son Fils, il les a prédestinés pour que son Fils fut le Premier Né d’une multitude de frères ; et ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés ; et ceux qu’il a appelés, il les a justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, c’est pour les glorifier ». (Romains VIII, 28-31)
« Lorsque Rebecca, conçut deux fils jumeaux de notre père Isaac, le choix de Dieu, en se déclarant avant qu’ils fussent nés et n’eussent donc fait ni bien ni mal, manifeste bien que ce ne sont pas les oeuvres mais la volonté de dieu qui détermine son choix lorsqu’il dit à Rebecca : « Le plus grand sera le serviteur du plus petit » et de même il est écrit : « J’ai aimé Jacob et haï Esaü ». Alors nous dirons donc qu’il y a injustice de Dieu ? Non certes ! » (Romains IX, 10-15)
Origène à l’égard de ce passage aux Romains s’exclame :
« Alors, en scrutant les Ecritures avec plus de soin au sujet d’Esaü et de Jacob on trouve qu’il n’y a pas d’injustice de la part de Dieu, quand, avant leur naissance et avant qu’ils aient fait quoi que ce soit, dans cette vie évidemment, il est dit que l’aîné servira le plus jeune, et on trouve de même qu’il n’y a pas d’injustice dans le fait que Jacob ait supplanté son frère dans le sein de sa mère, si on pense qu’il a été aimé de Dieu, avec raison jusqu’à être préposé à son frère à cause des mérites d’une vie précédente, bien entendu » (26).
Le « Bien entendu » a son importance ! …
En ce qui touche Luc I, 15-18, Origène écrit sur Jean I, 21 :
« Donc si d’une part on n’ignorait pas que Jean était fils de Zacharie et si d’autre part les juifs de Jérusalem envoyaient une délégation pour demander par l’intermédiaire des Lévites et des prêtres : « Est-ce toi Elie ? » il est clair qu’ils posaient cette question parce qu’ils croyaient que la doctrine de la réincarnation était vraie, puisque conforme à la tradition de leurs pères et nullement étrangère à leur enseignement ésotérique. Jean répond donc : “Je ne suis pas Elie, parce qu’il ignore sa propre existence antérieure” ». (27)
La doctrine de la préexistence de l’âme et de la réincarnation est très ancienne et fortement présente dans la doctrine orthodoxe chrétienne et la pensée des premiers pères, comme nous allons le montrer.
A propos de la question Comment voir Dieu, Justin en son Dialogue avec Tryphon manifeste naturellement sa croyance en la réincarnation :
– « Est-ce lorsque l’âme est encore dans le corps qu’elle a besoin de Dieu ou lorsqu’elle l’a quitté ?
– Tant qu’elle est dans la forme humaine, l’âme, dis-je, peut acquérir cette vision par l’esprit ; mais c’est surtout lorsqu’elle est dégagée du corps et rendue à elle-même, qu’elle atteint ce qu’elle avait toujours désiré.
– Est-ce qu’elle s’en souvient lorsqu’elle retourne dans un homme ?
– Je crois que non, dis-je » (28)
Avant d’aller plus outre, il convient de régler un malentendu avec conséquences tragiques qui persiste depuis deux mille ans dans la philosophie chrétienne et qui aujourd’hui est encore existant chez les théologiens et les philosophes c’est l’idée de métempsychose assimilée au principe de la réincarnation, et il y a encore quelques mois nous devions expliquer la différence entre ces deux mots à un éminent philosophe chrétien, professeur titulaire de philosophie médiévale à la Sorbonne et correspondant de l’Institut, comme beaucoup d’autres, que nous admirons, sans exception, par ailleurs.
Un exemple suffira – et qui excusera les historiens des idées, contemporains : Jérôme en son Traité sur les erreurs contenues dans le Livre des Principes d’Origène écrit tout en citant ce texte d’Origène :
« Il ajoute ensuite : « A moins qu’on ne veuille donner le nom d’obscurité et de ténèbres à ce corps épais et terrestre dont nous sommes revêtus, et dans lequel nous reprendrons une nouvelle vie lorsque ce monde sera fini et qu’il nous faudra passer dans un autre monde ». N’est-ce pas là soutenir ouvertement la métempsychose de Pythagore et de Platon ? » (29)
La réincarnation est le principe selon lequel l’âme humaine après la mort passe après un stade plus ou moins long dans un autre corps humain. La métempsychose est une idée selon laquelle l’âme au cours de sa migration s’incarne dans une corporéité appartenant à un stade différent de la nature pouvant ainsi passer du minéral, au végétal, puis de l’animal à l’humain selon le principe d’une évolution des divers stades de la nature et une purification progressive de l’âme en migration.
Le propos de Jérôme est impropre : jamais Origène n’a envisagé ou adhéré à l’idée de la métempsychose et si Grégoire de Nysse adhère au principe de la réincarnation – nous allons le percevoir bientôt – il condamne la métempsychose :
« Les tenants de la première hypothèse, ceux qui soutiennent qu’avant de venir vivre dans un corps les âmes se trouvent dans une sorte de cité, ne se sont pas purifiés, me semble-t-il, des doctrines grecques, des fables sur la métempsychose. Un examen fera apparaître que cette idée se laisse entraîner, de toute nécessité, jusqu’à cette affirmation que la tradition prête à l’un de leurs sages : le même individu est homme, passe dans un corps de femme, vole avec les oiseaux, devient arbuste, vit enfin dans les eaux. Ah certes, il n’est pas loin de la vérité, s’il parlait de lui ! Réellement une telle doctrine est bien digne du bavardage des grenouilles ou des geais, de l’intelligence des poissons ou de l’insensibilité des chênes ». (30)
Deux remarques, en matière de réincarnation, l’âme n’a pas de sexe, mais se réincarne toujours sur le même plan : humain ; d’autre part la métempsychose ne connaît pas de phénomène d’involution et l’on passe des règnes dits les moins subtils au règne humain par évolution et selon la même progression.
Origène condamne la métempsychose au profit de la réincarnation. Évoquant le Traité sur la Prière ce texte du maître Alexandrin :
« Enfin si vous voulez revivre, vous le demandez à nouveau, vous méprisez ce que vous avez désiré et vous recherchez la nourriture céleste et ce qui est beau ». (31)
Cécile Blanc en son introduction au Commentaire sur Saint Jean écrit : « Faut-il pour concilier ce texte avec les précédents, admettre avec F.H. Kettler, une réincarnation mitigée, jamais dans des corps d’animaux… » (32)
Revenons maintenant aux textes de Matthieu et Luc. À cet égard, Origène et dans le cadre de son Commentaire sur Jean, écrit :
« À ce propos, il faudra examiner ce qu’est au sens propre, la réincarnation et en quoi elle diffère de l’incarnation et si celui qui affirme la réincarnation maintient en conséquence que le monde est incorruptible ». (33)
Les Pères de l’Église n’ont jamais élaboré en dogme le principe de la réincarnation et de la préexistence des âmes, c’était un article de la foi des premiers Pères, et l’on comprend dès lors cette remarque d’Origène :
« Mais c’est ailleurs qu’il faudra étudier en elle-même et avec plus d’attention et approfondir davantage la question de l’essence de l’âme, de l’origine de son existence, de son entrée dans ce corps terrestre, des éléments de la vie de chacune, de sa délivrance ici-bas, et voir s’il est possible ou non qu’elle pénètre une seconde fois dans un corps, si ce sera ou non selon le même cycle et le même arrangement, dans le même corps ou dans un autre, et, si c’est dans le même, s’il restera identique à lui-même selon la substance et selon les qualités et si l’âme se servira toujours du même corps ou en changera ». (34)
Saint-Jérôme en sa lettre à Démétriadès laisse bien entendre que la doctrine de la réincarnation était partie intégrante de la foi des premiers chrétiens :
« Pourquoi tel homme a-t-il reçu le jour dans telle providence ? D’où vient que ceux-ci naissent de parents chrétiens, tandis que ceux-là prennent naissance au milieu des nations les plus barbares, étrangers à la nation d’un Dieu ? Après avoir ainsi blessé les coeurs simples par cette morsure du scorpion, ils injectent dans la plaie qu’ils ont faite leur poison dangereux. Puis ils ajoutent : « Si l’enfant à la mamelle, celui dont le sourire et la joie enfantine témoignent seuls qu’il connaît sa mère, qu’il n’a encore fait ni bien ni mal, si cet enfant dis-je, est possédé du démon ou accablé de maux qui fuient les méchants et qui s’acharnent au contraire sur les serviteurs de Dieu ; si tout cela arrive, pensez-vous que ce soit le pur effet du hasard ? Si donc, poursuivent-ils, ces jugements sont la manifestation réelle de la colère divine, ils se justifient par eux-mêmes et témoignent de la haute justice de Dieu, en amenant cette conséquence que les âmes des hommes ont habité le céleste séjour, et qu’en punition de certains péchés commis jadis elles ont été placées et pour ainsi dire ensevelies dans des corps humains, et précipitées dans cette vallée de larmes pour expier leurs anciennes iniquités. « Ainsi s’exprime à ce sujet le prophète roi : « J’ai péché avant de m’être humilié ». Et ailleurs « Faites sortir mon âme de sa prison mortelle ». Et encore : « Sont-ce les propres péchés de cet homme ou de ceux de ses parents qui l’ont fait naître aveugle ? » Et autres semblables passages à l’appui de leurs erreurs ».
« Cette impie et détestable doctrine fut pratiquée jadis en Égypte et en d’autres parties de l’Orient. Elle y jouit encore d’un certain crédit… » (35).
Nous avons perçu que Jérôme reconnaissait que la doctrine de la préexistence de l’âme était connue des premiers chrétiens. Qu’elle jouisse d’un crédit certain, c’est un fait, plus que d’un crédit puisque outre Justin, Tertullien manifeste cette foi en son Apologétique qui condamne la métempsychose et reconnaît la réincarnation :
« Comme si la raison quelle qu’elle soit, qui justifie la migration des âmes de corps en corps, n’exigeait pas aussi que les âmes soient rappelées dans les mêmes corps. Etre rappelées, en effet, c’est être ce qu’elles ont été, c’est à dire si elles ne sont pas revêtues d’un corps humain et du même corps, ce ne seront plus les âmes mêmes qui ont existé… Il faudrait rechercher, à loisir, une foule de passages, d’acteurs, si nous voulions nous amuser à examiner en quelle bête chacun à paru renaître. Mais il faut plutôt songer à défendre notre thèse : nous soutenons qu’il est bien plus raisonnable de croire qu’un homme redeviendra un homme, homme pour homme, et pas autre chose qu’un homme ; de telle sorte que l’âme gardant sa nature, reprendra la même condition, sinon la même figure ». (36)
et, nous pouvions prendre beaucoup d’autres pères, Marius Victorinus en ses Traités Théologiques sur la Trinité à propos de la préexistence de l’âme écrit :
« J’ajoute encore en secret, un grand mystère. De même que la trinité la plus divine qui est une, en tant qu’elle est par soi, a produit par mode de rayonnement, l’âme dans le monde intelligible, constituant, en son hypostase et substance propre, cette âme que nous appelons substance au sens propre du mot, de même l’âme, trinité une, elle aussi, mais seconde, a achevé la manifestation dans le monde sensible, parce que cette âme, tout en restant là-haut, a engendré des âmes qui viennent en ce monde » (37).
Origène parle avec prudence, Victorinus aussi. Origène condamne la métempsychose, Tertullien et Grégoire de Nysse, aussi. Nous serions en mesure de multiplier les exemples et les citations, et Grégoire de Nysse évoquant le sort de ceux qui ne sont pas présentement purifiés, écrit en sa Catéchèse de la Foi :
« Quant à ceux dont les passions se sont invétérées et qui n’ont eu recours à aucun moyen d’effacer la souillure, ni eau du sacrement, ni invocation de la puissance divine, ni repentir qui les aurait amandés, de toute nécessité ceux-là doivent recevoir eux aussi la place qui correspond à leur conduite. Or, l’endroit qui convient à l’or, s’il est altéré c’est le creuset du raffineur pour qu’une fois écarté le vice qui s’était mélangé à ces pécheurs, leur nature, après de longs siècles, revienne à Dieu pure et intacte ». (38)
Ce n’est pas une thèse en faveur d’une quelconque préfiguration de la doctrine catholique romaine du purgatoire, car Grégoire explique encore :
« Au lieu de se diriger vers la nature incréée, il revint à la création qui a son origine et sa servitude, il est ramené à la naissance qui vient d’en bas, et non à celle qui vient d’en haut » (39).
À travers cet examen très rapide de la doctrine des premiers Pères – et nous n’avons pas évoqué l’École d’Alexandrie avec un Clément par exemple – il apparaît que la condamnation de la doctrine de la préexistence des âmes et du retour porte d’une part sur la condition inadmissible de l’idée d’une chute précosmique ou sur la possibilité de la métempsychose. Le fait de la réincarnation et de la préexistence en soi, qu’affirment parmi beaucoup d’autres Justin, Clément, Tertullien, Victorinus, Origène, Grégoire de Nysse, ne fut jamais condamnée ni contraire à la métaphysique chrétienne.
A propos des condamnations, il convient de méditer le contenu de celles-ci :
Le premier Concile de Braga en ses Anathématismes contre les Priscillianistes, érige les canons suivants :
« Si quelqu’un dit, les âmes humaines ont d’abord péché dans les demeures célestes et que c’est pour cela qu’elles ont été précipitées sur terre dans des corps humains, comme l’a dit Priscillien, qu’il soit anathème. »
« Si quelqu’un pense que les âmes humaines sont liées à des astres qui règlent leurs destinées comme les païens et Priscillien l’ont dit, qu’il soit anathème » (40).
Et l’on fera attribuer au Synode de Constantinople en 543 :
« Si quelqu’un dit ou pense que les âmes des hommes préexistent, en ce sens qu’elles étaient auparavant des esprits et des saintes puissances qui, lassées de la contemplation de Dieu, se seraient tournées vers un état inférieur, que pour ce motif, s’étant refroidies dans leur amour et dès lors ayant été appelées âmes, elles avaient été envoyées dans des corps pour leur châtiment, qu’il soit anathème » (41).
Tous les historiens sérieux ont remarqué et noté avec justesse et justice qu’il n’y a pas eu de condamnation en concile ni de condamnation d’Origène ; mais un anathème contre l’Origénisme, qui n’avait plus rien à voir avec la pensée du Maître Alexandrin, et cela hors concile, dans le cadre d’un ensemble de préceptes déformés et erronés, cela ne figurant donc d’ailleurs pas dans les actes du dit Concile de Constantinople mais dans le cadre de conversations à l’ouverture du dit concile :
« Elle ne signifie pas non plus que les hérésies reprochées par les anathématismes antérieurs au Concile furent telles dans sa pensée. En fait, on ne s’intéressait qu’aux moines origénistes contemporains et l’on faisait d’Origène la source dont se réclamaient ces derniers. Historiquement parlant, il est possible d’affirmer que son insertion dans une liste d’hérétiques ne le concerne pas vraiment. Il reste qu’elle entraînera par l’action de la police impériale, la destruction de la plus grande partie de son oeuvre dans la langue originelle. » (42)
N’est-il pas intéressant pour clore momentanément la présente interrogation : l’âme préexiste-t-elle à la création du corps ? d’évoquer Saint Augustin qui précise dans la Cité mystique de Dieu :
« N’est-il pas plus infiniment honnête de croire au retour unique de l’âme en son propre corps, qu’à tant de retours en tant de corps divers… Ainsi, plusieurs platoniciens se trompent quand ils croient l’âme fatalement engagée dans ce cercle sans fin de migrations et de retour ». (43)
Le retour dans le même corps humain, oui ; mais ce n’est pas encore la résurrection ; et la transmigration sans fin, non ; Saint Augustin a raison, il s’associe à la pensée de tous les Pères que nous venons de citer.
B/ A quel instant l’âme s’unit-elle au corps ?
Le Zohar, à propos de l’allégorie de Jonas émet des remarques qu’il convient d’évoquer :
« La narration de Jonas est une allégorie de ce qui arrive à l’âme lorsqu’elle descend dans un corps. Pourquoi l’âme est-elle appelée Jonas ? Parce que quand l’âme s’associe au corps, c’est elle qui subit un préjudice. « Jonas » signifie porter préjudice, ainsi qu’il est écrit : « Ne portez pas préjudice à votre prochain » (Lév. XXV). Jonas s’embarque : c’est l’âme qui s’embarque ici-bas pour traverser l’océan de la vie ». (44)
Pour entendre ce texte, il convient de le faire suivre de celui-là :
« Lorsque le Saint, béni-Soit-il, fut sur le point de créer le monde, il décida de façonner toutes les âmes qui seraient attribuées, chacune en son temps, aux enfants des hommes ; chaque âme fut formée exactement selon le même modèle que le corps qu’elle était destinée à habiter. Les passant en revue, il vit que certaines âmes tomberaient en ce monde dans des voies corrompues. A chacune, quand vient son temps, le Saint, Bénit-Soit-Il, ordonne de venir à Lui et Lui dit : “Va, descends en tel endroit, en tel corps ». Mais parfois l’âme répond : « Maître de l’Univers, je suis contente de rester en ce royaume et je n’ai nul désir de le quitter pour un autre corps où je serai asservie et souillée ». Alors le Saint, Néni-Soit-Il, répond : « Ton destin est, et a été depuis le jour où je t’ai façonnée, d’aller en ce monde là. » L’âme comprend qu’elle ne peut désobéir, descend malgré elle et entre en ce monde ». (45)
L’âme dans la Révélation biblique est créée et elle n’est pas, par nature, consubstantielle à Dieu, mais elle s’inscrit dans la création du corps, elle s’intègre dans ce temps car le Lévitique XVII, 11-15 précise un certain nombre de points importants :
« Car l’âme de la chair est dans le sang et, moi, je l’ai mis pour vous sur l’autel, pour faire propitiation pour vos âmes, car c’est le sang qui fait propitiation pour l’âme. C’est pourquoi j’ai dit aux fils d’Israël : Personne d’entre vous ne mangera de sang et l’hôte qui séjourne au milieu de vous en mangera pas de sang. Tout homme des fils d’Israël et des hôtes qui séjourne au milieu d’eux, qui aura chassé du gibier, bête ou oiseau qui se mange, il répandra son sang et le couvrira de poussière. Car l’âme de toute chair est son sang dans son âme et j’ai dit aux fils d’Israël : vous ne mangerez pas du sang d’aucune chair, car l’âme de toute chair est son sang ; chacun de ceux qui en mangeront sera retranché. »
On peut déduire de ce passage plusieurs points :
– l’âme de toute chair est son sang sans son âme.
– il convient de répandre le sang de la bête dans la poussière.
Si l’âme de toute chair est son sang dans on âme, il n’est pas dit que l’âme soit le sang mais que le sang est le lieu d’habitation, le lieu de circulation de l’âme, dans le corps. Ainsi le Rabbin Elie Munk précise à propos de ce verset :
« Le sang des animaux, tels que les bêtes sauvages et les volatiles, qui « contient l’âme » sera couvert de terre par respect pour l’âme, de même qu’il a été ordonné d’ensevelir le corps humain, par respect pour lui. » (46)
Cela n’est pas seulement une question de respect, si le sang est le lieu et le véhicule de l’âme, et puisque le sang est partie intégrante et intérieure du corps, si ce dernier doit revenir à la terre, le sang comme le corps doit suivre le même précepte de Dieu envers l’homme après sa chute : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière » (Genèse III, 19).
Mais de quel sang s’agit-il ? A la suite de Saint Paul, Origène enseigne qu’il y a deux hommes en chacun de nous : « Comment est-il dit que l’âme de toute chair est le sang ? C’est là le grand problème. Or tout comme l’homme extérieur a pour homonyme l’homme intérieur, ainsi en va-t-il pour ses membres ; et l’on peut dire que chaque membre de l’homme extérieur se retrouve, sous ce nom, dans l’homme intérieur » (47) et le Maître Alexandrin ajoute :
« Puisque tu retrouves tous ces éléments du corps matériel dans l’homme intérieur, ne doute plus que le sang aussi, sous le même nom que le sang matériel et tout comme les autres parties du corps existe dans l’homme intérieur. C’est ce sang-là qui se répand de l’âme du pécheur. Et en effet : Du sang de vos âmes il sera demandé compte. Il n’a pas dit : de votre sang ; mais du sang de vos âmes » (48).
On ne peut, à partir de cette distinction de l’homme intérieur et de l’homme extérieur, dissocier l’âme du corps comme le rappellera Tertulien par exemple, en son traité la Résurrection des morts :
« En fait ni l’âme n’est à elle seule l’homme, puisqu’elle a été introduite après coup dans un moulage d’argile déjà appelé homme (Gen. II, 7), ni la chair n’est l’homme sans âme, cette chair qui, lorsque l’âme s’en est allée, reçoit le nom de cadavre. Ainsi le mot « homme » est-il comme une sorte d’agrafe qui tient liées ensemble les deux substances, puisqu’elles ne peuvent exister sous ce nom que dans leur assemblage » (49).
À quel instant s’unit-elle au corps ? Origène interroge le lecteur comme lui-même se pose ce problème, en le Traité des Principes :
« Au sujet de l’âme, toutefois – est-elle introduite par l’intermédiaire de la semence, si bien que sa raison ou existence doit être tenue pour insérée dans les semences corporelles, ou bien a-t-elle un autre principe et ce principe est-il engendré ou inengendré, et entre-t-elle dans le corps de l’extérieur, ou non -, cela n’est pas clairement précisé dans la prédication ». (50)
Tertullien pour son compte demeure aussi perplexe en son traité La Résurrection des morts :
« Mais l’a-t-il placée ou ne l’a-t-il pas plutôt introduite dans la chair, mêlée à elle ? En un alliage si compact, qu’on ne peut guère juger si c’est la chair qui est le support de l’âme, ou l’âme celui de la chair, si c’est la chair qui est au service de l’âme ou l’âme au service de la chair ». (51)
Certains ont prétendu percevoir chez le Pasteur Hermas la négation de la trinité corps, âme et esprit, que nous n’avons point perçu. Le fait méritait d’être souligné puisque selon la critique classique le Pasteur n’évoque pas le principe de l’âme, mais cela ne signifie pas qu’il en conteste l’existence, quand un Ignace d’Antioche par contre en sa Lettre aux Philadelphiens écrit :
« Ils seront eux aussi honorés par le Seigneur Jésus-Christ, en qui ils espèrent de chair, d’âme et d’esprit, dans la foi, la charité, la concorde ». (52)
Justin avoue aussi son ignorance sur ce qu’est dans ce Dialogue avec Tryphon :
« Les philosophes ne savent donc rien sur ce point, puisqu’ils ne savent pas ce que c’est que l’âme ?
– Il ne paraît pas ». (53)
Les philosophes ne sont pas seulement ceux du platonisme et du stoïcisme, c’est aussi les philosophes chrétiens ; seul est affirmé le principe selon lequel le corps est la maison de l’âme :
« Ce corps que Dieu en effet a façonné en Adam est devenu « la maison » de l’âme insufflée par Dieu, comme vous pouvez tous le comprendre ». (54)
À propos de cette insufflation Irénée de Lyon écrit en son Traité Contre les Hérésies :
« Ils ne voient pas comment, de même qu’au début de notre création en Adam ce souffle de vie qui venait de Dieu, uni à la matière créée, anima l’homme et manifesta l’animal raisonnable, de même à la fin le Verbe du Père et l’Esprit de Dieu, unis à l’antique substance de la création d’Adam, ont fait l’homme vivant et parfait, recevant le Père parfait ; ainsi, de même que dans l’être animal nous sommes tous morts, de même dans l’être spirituel nous sommes tous vivifiés ». (55)
Cette différence entre le souffle de vie et l’Esprit Saint tient notamment dans le fait que le premier est possédé par l’homme avec des limites alors que le second reçoit dans on infinité l’homme qui se donne à lui.
Il n’y a donc pas pour l’instant chez les Pères d’idée précise sur la façon dont l’âme s’unit au corps, si ce n’est Irénée dans une affirmation qui sera reprise par Tertullien : ces deux éléments, l’âme et le corps s’inscrivent au même moment dans un schéma de destinée. Tertullien en son Apologétique écrit :
« Quant à nous, l’homicide nous étant défendu une fois pour toutes, il ne nous est pas même permis de faire périr l’enfant conçu dans le sein de sa mère, alors que l’être humain continue à être formé par le sang. C’est un homicide anticipé que d’empêcher de naître et peu importe qu’on arrache l’âme déjà née ou qu’on la détruise au moment où elle naît. C’est un homme déjà ce qui doit devenir un homme ; de même, tout fruit est déjà dans le germe ». (56)
Tertullien comme Athénagore croit à l’animation immédiate de l’embryon d’une part et que ce fait provient d’autre part de ce que l’âme est présente dès la procréation : il y a origine simultanée de l’âme et du corps ; c’est tout le sens de son traité sur l’Ame, qu’il affirme aussi en son traité la Résurrection des morts :
« La chair qui dès son origine utérine est semée, formée, engendrée en même temps que l’âme, est encore mêlée à elle dans toutes ses activités ». (57)
Pour conclure, sans citer tous les Pères, nous évoquerons Grégoire de Nysse qui dans son Traité la Création de l’homme affirme ce qui deviendra la foi définitive de l’Église :
« L’homme étant un, composé d’une âme et d’un corps, on ne peut attribuer à ce composé qu’une origine unique et commune si l’on veut éviter de devoir le déclarer à la fois plus ancien et plus récent que lui-même, selon l’hypothèse où son corps serait créé le premier, et l’autre composante ensuite. Ce que vous affirmons, c’est qu’à l’origine, la puissance de la prescience divine, comme on l’a exposé un peu plus haut, donne l’existence à la plénitude du genre humain dans sa totalité ». (58)
L’âme et le corps s’inscrivent donc dans le même engendrement, cela au moment de la conception, ce qui sera dogmatisé par Benoît XII en 533 et rappelé par Léon XIII en 1910.
Lire la deuxième partie de cet article.
Plus sur le sujet :
Consolamentum, réincarnation et évolution spirituelle dans le catharisme et le Christianisme Originel, Jean-Pierre Bonnerot. Paru dans les Cahiers d’Études Cathares n° 98 de l’été 1983. © Jean Pierre Bonnerot, tous droits de reproduction interdits.
Notes :
(1) Confer notre étude : Satan, Lucifer, le Prince de ce monde et les démons dans la tradition chrétienne et l’exégèse scripturaire, Narbonne, Cahiers d’Études Cathare Ed. Document à télécharger en .pdf sur ce site : Satan, Lucifer, le Prince de ce monde et les démons dans la tradition chrétienne et l’exégèse scripturaire.
(2) Maurice Magre : Le Sang de Toulouse. Paris, Robert Laffont Ed, 1978, page 278.
(3) Rachi : Le Pentateuque avec Rachin. Volume 1 : La Genèse Paris, Fondation Samuel et Odette Levy Ed, 1979, page 5.
(4) Grégoire de Naziance : Homélie XL : Pour le Saint Baptême. Paragraphe II in : Homélies (extraits). Namur, Editions du Soleil Levant, 1962 pages 57 et 58.
(5) Jean Scot : Commentaires sur l’Evangile de Jean. Livre III paragraphe 1, Paris, Editions du Cerf, Collection Sources chrétienne n° 180 – 1972, page 205.
(6) Origène : Entretien d’Origène avec Héraclide paragraphe 25, Paris, Editions du Cerf, Coll. Sources chrétienne n° 67 – 1960, pages 103 à 105.
(7) Rachi : op cité, volume 5 : le Deutéronome. ibid, 1981, page 163.
(8) Elie Munk : La voix de la Thora. Volume 5 : le Deutéronome. Paris, Fondation Samuel et Odette Levy Ed, 1981, page 213.
(9) On lira avec intérêt : Herman Hailperin : De l’utilisation par les chrétiens de l’oeuvre de Rachin. in : Rachi (ouvrage collectif). Paris, Service Technique pour l’éducation. Ed, 1974, pages 163 à 200.
(10) Le Zohar II, 113a – in : Le Zohar, extraits choisis et présentés par Gershon Scholem, Paris Ed du Seuil, Coll. Sagesses n° 21, 1980, page 88.
(11) Ambroise de Milan : La mort est un bien II, 3 – in : Cyprien et Ambroise : le chrétien devant la mort. Paris, Ed Desclée de Brouver Ed, coll. les Pères dans la foi, 1980, page 41.
(12) Jean Chrysostome : Homélie 25 sur l’Evangile selon Saint Jean – in : le Baptême d’après les Pères de l’Eglise. Paris Grasset Ed, colle lettres chrétiennes n° 5, 1962 page 211.
(13) Jean Duvernoy : la Religion des Cathares. Toulouse, Privat Ed 1976, page 145.
(14) Rachi : op cité, volume 1 : la Genèse, ibid, page 15.
(15) Elie Munk : op cité, volume 1 : la Genèse, ibid, 1981, page 23.
(16) Carlo Suares : la Kabbale des Kabbales, Paris, Adyar Ed, 1962, page 51.
(17) Zohar I, 284b – in : La Kabbale, pages classées du Zohar. Paris Ed du chant nouveau. 1946, pages 81 et 82.
(18) Zohar I, 61 a – Ibid, page 82.
(19) Zohar I, 85 b – Ibid, page 83.
(20) Louis Rougier : l’Origine astronomique de la croyance pythagoricienne et l’immortalité de l’âme. le Caire, Institut Français d’Archéologie Orientale, Ed, tome 10, 1933.
R.P. Festugière : La Révélation d’Hermès Trismégiste, tome 3 : les doctrines de l’âme. Paris, Librairie Gabalda Ed, 1953.
Textes et Oeuvres divers publiés par les Editions les Belles Lettres.
(21) Gershom. G. Scholen : Les Origines de la Kabbale. Paris, Aubier-Montaigne Ed, 1966 page 252. On lira avec intérêt le paragraphe 10 du chapitre 2 : Migration des âmes et mystique de la prière dans le Bahir, mais aussi toute l’oeuvre de l’auteur dont les traductions figurent chez Payot et Aubier.
(22) Origène : Homélie sur Jérémie I, paragraphe 10. Paris, Ed. du Cerf, Coll Sources chrétiennes n° 232, 1976, pages 217 et 219.
(23) Origène : Traité des Principes – Péri Archon – III, 3. 5 – Paris, Etudes Augustiniennes Ed, 1976, page 189.
(24) Elie Munk : op cité. volume 1 : la Genèse, ibid, pages 257 et 258.
(25) Origène : Homélies sur la Genèse – XII, 4 – Paris, Ed du Cerf, Coll Sources chrétiennes n° 7 bis, 1976, pages 301 et 303.
(26) Origène : Traité des Principes – Péri Archon II, 9, 7 – op cité, page 131 et Sources chrétiennes n° 252 (tome 1) page 369.
(27) Origène : Commentaire sur Saint Jean VI, paragraphe 73 – Paris, Ed du Cerf, coll Sources chrétiennes n° 157 – 1970, pages 183 et 185.
(28) Justin : Dialogue avec Tryphon – Prologue : Comment voir Dieu in : la Philosophie passe au Christ : Oeuvre de Justin. Paris, Desclée de Brouwer Ed, colle les Pères dans la foi, Ictus, 1982, page 128.
(29) Jérôme : Traité sur les erreurs contenues dans le Livre des Principes d’Origène. in : Oeuvres de Saint Jérôme. Paris, Auguste Desrez Ed, 1838, page 421.
(30) Grégoire de Nysse : la Création de l’Homme – 28 – Paris, Desclée de Brouwer Ed, Coll. les Pères dans la foi, 1982, pages 148 et 149.
(31) Origène : Explication du Nôtre Père – 29, in Traité sur la prière. Paris, Desclée de Brouwer Ed, Coll. les Pères dans la Foi, 1977, pages 108 et 109.
(32) Origène : Commentaire sur Saint Jean, op cité, avant-propos de Cécile Blanc, page 24.
(33) Origène : Ibid, VI, 85, op cité, page 191.
(34) Origène : Ibid, VI, 85, op cité, page 191.
(35) Jérôme : Correspondance, Lettre à Démétriadès. in Oeuvres de Saint Jérôme, op cité, page 663 et par une approche aisée Correspondance, Lettre n° 130, Les Belles Lettres Ed, tome 7 pages 187 à 189.
(36) Tertullien : Apologétique 48, paragraphe 2 et 3. Paris, les Belles Lettres Ed, 1971, pages 101 et 102.
(37) Marius Victorinus : Contre Arius Livre I, B, paragraphe 64 in : Traités théologiques sur la Trinité. Paris, Ed du Cerf, Coll Sources chrétiennes n° 68 ; 1960 page 385.
(38) Grégoire de Nysse : Catéchèse de la Foi, 6. Paris Desclée de Brouwer Ed, Coll les Pères dans la Foi, 1978, page 94.
(39) Ibid, page 102.
(40) Premier Concile de Braga : Anathématisme contre les Priscillianistes, 1e Mai 561 ou 563. in : Textes doctrinaux du Magistère de l’Eglise sur la Foi Catholique. Traduction et présentation de Gervais Dumeige. Paris, Editions de l’Orante, 1969, page 140.
(41) Synode de Constantinople : Anathème contre Origène (?!), 543, ibid, page 140.
(42) Murphy et Sherwood : Constantinople II et III. Paris, Editions de l’Orante, Collection Histoire des Conciles oecuméniques, volume 3, 1974, pages 108 et 109.
(43) Augustin : La Cité mystique de Dieu. Livre X chapitre 30. Paris, charpentier Ed, 1843, tome 1, pages 351 et 352.
(44) Zohar II, 1999 a – in : La cabbale, pages classées du Zohar, op cité, page 99.
(45) Zohar II, 96 b – in : Le Zohar, extraits choisis et présentés par G. Scholem, op cité, page 84.
(46) Elie Munk : op cité, tome 3 : Le Lévitique, op cité, 1981, page 151.
(47) Origène : Entretien d’Origène avec Héraclide paragraphe 15, op cité, page 89.
(48) Ibid, paragraphe 22, page 99.
(49) Tertullien : La Résurrection des morts – paragraphe 40. Paris, Desclée de Brouwer Ed, Coll les Pères dans la Foi, 1980, page 102.
(50) Origène : Traité des Principes – Péri Archon, Préface I, 5 – op cité, page 26.
(51) Tertullien : Ibid, paragraphe 7, page 53.
(52) Ignace d’Antioche : Lettre aux philadelphiens XI, 2. in : Les écrits des Pères Apostoliques (Collectif). Paris, Editions du Cerf, Coll chrétiens de tous les temps n° 1, 1969 page 185.
(53) Justin : Dialogue avec Tryphon V, op cité page 130.
(54) Ibid, XL, op cité page 190.
(55) Irénée de Lyon : Contre les Hérésies V – in : Textes choisis. Namur, les Editions du Soleil Levant. Ed, 1963 page 150.
(56) Tertullien : Apologétique IX, 8. op cité, page 22.
(57) Tertullien : La Résurrection des morts XVI, paragraphe 10, op cité page 65.
(58) Grégoire de Nysse : la Création de l’homme XXIX, op cité page 152.