Tzelem Elohim, théomorphisme ou angélomorphisme ? Par Spartakus FreeMann.
Article basé sur quelques notes et inspirés de l’article de David Silverberg, « Tzelem Elokim : Image or Imagery ? », du Rashi, du Rambam et de Haïm de Volozine. Les méditations dont ce texte est issu remontent au début 2004 lors d’une retraite d’étude avec les hébraïsants belges et Cirdec.
Genèse 1,27 : « Dieu créa l’adam à son image, à l’image de Dieu il le créa, masculin et féminin il les créa. » וַיִּבְרָא אֱלֹהִים אֶת־הָאָדָם בְּצַלְמוֹ בְּצֶלֶם אֱלֹהִים בָּרָא אֹתוֹ זָכָר וּנְקֵבָה בָּרָא אֹתָם ׃
L’homme donc est fait à l’image (בצלם) de Dieu. L’image est Tzelem (צלם) en hébreu que le dictionnaire nous traduit exactement par : image, ressemblance, semblance, vide. Tzelem peut également se traduire par « ombre » (tzel – צאל).
Ce passage de la Torah est souvent interprété comme une preuve de la constitution divine de l’homme sous un angle spirituel mais parfois aussi matériel. L’homme serait donc une image « fidèle » de Dieu, d’un dieu que l’on anthropomorphise afin de théomorphiser l’homme. Les commentateurs de la Torah nous mettent en garde contre ce penchant. Ainsi, Rambam (Moïse Maïmonide) dans sa septième loi de son Yad Hachazakah souligne l’impossibilité de donner à Dieu des caractéristiques physiques et anthropomorphiques. Dans le Guide des Égarés, le Rambam nous dit très clairement : « Il y a des gens qui croyaient que tzelem, dans la langue hébraïque, désignait la figure d’une chose et ses linéaments, et ceci a conduit à la pure corporification de Dieu ». Rambam souligne ensuite qu’en hébreu, la forme se dit « toar » qui est une dénomination que l’on n’applique jamais à Dieu. Quant à tzelem, ce mot s’applique à ce qui constitue la substance de la chose, par quoi elle devient ce qu’elle est et qui constitue sa réalité. Ainsi, au début de son Sha’arei Qedushah, Rabbi Haïm Vital écrit : « Il est connu par les maîtres de la science que le corps d’un individu n’est pas son essence mais plutôt le véhicule de son âme ». L’âme enclose dans le corps est le reflet de la Forme Divine, appelée Tzelem ou Tzelem Élohim (צלם אלהים). Cette Tzelem Élohim peut être décrite comme la forme physique de l’homme reliant l’âme au corps.
Rashi, le grand commentateur, nous dit quant à lui : « À notre image – sur notre modèle – À notre ressemblance – il s’agit de l’intelligence et de la vie intérieure ». Plus loin, il continue « Dieu créa l’homme à son image – sur le modèle fait pour lui (בצלמו). Tout a été créé par la parole de Dieu. L’homme seul a été créé par la main de Dieu ». Le Rashbam commente ce passage : « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image angélique, comme nous dans la sagesse… Dieu créa l’homme selon l’image angélique, selon l’image des anges ». Ce commentaire nous amène alors nous questionner également sur le e utilisé dans ce passage de la Torah. Si Dieu fit l’homme selon l’image angélique, pourquoi utiliser le pluriel « faisons » ? Dieu, selon Rashi, a créé l’homme sur le conseil des anges. En outre, Élohim revêt diverses significations.
Rabbi Haïm de Volozine (« L’Âme de la Vie ») se pose la question de savoir pourquoi l’homme est créé à l’image d’Élohim et non à l’image d’un autre Nom de Dieu. Élohim désigne la divinité en tant que « Maître de l’ensemble des forces dans les divers mondes. Élohim est ainsi un homonyme pour toutes les forces particulières qui existent dans l’univers. Tous les génies du monde supérieur ou du monde inférieur sont appelées Elohim (« Car tous les peuples marchent chacun au nom de ses Élohim» – Michée 4,5). La tradition nous dit également que le Nom Élohim fut attribué et donné en partage aux éléments du monde inférieur et tout particulièrement aux forces qui gouvernent les nations du monde. Cependant, c’est de Dieu et non des hommes ou d’eux-mêmes que ces Élohim reçoivent leur puissance, Dieu n’est-il pas désigné en tant que « Dieu des Élohim» et qu’Il est « grand, plus que les Élohim» (Exode 18, 11) ? Ainsi, Rashi, avec raison, nous dit-il de la création de l’homme : « Faisons l’homme – D’ici nous apprenons la modestie du Saint, béni soit-Il. L’homme étant à l’image des êtres célestes, ceux-ci auraient pu être jaloux. Aussi Dieu a-t-il pris soin des LES consulter… Bien que personne n’ait aidé Dieu dans son oeuvre, le pluriel désigne la modestie de Dieu qui associe les anges à sa création ».
Rambam ajoute en ce sens que ce qui fait la semblance de l’homme à Dieu est son intellect supérieur (« hasagah sichlit ») et que celle-ci rapproche l’homme de la ressemblance des anges qui possèdent la capacité de penser et de raisonner abstraitement. Ainsi, lorsque Dieu annonce « Faisons l’homme à notre image », Il consulte les anges (malakhei hashreit ») en les notifiant de son intention de créer l’homme selon leur propre image à EUX. Ainsi, Tzelem Elohim (צלם אלהים) se rapporte à la ressemblance de l’homme à la qualité angélique et non à l’image de Dieu Lui-même. Dans le Guide des Égarés, Rambam nous dit à ce propos : « Tout hébreu sait que le Nom Élohim est homonyme, s’appliquant à dieu, aux anges et aux gouvernants régissant les états ». C’est dans ce sens Onkelos avait expliqué, le passage « Et vous serez tels des Élohim… » (Genèse 3, 5).
Haïm Vital explique ainsi le pluriel de « Faisons… » : l’âme provient de Dieu, afin de naître, elle descend et revêt un corps comme il est dit « Faisons un vêtement pour l’homme » c’est-à-dire pour l’âme. L’homme sera lors à « Notre image » (betzalmenu) ce qui se réfère à l’image spirituelle des anges. Et « à notre ressemblance » (ki’demuntenu) qui se réfère au vêtement corporel et physique dont se vêtent les anges lorsqu’ils entrent dans ce monde.
Le Ari (Isaac Louria) nous parle de Tzelem en mettant ce mot en parallèle avec l’Arbre de Vie et le Nom Tétragramme (יהוה) : « L’Image de Dieu est l’Arbre : au travers du mot hébreu ’etz l’on découvre que le Nom YHVH se trouve dissimulé dans l’Arbre de Vie : (Y * H + H * Y) + (V * H + H * V) = 160, or ’etz = Ayin (70) + Tsaddé (90) = 160. À savoir que la Torah est également appelée ’etz et que l’homme est également une image de l’Arbre car il fut créé betselem (à l’image de Dieu), or tselem (Tsaddé, Lamed, Mem) vaut également 160 ».
Le Ari explique en outre que comme il est dit dans le Psaumes 39, 7 « ach b’tzelem yithalech ish », l’homme est toujours situé dans l’aura de la Tzelem, mot construit à partir de trois lettres Tsaddi (צ), Lamed (ל) et Mem final (ם). Chaque lettre selon le Ari correspond à un niveau différent de l’homme. Le Tsaddi se réfère à la « lumière intérieure » ou « pnimi » qui correspond à la nourriture que l’on ingère afin d’obtenir la force qui permet à l’être d’exister. Le Lamed est la makif hakarov (lumière proche) qui correspond au vêtement (l’vush) qui commence également par la lettre Lamed. Le Mem est la makif harachok, correspondant à l’espace (makom) dans lequel l’homme vit. Cet espace inclut l’Espace Divin, le Temple qui est le lieu d’adoration de la divinité.
Rabbi Isaac, fils de Haïm de Volozine, nous dit à ce propos : « Le Ari divise la notion de Tzelem en trois aspects suivant les lettres que comporte ce mot. […] Les quatre éléments, feu air eau terre, correspondent aux trois lettres du Tétragramme YHV (יהו), la lettre He finale étant doublée. Ils correspondent d’autre part au Mem (ם) de Tzelem, chacun ayant sa place dans la Kether supérieure. Les éléments actifs, au nombre de trois, correspondent au Lamed (ל), encore au niveau de la Sagesse et des trois Mochin (cerveaux). En s’associant ensuite dans le coeur, ils forment trois groupes de trois. C’est la racine des Sephiroth de Malkhuth ».
Le Zohar et les écrits du Ari soulignent que Tzelem se rapporte au caché, au masculin et à l’actif tandis que Demuth se rapporte au féminin et au passif. C’est dans ce sens qu’il faudrait interpréter Tzelem, tout ce qui s’y rapporte se réfère au caché et ainsi, l’âme demeure invisible comme il est dit « De même que Dieu voit et n’est pas, ainsi l’âme voit et n’est pas vue » (Palmier de Déborah, Moïse Cordovéro). Le commentaire de Rabbi Ashlag sur le Zohar (connu sous le nom de Sulam) nous dit : « Tzelem se rapporte à la conscience du Zeïr Anpin – le masculin – et Demuth se réfère à la conscience de la Nukvah – le féminin ».
Dans le verset « Faisons l’homme à notre image », le Ari nous signale que Élohim est constitué de 5 lettres qui se rapportent aux 5 Partzufim : Aleph (א) se rapporte à Arik Anpin – Lamed (ל) représente Hokhmah (Abba) – He (ה) correspond à Binah (Ima) – Yod (י) est le Zeïr anpin et Mem (ם) se rapporte à Malkhuth. Ainsi, dans ce verset, l’Écriture nous dit que l’homme est formé selon les 5 Partzufim.
Une autre interprétation mystique et kabbalistique que R. Abraham ben David donne du verset de Genèse 1:26-27, se trouve dans le Sepher ha-Bahir (§ 172). Voici un extrait du commentaire en question (in « Lettre sur la Sainteté ») : « Le Saint béni soit-il a sept formes saintes et toutes ont leur correspondant en l’homme, ainsi qu’il est dit : « Car à l’image de Dieu il a fait l’homme, mâle et femelle il les créa » (Gen. 9:6), « A l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa » (Gen. 1:27) et ce sont : la cuisse droite et la gauche, la main droite et la gauche, le tronc et l’alliance. En voilà six, et tu avais dit sept. La septième [forme] est en sa femme, comme il est écrit : « Ils seront une chair une » (Gen. 2:26). »
Dans un autre sens, le Rav Tzadok HaKohen de Lublin insiste sur le fait que ce qui constitue l’image de dieu est la reconnaissance par l’homme de son origine. Bien que toutes les créatures aient leur origine en Dieu, l’homme seul en est conscient, connaissance la source de son origine. De cette prise de conscience résulte un lien particulier entre l’homme et son Créateur qui aboutit à l’assertion que l’homme soit véritablement créé à l’image de Dieu. Ailleurs encore, Rav Tzadok rapproche Tzelem Élohim (צלם אלהים) du libre arbitre. Ce qui fait que l’homme ressemble à dieu est sa capacité unique à prendre ses propres décisions, ce qui est sans doute signifié par « Et vous serez tels des Élohim connaissant le bien et le mal » (Genèse 3, 5). Cette connaissance, unique en l’homme, permet de comprendre la traduction possible d’Élohim par « juges », tels que cela est suggéré par le Rambam, Haïm de Volozine et le Chizkuni (dans son commentaire, celui-ci associe Élohim au sens du mot apparaissant dans Nombres 22, 27).
Si ces interprétations se rapportent uniquement à la sphère spirituelle de la ressemblance de l’homme à Dieu, certains commentateurs et Kabbalistes ont essayé d’étendre cette interprétation à la sphère physique. Ainsi, Rabbeinu Bechayah ibn Pekuda, se basant sur l’interprétation kabbalistique, présente une solution originale en offrant une correspondance entre les divers organes du corps humain et les Dix Sephiroth, ou émanations divines utilisées par Dieu afin de manifester Sa Présence dans ce monde. Pekuda interprète alors le Tzelem Élohim en réinterprétant « Élohim » comme moyen de perception de Dieu plutôt que comme Dieu Lui-même. Puisque l’homme ne peut ressembler physiquement à Dieu, il peut, cependant, symboliser le mode de révélation divine. Cependant, dans cette interprétation il s’agit bien de comprendre qu’il n’est pas question de proposer une identité physique entre l’homme et Dieu. Le risque d’anthropomorphisme demeure grand…
Et ceci nous ramène au commentaire du Rashi sur Tzelem Élohim (צלם אלהים). Rashi traduit « tzelem » par « modèle ». La création de l’homme fut ainsi précédée par la construction d’un modèle que Dieu a utilisé pour la formation de l’homme. Ainsi, l’homme ne possède pas de Tzelem Élohim et la Tzelem est un simple objet utilisé par Dieu afin de faciliter la création de l’Adam. Rashi ajoute ensuite que le modèle lui-même fut construit à l’image de Dieu. Le terme que Rashi utilise pour décrire cette similitude entre Dieu et le modèle est « deyukan », terme qui dénote une image matérielle (un hologramme). Rashi veut-il ainsi nous signifier qu’il existe une ressemblance physique entre l’homme et Dieu ? Pas vraiment, car il semble que le Rashi signifie en fait que le modèle à partir duquel l’homme fut créé n’est pas à l’image de Dieu Lui-même mais comme une représentation de Dieu telle que perçue par les Prophètes. En ce sens, le Maharal élabore sur cette notion l’explication suivante : « l’interprétation n’est pas que Dieu possède une image ou une forme, car ce n’est pas le cas ». Ainsi, nous, humains, pouvons parler de correspondances physiques entre l’homme et Dieu aussi longtemps que nous différencions Dieu Lui-même de toute représentation physique. L’homme ne peut ressembler à Dieu que d’une seule manière possible : en ressemblant à l’image que Dieu revêt lorsqu’Il agit dans le monde physique.
Mopsik dans son article sur le « Sexe des Âmes » nous dit : « Les mêmes expressions qui désignent cette ressemblance de l’homme à Dieu (tselem et demout) sont employées pour qualifier la ressemblance d’un enfant à son père. […] L’homme, en tant qu’image de Dieu, est un composé du mâle et de la femelle […] Image de Dieu, comme lui mâle et femelle, l’homme est chargé de procréer. C’est sans doute par cette action procréatrice que l’homme est effectivement à l’image de Dieu, créateur ou géniteur du ciel et de la terre. Sans doute est-ce là encore une particularité du texte biblique qui n’a pas été suffisamment souligné par les exégètes : la première chose que Dieu dit à Adam (c’est-à-dire à l’homme et à la femme) n’est pas l’interdit de la consommation du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Faisant suite très logiquement à la mention de la ressemblance avec le Dieu créateur, la puissance procréatrice de l’homme est évoquée. Ce n’est certainement pas un hasard de la distribution des éléments du récit qui en est la cause ! Immédiatement après que l’homme est décrit comme étant créé mâle et femelle à la ressemblance de Dieu, il lui est dit d’engendrer. C’est qu’il y a un lien entre l’image de Dieu avec laquelle il a été créé et sa capacité d’engendrer d’autres hommes. Sans doute, Dieu a donné son image à l’homme pour qu’il puisse procréer de l’humain. Cette ressemblance ne serait rien d’autre, finalement, qu’une puissance d’engendrement de corps humains. La survie de l’homme comme humain, comme être parlant, il la tient de cette image divine double, mâle et femelle, qui le modèle organiquement. En effet, dans tout le récit biblique de la création, Dieu s’exprime à la deuxième personne en s’adressant à ses créatures à deux reprises seulement : à propos de la création des poissons (v. 22) et à propos de celle de l’homme, et cela en liaison à chaque fois avec leur puissance de procréation. Cette relation entre l’adresse divine directe et la procréation nous semble hautement significative de l’investissement du Créateur dans le processus de procréation. La cosmogonie ne s’arrête donc pas au premier chapitre de la Genèse, elle est continuée par l’homme pourvu d’une puissance d’engendrement dérivée de la puissance créatrice de Dieu, tout au long du récit biblique. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le célèbre verset : « C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme et ils deviennent une seule chair » (2:24). Cette chair une, ce n’est pas autre chose que l’enfant qu’ils engendrent. Ici c’est le pluriel – le duel précisément – qui engendre l’unique et le singulier. ».
Plus sur le sujet :
Tzelem Elohim, théomorphisme ou angélomorphisme ? Spartakus FreeMann, Nadir de Libertalia, 16 Shevat 5767.
Image par Pete Linforth de Pixabay
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