Le Satanisme

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Le Satanisme par Fabre des Essarts.

ORIGINES

L’idĂ©e d’adresser des priĂšres aux puissances malfaisantes est aussi vieille que le monde. Ce n’est lĂ , en somme, qu’une des faces de la religion, ce qu’on pourrait appeler son pĂŽle nĂ©gatif. On honore les dieux bons pour obtenir leur protection, les dieux mauvais pour les empĂȘcher de nuire.

Les Égyptiens rendaient un hommage particulier Ă  Typhon, qui incarnait le principe du Mal et de la Destruction. À AthĂšnes, il y avait un temple oĂč l’on offrait aux EumĂ©nides le sang des brebis noires et la nĂ©phalie, breuvage composĂ© d’eau et de miel. À Rome, Pluton, l’implacable roi des Enfers, Ă©tait Ă©galement l’objet d’un culte spĂ©cial. Les taureaux noirs Ă©taient ses victimes prĂ©fĂ©rĂ©es.

L’orthodoxie chrĂ©tienne a conservĂ© dans sa liturgie une trace fort curieuse de cette antique religion du dieu noir, et, chose Ă©trange il ne s’agit point, en l’espĂšce, d’une adjuration apotropaĂŻque, mais bien d’un appel direct Ă  la puissance infernale. On lit dans le Rituel de l’excommunication majeure les lignes qui suivent :

« Je vous conjure, DĂ©mon, ainsi que toute votre lignĂ©e de ne point prendre de repos, jusqu’à ce que vous l’ayez rĂ©duit (l’excommuniĂ©) Ă  un opprobre Ă©ternel, jusqu’à ce qu’il soit dĂ©truit par l’eau ou par la corde, mis en piĂšces par les bĂȘtes sauvages ou dĂ©vorĂ© par les flammes. Je vous somme, DĂ©mon, vous et tous les vĂŽtres d’éteindre Ă  l’instant la lumiĂšre de ses yeux, de mĂȘme que j’éteins en ce moment ces torches. Amen. Â»

VoilĂ  donc le DĂ©mon invoquĂ© par le Pontife excommunicateur, l’esprit du mal devenant en quelque sorte son collaborateur, en cette Ɠuvre de malĂ©diction. Il est au moins singulier de constater que l’Église, qui a tonnĂ© si vĂ©hĂ©mentement et si cruellement sĂ©vi contre les LucifĂ©rains a jetĂ©, elle aussi, Ă  son heure, son cri vers Lucifer.

Mais tout cela n’est pas le Satanisme, si l’on entend par ce mot le culte du DĂ©mon, la religion du mauvais principe se substituant Ă  la religion du bon principe et n’en conservant les pratiques extĂ©rieures que pour les tourner en sacrilĂšge dĂ©rision.

Le vrai Satanisme ainsi dĂ©fini ne paraĂźt guĂšre remonter au-delĂ  du Moyen-Âge. Mais ce n’est pas chez les FrĂšres du Libre Esprit qu’il faut l’aller chercher, encore que le long procĂšs ouvert contre eux par l’Inquisition, en 1216, ait convaincu leur apĂŽtre Ortlieb de prĂ©coniser l’adoration du DĂ©mon ce n’est pas non plus chez les LucifĂ©rains, bien que Conrad Tors, leur juge, leur reproche, vers la mĂȘme Ă©poque, de baiser, dans leurs mystĂšres, la croupe d’un crapaud et celle d’une chatte noire, symboles non Ă©quivoques selon lui de la puissance diabolique. Toutes ces dĂ©clarations nous viennent des Inquisiteurs, qui les tenaient eux-mĂȘmes des malheureux qu’ils livraient Ă  la torture. Donc, suspectes au premier chef.

Fort suspects aussi, et pour les mĂȘmes causes, les documents qui Ă©tayent l’accusation de Satanisme portĂ©e contre les Templiers. Le seul point qui semble bien Ă©tabli, c’est que leurs cĂ©rĂ©monies initiatiques comportaient diverses pratiques bizarres, ayant pour but de montrer au nĂ©ophyte jusqu’oĂč devait aller son esprit d’abnĂ©gation et de soumission. Entre autres humiliations, ce dernier devait donner Ă  l’Initiateur basia in fine spinae dorsi, in umbilico, etc. Mais ici encore cĂ©rĂ©monie obscĂšne, et non point acte satanique.

Quant au fameux Baphomet, Baffometus, ce Capud, dont il est si souvent question dans les piĂšces du procĂšs, rien n’autorise Ă  affirmer que ce fĂ»t vĂ©ritablement la figure de Satan. L’étymologie mĂȘme du mot, inspiratio mentis, illuminatio, semble indiquer que c’était bien plutĂŽt quelque symbole mystĂ©rieux, d’origine Ă©gyptiaque peut-ĂȘtre, reprĂ©sentant la pensĂ©e s’affranchissant de la gangue hylique.

Plus grave serait l’insulte au crucifix, sur lequel le rĂ©cipiendaire devait marcher et cracher. Si ce point Ă©tait nettement Ă©tabli, il trancherait nettement la question dans le sens satanique. Et encore ? D’aucuns n’y voient qu’un symbolisme de mauvais goĂ»t commĂ©morant la nĂ©cessitĂ© oĂč se serait trouvĂ© un grand maĂźtre du Temple de sauver sa vie de la main des infidĂšles, au prix d’une analogue profanation (selon S. Épiphane, les ElcĂ©saĂŻtes dĂ©claraient que pourvu que l’on conservĂąt sa foi dans les persĂ©cutions, on pouvait la renoncer de bouche. On pouvait mĂȘme adorer extĂ©rieurement les idoles. Cette singuliĂšre doctrine s’était peut-ĂȘtre introduite dans le Temple Ă  la suite du courant pseudo gnostique, et, en ce cas, l’insulte au Crucifix n’en aurait Ă©tĂ© que la symbolique tradition).

Tout bien pesé, nous ne croyons pas que les Templiers aient été des satanistes.

Le Satanisme
Le Satanisme – Messe de Guibourg

LE SATANISME – LA MESSE NOIRE DE JADIS

L’Évangile avait Ă©tĂ© prĂȘchĂ© aux humbles. On leur avait parlĂ© d’un Dieu tout de bontĂ© et de mansuĂ©tude, commandant Ă  Pierre de mettre l’épĂ©e au fourreau, proclamant l’universelle fraternitĂ©, fustigeant les vendeurs du temple, bĂ©nissant les petits enfants, et ceux-lĂ  mĂȘmes qui leur parlaient de toutes ces belles et saintes choses, les prĂȘtres de ce Dieu, mort en pardonnant Ă  ses bourreaux, faisaient peser sur eux une affreuse tyrannie, les accablaient de dĂźmes et de corvĂ©es, guerroyaient eux-mĂȘmes au besoin, passaient vĂȘtus de soie et d’or, habitaient des palais. Ils en conclurent avec ce raisonnement simpliste qui est le propre du peuple que, non seulement, les ministres Ă©taient des imposteurs, mais que leur Dieu lui-mĂȘme n’était qu’un abominable Moloch dĂ©guisĂ© en agneau. Et mus par ce besoin religieux que rien ne peut abroger, ils se mirent Ă  adorer le Diable.

De lĂ , la Messe noire.

Michelet estime que son institution n’est pas antĂ©rieure au XIIIe siĂšcle. Jusque-lĂ , on avait vu ce qu’il appelle l’innocent « carnaval du serf Â», vieux souvenirs paĂŻens entremĂȘlĂ©s de manifestations chrĂ©tiennes, chandelles brĂ»lĂ©es en l’honneur de Diane-HĂ©cate, veillĂ©es de VĂ©nus, Sabazies, etc. Ce n’est qu’à partir de 1300 que le Sabbat se transforme en lutte ouverte contre Dieu.

Au dĂ©but, selon l’illustre historien, la Messe noire cĂ©lĂšbre « la rĂ©demption d’Ève, la rĂ©habilitation de la femme Â». Il est vrai que la femme y remplit le rĂŽle de grande prĂȘtresse. Mais peut-ĂȘtre ne faut-il voir dans ce dĂ©tail du cĂ©rĂ©monial que l’intention systĂ©matique de prendre exactement le contre-pied de l’office catholique. La femme Ă©tant exclue du chƓur dans la liturgie normale, il Ă©tait tout indiquĂ© qu’on la plaçùt Ă  l’autel dans la liturgie satanique. C’est par trop subtiliser, ce nous semble, que d’attribuer Ă  ce fait une portĂ©e sociale quelconque.

Nous allons voir, du reste, en empruntant Ă  Michelet le scĂ©nario de ce drame dĂ©moniaque que tout y est au rebours de la magnifique tragĂ©die du Saint-Sacrifice. D’abord pas de temple, ni pronaos destinĂ© aux catĂ©chumĂšnes, ni sanctuaire rĂ©servĂ© aux officiants. La cĂ©rĂ©monie a lieu en plein air sur quelque lande sauvage, parfois au pied d’un vieux dolmen ; tous les assistants y sont confondus, jeunes ou vieux, hommes et femmes, fidĂšles et cĂ©lĂ©brants.

C’est que ce lieu secret n’est pas un rendez-vous

Pour des amours humaines, prĂ©face d’épousailles,

C’est un lieu de sabbat et là, dans les broussailles,

L’animal qui prĂ©side est, suivant l’us ancien,

Le bouc Ă  longue barbe ou le vert batracien,

dit le poÚte Amanieux, en un beau livre dont le seul défaut est de réduire le Satanisme à de purs phénomÚnes psychiques.

Mais revenons Ă  Michelet. La prĂȘtresse couronnĂ©e de verveine, la plante magique par excellence, prononce l’IntroĂŻt :

« J’entrerai Ă  l’autel de mon Dieu ; Seigneur, sauvez-moi du perfide et du violent Â» (entendez : du prĂȘtre et du suzerain).

Ensuite avait lieu le reniement de JĂ©sus. Puis on baisait le derriĂšre du bouc, ou celui d’une sorte de Satan de bois, Ă©norme, monstrueusement phallique, auquel, aprĂšs la cĂ©rĂ©monie du baiser, se prostituait la prĂȘtresse. Un banquet, souvenir des antiques agapes, terminait l’IntroĂŻt. Suivait la ronde du Sabbat, Ă©chevelĂ©e et folle.

On procĂ©dait ensuite Ă  la seconde partie de la cĂ©rĂ©monie. La prĂȘtresse couchĂ©e sur le ventre servait Ă  la fois d’autel et d’hostie. Sur ses reins, un officiant prononçait les paroles du Credo satanique. Et, naĂŻvement, le bon Michelet ajoute « Ce fut plus tard immoral ! Â» Il trouve que pour l’heure, de 1300 Ă  1400, c’était tout Ă  fait sĂ©rieux, Ă©tant donnĂ©es les tortures auxquelles Ă©tait condamnĂ©e la prĂȘtresse, si elle venait Ă  tomber aux griffĂ©s de l’Inquisition. Je veux bien qu’il y ait eu alors du courage Ă  dire la messe noire, mais vraiment en Ă©tait-elle plus morale pour cela ?

Sur le corps de la prĂȘtresse, on offrait le blĂ© Ă  l’esprit de la terre, en dĂ©rision de l’eucharistie, et des oiseaux s’envolaient du sein de la femme, offerts au Dieu de la LibertĂ©, affirme Michelet, mais pour nous parodie d’une cĂ©rĂ©monie du sacre des Rois. Puis venait la confarreatio, le gĂąteau cuit sur le corps de la femme, que se partageaient les assistants.

On dĂ©posait ensuite sur son corps deux simulacres, l’un reprĂ©sentant le dernier mort, l’autre, le dernier nĂ© de la commune. Alors la femme se relevait et jetait un dĂ©fi Ă  la foudre. On lui prĂ©sentait aussitĂŽt un crapaud habillĂ©. qu’elle mettait en piĂšce en criant « Ah Philippe, si je te tenais Â»

Michelet ne paraĂźt nullement fixĂ© sur le sens de cette malĂ©diction. Toutefois, il incline Ă  croire qu’il s’agit de Philippe de Valois. On s’explique mal un pareil Ite missa est, pour terminer une cĂ©rĂ©monie qui est une insulte air Dieu du Calvaire.

Je crois que si la prĂȘtresse songeait Ă  un roi, c’était bien plutĂŽt Ă  Philippe-le-Bel, Ă  Philippe-le-Bel le faux-monnayeur, le meurtrier des Templiers, le louche collaborateur de ClĂ©ment V, et par ainsi ce nom de Philippe synthĂ©tisait Ă  la fois le prĂȘtre et son Christ, la dĂźme, le brigandage et la torture, et ce nom, la prĂȘtresse le clamait furieusement Ă  la face du ciel, qui n’osait lancer sa foudre, et de la terre, qui n’ouvrait pas ses abĂźmes.

LE SATANISME – LA MESSE NOIRE D’AUJOURD’HUI

AprÚs la phase épouvantablement tragique du moyen-ùge, la Messe noire entre, dÚs la Renaissance, dans une période de libidineuse décadence.

Ce n’est plus la grande fĂȘte sombre de la souffrance en folie ; c’est tantĂŽt la recherche compliquĂ©e de sensations sadiques, tantĂŽt la reconstitution maladroite d’un drame archaĂŻque, tentative analogue Ă  cette fĂȘte bachique organisĂ©e par Jodelle et ses amis Ă  l’issue de la reprĂ©sentation de ClĂ©opĂątre.

On sait d’aprĂšs les piĂšces du procĂšs de la Voisin, que la Messe noire se cĂ©lĂ©brait encore au temps de Louis XIV « pour amuser les grands seigneurs de la Cour du roi et en des formes qui reproduisaient dans mesure les rites d’antan, notamment celui de la femme autel Â».

Il faut ensuite arriver jusqu’à la fin du XIXe siùcle pour retrouver mention de la Messe noire.

Elle se dit, cette abominable messe, non seulement en Navarre, ainsi que l’affirme en 1895, une feuille pie, mais aussi en France, et mĂȘme Ă  Paris. Les preuves ? Elles foisonnent. Mais elles viennent de source si spĂ©ciale que tout contrĂŽle est impossible. Nous voulons parler des dĂ©clarations faites dans le mystĂšre du confessionnal. Interrogez les curĂ©s et vicaires des grandes paroisses de la capitale, vous en trouverez bien peu qui n’aient entendu l’aveu de quelque pĂ©nitente, jeune ou vieille, s’accusant d’avoir baisĂ© le derriĂšre du bouc. Nous ignorons si les confesseurs ont quelquefois poussĂ© Ă  fond l’interrogatoire et s’ils en savent beaucoup plus long que nous n’en savons nous-mĂȘmes sur les dĂ©tails de la liturgie diabolique. Ce qui est certain, c’est que toutes les enquĂȘtes tentĂ©es auprĂšs d’eux n’ont amenĂ© jusqu’ici que cette simple, mais trĂšs nette dĂ©claration : « Nous avons des pĂ©nitentes qui ont assistĂ© Ă  la messe noire. Â»

Autre fait trĂšs caractĂ©ristique le vol des hosties consacrĂ©es. Huysmans, le maĂźtre Ă©minent qui a Ă©crit la CathĂ©drale, nous disait rĂ©cemment que ce genre de sacrilĂšge devient de plus en plus frĂ©quent. On laisse les ciboires et on emporte les hosties, preuve indĂ©niable que ce n’pas l’appĂąt de l’or qui attire les effracteurs. Et comme nous lui faisions observer que le cĂ©lĂ©brant de la messe noire n’a nullement besoin d’hosties consacrĂ©es, puisqu’il peut lui-mĂȘme consacrer, Ă©tant prĂȘtre, Huysmans nous dĂ©clara que les fidĂšles de l’église satanique se mĂ©fient beaucoup de la validitĂ© des pouvoirs de leurs officiants, craignant que ceux-ci n’aient pas Ă©tĂ© rĂ©ellement ordonnĂ©s, ou qu’ils ne prononcent pas avec foi les paroles consĂ©cratrices, car, selon notre illustre confrĂšre (consulter son LĂ -Bas), pour que la Messe noire d’aujourd’hui soit conforme au rituel adoptĂ©, il est indispensable que l’assistance dispose de pain dĂ»ment transmuĂ© par une vĂ©ritable consĂ©cration.

En somme, pas plus Huysmans que tels autres Ă©crivains ayant tracĂ© des narrĂ©s de Messes noires n’ont assistĂ© Ă  la cĂ©rĂ©monie. Leurs descriptions sont tantĂŽt pures fantaisies de reporters, tantĂŽt ingĂ©nieux essais de reconstitution d’aprĂšs les grimoires des de Lancre et des Wyer.

Si comme nous sommes incitĂ©s Ă  le croire, sur la foi de tant de respectables tĂ©moignages, la Messe noire se dit Ă  Paris, c’est en des lieux absolument secrets, oĂč l’on n’est admis qu’en montrant patte noire et que d’ailleurs la loi Guilloutet abrite de son Ă©gide. On a parlĂ© de la rue de Rennes, des abords de l’ArchevĂȘchĂ©. Mais en fait, pour le lieu, comme pour l’heure et le dĂ©tail de la cĂ©rĂ©monie, on en est rĂ©duit aux hypothĂšses.

Plus sur le sujet :

Le Satanisme, FABRE DES ESSARTS, Patriarche de L’Église Gnostique de France.

Image parWaldkunst de Pixabay

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