L’Abbé Houssay, alias abbé Julio, est né à Cossé-le-Vivien (Mayenne) le 3 mars 1844. À s’en rapporter à son acte de naissance, on le voit, c’est déjà presque un vieillard, mais à contempler sa belle tête fière et énergique, son regard pénétrant plein d’indéfectible jeunesse, son noble geste tribunitien, à entendre sa voix ferme et vibrante et son verbe, puissant toujours sûr de lui-même, on dirait que la marche du temps, hélas ! si prompte à nous courber, s’est suspendue pour lui et que chaque printemps lui apporte un nouveau regain de vigueur et d’enthousiasme.
C’est qu’il est un de ces prédestinés taillés pour la lutte, un de ces indomptables Antées, qui puisent leurs ardeurs dans la vieille foi des aïeux, leur mère auguste, mais qu’aucun Hercule ne parviendra jamais à terrasser, parce que nul ne saura jamais les en séparer.
M. Houssay aime à rappeler, non sans quelque fine coquetterie, qu’il est le fils d’un vieux brave homme qui démolissait les vieux sanctuaires croulants, pour les remplacer par de nouvelles églises, aux murs solides et résistants, et que, comme lui, il s’est voué à la destruction d’un autre temple vermoulu, devenu trop souvent l’asile des marchands et des exploiteurs publics, pour édifier en sa place le vrai temple du Christ, où Dieu ne sera plus adoré qu’en esprit et en vérité.
Disons que le jeune Houssay ne fût point un de ces Eliacins improvisés ; qu’on pousse au sacerdoce, comme il arrive trop souvent, en vue du lustre qui pourra en rejaillir sur la famille et des intérêts matériels qu’elle en retirera. Il se fit prêtre par vocation et même contre le gré de sa famille, ainsi qu’il arriva à l’Ange de l’École.
Bientôt éclata la guerre de 1870. Nous n’avons pas à insister ici sur la noble et courageuse conduite de l’Abbé Houssay, comme aumônier militaire. Il en a été parlé ailleurs avec tous les détails désirables (L’Abbé Houssay par Fabre des Essarts, Lelièvre imprimeur-éditeur à Laval). Rappelons simplement qu’il sauva un jour trois mille soldats français d’une mort certaine, en déjouant une embuscade organisée contre eux par l’ennemi.
N’était-ce pas là un geste qui le désignait d’avance à la haute mission pacificatrice, à l’auguste rôle de prêtre du Christ miséricordieux, qui devait remplir la seconde phase de sa carrière sacerdotale ?
Après 1870, l’Abbé Houssay fut nommé vicaire de Saint-Joseph à Paris.
En 1885, il abandonnait le ministère paroissial et fondait la vaillante petite feuille intitulée la Tribune du Clergé, avec le concours des abbés Déramey, professeur en Sorbonne, Sanvert, Roca, Jouet et de tous les prêtres libéraux de l’époque.
Il nous souvient de la mystérieuse officine où se forgeaient tous ces vibrants articles, échos éloquents des revendications des opprimés et des exploités.
C’était au numéro 21 de la rue Croix des Petits-Champs, en ces mêmes locaux où devait plus tard s’installer la rédaction de L’Éclair. Plus d’une fois, nous y portâmes nous-mêmes notre prose et nos vers, qui s’efforçaient d’égaler les audaces révolutionnaires de tous ces braves prêtres, mais qui jamais ne les dépassèrent. Nous devons ajouter que nous y fûmes toujours accueillis avec la plus amène courtoisie.
Malheureusement de regrettables dissentiments ne tardèrent pas à s’élever entre l’Abbé Houssay, directeur du journal, et l’abbé Déramey, son principal rédacteur. La Tribune du Clergé devait y périr !
L’Abbé Houssay, qui avait depuis quelque temps adopté le pseudonyme de Julio, sous lequel nous le désignerons désormais, vécut alors du produit de quelques leçons d’enseignement classique, lesquelles excellemment données multiplièrent rapidement autour de lui la clientèle. Mais par ses articles de la Tribune il s’était attiré une de ces inimitiés, qui ne reculent devant aucun moyen pour s’assouvir.
Tous ses élèves lui furent successivement enlevés par les louches manœuvres de la haute administration diocésaine.
Il fallait vivre, pourtant, afin de pouvoir philosopher ! Julio entra comme comptable dans une importante maison industrielle de la capitale. Il put de la sorte mettre quelques économies de côté qui lui permirent de publier Gorin et Cie, l’Archevêque de Paris et les Dames de Carreau, Passibonqueça, Un Forçat du Bagne, Clérical et divers, autres ouvrages pétillants de verve, et d’esprit.
Dès cette époque, l’abbé Julio était hanté de la grande et généreuse idée de la synthèse religieuse, qui devait plus tard s’affirmer si éloquemment au Congrès de Chicago et inspirer de si magnifiques discours au Père Hyacinthe Loyson, à qui nous réservons une longue étude en tête de la deuxième série du présent ouvrage.
Rapprocher toutes les religions, mettre en lumière tous les points communs qui existent entre elles, montrer qu’au fond c’est toujours le même Dieu, le Père universel, qu’elles honorent, établir enfin que la Religion est ce qui doit réunir, rallier, relier les hommes, et ce qui doit les diviser, tel est le programme qui fut élaboré par Julio, de concert avec Mme de Morsier, la Comtesse d’Adhémar, le Mage Jhouney, l’abbé Pochon, le pasteur Wagner et quelques autres dont les noms nous échappent.
On s’émut à l’archevêché du bruit qui commençait à se faire autour du nom de l’Abbé Houssay.
Maintenant qu’il frayait avec l’aristocratie de nom et d’intelligence, on pensa qu’il était de bonne politique de le rappeler clans le giron sacré. M. Richard lui fit offrir une paroisse, à son choix : Julio jeta son dévolu sur la modeste cure de Pont-de-Ruan, dans l’Indre-et-Loire.
Le séjour qu’il fit en cette paroisse fut pour lui l’occasion d’études approfondies sur la potentialité sacerdotale. La haute et sainte magie des sacrements exposée dans le beau livre de Léonce de Larmandie lui apparut dans toute sa puissance. Il ne tarda pas à se convaincre que le prêtre, le vrai prêtre selon le Christ, dispose de dons spéciaux qu’il lui appartient de mettre en valeur.
Il se nourrit d’un vieux rituel, jadis, suivi par l’Église catholique, mais aujourd’hui volontairement négligé par elle, le Bénédictionnal Romain, dont il devait donner plus tard une attachante traduction dans son livre intitulé les Secrets Merveilleux. Il fit mieux : il le mit en pratique. Quelques importantes guérisons furent opérées par lui, sous l’influx mystérieux de sa parole, de son geste sacerdotal, avec le double adjuvant de la foi et de la prière. On vint à lui de tous les points de la France et les cures se multiplièrent.
Sur ces entrefaites, il avait donné sa démission de curé et était venu se fixer à Paris, où il fonda une intéressante petite revue, qui modestement se nomma L’Étincelle, dont les colonnes sont, remplies de ces saines et saintes vérités, qu’il s’est donné la mission de répandre à travers le monde.
Un certain nombre de prêtres libéraux prêtent à l’abbé Julio le concours de leur plume. Quelques-uns ont dû conserver l’anonymat pour ne point compromettre leur situation officielle. Parmi ces derniers se trouvent, paraît-il, quelques membres du haut clergé.
L’abbé Julio avait précédemment installé une petite chapelle, rue Vernier, à Paris, où les offices étaient régulièrement célébrés. Il a, depuis, transporté à Vincennes, sa demeure et son autel, et à l’heure où paraîtront ces lignes il aura une église à lui en plein cœur de la capitale.
Nous ne retracerons point ici la série de toutes les basses calomnies, de tous les complots de sacristie qui s’insurgèrent contre son œuvre. Ne l’accusa-t-on pas de célébrer la messe noire ? Il semble que ce soit là la classique accusation, qui depuis quelques années se formule contre quiconque rend à Dieu un culte qui n’a point reçu l’estampille de Rome. Sur qui ne l’a-t-on pas fait peser, cette abominable inculpation ?
L’abbé Julio dit sa messe conformément aux rites catholiques. Il a respectueusement conservé toutes les formes, tous les textes, et jusqu’à la coupe et à la couleur des ornements sacrés. Il a toutefois introduit dans son martyrologe un certain nombre de saints, qui, pour Rome, sentent singulièrement le roussi, tels que Savonarole, Jean Huss, et Giordano Bruno, dont les statues décorent les murs de sa chapelle. Il faut y ajouter notre grande et chère Jeanne d’Arc.
Julio ne pratique aucune incantation magique, s’il faut entendre par là tout ce qui vient des régions inférieures ; il admet ce qui vient d’En Haut et il pense que les objets de piété n’ont qu’à être déposés sur l’autel pendant l’office divin, pour être bénéficiés par voie d’induction sacramentelle et y contracter des propriétés curatives.
L’abbé Julio rejette tous les abus de la confession auriculaire et n’admet pas que le célibat des prêtres soit obligatoire.
Selon lui, il vaut mieux être un bon époux et un bon père de famille, que d’être un mauvais prêtre qui perd et scandalise les âmes. Sans hésitation aucune il marie dans son église tout prêtre qui désire rentrer, dans le monde.
La communion se fait dans son temple sous l’unique espèce du pain. Mais il estime que le retour aux deux espèces serait plus conforme à la tradition initiale.
Dans sa nouvelle église, il n’y a ni chaises payantes, ni quêtes, ni casuel ; il n’y a qu’une seule classe, parce que tous sont égaux. C’est l’église gratuite, c’est l’Église de tout le monde.
Un grand événement vient de couronner sa carrière apostolique. C’est sa consécration comme évêque et comme chef de l’Église catholique libre de France.
Cette solennité a eu lieu le 4 décembre 1901, eh l’église paroissiale vieille-catholique de Thiengen (duché de Bade), avec, pour consécrateur Mgr Paolo Miraglia, évêque de l’Église catholique indépendante d’Italie, et pour assistants, M. Paul Kaminski, curé de la paroisse, et M. Aloysius Blum, président du conseil paroissial.
Cet événement nous a inspiré à nous qui sommes un vieil ami de l’abbé Julio les quelques vers suivants :
Ad multos annos!
Tout là-bas, assez loin de la Reine du Monde
Pour n’être point troublé par sa rumeur profonde,
Assez près pour sentir ses rayons réchauffant,
Il est un seuil qu’entoure un coquet paysage :
C’est l’abri d’un lutteur, c’est l’asile d’un sage,
C’est le séjour béni des espoirs triomphants !
Un Frère, qui longtemps, comme lui, tint l’arène
Sur son front a versé l’onction souveraine ;
Mais, tandis que partout l’autre culte aux abois
Étale insolemment son faste et sa superbe,
Lui voulut revenir au précepte du Verbe :
Étant évêque d’or, il prit crosse de bois !
L’abbé Julio est, lui aussi, poète à ses heures, et poète charmant, et volontiers, entre deux exercices religieux il sacrifie à la muse sainte, celle qui inspira les Synésius, les Grégoire de Nazianze et les Prudence Apollinaire. Voici la conclusion d’un hymne à l’Amour universel. Nous ne saurions clore plus heureusement cette rapide étude :
… Il est un autre amour, auguste et pur flambeau !
C’est l’Amour du Grand Dieu, seul Bon, seul Vrai, seul Beau !
Quand le Ciel est à moi, que m’importe la Terre ?
Mais pour aimer mon Dieu, je dois aimer mon frère.
J’imite mon Jésus, je calme la douleur,
Je donne, la sauté !… pour mon frère et ma sœur
Toujours brille d’amour mon âme inassouvie,
Et pour l’humanité je donnerais ma Vie…
Ah ! c’est ainsi qu’on aime au céleste Séjour !
Toi seul es vrai, divin Amour !
Plus sur le sujet :
L’abbé Julio et l’Eglise Catholique Libre, Fabre des Essarts.
En apprendre plus sur la Gnose et les églises indépendante en visitant le site de l’EGC.
Extraits de l’ouvrage Les Hiérophantes, pages 277-285.