Moïse Zacuto et son « Shorshei ha-Shemoth », Corne d’Abondance des Carrés Magiques par Jacobus Swart.
Si je devais un jour penser aux moyens de pratiquer des invocations spécifiques afin d’obtenir un « ibbur », une imprégnation de mon être par l’âme d’un maître passé de grand renom, ou de retracer la racine de l’âme d’un Kabbaliste réputé afin que mon âme soit, par ce moyen de Yichudim (unification), liée à la sienne, je me baserais sur deux hommes remarquables que je considère comme les plus grands adeptes de la Kabbale Pratique, les deux individus qui qui se sont voués à la préservation des enseignements de la Kabbale pré lourianique. Je me réfère bien sûr à Moïse Cordovéro qui a écrit le Pardès Rimonim (Jardin de la Grenade) et à Moïse Zacuto qui nous a laissé son Shorsheï ha-Shemoth (Racines des Noms) composé de 675 pages garnies des descriptions les plus détaillées des Noms Divins, Anges, Kameoth (amulettes), « carrés magiques » et assortis de techniques magiques. Je pense mon sens de la liberté détesterait probablement ce grand rabbi du XVIe siècle, mais je pense qu’il se pourrait qu’il y ait assez de « liberté » dans la pensée de Moïse Zacuto pour garantir le succès si je devais jamais essayer de mettre en acte ce qui ne sont jusqu’à présent, que de simples spéculations.
Il n’y a absolument rien d’ordinaire concernant le remarquable, excitant et charismatique « Ramaz » (Rabbi Moïse Zacuto). Ce que nous connaissons de sa vie a plus d’intérêt que de la vulgaire information. Découvrir la vie de ce grand homme requiert un gros travail de détective puisque jusqu’à très récemment, nous ne connaissions que très peu de choses à son sujet. Le grand Rabbi ne nous dit que très peu sur lui-même, et il est à présent assez clair que beaucoup de ce qui a été écrit sur sa vie par ses biographes, est faux. Même l’éloge écrit par un de ses admirateurs et disciple, Benjamin Cohen de Reggio, se révèle être très peu fiable.
Nous savons avec assurance que Moïse ben Mordecaï Zacuto est né au sein d’une famille marrane. Ce mot « marrane » signifie « porcs » et il fut attribué par les autorités catholiques aux juifs et aux musulmans qui ne quittèrent pas l’Espagne après la grande expulsion de 1492, mais qui choisirent de se convertir au christianisme et continuèrent ensuite à pratiquer secrètement leur foi. Le même terme était utilisé pour les juifs qui choisirent de se convertir et de demeurer au Portugal lorsque, sous la pression de l’Inquisition, une nouvelle expulsion des juifs fut imposée au Portugal.
Des supputations contradictoires furent émises concernant le lieu de naissance de Moïse Zacuto. La plupart des chercheurs maintiennent qu’il naquit à Amsterdam, tandis que d’autres lui préfèrent Venise où l’on dit que son frère Néhémiah résidait. L’année 1625 comme date de sa naissance est presque unanime, alors qu’un seul biographe a fourni des preuves solides qui est né en 1612, bien que ceci soit refusé par tous. On peut se questionner sur toute cette confusion, mais il s’avère que cela est dû à quelque changement de nom qui prit place dans la famille de Moïse Zacuto lorsqu’elle émigra du Portugal à Amsterdam. Ce sont les registres municipaux de cette ville relatifs aux immigrants marranes qui aident à résoudre le mystère de la naissance de Zacuto ainsi que ses premières années.
À présent, nous savons que la famille de Moïse Zacuto portait le nom de Nunez au Portugal, sa patrie d’origine. Les documents découverts dans les archives municipales nous informent qu’un agent de change nommé Enrique Zacuto et Diego Nunez son fils de 29 ans, arrivèrent à Amsterdam le 14 mai 1615. Enrique Zacuto, connu aussi sous le nom de Moïse Zacuto, était le grand-père de notre illustre rabbi. Enrique avait d’autres fils et filles, et selon les archives, une de ses filles appelée Isabel Nunez continua à vivre à Lisbonne alors que la plupart des membres de la famille avaient émigré en Hollande.
Il est dit, en outre, que le vieux Zacuto avait deux fils appelés Abraham et Mordechaï, ce dernier étant le père de notre Moïse Zacuto. Après son arrivée à Amsterdam en 1615, Mordechaï dut remarier son épouse ainsi que cela était imposé par la loi juive concernant les marranes qui revenaient à la foi juive. Comme il était déjà marié depuis quelques années, il apparaît maintenant hautement probable que la naissance de Zacuto aux environs de 1612 soit juste, et que plutôt que d’être né à Amsterdam, comme cela est généralement accepté, il se pourrait bien qu’il soit en fait né à Lisbonne. Mordechaï s’établit à Poznan (Pologne) où il monta une fabrique de textiles. En 1618, Enrique Zacuto aida au développement de la carrière de son fils en soutenant son apprentissage du polissage des saphirs, des diamants et des rubis. Cependant, la communauté juive de Poznan se sentit menacée par les Portugais qui s’y établirent, et en plus des tensions qui existaient entre les deux communautés, les autorités juives locales imposèrent certaines restrictions aux marchants immigrés portugais.
Je ne vais certainement pas vous surcharger de plus détails concernant le père et le grand-père de Zacuto, mais en résumé, il est clair que la famille de Zacuto était marrane, originaire du Portugal où le nom de famille était alors Nunez. Nous avons vu que quelques membres de la famille restèrent au Portugal tandis que d’autres migrèrent à Amsterdam. Le grand-père Enrique Zacuto monta une affaire de textiles et installa ses fils en Pologne.
Ainsi, il est claire que notre Rabbi Moïse Zacuto grandit dans une famille riche, et sachant que son père dirigeait une affaire de textile à Poznan, nous savons maintenant pourquoi il étudia là. Cependant, notre Rabbi voyagea beaucoup dans sa jeunesse du fait des activités commerciales de son grand-père dans d’autres pays. Voilà pourquoi notre Rabbi voyagea tant et étudia dans de si nombreux endroits.
Sous la tutelle d’excellents mentors, parmi lesquels son favori Elhanan, que Sholem pense être le « Elhanan le Kabbaliste » ; Saul Levi Morteira à l’université talmudique Etz Chayyim d’Amsterdam et Binyamin ha-Levi en Italie, un disciple d’Isaac Luria que le Arizal envoya en Italie afin de répandre ses enseignements, Moïse Zacuto devin un poète célèbre, un dramaturge, un Kabbaliste pratique et un exorciste. Il était apparemment incliné vers le mysticisme depuis son enfance, et la Kabbale demeura son centre d’intérêt principal tout au long de sa vie. Il organisa son existence entière autour des enseignements de cette grande tradition, et il se purgea littéralement de tout ce qui ne pouvait convenir à la voie kabbalistique. À un moment, il considéra même le latin qu’il avait appris comme irréconciliable avec la Kabbale et il décida d’employer 40 jours afin d’ « oublier » ce qu’il connaissait de cette langue. Nous ne sommes pas informés du succès de cette activité drastique.
Moïse Zacuto était un poète prolifique, et une grande partie de sa poésie a survécu. Un poème, intitulé « Elef Alpin » comprend un millier de mots commençants tous par la lettre Aleph. Ses 47 poèmes liturgiques sont profondément kabbalistiques, et quelques-uns ont été incorporés dans les livres de prières. Comme nous l’avons indiqué, il était également un célèbre dramaturge et son Tofteh Aruch fut salué comme le drame juif le plus populaire du 18e siècle. Une autre de ses pièces fameuses fut Yesod Olam (Fondement de la Terre), un drame sur la vie d’Abraham, le patriarche. Parmi les personnages notables qui suivirent ses pièces, il y eut Baruch Spinoza qui fut plus tard excommunié en tant qu’hérétique par les autorités religieuses juives d’Amsterdam.
Comme nous l’avons noté plus haut, Moïse Zacuto étudia à Poznan, en Pologne, et ensuite en Italie. Il avait initialement planifié d’entreprendre un pèlerinage vers la Terre Sainte, mais il en fut empêché par ceux qui le convainquirent de rester en Italie en tant que Rabbi de Venise, où il demeura jusqu’en 1673, année où il prendra la charge de Grand Rabbin de Mantoue. Il établit un séminaire kabbalistique, et parmi ses étudiants on comptait Samuel Ottolengo, un autre poète et kabbaliste né à Venise ; le jeune Moïse Chaïm Luzzatto, considéré comme l’enfant prodige de la Kabbale et ayant mémorisé tous les écrits du Ari avant ses 14 ans ; Abraham Rovigo qui était un Sabbatéen (disciple de Sabbataï Zevi) ; et Benjamin ben Eliezer ha-Kohen de Reggio, un autre ma’aminim (disciple de Zevi).
Moïse Zacuto flirta aussi avec ce mouvement messianique Sabbatéen mais il le rejettera ensuite. C’est dans le champ de la Kabbale pratique que notre Rabbi excella véritablement. Il avait étudié la Kabbale lourianique directement des émissaires de Safed qui étaient en Italie, mais il s’opposa à tout mélange avec les enseignements de Moïse Cordovéro avec ceux de la Kabbale du Arizal. Cependant, bien qu’il se familiarisa avec l’ensemble des écrits lourianiques, il fut particulièrement dévoué à l’étude des traditions de la Kabbale primitive dont la plus grande part sera collectée dans le Shorsheï ha-Shemot, son compendium de Kabbale Pratique qui, dès le départ, fut largement mis en circulation sous forme de manuscrit parmi les kabbalistes. Aujourd’hui, cet ouvrage est disponible facilement dans de magnifiques éditions (uniquement en original hébreu).
Ce texte magique doit être considéré comme le premier « grimoire » hébreu de dimension véritablement épique, dont la portée surpasse tous les autres, de La Sacrée Magie d’Abramelin le Mage, une oeuvre qui inclut l’utilisation de Noms Divins, des Intelligences Spirituelles, des incantations magiques et des carrés magiques. En fait, je suspecte qu’il y ait quelque lien entre les deux oeuvres et je suis impatient de voir une étude future plus détaillée entre ces deux textes.
L’attention apportée par Moïse Zacuto dans les détails du Shorshei ha-Shemoth est absolument étonnante. Par exemple, considérons le très connu Nom divin AGLA, acrostiche kabbalistique pour Atah Gibbor L’Olam Adonaï (A toi la puissance pour toujours Seigneur). Le « Nom » est vibré au nord dans tous les « Rituels Mineurs de Bannissement du Pentagramme » tels qu’enseignés par l’Ordre Hermétique de la Golden Dawn et ses descendants. La prononciation usuelle est Ah-glah, mais combien de ces invocateurs sont familiers avec les détails de la Kabbale traditionnelle concernant l’utilisation de ce « Nom », ou avec ses différentes vocalisations ? Ici, le Shorshei ha-Shemoth est d’une valeur inestimable, car il fournit tous ces détails. Par exemple, il donne les différentes prononciations de ce Nom : Agula (Ah-goo-loh) ; Agli (ah-glee) ; Agala’a (Ah-ga-lah-ah) ; Agila (Ah-gii-lah) ; etc. En outre, il nous informe clairement des origines et des raisons des utilisations magiques de cet acronyme.
Il n’est pas de mon intention ici de discuter de chaque détail de ce texte, mais je veux partager avec vous quelques-uns des carrés magiques intéressants que l’on peut trouver dans cette véritable corne d’abondance de Noms Divins, d’Intelligences Célestes, de talismans, etc. Voici trois exemples que l’on peut trouver dans le Shorshei ha-Shemoth.
Le carré ci-dessous est utilisé en guise de protection. Les mots et phrases suivants sont révélés en lisant :
1. la première lettre de chaque case :
אהיה
יהוה
אדני
2. la seconde lettre de chaque case : ישלח עזרב מקדש
3. la troisième lettre de chaque case : ישמר במבל רעיש
4. la quatrième lettre de chaque case : ישמר צאתב ובאב
Ce qui donne : « Ehyeh YHVH Adonaï, puisse-t-il t’envoyer son aide de sa sainteté, puisse-t-il te garder du mal, puisse-t-il t’empêcher d’errer ».
Voici un autre carré magique comprenant les première, troisième, cinquième, septième et neuvième lettres de l’alphabet hébreu arrangées dans un carré de cinq cases de côté.
Ce carré est entouré par les Noms des quatre Archanges : Gabriel (dessus), Michaël (dessous), Raphaël (gauche) et Ourial (droite). Ce carré était utilisé comme protection contre les maladies.
Le carré magique suivant est assez similaire au précédent, bien qu’il soit utilisé pour un but totalement différent. Il est constitué des seconde, quatrième, sixième et huitième lettres de l’alphabet hébreu, disposées dans un carré de quatre cases de côté. Il est utilisé afin de conquérir et de défaire ses ennemis.
Il y a dans le Shorshei ha-Shemoth un trop grand nombre de carrés magiques pour les décrire tous en détail ici. On les utilise comme Kameot (amulette/talisman) pour une grande variété de buts, allant des plus sacrés aux plus profanes. La méthode générale d’utilisation est de simplement les dessiner sur un morceau de parchemin, ou sur du papier ordinaire, et de les porter sur soi. J’ai vu une instruction, dans une autre source, selon laquelle il fallait « personnaliser » l’objet en déposant une petite goutte de sang du porteur sur l’arrière de l’amulette. Je connais également un rituel spécifique par lequel la Ruchaniyyut (force spirituelle) est attirée dans le corps d’une personne et ensuite dirigée vers l’objet via les mains et les cinq points spécifiques de l’anatomie.
Finis.
Plus sur le sujet :
Moïse Zacuto et son Shorshei ha-Shemoth, Corne d’Abondance des Carrés Magiques, Jacobus Swart. Traduction française par Spartakus FreeMann, Nadir de Libertalia, janvier 2006 e.v.
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