Discours d’Apprenti au RER.
Discours savant et très lumineux pour la réception d’un apprenti franc-maçon, reçu d’Italie, originaire d’Allemagne, 1780.
La Maçonnerie est un secret qui subsiste depuis que le monde est créé. Ce secret a été remis de génération en génération jusqu’à nous, et le sera de même jusqu’à la fin des siècles. Ce secret est non seulement impénétrable aux profanes, il le sera même aux maçons tièdes, paresseux et légers ; être maçon, c’est donc chercher sincèrement à mériter d’être initié dans nos mystères.
Pour avoir l’idée de cette recherche, il faut être guidé ; la nature se charge de nous inspirer ce sentiment. Tout homme naît avec le désir d’être heureux, tout homme naît avec le désir de la vertu. Mais la nature seule ne suffit pas pour perfectionner l’homme, elle le sent bien, et l’excite elle-même à consulter la raison. Celle-ci le reçoit et lui donne tous ses soins ; elle ne les refuse jamais à ceux qui s’abandonnent à elle.
Du concours des soins ou des impressions de la nature et de la raison se forme l’éducation. L’éducation de deux si excellents guides ne peut rien produire que de parfait. La perfection dans l’homme, c’est l’amour de la justice ; notre troisième guide sera donc la sagesse.
La nature, la raison et la justice veulent le bonheur de l’homme, non seulement dans l’autre vie, mais même dans celle-ci. Tout ce qui existe a été créé pour l’homme, il faut donc qu’il en jouisse, Mais il ne le peut qu’à titre de grâce : sa puissance n’est qu’un dépôt, il a l’usufruit, il ne peut se croire le propriétaire. Il doit donc faire valoir ce départ il doit jouir de ses avantages, mais il ne peut se l’approprier, il doit toujours être prêt à y renoncer et ne point le regarder comme son seul bien.
Avec la vie, l’homme a reçu un libre arbitre, c’est-à-dire que, placé entre le bien et le mal il lui est libre de choisir. On lui fait voir tout le bonheur qu’il doit retirer en suivant le bien qu’il connaît déjà et on le menace des plus cruels tourments, s’il se livre à un ennemi dangereux qu’on lui montre aussi. Ici, l’impie crie à l’injustice, parce qu’il veut suivre ce dernier parti ; le juste, au contraire, bénit son Créateur qui, par là, donne à l’homme le rang au dessus des anges. Le juste et l’impie ont leur libre arbitre, pourquoi donc ce contraste ?
C’est que la présomption se glisse dans l’homme à l’aide des connaissances qu’il acquière, s’il n’a pas soin de tout rapporter au seul but pour lequel elles lui sont données. Il prend une fausse route ; il y marche avec sécurité. Séduit par l’apparence, il s’abandonne entièrement au langage flatteur de son ennemi qui ne cherche que la ruine, jaloux de la supériorité et d’en être supplanté.
Une fois que l’homme a perdu de vue la vraie lumière, ou que, poussé par une criminelle curiosité, il veut se servir de celle qui lui est donnée, pour passer les bornes qui lui sont prescrites, il ne fait plus que tomber d’erreur en erreur, il parcourt des espaces immenses, sa présomption lui fait tout envisager comme des moyens de parvenir au terme qu’il se propose. Ce terme est bien la vérité ou le bonheur, mais privé par sa faute du flambeau qu’il a laissé en arrière, il murmure, parce que les ténèbres l’empêchent de voir qu’il n’est pas dans bonne voie : au lieu donc de la paix et de la vérité qu’il cherche, il ne rencontre rien de semblable, au contraire toutes sortes de peines, et, il en est trois pour l’homme. Le remord et la confusion s’emparent de lui, il a bien voyagé, il a bien travaillé, mais tant qu’il sera dans cette route, il ne trouvera rien.
Ce n’est qu’après être rebuté et fatigué de tant de recherches inutiles, qu’après un terris infini si mal employé, qu’après avoir essuyé toutes les fatigues du corps, de l’ âme et de l’esprit, qu’enfin, revenant à ce premier penchant pour le vrai, le bon et le beau, nous abjurons nos erreurs, nous secouons nos préjugés et nous revenons sur nos pas à l’aide du trouble de notre conscience. C’est le cri de nos guides bienfaisantes qui se font entendre impérieusement ; ce sont elles qui ne cherchent sans cesse qu’à reprendre leurs droits sur l’homme.
Mais, pour retrouver le vrai bonheur, il faut qu’il se soumette, qu’il se résigne, qu’il fasse le sacrifice de ce qu’il a de plus cher, qu’ il renonce à ses droits, qu’il subisse la mort et la privation de tout ce qu’il avait possédé. et s’il se soumet à ce châtiment trop mérité par sa révolte, l’homme ingrat et pervers obtient sa grâce, lorsqu’il n’attendait que son anéantissement. Quel est cet ami généreux qui intercède pour lui ? C’est son Créateur, c’est- la sagesse même.
Qu’exige-t-on encore de l’homme ? Rien que les suites nécessaires de son péché : la honte, le remord, le travail, la peine et les Maux. Dés que l’homme rentre sérieusement en lui- même y trouve ce rayon de lumière que tous ont reçu, s’il fait cet examen avec le désir sincère de se connaître, de connaître son auteur et la perpendiculaire qui les unit, si le désir le conduit à une pratique plus régulière de ce qu’il connaît déjà de ses devoirs. Si au contraire le découragement et l’étonnement stérile n’en est pas la suite, il est constant qu’avec de la sincérité, de la constance et de la ferveur, l’homme se servira utilement de cette lueur pour parvenir à la grande lumière. Mais n’oublions pas que cette récompense doit être le fruit d’un long et pénible voyage, que nous en étant déjà une fois rendu indignes elle ne peut nous être donnée que sous les assurances et les épreuves les plus authentiques de notre fidélité, de notre prudence et de notre soumission.
Jusques ici l’homme que nous considérons n’est ni nu ni vêtu, il ne sait pas encore précisément se démêler lui-même, il ne peut concilier ses penchants et ses facultés, il s’étonne de sa liberté, il se compare ; la fidélité, l’amour et la confiance lui sont ordonnées, il s’y soumet, et son repentir, sa pénitence et son aveu lui méritent sa grâce. Il est porté d’autant plus que le souvenir des circonstances de sa création lui fait concevoir toute la noblesse de son origine.
Mais l’homme n’acquiert ce qu’il désire qu’en consultant la nature, la raison et la justice ; la première est la porte où il doit frapper, la seconde est la route qu’il doit suivre et la troisième est le but où il doit aspirer. Rentrez donc en vous-mêmes, étudiez-vous et frappez pour être entendus ; cherchez dans la sagesse et hors du matériel ce qu’elle seule peut vous faire trouver, et demandez à l’auteur de toute justice l’intelligence de ce que vous aurez cherché et trouvé.
L’homme livré à ses passions est dans les ténèbres, il en est offusqué : son origine et sa fin ne lui sont plus présents. Il oublie la partie spirituelle qui entre dans son existence, pour ne se livrer qu’à la partie animale et matérielle. Il se dégrade en ne s’occupant que du temporel, et tant qu’il est dans cet état d’engourdissement, il ne peut s’élever au-delà, il n’y aperçoit même rien, parce qu’il met lui-même un voile épais entre la lumière et lui.
Mais lorsque le voile est tombé, il aperçoit, avec les veux du désir et de la confiance, ce que son esprit offusqué par les passions ne pouvait lui laisser voir. Trois grandes étoiles se présentent à lui, ce sont les trois commandements qu’il trouve gravés dans son cœur. L’homme avait reçu l’usage des métaux, comme un dépôt et non comme une propriété, mais trompé par la concupiscence, il en abuse par l’usage trop immodéré qu’il en, fait. Il fallut l’en dépouiller. Toutes les passions peuvent être innocentes, elles ne deviennent criminelles que par l’abus que l’homme en fait. En nous rendant ces dons, dont nous avions mérité d’être dépouillés, c’est nous rendre la grâce de bien user des bienfaits de la nature ; mais nous ne pouvons rentrer dans nos droits qu’avec un cœur pur, fruit du repentir et d’une bonne résolution. L’excellence de l’homme est effectivement appuyée sur trois colonnes ou trois impressions qu’il trouve gravées dans son coeur, s’il veut l’examiner ; ce sont les trois vertus théologales. Sans leur pratique, tout l’édifice moral s’écroule, l’homme est aussi appuyé sur la force, la sagesse et la beauté qui nous représentent la divinité ; l’homme même et les éléments ; la nature, la raison et la justice ; le spirituel, l’animal et le matériel ; l’intelligence, la conception et la volonté, etc.
Les apprentis au septentrion dans le Temple pour se faire à l’ouvrage, en attendant qu’ils aient acquis la force et les connaissances des travaux maçonniques, c’est à dire, que l’homme auquel on fait entrevoir des connaissances qu’il croit au-delà de la portée de son esprit, a besoin d’un peu de terris et de réflexion pour s’accoutumer aux idées que lui fait naître ces nouvelles notions, auxquelles il croit que la raison répugne ; et souvent il prend pour sa raison le corps de conséquences que ses préjugés lui font tirer de certaines fausses notions qu’il a reçu ou qu’il s’est donné. Ce n’est pas un petit ouvrage de vaincre ses préjugés et de vaincre sa volonté, mais ce n’en est pas moins un sacrifice nécessaire et préalable pour acquérir de nouvelles connaissances.
Mais ces nouvelles connaissances ne paraîtront au candidat que comme une pierre brute entre les mains d’un maçon de pratique. Cette pierre est informe, ses connaissances le sont aussi. Les premiers coups de ciseaux donnés sur cette pierre, quoiqu’en l’entamant, ne paraissent pas lui donner encore aucune forme ; de même, nos premières recherches sur une vérité enveloppée ne nous donnent encore rien de positif. Mais infailliblement, avec du désir, de l’amour, et de la confiance, le véritable maçon se frayera un chemin à la perfection comme celui de pratique pourra parvenir à équarrir sa pierre dans de justes et requises proportions. L’ignorance ou l’erreur lui feront voir ce qu’il cherche comme un chaos qu’il ne peut encore décomposer, comme une lumière encore enveloppée des plus épaisses ténèbres qu’il faut dissiper. Il faut du temps et de la réflexion pour débrouiller de nouvelles idées, vaincre les préjugés et adopter de nouvelles notions sur des objets que l’esprit ennemi de la matière n’a pu laisser soupçonner à ceux qui l’ont négligé.
La récompense étant proportionnée au mérite d’un chacun, l’homme qui n’est encore que dans le cas dont nous parlons, ne peut prétendre raisonnablement à une satisfaction au-delà de son mérite actuel. Il y a plusieurs places dans le temple ; la colonne J. est destinée à la paye des vrais apprentis elle veut dire confiance en Dieu.
Ah ! N’est-ce pas là, en effet, déjà une grande récompense que celle d’avoir obtenu de mettre toute notre confiance en celui dont nous avons tout reçu ! Quel autre que lui peut nous donner notre récompense ? Nous savons déjà qu’un autre que lui nous a trompé, et que vainement nous avons cherché hors de lui, ce qui n’est qu’en lui seul. C’est donc dans cet état d’un sincère retour sur lui-même que l’homme reçoit sa paye, car, lorsque ce retour est réellement sincère, est infailliblement suivi d’une douce émotion qu’il est plus aisé de sentir que d’exprimer. L’on sait bien que l’on n’est pas au bout de la carrière, mais du moins, qu’elle satisfaction n’a-t-on pas de se voir dans la seule route qui y conduise et quelque éloignée que soit la lumière. Elle est si grande qu’elle éclaire quiconque la cherche sincèrement.
Relégués à la partie septentrionale du porche du temple, c’est à – dire encore absorbés par le souvenir de nos erreurs et de nos fautes, encore environnés des suites de notre prévarication, nous ne pouvons recevoir notre paye que sous trois conditions qui sont : le repentir, la pénitence et l’aveu de notre faute, que par le signe de la quadruple équerre qu’il ne nous faut représenter que par un sincère exercice du culte qui nous est prescrit, et un saint usage de la prière qui nous est enseignée.
Pour terminer ce discours, convenons, mes frères que l’homme ne peut recevoir cette grâce cette faveur insigne désirée de tous, quoi que peu connue, que lorsque, voulant absolument sortir des ténèbres et de l’erreur, il cherche de bonne foi la solide lumière ; que lorsque, indigné contre lui-même de sa présomption, il veut ne suivre que la vertu et que, persuadé de l’existence d’un être parfait, il ne met sa confiance qu’en lui seul, en qui réside la vraie loge, juste et parfaite, la force, la sagesse et la beauté.
L’apprenti qui ne sait qu’à peine épeler et qui ne sait nullement écrire, nous représente bien l’homme timide observateur de la loi qu’il veut suivre ; il ne peut se faire un plan fixe de ses devoirs, ni une application juste de ses connaissances. Sortant des ténèbres de l’ignorance et de l’erreur, il ne peut s’accoutumer que petit à petit aux nouvelles notions qu’il ne fait qu’entrevoir, et dont il ne peut, que par degrés, se faire une idée juste et suivie.
Ce nombre trois n’aurait-il pas rapport aux trois commandements, aux trois vertus théologales, aux trois personnes de la trinité, à quelque époque et à quelque alliance ?
La lumière préside au travail les ténèbres au repos. Tout ce que l’homme fait doit être digne de la lumière, et dès qu’il cherche les ténèbres, semblable au premier homme, il montre le trouble de sa conscience. Il est d’ailleurs toujours temps de bien faire, puisqu’il est toujours au dessus de midi pour se mettre au travail. Dès que nous cherchons la lumière nous la trouvons ; le découragement est un vrai renoncement à la lumière.
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Discours d’Apprenti au RER, Original conservé à la bibliothèque municipale de Lyon – Ms 5921-10 (fonds Willermoz). Image by OpenClipart-Vectors from Pixabay
Illustration : Tablier aux symboles, France – début XIXe. Image extraite du site Franc-Maçon Collection.com.